Chapitre 69

Il faisait nuit.

Une nuit comme toutes les autres pour la Capitale de l'Empire.
L'Empereur était aussi heureux que soulagé. L'épouse de son Héritier avait ENFIN produit un rejeton mâle et viable. Après des années sans succès, après de nombreuses fausses couches au point que certains appelaient le trône à la répudiation de la princesse, elle avait enfin donné à la Dynastie le petit prince que tous attendaient d'elle.

La grossesse avait été compliqué. Le travail avait duré presque quatre jours, mais elle avait fini par accoucher d'un gros bébé en parfaite santé qui rendait fou ses nourrices depuis le premier jour.

A presque trois ans maintenant, l'enfant était chaque jour un peu plus insupportable pour les pauvres femmes. Il commençait à jeter des coups d'œil vers les armes de ses gardes du corps et à monter partout dès qu'il le pouvait. S'il ne se tuait pas avant ses dix ans, ils avaient là un petit prince fort et dynamique. C'était un réel soulagement pour l'Empire aussi bien que pour l'Empereur.

Le Seigneur de toute la Chine espérait vraiment que l'épouse de son fils survivrait à son retour de couches. Depuis la naissance, des mois auparavant, elle restait have et décharnée. Son épuisement était manifeste comme si elle avait tout donné dans un effort ultime pour satisfaire l'Empire, son époux et leurs familles à tous les deux. Elle ne méritait pas de mourir après avoir si vaillamment supporté pendant si longtemps les moqueries, les fausses couches et un accouchement si difficile. L'impératrice avait fait dépêcher auprès d'elle ses propres sage-femmes qui s'occupaient d'elle depuis lors, ses cuisiniers personnels s'occupaient de la nourrir et sa camériste préférée passait la voir presque tous les jours. La princesse allait petit à petit mieux mais c'était lent. Tous savaient, le Prince Héritier le premier, qu'il ne la toucherait plus jamais pour ne pas prendre le risque de l'engrosser encore. Une nouvelle grossesse la tuerait. Il l'appréciait assez pour ne pas vouloir prendre ce risque.

Maintenant qu'il avait un héritier, le Premier Prince pouvait se concentrer sur ses épouses secondaires et ses concubines. Le couple serait soulagé. Ils s'entendaient bien pour un mariage arrangé. Seule cette histoire de rejeton tendait leur relation. Maintenant que le petit prince était là, ils allaient pouvoir vivre leur mariage dans l'harmonie.
Vraiment, l'Empereur espérait que la princesse survive. Elle ferait une impératrice parfaite lorsqu'il serait temps.

Le Prince Héritier était heureux de son fils. L'enfant avait un regard marron foncé déjà déterminé pour sa petite taille. Il ne hurlait jamais de toute la force de ses poumons quand quelque chose n'allait pas, pas plus maintenant que lorsqu'il était encore en couches. Il ne se laissait néanmoins pas impressionner par les douces gronderies de son père ou de ses nourrices. Le petit prince les observaient tous avec dans l'œil la résignation d'un quadragénaire. Et il était si fort ! Les petits avaient toujours bien plus de force que leur petite taille ne le laissait imaginer. Mais le petit prince était déjà une force de la nature. Ses professeurs murmuraient déjà qu'il serait bon de le confier à un cultivateur pour régner sur ces capacités sans les étouffer. Après l'avoir descendu du toit quatre fois en une semaine, l'idée paraissait bonne à l'Empereur. Le plus difficile serait de trouver un cultivateur à qui faire confiance. Pas JingYun, c'était certain. Peut-être une des cultivatrices du sud ? Elles étaient sans pitié et surtout, elles étaient fourbes autant que politique.
C'était une idée intéressante pour dresser un futur Empereur.

Pour l'instant, l'Empereur ne pouvait dormir. Il n'était pas rare que le vieux monsieur ne parvienne pas à trouver un repos pourtant bien mérité. Ni ses ministres, ni ses épouses ne parvenaient à lui détourner assez les idées pour qu'il s'assoupisse. Alors il marchait. Il marchait dans son palais, dans ses jardins, du palais d'un de ses fils à un autre jusqu'à ce que le soleil se lève et qu'il soit assez apaisé pour s'endormir d'épuisement pour quelques trop courtes heures.

Ce soir, ou cette nuit, il était dans le palais de l'est, celui de son héritier. Le prince avait l'habitude de ses allées et venues. Il y avait bien longtemps qu'il ne se levait plus pour l'accueillir, ce dont l'Empereur lui était reconnaissant. Il n'avait pas besoin de courbette mais de s'épuiser. Son fils était assez fine mouche pour comprendre et ne pas chercher à le troubler. C'était ce qui expliquait que l'Empereur se soit introduit dans l'aile de la Princesse sur la pointe des pieds pour ne pas la troubler et soit entré dans la chambre du petit prince.

Normalement, il n'y avait là que deux gardes, deux nourrices et trois ou quatre servantes. A toute heure du jour ou de la nuit, il y avait là des adultes éveillés pour s'occuper de l'enfant de trois ans.

Pourtant, ce soir, tout le monde dormait. Les gardes étaient avachis contre les murs, les nourrices sur leurs ouvrages et les servantes sur le sol.
Et au milieu de ce carnage, un homme en blanc tenait le gamin dans ses bras.
Le petit le fixait les sourcils froncés mais sans aucune peur, juste un peu de perplexité.

"- Salutation, Empereur Jin."

"- Qui êtes-vous ?" Où étaient ses propres gardes ? L'Empereur jeta un coup d'œil derrière lui. Ses hommes étaient inconscients sur le sol.

"- Soyez tranquille, Majesté. Je ne vous veux aucun mal." Le 'pour l'instant' était sous-entendu.

"- Vous ne pourrez pas vous enfuir d'ici."

"- Ho, je suis rentré avec la plus grande aisance, j'en sortirai de la même façon. Mais ce n'est pas la question. Je suis là pour vous transmettre un message."

"- De qui ?"

"- Du Seigneur Anbei."

l'Empereur avait beau se passer le crâne à la serpette, ce nom ne lui disait rien.

"- Qui ?

"- Le Seigneur Anbei. Le Seigneur Démon qui surveille votre Empire au nord."

L'Empereur reconnu enfin les robes que l'homme portait.

"- Vous êtes un prêtre du Yin Yang."

"- Parfois oui. Ça m'arrive quand j'ai envie. Mais le Seigneur Anbei parle par ma bouche ce soir. Pas le Yin Yang."

L'Empereur ne pouvait rien faire. Pas alors que ses hommes étaient aux fraises et surtout, pas alors que son petit-fils s'amusait avec une mèche de cheveux du prêtre. Tout en lui incitait au malaise. Son sourire était faux, ses yeux étranges et une espèce de… d'aura malsaine l'entourait. L'homme, si s'en était un, était dangereux et ne laisserait personne l'oublier.

"- J'écoute." L'Empereur voulait se précipiter pour arracher son petit-fils des bras du monstre mais ne le pouvait pas sans le mettre en danger.

"- Votre petit fils est adorable, vous ne trouvez pas ? Il tient tout de son père."

L'Empereur ne dit rien. Quelque chose lui échappait.

Seimei effleura le nez droit du bébé du gras du pouce. L'enfant se mis à râler tout en chassant sa main. Une fois qu'il eut attrapé le pouce de Seimei, il chercha à le mordre mais Seimei récupéra doucement son doigt. Le scandale sur le visage du petit était touchant. C'était un scandale que Seimei connaissait bien. Boya avait le même quand QingMing faisait n'importe quoi.

"- Qu'est-ce que vous avez à me dire ?" Qu'il parte. Et vite.

"- JingYun a décidé de vous utiliser pour régler ses comptes avec le Yin Yang. Vous avez envoyé des dizaines de fonctionnaires dans le nord pour tenter d'appréhender Yuan Boya, un ancien disciple de JingYun.

L'Empereur s'en rappelait bien sûr. Mais il avait fait arrêter les frais depuis un moment ! Même s'il donnait tellement d'ordres qu'il en oubliait les trois quarts quand ils n'étaient pas important, de ça, il se souvenait. JingYun le soulait si fort qu'il hésitait deux jours sur trois à les faire cramer.

"- Quand bien même ?"

"- Yuan Boya appartient au Nord. Rappelez vos hommes."

"- Ou sinon ?"

Seimei caressa encore la joue du bambin. Ses yeux brillaient jaunes et ses doigts aux longues griffes aigues étaient impressionnantes. Il aurait suffi d'une infime rotation du poignet pour au mieux égorger le bébé, au pire le décapiter.

"- Sinon… Je devrais revenir."

Seimei reposa l'enfant dans son petit lit. Le gamin s'agita doucement, ses petites mains tendues vers le prêtre. Il avait été réveillé au milieu de sa nuit. Avec ses batteries partiellement rechargées, il allait être une terreur au matin. Il babillait des questions auxquelles personne ne voulait répondre ce qui l'irritait affreusement.

"- Chhhh calme toi mon adorable petit poussin. Ou je vais devoir te voler, tu es tellement à croquer."

L'Empereur fit un pas en avant. Le regard jaune de Seimei le figea sur place.

"- Oubliez Yuan Boya, Empereur Jin. Et faites surtout en sorte que JingYun l'oublie aussi. Ou ce n'est pas vous qui en souffrirez les conséquences."

Seimei cloua une dernière fois l'Empereur sur place du regard, suffisamment pour qu'il ne puisse que répondre et assurer que c'était déjà ce qu'il avait fait. L'Empereur était figé par une terreur animale de petite créature devant un prédateur. Il resta ainsi figé juste assez longtemps pour que Seimei puisse disparaitre par la fenêtre. Lorsque l'Empereur réussit à se précipiter, il n'y avait plus personne. Il se rua sur le petit lit pour s'assurer que son petit-fils allait bien. Le petit était ronchon mais pas blessé. Il exigeait auprès de son grand-père de savoir qui était le monsieur qui venait de le réveiller au milieu de la nuit.

Autour d'eux, ceux que l'Empereur avait cru mort se réveillaient lentement.

Cette fois, c'était une simple menace.
La prochaine fois… L'Empereur avait peur.
Il avait donné des ordres ! Alors pourquoi cette menace ? A moins qu'une fois encore, JingYun n'en ai fait qu'à sa tête, au point que même le nord commence à s'en irriter. Mais surtout… Quel était la relation entre l'ancien disciple de l'est et le Seigneur Démon du nord ? Le monstre l'avait bien dit. Ce n'était pas le Yin Yang qui parlait par sa bouche mais le démon. Pourquoi ce dernier voulait-il conserver un tueur de démon actif et vaillant chez lui ?
L'Empereur n'avait pas toutes les informations et ça le rendait fou.

Il rendit le bambin hurlant à ses nourrices puis retourna à son palais au pas de course. Il faisait encore nuit qu'il convoquait à grands cris ses ministres.

C'est une sensation de malaise aigue qui réveilla He Shouyue en sursaut. Il se plaqua immédiatement le dos au mur, sa petite dague dans les mains, prêt à poinçonner quiconque en avait après sa vie. Il n'avait même pas encore les yeux ouverts mais était déjà prêt à tuer.
C'était un changement inattendu qui amusait Seimei.

"- Bonjour He Shouyue ! Tu as maigrit."

"- …. Seimei Daren ?" Que… Qu'est-ce que le vieux prêtre faisait là ?

Le pauvre jeune homme était perdu, le cerveau encore colonisé par le sommeil.

"- Très honnêtement, j'aurais bien cru que tu serais déjà mort après autant de temps." Continua sans pitié le vieux nordiste.

He Shouyue pinça les lèvres. Il commençait à se réveiller. Ce que disait son ainé n'était pas inattendu. Ils ne s'étaient jamais entendu après tout. A la décharge de Seimei, He Shouyue ne lui avait jamais montré le moindre respect.

"- Je n'aurais pas espéré survivre non plus, Seimei Daren. Puis-je vous offrir du thé ?" Même si sa cervelle était encore à moitié frite, le jeune homme avait appris à la dure les bases de la survie.

Seimei renifla.

"- Ça ira, merci. Je n'ai pas envie que tu assaisonne mon thé."

He Shouyue resta de marbre mais une lueur malsaine passa dans ses yeux. Il ne tenta même pas de réfuter les paroles de son ainé qui lui jeta une petite enveloppe.

"- Boya m'a demandé de te donner ça."

Avant que He Shouyue ait pu remercier ou poser la moindre question, Seimei avait ouvert un portail, pour repartir dans le nord sans doute. En tout cas, de l'autre côté du portail, la nuit était en train de se coucher. Très à l'ouest donc ? Mais où, il n'en savait rien.

Ça n'avait de toute façon aucune importance.

He Shouyue ouvrit la petite plaquette avec angoisse. Qu'est-ce que Boya allait dire de ses excuses ?

Un petit sanglot franchit les lèvres du jeune homme.

La lettre de Boya était courte.

"Nous en discuterons tous les deux quand tu m'inviteras pour le thé."

C'était plus que ce que He Shouyue aurait pu espérer. Boya pardonnerait peut-être mais il n'oubliait pas.

Boya marchait tranquillement derrière ses élèves qui trottaient devant lui à la recherche d'indices pour retrouver la trace de l'esprit qu'ils devaient appréhender. Cette Chasse de longue durée était particulièrement satisfaisante pour le chasseur. La distance mise aussi bien avec QingMing qu'avec le Yin Yang lui permettait de réellement faire la part des choses.

Il avait très vite confirmé son désir, non, son besoin de retourner auprès de QingMing définitivement. Comme il avait pris sa décision, il avait laissé ça de côté avec le manque physique qu'il ressentait de ne plus avoir son renard dans ses bras pour dormir.

Pour le Yin Yang, c'était un peu plus compliqué. Il leur devait tellement ! Sans eux, il serait mort de toutes les façons possible. Il culpabilisait un peu de les abandonner comme il allait le faire. Ils lui avaient offert une nouvelle vie et voilà qu'il leur tournait le dos. Il comptait bien leur laisser la jouissance totale des droits sur ses rares inventions qui se vendaient bien évidemment. Mais ça ne suffisait pas à rembourser ce qu'il leur devait. Bien sûr, Zhong Xing arguerait qu'il ne leur devait rien. Boya n'était pas d'accord.

Peut-être arriverait-il à convaincre QingMing de leur envoyer une dot ? Même s'ils ne se mariaient pas pour de vrai, il ne voyait pas vraiment l'intérêt, le renard savait être généreux. Il ne verrait sans doute pas de réel inconvénient à dédommager le Yin Yang pour la perte sèche que Boya représentait. Le chasseur rembourserait QingMing par son travail.

Zhuque jetait régulièrement des coups d'œil écœurés à son poussin. Boya était intelligent et si bête à la fois. Il fallait qu'il se sorte de cette dynamique de dette et de devoir.

Ça viendrait.

Dans quelques siècles, il n'y penserait même plus. Il fallait bien que les poussins grandissent.

Boya ne réalisait pas que Zhuque infusait chaque jour un peu plus sa substance dans ses veines. Le dieu-gardien le faisait lentement. Il ne voulait pas détruire l'humanité de Boya et le laisser profiter de sa vie mortelle. Quand il serait assez vieux pour réaliser qu'il ne vieillissait plus, Zhuque pourrait le changer complètement. D'ici là, ses shidi seraient des grands-pères et des grands-mères.

"- Shixiong ! Shixiong !"

Boya s'arrêta pour laisser ses shidi revenir vers lui. Comme il n'avait aucune envie de se fatiguer, il tâtait son chemin avec sa canne. Ses shishen se chargeaient de l'écarte discrètement au moindre risque de se prendre les pieds dans une racine ou de se casser la cheville dans un trou.

"- Vous avez trouvé quelque chose ?"

"- Oui !"

"- Enfin, on croit que oui."

"- Mais si, on a trouvé."

"- Mais !"

"- Calmez-vous." Souriait Boya, amusé. Les shidi de JingYun était un peu plus calme par la force des choses mais à peine. "Qu'avez-vous trouvé ?"

"- On a trouvé l'esprit."

"- Enfin, c'est pas un esprit, c'est un fantôme."

"- Vraiment ?"

"- Oui ! Et vous le saviez !"

"- Ha bon ?"

"- Vous vous moquez de nous !" Pestèrent les petits.

"- Peut-être un peu."

"- MAIS !"

Boya rit doucement. Il s'accroupit devant les six shidi qui boudaient quelque peu.

"- Allez, allez. Ne boudez pas. J'arrête de me moquer de vous."

Les trois séniors avaient l'habitude que leur Shixiong fasse joujou avec les plus jeunes. Pour un peu, ils auraient presque pu être jaloux. Heureusement, Boya les titillaient tout autant. Juste un peu plus durement. Ils ne comptaient plus depuis leur départ du Yin Yang pour leur balade dans la pampa le nombre de mission de reconnaissance que Boya leur avait envoyé faire pour qu'ils reviennent couverts de boue ou à moitié noyés comme des rats. Ils apprenaient sur le terrain ce qu'ils n'avaient jamais vu que dans les livres. S'ils avaient eu des missions avec d'autres maitres avant d'être confié à Boya, jamais ils n'avaient appris à ce point à survivre par leurs propres moyens qu'avec lui.

"- Qu'est-ce que vous avez découvert sur ce fantôme ?"

"- C'est le fantôme d'un petit garçon."

"- On pense qu'il a été tué par son père parce qu'il était trop fragile."

"- Il était l'ainé de la famille alors le père voulait pas qu'il puisse prendre la tête de la famille après lui."

"- Alors il l'a emmené dans la foret avec lui et il l'a tué là."

"- Savez-vous comment il a été tué ?"

Les enfants secouèrent la tête. Ce qu'ils savaient, ils l'avaient découverts en interrogeant les gens du village et des alentours. Ils avaient reconstitué les évènements comme de véritables petits détectives.

"- Il a dû mourir vite." Enfin, ils l'espéraient tous. "Sa maman est morte de tristesse assez vite après lui. Et le père s'est remarié avec une dame beaucoup plus jeune." Si même le père n'avait pas aidé son épouse à défunter.

"- Qu'allez-vous faire maintenant ?"

"- Il faut trouver l'esprit et l'apaiser."

"- Sinon, il va finir par devenir un démon."

"- Très bien. Alors allons y. On décidera comment faire quand on aura trouvé le petit fantôme."

Les six enfants hochèrent la tête. La petite troupe repris son chemin à la recherche du petit fantôme qui ennuyait le village le plus proche par ses pleurs et ses cris. Pour l'instant, il n'avait heureusement fait de mal à personne. Mais si ça arrivait….

Dans leur dos, à une distance suffisante pour ne pas être repéré meme pas les shishen des prêtres, l'assassin observait sa proie comme les jeunes disciples observaient la leur.

Chaque jour, l'assassin était un peu plus fasciné par l'aveugle qu'il devait soit tuer, soit enlever. Il avait déjà décider que le tuer serait bien plus difficile que l'enlever. Non sur le moment mais après. Avec un otage, il aurait une chance de s'en sortir. S'il le tuait, il n'arriverait pas à aller chercher sa prime. Mieux valait l'enlever et le ramener à JingYun. La question était comment faire la route avec lui. Il fallait qu'il trouve un moyen avant tout. Sinon, il ne survivrait pas à la balade.

Boya suivait ses petits shidi qui réfléchissaient à haute voix à la méthode à employer pour éliminer en douceur le fantôme. Il n'était pas question de le détruire, ils voulaient que l'âme puisse se réincarner. Le mieux était encore de trouver ce qui le bloquait encore sur terre. Pour ça, ils allaient devoir lui parler.

Le petit groupe finit par trouver la petite clairière où reposait les restes du bambin. Le petit fantôme ne tarda pas à venir les voir, curieux.

"- On va lui parler, Shixiong ! On va arriver à l'apaiser." Promirent les petits.

Boya voulu bien leur laisser une chance. Il avait ouvert son troisième œil pour juger de la situation. Si à la vue des enfants, le fantôme était celui d'une petit garçon innocent, sous celle de Boya le fantôme avait déjà commencé sa lente chute vers un démon. Ce qui avait été une petite âme joyeuse apparaissait sous son regard comme un monstre à la gueule immense et pleine de dents qui hurlait en silence. Du sang coulait sans fin de ses yeux et une plaie énorme sur son crane rependait une humeur rougeâtre dégoutante.
Boya espérait que ses élèves arriveraient à calmer le fantôme avant qu'il ne bascule. Il n'était qu'à quelques mois maximum de devenir un dangereux démon. S'ils n'y parvenaient pas, il l'éliminerait lui-même.

Les six bambins s'assirent sur le sol sans se soucier de souiller leurs robes grises. Très vite, le petit fantôme s'approcha des enfants avec curiosité. Boya surveillait leurs interactions comme le lait sur le feu. Il était prêt à intervenir à la seconde.

Les jeunes disciples finirent par sauter sur leurs pieds. Ils se lancèrent dans une longue partie de cache-cache avec le petit fantôme. A mesure que le petit esprit épuisait sa peine, sa peur et sa solitude en jouant avec les enfants, le monstre que Boya voyait reculait. Il laissait peu à peu la place au petit fantôme.

Lorsque ses shidi épuisés s'écroulèrent sur le sol, Boya s'approcha enfin.

Le fantôme était un peu timide mais pas agressif.

"- Bonjour. Vous avez tous bien joués ?"

"- Oui Shixiong !"

"- C'est l'heure de rentrer à la maison vous ne croyez pas ?" Le petit fantôme fut immédiatement très triste de rester tout seul. Il voulait garder ses copains lui ! "Tu ne devrais pas rentrer chez toi, toi aussi ?"

Les yeux du petit fantôme se mirent à briller.

"- Maman ?"

"- Je suis sûr qu'elle t'attends."

Les séniors récupérèrent avec précaution le petit squelette qu'ils empaquetèrent dans une cape.

Avec leurs recherches, ils savaient où était la famille d'origine. Et le cimetière où étaient enterrés ses membres.

La fin de journée fut dédié à l'enterrement du petit squelette près de celui de sa mère puis l'apaisement des deux âmes. Maintenant que la mère avait retrouvé son enfant, maintenant que le petit avait été nettoyé de sa colère, les accompagner tous les deux ne fut pas très compliqué.

Lorsque les disciples du Yin Yang quittèrent enfin le petit cimetière, une partie des habitants du village s'était massée devant l'arche de la petite nécropole, curieux. Qu'est ce qui se passait ?

Le visage calme, un infime sourire calme aux lèvres identique à celui de tous les membres du Yin Yang au point qu'il en était une marque de fabrique, Boya leur expliqua tranquillement de quoi il retournait.

Il laisserait le village régler ses comptes avec le père indélicat.

Zhong Xing avait débarqué en catastrophe dans le grand hall de réception du temple, effaré de l'appel presque hystérique qu'il avait reçu des disciples de garde à la porte. Fangyue sur ses talons avec une douzaine d'Anciens et de Maitres armés au cas où, ils se figèrent tous lorsque le grand portail finit de dégueuler une phalange entière de démons armés jusqu'aux dents en grandes tenues d'apparats qui se mirent au garde en vous pour faire une haie d'honneur aux derniers à passer le portail.

Deux esprits étaient montés sur des palefrois eux aussi en grande tenue avec des grelots de glace sur leur harnachements, des pompons de soie rouge accrochés à la selle et des couvre-reins stupéfiants de soie rouge rebrodés d'argent.

Zhong Xing les reconnus enfin.

"- Kuang HuaShi, Xue TianGou. Que nous vaut votre visite ?" Que se passait-il pour qu'ils soient habillés comme ça ?

Les deux esprits arrêtèrent leurs montures. Un garde se précipita pour tenir les rênes de leurs chevaux lorsqu'ils en descendirent pour venir s'incliner devant Zhong Xing.

"- Yin Yang Zongzhu, nous sommes ici pour représenter la Voix du Seigneur Anbei."

Xue TianGou fit un signe à des serviteurs qui se précipitèrent pour poser de lourds coffres cerclés de métal devant la secte entière. Les serviteurs les ouvrirent l'un après l'autre. Ils dégueulaient d'or, de soieries précieuses, de pierreries... On apporta ensuite une douzaine de chèvres des neiges luisantes de santé, toutes harnachées de soie et dont on avait recouvert les cornes d'une fine pellicule d'or. Lorsque des coffres remplis d'ambre gris, de parfums, d'encens rares et de fourrures impossibles à trouver dans le monde des humains commencèrent à s'empiler, Zhong Xing était au bord de l'apoplexie.

Qu'est-ce que c'était que cette blague?

"- Puis-je savoir ce qui se passe ?" Insista le chef de secte, perdu.

Kuang HuaShi s'inclina respectueusement, enfin, autant que le vieil esprit pouvait être respectueux envers un vieil humain tout décatit, pour lui offrit un rouleau posé sur un petit coussin de soie rouge. Zhong Xing le prit sans le dérouler. Pas besoin, Xue TianGou en avait une copie à la main et en fit la lecture.

"- Par la voix du Seigneur Anbei, celui-ci offre au Temple du Yin Yang ces quelques cadeaux en signe de respect. Il souhaite ainsi par la présente demander l'autorisation de faire officiellement la cour au Maitre Yuan Boya, dans le but d'épousailles avec notre Seigneur, Anbei QingMing." Zhong Xing était bien trop constipé pour répondre à la demande aussi Fangyue le fit-elle à sa place. Elle s'inclina devant les deux vieux esprits.

"- Le Temple du Yin Yang remercie le Seigneur Anbei pour sa générosité et accepte la proposition du Seigneur Anbei. Toutefois, le choix de Maitre Yuan Boya ne pourra être obtenu que de lui-même, sans qu'aucune intervention ou pression de la part du Temple ne soit à attendre par le Seigneur Anbei. Le Maitre Yuan Boya est libre de corps et d'esprit. Sa décision ne sera que son choix personnel."

Les deux esprit s'inclinèrent encore.

"- Le Seigneur Anbei remercie le Temple du Yin Yang pour sa générosité. Il souhaite pouvoir faire sa cour officiellement au Maitre Yuan Boya quand celui-ci sera prêt à la recevoir."

Pas question d'aller chercher Boya pour lui faire subir une cours en bonne et due forme. Quand Boya se sentirait l'envie de rentrer à la maison, QingMing serait là pour l'accueillir et lui faire le détail de toute l'affection qu'il avait pour lui.

Les serviteurs démoniaques commencèrent à repasser le portail en sens inverse en laissant derrière eux les coffres ouverts, les chèvres et les parfums. Xue TianGou s'inclina encore, imité une demi-seconde derrière lui par Kuang HuaShi puis eux-mêmes repassèrent le portail en sens inverses. Les soldats furent les derniers à rentrer puis le portail se referma derrière eux sur un Temple du Yin Yang la bouche grande ouverte et encore perdu.

Tout ça pour Boya ?

Le Seigneur Anbei était vraiment fou de lui.

De l'autre côté du portail, MiChong attendait les ambassadeurs avec inquiétude.

"- Alors ?"

"- Alors ils ont acceptés."

"- J'espère que vous savez ce que vous faites." Pesta Sha ShengShi, visiblement mécontent. "Lorsque QingMing va apprendre ce que vous avez fait sans lui en parler..."

Les deux vieux esprits haussèrent les épaules.

"- Nous n'avons rien fait qu'il n'aurait dû faire depuis des mois ! Maintenant, Boya à une valeur. De vraies négociations peuvent s'ouvrir. Même si elles n'aboutissent pas, personne ne pourra lui reprocher d'être une catin qui cherche à se caser."

C'était plus pour Boya que pour QingMing qu'ils l'avaient fait. Le renard démon se débrouillait très bien, merci pour lui. Mais Boya avait mérité mieux que d'être enlevé comme une pucelle par un renard en rut.

Boya était leur Furen. Même les deux vieux esprits s'étaient attachés à lui comme à un neveu aussi maladroit que barbare. Puisque le Yin Yang n'avait pas fait le premier pas pour exiger de QingMing qu'il se comporte comme un type bien, ils le faisaient pour le jeune aveugle. S'il n'avait finalement personne de son côté à part eux, et bien, ils le seraient ! Les longues ailes de Xue TianGou frémirent d'irritation. Vraiment, le manque de décence de QingMing le heurtait. Qu'il court donc son Domaine pour s'assurer que ses petits seigneurs de quartier ne faisaient pas n'importe quoi. Eux s'occupaient des choses importantes !