Shadow : bien sûr que c'est important le respect de l'autre. J'essaie toujours de mettre les sentiments en avant parce qu'ils font toute la différence. J'écris des histoires érotiques et s'il n'y a pas de respect, ça peut vite devenir sale. Les chats, ça ira, ils en auront marre de se gueuler dessus. ^^

Akashi coupe définitivement les ponts et rebondit. Comme un ballon de basket. Bon ok, elle était facile celle-là. XD

Merci beaucoup pour ton enthousiasme et ta fidélité. La suite est là. Bonne lecture.


Le roman de notre histoire

Chapitre 22

En arrivant ce lundi matin à Touou, Aomine en avait déjà assez. Il voulait rentrer et retrouver Kagami. Pas pour lui sauter dessus, mais simplement pour être avec lui. Kagami écrivait, Aomine critiquait, Kagami rectifiait s'il était d'accord. Et quand il ne l'était pas, ça donnait lieu à de belles disputes. Parfois, il cédait aux arguments du romancier, parfois c'était lui qui acceptait ses conseils.

Même si Harasawa lui avait accordé d'être le correcteur exclusif de Kagami et vu la relation qui s'était développée entre eux, Aomine ne pouvait décemment pas laisser tout le boulot aux autres. Sa secrétaire, bien que sachant qu'il ne prenait plus de manuscrits, lui en avait, malgré tout, envoyé deux. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, avec un redoutable sixième sens pour deviner si un texte était exploitable ou pas. Elle avait plus de vingt-cinq ans d'expérience dans ce domaine et elle se trompait rarement. Et là encore, elle avait vu juste. Il commença à lire ce qu'il avait reçu et deux heures plus tard, il disait à son patron qu'il allait s'occuper l'un des deux auteurs et qu'il confiait l'autre à Matsuoka. Depuis l'affaire Rakuzan, nombre d'écrivains avaient cherché une nouvelle maison d'édition. La réputation de Touou n'était plus à faire. Elle couvrait un panel de genre plus vaste avec des conditions moins contraignantes. Tout le monde y trouvait son compte, mais le volume de travail avait augmenté en proportion et Aomine ne pouvait pas laisser tomber ses collègues. Il contacta l'auteur et lui proposa de le rencontrer ce jeudi à Touou.

Il envoya deux SMS à Kagami, mais lorsqu'il remarqua le temps que l'écrivain mettait à lui répondre, il comprit qu'il était en pleine créativité et mieux valait qu'il ne le dérange pas. C'est qu'il commençait à le connaître son homme. Il arrivait de mieux en mieux à savoir ce qu'il éprouvait. Quand il était taciturne, c'est qu'il ne parvenait pas à produire un texte de bonne qualité même sachant que son correcteur passerait derrière. En proie à une inspiration galopante et qu'il avait du mal à retranscrire assez vite ce que son cerveau imaginait, il devenait volubile et fébrile. Mais ce devait être un peu semblable pour tous les auteurs. Leur humeur changeait avec ce qu'ils arrivaient à écrire. Il se concentra sur ce manuscrit et fut rapidement absorbé. L'idée était originale. Au début, malgré la qualité littéraire, il se dit que ça ressemblait à du "Stargate", des extraterrestres, l'Égypte Ancienne, mais en poursuivant, il découvrit que ce n'était pas ça du tout et en fut soulagé. Il n'aurait pas aimé le refuser parce que c'était à la limite du plagiat. Le style était vraiment très bon. Il ne vit pas la journée passer et n'en fut pas mécontent. Lorsqu'il regarda l'heure, il sourit. Il aller rentrer le retrouver.

La maison était silencieuse. Les chats ne se battaient plus, en tout cas, moins qu'au début de leur cohabitation, ils s'ignoraient. Corail n'hésitait plus à sortir et avait compris comment fonctionnait la chatière. Jade n'avait rien changé à ses habitudes. Elle était arrivée la première et c'était chez elle, un point c'est tout. C'était à l'intrus de s'adapter et s'il pouvait débarrasser le plancher, ce serait encore mieux. Aomine posa son sac sur l'un des fauteuils du salon et alla vers le bureau. Il était vide. Il appela son compagnon, personne ne répondit. L'inquiétude commença à le gagner lorsqu'il entendit du bruit venant de la remise. Il sourit et alla voir ce qu'il faisait. Sauf qu'il ne s'attendait pas du tout à ce qu'il allait trouver.

Kagami était en sueur. Il frappait comme un forcené dans le sac qui se pliait sous la force de ses coups. Il alternait avec ses poings et ses pieds en poussant un cri libérateur à chaque fois. Aomine hésita à entrer. Devait-il le stopper et lui demander ce qui le mettait dans cet état ? Fallait-il le laisser continuer ? Il s'arrêterait quand il serait fatigué. Mais là, il semblait bien parti pour cogner jusqu'à épuisement. Jamais il ne l'avait vu si énervé. Non, c'était plus que ça. C'était de la rage. Il n'aurait pas cru que son compagnon puisse être aussi violent lorsqu'il était contrarié. C'en était effrayant. Il frappait le malheureux sac à tour de bras. Tant et si bien qu'il en arriva à s'acharner en criant à chaque coup comme s'il déversait sa fureur. Aomine finit par entrer, craignant qu'il ne se blesse.

— Eh ! Du calme ! dit-il en s'approchant lentement.

Kagami se retourna et arma son bras, prêt à attaquer avec une violence inouïe. Il le reconnut in extremis et suspendit son geste. Il avait l'air hagard. Il n'était plus lui-même, comme s'il avait été un autre. Un autre Kagami, bien plus jeune qui venait de fracasser un type qui l'avait un peu trop cherché. Depuis l'agression de Furihata, cet aspect de sa personnalité n'était plus aussi bien maîtrisé. Mais il arrivait encore à se contrôler. Sauf que là, ce n'était plus le cas.

— Oh ! C'est moi ! Tu fais quoi, là ?

Kagami le dévisagea, toujours plein de colère. Il avait les yeux fous, le souffle rapide. Son t-shirt était assombri de sueur, ses mains tremblaient des coups qu'elles avaient donnés. Il se détourna, attrapa la serviette posée sur le banc et sortit. Aomine le suivit, abasourdi. Il l'appela, mais le romancier de ne lui répondit pas.

— Tu vas où comme ça ? fit Aomine en lui saisissant le bras.

— Je… Je suis désolé… j'vais me changer.

— Non, non… attends… viens par là…

— Quoi ?

— Comment ça quoi ? Tu m'as presque tapé d'ssus et tu t'barres sans rien dire ?

— Excuse-moi, d'accord ?

— Non, non, non ! Tu vas pas t'en tirer comme ça…

— Qu'est-ce que tu veux ? demanda Kagami passablement agacé.

— Que tu m'expliques c'qui t'arrives…

— Mais rien… Je bloque sur un truc et ça m'fait chier…

— Ok, alors réfléchis avec tes poings si tu veux… Moi quand y a une chose qui m'gonfle, ou que j'arrive pas superviser un auteur comme j'le voudrais, je grimpe sur mon vélo et je fais des kilomètres.

— Tu fais du vélo ? s'étonna Kagami, dubitatif.

— Vélo d'appart, pour mon genou… J'en ai aussi un dans mon bureau. Aller vas-y !

— Quoi ? Comment…

— J'te tiens le sac et tu frappes. Parle avec tes poings, ce sera peut-être plus clair dans ta tête.

— Mais attends… pourquoi ?

— T'es pas bien, je t'aide…

— Non, enfin t'es pas obligé…, voulut battre en retraite Kagami qui n'avait visiblement pas envie de s'étendre sur le sujet.

— Eh… on est un couple tu t'rappelles ? Tu veux rien dire, pas de problème, on a chacun notre jardin secret. Tes excuses, j'les accepterai quand tu m'auras dit c'qui va pas. Frappe dans ce sac, ça te calmera et t'auras l'esprit plus clair. Si tu mets un coup de pied, dis-le, que j'm'éloigne.

La rage bouillonnait toujours en Kagami. Il ne comprenait pas pourquoi Aomine faisait ça, mais il y consentit. Il recommença à frapper dans le sac ce qui s'avéra plus dur vu qu'il ne balançait plus. Il ressentit davantage les chocs dans ses bras et tout le haut du corps. Ses coups devenaient plus redoutables à mesure qu'il laissait libre cours à cette rage qui l'habitait.

— Pieds !

Aomine s'écarta et Kagami envoya un coup de pied circulaire qui plia le sac par le milieu. Le correcteur haussa un sourcil bien content de s'être retiré. Il savait que son compagnon avait un physique puissant, mais à ce point, il ne s'y attendait pas. Il continua ainsi pendant presque une heure et c'est complètement vidé et à bout de souffle qu'il s'écroula sur le banc, la serviette autour du cou pour absorber la transpiration.

— À moi, proposa Aomine en mettant les gants que Kagami avait ôtés.

— Tu boxes ?

— Un peu… J'ai pas fait que du basket…

Ce fut au tour de Kagami de tenir le sac et il dut s'avouer que son homme frappait plus fort que lui. Pas de beaucoup, mais assez pour qu'il le remarque. Il envoya également des coups de pied circulaires et des deux jambes. Celle avec la prothèse était quand même moins puissante que l'autre, mais assez pour faire mal dans un vrai combat. Lui aussi s'arrêta après presque une demi-heure. Il ne s'était pas échauffé et il ne voulait pas se blesser. Il était temps de se reposer.

— Tu t'sens mieux là ?

— Ouais… je crois… J'ai besoin de souffler… j'vais prendre un bain pour me détendre…

— Ne t'presse pas et apprécie-le…

Il laissa Aomine dans la remise et retourna dans la maison. Il prit un yukata dans la chambre et s'enferma dans la salle de bain. Aomine qui était rentré à son tour, entendit l'eau couler et se dit qu'il allait en avoir pour un bon moment s'il comptait sur un bain pour se calmer. La baignoire était également un jacuzzi, peut-être que l'effet massant des bulles lui ferait du bien. Il en profita pour jeter un œil à ce que Kagami avait écrit. Parce qu'il n'y avait que ça qui avait pu le mettre dans un tel état de rage. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il ne parvenait pas à rédiger une scène. D'ordinaire, il la reprenait autant qu'il le fallait et il finissait pas obtenir ce qu'il voulait. En lisant, il comprit. La séquence devait raconter comment Spartus allait perdre son amant, celui qui avait été avec lui dès le début de leur rébellion et dont les sentiments mutuels s'étaient lentement développés. Se pouvait-il qu'il ait fait une association involontaire avec lui ? Il avait transposé le passage dans la vie réelle. Donc il avait imaginé qu'Aomine mourrait ? Pour avoir vécu un tel drame, il comprenait mieux sa colère, mais Kagami en avait-il seulement conscience ?

Pourquoi la mort le poursuivait-elle ainsi ? Haruka lui avait été arraché, il avait été terrifié à l'idée de perdre Kagami et maintenant c'était lui qui se mettait dans un état pas croyable parce qu'il avait fait un amalgame irréfléchi. D'un côté, il était heureux que cette idée l'horrifie, mais d'un autre, c'était une scène capitale dans le déroulement du récit. Aomine allait devoir y aller avec des pincettes pour le convaincre d'écrire ce passage. La peur peut engendrer de la colère, et même de la haine. Il en avait fait la terrible expérience. Mais là, ce n'était pas vrai. Ce n'était qu'une histoire imaginée, inventée, montée de toute pièce. Spartus n'existait pas. Il concevait pourtant que, pour un auteur, les personnages de son roman finissent par devenir réels d'une certaine façon, mais il ne fallait pas non plus s'intégrer soi-même au récit. L'écrivain devait rester l'entité omnisciente et omnipotente qui savait tout, qui voyait tout, qui racontait tout, qui créait tout. Il décida d'attendre que Kagami sorte de son bain pour aller prendre une douche et discuter après de ce problème.

Les bulles du jacuzzi avaient fait leur office. Kagami s'était calmé, mais cette colère qu'il éprouvait contre lui-même était toujours là, en sourdine. Il s'en voulait d'abord de ce qu'il avait failli faire. Lorsqu'il s'était retourné, pendant une fraction de seconde, il avait revu le visage de cet homme qu'il avait frappé avant de reconnaître Aomine. Il avait été à un cheveu de lui mettre son poing dans la figure. Les conséquences auraient été dramatiques. Le correcteur n'étant pas du genre à morfler sans rien dire, nul doute qu'il se serait rebiffé par réflexe. Et que ce serait-il passé ? Une bagarre ? Non, c'était impensable. Il l'aurait laissé lui rendre la monnaie de sa pièce malgré ce tempérament explosif qu'il avait. Il avait plus de difficultés à garder enchaîné cet aspect de sa personnalité depuis l'agression de Furihata. Le simple fait d'imaginer qu'il aurait pu faire mal à Aomine lui donnait la nausée. Il finit par sortir de la baignoire et enfila son yukata.

Attentif aux moindres bruits de la maison, Aomine sut que Kagami avait terminé. Il l'attendait dans la bibliothèque pour enfin parler de ce qui s'était passé. Il comprenait pourquoi il était agacé, mais pas cette violence dont il avait été le témoin et même, failli être la victime. Kagami entra dans la pièce et s'appuya contre son bureau, face au correcteur.

— Alors ? Raconte…, fit celui-ci, les jambes croisées et les mains devant lui.

— J'suis désolé, murmura Kagami sans le regarder.

— J'm'en doute, mais ça n'explique rien…

— J'peux pas écrire ce passage… et ça m'énerve…

— Le mot est faible… Pourquoi t'y parviens pas ?

— Ça m'oblige à penser à… à quelque chose qui… quelque chose que j'peux pas concevoir…

Aomine ne s'était pas trompé. Il avait bien compris ce qui perturbait autant le romancier. Involontairement, il avait transposé leur couple dans son histoire et il ne réussissait pas à imaginer que l'un des deux meurt. Et sa réaction montrait qu'il s'était mis dans la peau de Spartus.

— Non, tu fais erreur, répondit Kagami d'une voix plus douce, après qu'Aomine lui ait fait part de son hypothèse. Spartus, c'est toi. Tu t'en étais jamais rendu compte ?

— Comment ça moi ? fit-il bien plus que surpris.

— Du jour où je t'ai rencontré, Spartus a commencé à changer pour se rapprocher de ce que tu étais pour moi. Au début c'était inconscient, mais petit à petit t'es devenu mon héros.

— Oh… Non… Je… J'avais jamais…

— La vision que j'ai de toi n'est pas forcément celle que t'as de toi-même…

— C'est flatteur… mais pour moi aussi t'es…

— Imagine que tu perdes l'homme que t'aimes, le coupa Kagami sans réaliser l'énormité de ce qu'il venait de dire, moi en l'occurrence, j'arrive pas à décrire ton chagrin, ta souffrance, ta tristesse, c'était… au-dessus de mes forces…

— T'as conscience des conneries qu'tu débites ? l'interrogea Aomine pour cacher le trouble qui l'avait envahi aux souvenirs qui lui revenaient en mémoire.

— Tu crois que c'est facile de concevoir ta vie sans moi ? poursuivit Kagami sans relever ce que venait de dire son correcteur. Tu vas continuer à bosser à Touou, tu rentreras chez toi le soir avec Corail, et tu recommenceras le lendemain et… peut-être que tu rencontreras quelqu'un qui me remplacera…

Kagami était dans la plus totale confusion. Il les avait tellement identifiés au couple phare de son roman qu'il imaginait tout et n'importe quoi. Que, s'il disparaissait, Aomine finirait par l'oublier, qu'un autre prendrait sa place à ses côtés, qu'il vivrait heureux jusqu'à la fin de leurs jours et lui ben, il n'aura été qu'un agréable moment. Il serait triste au début, mais il arrivera à s'en remettre comme pour Haruka. Il avait surmonté sa mort, alors il n'y avait pas de raison pour qu'il se souvienne de lui. Il continuerait sa vie ou Kagami n'aura été qu'un bel oiseau de passage.

— Te remplacer ? bondit Aomine risquant de renverser le fauteuil sur lequel il était assis jusqu'à présent. Mais comment tu peux dire une chose pareille ? s'enflamma-t-il pour le coup en colère, et s'approchant si près qu'il pouvait presque entendre les battements de son cœur. Tu es irremplaçable pour moi ! asséna-t-il en martelant chaque syllabe. Mets-toi bien ça dans l'crâne !

— Je sais que tes sentiments sont aussi forts que les miens, poursuivit le romancier complètement sourd aux paroles de son compagnon, et je sais ce que ça me ferait de te perdre… Ça me détruirait ! Et je sais que toi également ! J'veux pas que tu… qu'tu souffres… T'as déjà vécu ça… je veux pas… pas encore…

Les yeux écarquillés, Aomine regardait son amant crier sa détresse, le visage ravagé par la douleur. Le problème était bien plus profond qu'il ne l'avait cru au départ. Il avait parfois vu des auteurs s'inclurent dans leurs récits, faisant réagir leurs personnages comme ils l'auraient fait eux-mêmes, et il avait réussi à les recadrer et à leur faire prendre conscience de leur erreur. Mais jamais il n'avait été confronté à une telle implication, à un amalgame aussi intense. Là, il allait falloir bien plus qu'une discussion. Il n'arrivait pas à croire qu'il y avait un tel foutoir dans la tête de l'écrivain. C'était d'un électrochoc dont Kagami avait besoin.

— T'es vraiment qu'un idiot, asséna le correcteur en le clouant du regard et retombant sur son fauteuil.

— Pardon ?

— T'es un idiot, répéta-t-il plus fort. Réfléchis un peu, sors de ton bouquin et reviens dans la réalité.

— Ah je vis dans mon livre maintenant ? s'écria Kagami en se redressant.

— Exactement ! s'exclama Aomine à son tour en se levant. Moi j'ai les pieds sur terre ! Toi t'es en train d'crever dans les bras de Spartus dans un vaisseau spatial au XXVIe siècle ! Tu crois qu'c'est ça la réalité ?

— Mais de quoi tu parles ? Quelle réalité ? s'énerva Kagami. Je ne meurs pas au XXVIe siècle, je te dis que je peux pas écrire ce que tu ressens !

— Ça tombe bien parce que j'éprouve rien ! Parce que c'est pas réel ! Parce que je ne suis pas Spartus et parce que tu n'es pas son amant ! Parce qu'on n'est pas des gladiateurs en train d'se battre dans des spatioarènes ! Redescends sur terre, bordel !

— Je sais pas comment rédiger cette scène ! cria Kagami. J'ignore à quel point on peut souffrir dans une telle situation.

— Il va pourtant bien falloir que tu l'pondes ce passage ! rétorqua Aomine sur même ton.

— Comment veux-tu que je décrive quelque chose que je n'ai jamais vécu ? C'est comme ça que je travaille, tu le sais… Je puise dans mon expérience et j'extrapole pour donner de la crédibilité aux émotions pour que le lecteur rit, pleure, aime, haïsse, compatisse ou condamne, ça… ça c'est primordial pour moi !

Aomine baissa la tête et réfléchit. Il devait choisir ses mots avec prudence et précision. Kagami était complètement déconnecté de la réalité et il fallait qu'il sorte du monde dans lequel il s'était réfugié pour une raison qu'il ignorait.

— Être écrivain, commença-t-il d'une voix calme et professorale, ça veut dire inventer, construire un univers, mais les sentiments font partis de ce monde que tu crées de toute pièce. Où que se déroule une histoire, quel que soit son genre, les émotions sont toujours les mêmes.

— Mais celle-là, je ne sais pas ce que c'est ! Et je veux pas que tu revives ça, non, je veux pas… Tu comprends ? Je veux pas… Je peux pas raconter quelque chose qui va te faire du mal !

Ils se regardaient, le souffle court, les yeux brillants de colère. Une idée traversa l'esprit du romancier. Il pourrait lui demander. Il lui avait tendu plusieurs perches dans l'espoir qu'il les attrape pour lui parler de ce qu'il avait éprouvé à la mort de son petit ami. Un peu comme quand il s'était enquis auprès d'Himuro ce que ça faisait d'être amoureux. Il pourrait interroger Aomine pour savoir ce qui nous tombe dessus quand on perd la personne qu'on aime. Mais à l'instant où il avait pensé ça, une nausée d'écœurement le prit. Comment pouvait-il lui imposer une chose pareille ? Mais qu'est-ce qu'il lui était passé pas la tête ? Lui demander ce qu'il avait ressenti à la mort de son amant de l'époque ? Il fallait être abjecte pour faire ça, un monstre sans cœur. Il eut honte d'avoir eu une telle pensée. C'était tout simplement ignoble.

Aomine vit bien le malaise de Kagami. Il ignorait ce qui avait pu le provoquer, mais son visage avait brusquement pâli. Pour l'instant, il n'arrivait pas à finaliser ce passage. Il devra bien s'y atteler pourtant. Il ne pouvait pas le faire à sa place, ce n'était pas lui l'écrivain. C'était à Kagami de mettre les bons mots dans le bon ordre pour faire ressortir l'atmosphère écrasante de douleur, de chagrin, de déchirement. Il n'avait jamais été confronté à la perte d'un être cher. Il n'avait pas connu sa mère ni trois de ses grands-parents. Il ne lui restait que son père et son grand-père maternel sans compter ses amis. C'était certainement pour cette raison qu'il ne parvenait pas à écrire cette scène. Il ne savait pas ce que des personnes en deuil pouvaient éprouver. Et Aomine ne songea même pas à le lui dire. Pas question pour lui de revivre le pire jour de sa vie. Même pour Kagami, il ne le ferait pas. Ce sera peut-être la seule chose qu'il ne consentira pas à lui confier malgré tout l'amour qu'il lui portait. Ou alors seulement s'il n'y arrive vraiment pas du tout. Ce passage était la clé de tout le reste.

— Je ne suis pas l'auteur, juste son correcteur ! C'est toi qui écris ! reprit Aomine avec un calme tout relatif.

— Je dois puiser dans mes sentiments pour cette scène ! Tu comprends ça ? Mais c'est trop dur, j'y arrive pas ! Ça va te rendre triste à nouveau…

— Je m'en suis déjà sorti une première fois, tu t'en rappelles ? C'est un moment crucial pour la suite.

Et là Kagami fut persuadé que s'il disparaissait, Aomine le pleurerait un peu et passerait à autre chose. Il y avait déjà fait, et il venait de le lui confirmer. "Je m'en suis déjà sorti une première fois…" Sous-entendu, je m'en sortirais encore si tu n'étais plus là. Kagami, qui n'arrivait plus du tout à différencier son couple des personnages, sa vie de son roman, en conclut qu'il ne fallait pas, surtout pas, sous aucun prétexte que cette scène voit le jour. Il ne voulait pas qu'Aomine souffre à nouveau s'il disparaissait. Sauf qu'il s'agissait de son personnage et non de lui. Et à cause de cet imbroglio, il ne pouvait pas et ne voulait pas d'un texte qui ferait du mal à l'homme qu'il aimait. Mais qu'en était-il de Spartus ? C'était lui qui allait connaître les affres du deuil. Et sans cette scène, la suite n'avait aucun sens.

— T'as pas le choix, reprit le correcteur. T'es tombé dans le piège de l'avatar et tu dois en sortir.

— Ah ouais ? Et comment je fais monsieur-je-sais-tout ?

— Tu t'es identifié à tes personnages ! Tu fais plus la différence entre ta vie professionnelle et ta vie à toi, ta vie de tous les jours, ta vie privée ! Fais un effort sinon, tu vas t'prendre un mur !

— Et je fais ça comment ? Tu peux m'le dire ?

— Réfléchis et prends du recul. Retrouve ton œil impartial. Pense à tous les personnages, aux interactions, aux implications.

— Je n'y arrive pas ! Comment je dois t'le dire ?

— Tu veux savoir ? Très bien. Imagine l'enfer et décris-le !

Aomine le planta là et partit vers la salle de bain. Kagami regarda un long moment la place qu'il avait occupée et qui était vide. Tout doucement les paroles du correcteur faisaient leur chemin dans sa tête. Avait-il vraiment fait ça ? Avait-il confondu sa vie réelle avec la fiction de son histoire ? Au point de ne pas pouvoir retranscrire les sentiments de son personnage parce que lui-même ne parvenait pas à les imaginer ? Si c'était le cas, il s'était trompé de métier. Ou alors il aurait mieux fait de ne pas écrire ce roman et de continuer dans les récits historiques érotiques. Mais s'il avait fait ça, il n'aurait jamais rencontré Aomine. Il n'en serait jamais tombé amoureux, il n'aurait jamais su ce qu'aimer quelqu'un voulait dire. Il savait au fond de lui que ce qu'il ressentait pour Aomine, ce sentiment si fort, si exclusif, il ne l'éprouvera jamais pour quelqu'un d'autre. Dans l'hypothèse où la vie leur jouerait un très vilain tour et qu'ils soient séparés, demain ou dans cinquante ans et peu importe de quelle manière, il n'aimera plus jamais comme il aime aujourd'hui. De ça, il en était persuadé jusque dans la plus infime particule de son être. Il s'assit devant son ordinateur et se mit au travail.

L'enfer ? Vraiment ?

Aomine laissait couler l'eau sur ses épaules. C'était la première fois qu'ils avaient une dispute si violente et ça lui tordait les tripes. À la base, c'était professionnel, mais ça avait dérapé parce que Kagami n'avait pas gardé la distance nécessaire pour ne pas être englouti par son histoire. L'avoir vu dans cet état lui broyait le cœur. Il le comprenait bien mieux que ne le croyait son amant. Même si ses sentiments pour Haruka n'étaient pas aussi profonds, il en avait bien conscience aujourd'hui, il avait fait l'expérience véritable de cette perte. Il savait à quel point ce pouvait être dévastateur. Mais c'était un évènement réel alors que là, il s'agissait de personnes fictives qui n'existaient que dans la tête de l'écrivain. Il devait impérativement sortir de cet engrenage, qu'il reprenne pied dans le monde matériel. Et ce n'était pas avec de gentilles paroles que ça fonctionnerait. Il avait dû être brutal dans ses propos pour bien lui faire assimiler pleinement la différence. Et peut-être allait-il devoir l'être encore s'il n'avait toujours pas compris. Il se résigna à jouer le rôle du méchant, de celui qui assène des vérités douloureuses et destructrices. Mais c'était pour son bien, pour le leur et pour celui du roman. Le terme du premier tome approchait et il ne fallait pas commettre d'erreur. Le suspens final devait être monstrueux. Et cette scène où Spartus perd l'homme qu'il aime était essentielle pour la suite de la saga. Aucun autre moment dans toute l'histoire ne sera plus difficile à écrire que ce passage pour Kagami, il en avait bien conscience. L'accouchement allait se faire dans la douleur, mais l'auteur n'y échapperait pas. Il s'habilla et descendit en silence. Il entendit le tapotement des doigts sur le clavier et sourit. Il était tard. Il préféra le laisser tranquille et s'occuper du dîner. Il n'était pas aussi doué que son homme derrière les fourneaux, mais il ne les avait pas encore empoisonnés.

Kagami leva la tête en sentant une bonne odeur qui sortait de la cuisine. Il regarda l'heure sur son ordinateur et haussa les sourcils. La soirée était bien avancée. Ce qui venait d'arriver lui revint brutalement en mémoire. Il passa ses mains sur son visage en se traitant d'idiot. Il ne pensait pas certaines choses qu'il avait dites et il savait qu'il avait blessé Aomine. Il avait bien perçu à un moment qu'il était à deux doigts de lui mettre son poing dans la figure, mais il avait fait preuve d'un remarquable sang-froid. Si les rôles avaient été inversés, il était persuadé qu'il aurait perdu son calme. Il s'en voulait terriblement. Mais cette dispute aura eu ça de bon qu'elle lui avait permis d'écrire cette scène. Enfin, tout du moins en faire une ébauche parce qu'elle était loin de lui convenir. Mais c'était déjà quelque chose. En cherchant les mots les plus justes, il en avait eu les larmes aux yeux. C'était la première fois qu'il éprouvait ça pour un texte qu'il rédigeait. Il n'avait jamais autant puisé dans son ressenti même s'il ne faisait qu'imaginer. Et penser une seule seconde qu'il pourrait ne plus l'avoir à ses côtés, restait inconcevable. Il se rendit dans la cuisine et le vit, vêtu de son yukata bordeaux qu'il portait si bien. Il s'approcha et l'enlaça en posant son front sur sa nuque.

— Excuse-moi, murmura-t-il en resserrant ses bras. Je suis désolé…

— Ça va… y a pas mort d'homme, répondit Aomine en caressant ses mains.

— Je t'ai blessé… j'étais plus moi-même…

— Je sais… t'étais complètement à côté d'tes pompes… T'es redescendu sur terre ?

— Ouais… je crois…

— Attends, je vais servir…

Aomine se libéra et posa sur l'îlot ce qu'il avait préparé. Des lamelles de bœuf sautées à l'ail avec des petits légumes et du riz. Ils s'assirent face à face sur les tabourets et commencèrent à manger. Le silence s'installa comme s'ils cherchaient tous les deux comment engager la conversation.

— Tu peux m'expliquer pourquoi tu frappais comme un malade sur ce sac ?

— À cause de tout ce que je t'ai dit, j'arrivais pas et ça m'énervait…

— Non. T'étais pas énervé, t'étais furieux ! Enragé même…

— Quand j'étais ado, commença Kagami conscient qu'il lui faudrait tout révéler, on m'a diagnostiqué des troubles explosifs intermittents légers après que j'ai tabassé un gars qui m'avait un peu trop cherché à cause de mon accent américain que j'avais pas encore perdu.

— À ce point ?

— Ouais… J'ai suivi une thérapie qui a très bien marché jusqu'à l'agression de Furihata. Ça m'a mis hors de moi. J'étais certain qu'Akashi l'avait commandité et j'ai appris qu'en fait c'était son garde du corps qui avait fait ça de sa propre initiative.

— J'vois pas l'rapport…

— J'y viens… Ça a ébranlé cette maîtrise que j'avais sur ce côté violent parce que j'avais envie d'lui éclater la gueule à c'connard, et du coup aujourd'hui, j'ai craqué à cause de cette scène… Je sais, c'est con, mais c'est…

— … la goutte qui a fait déborder le vase…

— C'est ça… Mais je me dis que, depuis cette histoire avec Koki, j'ai sacrément dû prendre sur moi pour des bêtises pour en arriver là… Et j'ai même failli m'en prendre à toi et ça… j'me l'pardonnerai jamais…

— Ben j't'en aurais collé une bien sentie en retour, sourit le correcteur pour dédramatiser un peu la situation. J'suis pas du genre à tendre l'autre joue.

— Ouais, je sais… J'l'aurai mérité…

— J't'ai dit qu'y avait pas mort d'homme… On oublie…

— Comment tu fais ?

— Quoi donc ?

— Pour pas m'en vouloir après… tout ça…

— La vie de couple est faite de concessions, confia Aomine. Je le sais parce que j'ai vécu avec Haruka, mais toi ça t'es jamais arrivé. Aujourd'hui, je passe l'éponge, demain ce sera toi… C'est comme ça que ça marche.

— C'est très bon ton petit plat… enchaîna Kagami sur un sujet plus léger.

— J'cuisine pas aussi bien que toi, mais j'me débrouille… Alors cette scène, tu l'as écrite ?

— Et si je changeais de personnage ? suggéra le romancier. C'est pas obligé que ce soit son amant, ça peut être une autre personne proche de lui à laquelle il tient beaucoup…

— Hin hin… non, faut qu'ce soit ces deux-là. Ça justifie la suite, la haine grandissante de Spartus envers l'empire et sa traque de l'assassin.

— Mouais… c'est juste… Tu liras ce que j'ai écrit ?

— Non, pas tant que tu s'ras pas satisfait… Tu devras aussi mener les deux de front…

— Comment ça ?

— La chasse à l'homme et la rébellion…

— Mouais… Va lire s'il te plaît, je vais ranger et faire la vaisselle. Au fait, madame Yoshino passe demain.

— Elle reprend ses habitudes ? demanda Aomine depuis la bibliothèque.

— Oui… et elle sait pas pour nous…

— Ah… on sera discret…

— Tu veux vraiment pas lire ? constata Kagami en voyant Aomine devant son propre ordinateur au lieu du sien.

— Sois satisfait de ce que tu rédigeras, on verra après…

— Et si j'mettais cette scène en attente ? Je vais pas bloquer dessus, j'peux avancer sans elle sur les histoires secondaires…

— Pourquoi pas… mais si tu me permets un conseil, inverse les rôles. Si je n'étais plus là, tu ressentirais quoi ?

— Quoi ? T'es malade !

— Imagine, c'est tout, insista Aomine en haussant le ton. Ce n'est pas la réalité, c'est ton imagination.

— Je la mets en de côté pour l'instant…, décida Kagami après quelques secondes de réflexion, toujours pas prêt à la rédiger.

— Fais comme tu veux, mais tu devras l'écrire. Ce que tu fais s'est reculer pour mieux sauter, mais tu sauteras quand même. T'as pas le choix.

— Tout à l'heure t'as parlé de l'enfer… C'est vraiment ce que t'as éprouvé ?

— C'est le seul mot qui s'en rapproche de loin…

Qui s'en rapproche de loin ? Inverser les rôles ? Si lui il perdait Aomine ? Non… Ça non plus, il n'arrivait pas à l'accepter. Sa raison lui hurlait que c'était la chose à faire pour écrire cette putain de scène si essentielle, mais son cœur refusait de s'ouvrir à cette éventualité même si ce n'était qu'une hypothèse. L'écrivain était en train d'échouer dans le processus de création. Il pourrait demander à son père, mais là aussi l'idée lui parut abominable. Il pourrait trouver un roman qui parler de ce sujet et s'en inspirer. Mais lequel ? Un film peut-être ? Il en avait deux en tête "Love Story" ou "Ghost". Peut-être qu'à travers ces films il pourra comprendre ce qu'on ressent en perdant l'amour de sa vie. Mais il allait devoir le faire à l'insu d'Aomine, un jour où il sera à Touou.

Kagami soupira de soulagement à cette idée, son ciel s'éclaircissait légèrement. Il prit Aomine dans ses bras qui enfouit son visage dans son cou. Il respira son odeur à pleins poumons et raffermit son étreinte. Ils restèrent ainsi de longues minutes, savourant de se retrouver comme si cette violente altercation n'avait jamais eu lieu. Le correcteur savait qu'il avait été dur, mais c'était la seule façon afin que son romancier réagisse, pour le mettre devant l'énormité de son erreur et pour qu'il recommence à faire la part des choses.


Quelques jours plus tard, alors que les deux hommes travaillaient face-à-face et particulièrement concentrés sur leur tâche, Aomine surprit le regard de Kagami sur le Maneki Neko qu'il lui avait acheté au temple au début de l'année. Il ignorait quels avaient été les vœux de son amant, mais peut-être que l'un d'eux s'était réalisé et que le moment était venu de ramener la figurine. Surtout qu'il avait tout l'air de l'idiot heureux.

— Le chat t'inspire ? le taquina-t-il.

— Hein ? Non, fit-il avec un petit rire. J'étais en train de me dire que j'allais devoir le ramener.

— Tes vœux ont été exaucés ? voulut savoir Aomine, espiègle.

— Et même les trois, je crois bien, répondit-il avec un sourire lumineux.

— Dis-moi tout, insista encore son amant en contournant le bureau pour lui masser les épaules, d'un geste censé l'amadouer pour qu'il dévoile ce qu'il avait souhaité.

— Le premier, c'était la santé pour mon père, moi, mes proches et mon chat, et tout le monde semble aller bien, confia Kagami en levant la tête vers son homme qui l'embrassa.

— Et le second ?

— La réussite professionnelle, j'ai pas à me plaindre, on dirait.

— Le Maneki Neko t'a à la bonne on dirait…

— Et le troisième, c'était de… de rencontrer la personne qui partagera ma vie jusqu'au bout. Et je t'ai rencontré…

Aomine tourna le siège et s'assit sur les genoux de l'écrivain. Il l'embrassa et se cala contre lui. Ils restèrent un long moment sans rien dire, savourant la présence et la chaleur de l'autre. C'était un instant plein de tendresse et de douceur. Seule comptait la personne qu'on avait dans les bras. Sauf que le fauteuil céda sous leurs poids dans un craquement sinistre qui les jeta au sol. Malheureusement il n'était pas fait pour les supporter tous les deux. Ils furent pris d'un fou rire inextinguible et tentèrent de se relever. Mais ils rigolaient trop pour y parvenir, alors ils restèrent par terre. De toute façon, ils n'iraient pas plus bas. Ils finirent pas se calmer.

— Bon va falloir que j'en achète un autre, se résigna Kagami entre deux hoquets. Tu t'es pas fait mal ?

— Ben non, j'étais sur toi… t'es très moelleux, t'as bien amorti, plaisanta Aomine en arrivant à se mettre debout. Et toi ?

— Non, j'ai rien, dit-il en attrapant la main tendue pour se relever.

Le jour même, Kagami revint avec un nouveau fauteuil qu'ils montèrent. Par contre, plus question de s'asseoir à deux dessus.


Madame Yoshino fut ravie de retrouver Kagami et une demeure relativement propre et rangée. Elle fit la connaissance d'Aomine et de Corail, heureuse de s'occuper de tout ce petit monde. Et comme elle avait oublié d'être idiote, elle comprit que le correcteur était bien plus qu'une relation de travail. Après tout c'était elle qui faisait le lit de l'unique chambre utilisée sur les trois que comprenait la maison, qui vidait la poubelle de la salle de bain, de la cuisine ou du bureau. Qui était-elle pour juger ? Son fils aussi avait un petit ami. Du coup, elle comptait sur sa fille pour être grand-mère. Elle voyait bien qu'ils s'efforçaient de ne pas s'afficher devant elle. Elle préféra les laisser dans l'ignorance encore un temps, ça l'amusait. De toute façon, qui aurait abandonné son chat tout seul en vivant chez quelqu'un d'autre ? S'il le matou était là, c'était bien parce que son maître ne rentrait plus à son domicile. Elle aussi fut surprise en apprenant l'hospitalisation de son employeur. Elle lui passa un drôle de savon et lui assura que maintenant qu'elle était là, ça n'arriverait plus.

Le mois de mars entamait sa deuxième moitié quand Kagami proposa à Aomine d'aller au temple pour ramener la statuette du Maneki Neko. Ils s'y rendirent en début d'après-midi et le lieu était presque désert. Ils s'arrêtèrent à la boutique où Kagami acheta deux autres figurines.

— Pourquoi t'en prends deux ? lui demanda son amant qui ne comprit pas immédiatement.

— J'ai fait trois vœux et les trois se sont réalisés. Et toi ? T'en a fait plusieurs ?

— J'en avais fait un seul et je vais acheter aussi un chat pour le restituer de suite, sourit-il, énigmatique.

Ils firent leurs achats et expliquèrent au moine qui tenait la boutique qu'ils voulaient les rendre. Celui-ci les regarda avec un grand sourire.

— Le Maneki Neko a été généreux avec vous, leur dit-il en récupérant les statuettes que lui tendaient les deux hommes. Pourquoi ne pas faire d'autres vœux ? Qui sait…

Ils acceptèrent. L'homme était autant motivé par la dévotion que par l'argent qui rentrait dans sa caisse, mais qu'importe, c'était de bonne guerre. Kagami acheta deux ema, Aomine également et les quatre chats qui iraient avec leurs quatre vœux.

— Alors, c'est quoi tes vœux ? s'enquit Aomine en marchant à reculons devant Kagami qui souriait.

— Le succès pour mon roman et t'avoir auprès de moi jusqu'à la fin de mes jours. Et le tien ?

— Un énorme succès international pour Colisée2.0 et… t'avoir auprès de moi jusqu'à la fin de mes jours…

Le sourire qu'ils échangèrent en disait long sur l'activité qui allait suivre lorsqu'ils seraient rentrés. Mais avant ça, il fallait prendre la voiture. Ils étaient venus avec celle d'Aomine qui s'installa au volant et démarra. C'est là que les choses se corsèrent. Kagami n'avait pas envie de patienter jusqu'à la maison pour commencer à s'amuser. Il glissa sa main sur l'entre-jambes de son amant et l'effleura à travers le tissu. La réaction ne se fit pas attendre et un gémissement autant de surprise que de plaisir échappa au conducteur.

— T'es malade ! J'conduis, là !

— Concentre-toi sur la route et tout ira bien, fit le romancier d'une voix suave.

— Que j'me concentr… annh… T'en as d'bonnes toi… gronda Aomine traversé par une vague de plaisir.

Kagami déboutonna le pantalon, faufila sa main à l'intérieur et commença une caresse qui fit grogner le conducteur. Le sexe devint dur comme du granit et à chaque fois que la circulation obligeait Aomine à ralentir ou à s'arrêter, le romancier retirait sa main pour ne pas choquer des passants qui auraient pu se rendre compte du petit manège à travers les vitres du véhicule. Et Aomine se retrouvait dans un état de frustration démentiel. Dès qu'ils roulaient à nouveau, la main coquine revenait fureter dans le pantalon.

Quand ils arrivèrent chez Kagami, celui-ci se précipita dans la chambre pendant que son amant garait la voiture, se déshabilla et s'allongea sur le lit. Madame Yoshino n'était plus là, ils allaient pouvoir s'en donner à cœur joie. Il entendit les pas rapides d'Aomine qui montait les escaliers quatre à quatre. Il fit irruption dans la pièce et s'arrêta net devant le spectacle qui lui offrait son homme entièrement nu qui se caressait d'un mouvement langoureux.

— C'était risqué, lui reprocha-t-il avec un rictus amusé.

— Mais non, tu t'es très bien contrôlé, je suis fier de toi, se moqua gentiment le romancier en se mordant les lèvres. Alors, tu veux une invitation peut-être ?

Le sang d'Aomine ne fit qu'un tour. Il avait à peine pris le temps d'ôter ses chaussures et son blouson au rez-de-chaussée avant de se précipiter au premier dans leur chambre. Il avait sous les yeux l'homme le plus sexy qu'il n'avait jamais vu en train de l'allumer comme rarement ça lui était arrivé. Mais que pouvait-il bien passer par la tête de son romancier ? Il commença à se dévêtir à son tour quand Kagami le stoppa.

— Non, reste habillé… approche…

Obéissant, il se mit au pied du lit quand Kagami s'avança sur le matelas, magnifique de nudité pour ouvrir sa braguette et en délivrer une fière érection qu'il engloutit jusqu'à la garde. Aomine eut un hoquet de surprise et de plaisir. Il lança ses hanches en avant d'un mouvement instinctif. Il ondula paresseusement, gémissant et encourageant son amant à poursuivre qu'il faisait ça bien, que c'était bon, qu'il allait jouir s'il continuait, lorsque, sorti de nulle part, il fut revêtu d'un préservatif et se présenta face à une intimité gourmande qui le suppliait de l'honorer. Devant une telle provocation, il n'attendit pas pour investir ce corps brûlant.

Kagami eut un râle de volupté et alla contre les hanches qui claquaient contre ses fesses. Être entièrement nu et possédé par son homme encore habillé l'excitait au plus haut point. Et il ne se gêna pas pour l'exprimer. Les soupirs lascifs envahirent la chambre, les cris de plaisir augmentaient leur ardeur. Aomine se retira et s'allongea sur lit signifiant d'un geste qu'il voulait être chevauché. Kagami s'exécuta en lui tournant le dos. Se voir entrer et sortir de ce corps lui embrasa le ventre. Il mit davantage d'énergie dans ses coups de reins, mais ce n'était pas encore ça. Il désirait regarder son homme jouir, s'abîmer complètement dans ce plaisir qu'il lui donnait et qu'il prenait également. Il le repoussa et s'installa entre les jambes qui s'ouvrirent pour le recevoir encore une fois. Ils s'étreignirent à devenir fou. Ils ne se caressaient pas, ils se griffaient. Ils ne s'embrassaient plus, ils se mordaient. Ils ne respiraient plus, ils haletaient leurs plaintes à chaque mouvement. Ils étaient devenus des fournaises de passion, perdus dans un monde de luxure qui n'appartenait qu'à eux et qu'ils ne voulaient pas quitter. Mais les hommes étant ce qu'ils sont, leur résistance avait une limite et il faut avouer qu'ils avaient tout fait pour l'atteindre. Kagami fut pris de sursauts incontrôlables quand l'orgasme le dévasta. Aomine poursuivit ses va-et-vient pour parvenir à son tour au bonheur suprême et prolonger celui de son amant. Il était sur le point de succomber lorsque Kagami se dégagea, lui ôta le préservatif pour le faire jouir avec sa bouche. Le plaisir qui lui ravagea les entrailles lui coupa le souffle et il s'écroula sur le lit.

Il leur fallut plusieurs minutes pour redescendre de leur nuage. Rarement avaient-ils été aussi fougueux. Aomine n'avait jamais imaginé que son amant puisse lui faire un plan pareil. Il ne s'en plaignait pas, bien au contraire. Il avait apprécié la surprise. Ayant retrouvé un semblant de calme et une respiration presque normale, il se souleva pour regarder Kagami. Celui-ci avait toujours les yeux fermés, un léger sourire aux lèvres, les bras en croix. Aomine se pencha et déposa un baiser sur le téton le plus proche. Un soupir lui répondit.

— ..es coups …omme ça, c'est quand …u veux… marmonna-t-il encore incapable de bien articuler.

— C'était un fantasme…, lui confia l'écrivain.

— Un fantasme ?

— Que tu m'fasses l'amour habillé alors que j'suis à poil…

— Faut avouer qu'c'était méchamment excitant…

— Et t'étais pas à ma place…

— Tu sais de quoi j'ai envie ?

— Un de tes fantasmes ? gloussa Kagami.

— Je sais pas… peut-être… On a déjà baptisé la douche, la cuisine, le canapé, le tout à plusieurs reprises, mais…

— Quoi ? s'impatienta le romancier.

— Ton jacuzzi… avec les bulles qui chatouillent partout… sourit Aomine d'un air grivois.

— C'est une super idée, ça ! Tu sais quoi ? On prend une bonne douche, on va manger et on essaie après…

— Excellent programme…

Qui fut suivi à la lettre. La baignoire était assez grande pour les accueillir tous les deux. Kagami versa des sels pour le bain tandis qu'Aomine allumait quelques bougies odorantes. C'était bien loin de l'ambiance de dépravation de leur précédente étreinte. Là, ils se préparaient à un moment plus sensuel tant par l'atmosphère tamisée que par les parfums de l'eau. Pendant près de deux heures, les seuls sons que l'on entendit furent celui des remous et des clapotis, des gémissements, des cris, des soupirs et des plaintes de plaisir que les deux hommes faisaient naître de ce corps à corps intense et si érotique…

Ils finirent par sortir de la baignoire pour aller se coucher. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre, épuisés, mais infiniment heureux. Le Maneki Neko semblait avoir été touché par la ferveur avec laquelle ils avaient formulé leurs vœux. Et s'il était capable de regarder au fond de leurs cœurs alors il y avait vu leurs deux prénoms gravés au fer rouge…

À suivre…