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Chapitre 9 : Secrets
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Depuis le départ des trois vieilles femmes, l'ennui avait englouti Harry.
Drago n'était toujours pas rentré et la petite maison semblait s'être refermée sur lui comme une coquille vide.
Assis dans le salon, il se sentait écrasé par le silence.
Chaque tic-tac de l'horloge de la cuisine qui résonnait dans la maison vide, exacerbait la solitude qu'il tentait en vain de chasser. Les minutes semblaient s'étirer à l'infini et l'absence de Drago (ou de n'importe quel autre humain) pesait sur lui comme une chape de plomb.
Harry se leva et s'approcha de la fenêtre, observant les rues du village remplies de vie : les gens travaillaient, parlaient, riaient, tandis qu'Harry restait prisonnier de son propre malaise.
Il refusait de quitter la maison, de se mêler aux villageois vaquant à leurs occupations. La simple idée de sortir et de participer à la vie du village le remplissait d'une profonde apathie. Le monde extérieur lui semblait distant, irréel, et il se contenta de fixer le plafond, cherchant vainement à combler le vide qui le rongeait.
Une pensée traversa son esprit comme un éclair : le logement regorgeait de secrets qu'il n'avait pas encore découverts ; Il décida de profiter de l'absence de Drago pour fouiner un peu.
L'entrée de la maison menait directement à un espace sobre et raffiné, où le salon fusionnait harmonieusement avec la cuisine ouverte. La décoration était très subtile mais laissait transparaître la personnalité de Drago.
La cuisine disposait du strict nécessaire : une table à manger et deux chaises en bois trônaient au centre, tandis qu'un ensemble de vaisselle très minimaliste reposait sur la table et semblait prouver que son propriétaire n'était pas habitué à recevoir du monde.
Un peu plus loin, le salon invitait à la détente. Un canapé confortable (là où Harry avait passé la nuit), orné de coussins aux teintes apaisantes, faisait face à une cheminée élégante, décorée de quelques souvenirs discrets. Une petite sculpture en bronze attira le regard d'Harry : un petit dragon (ou un serpent) aux contours délicats.
Un tableau à l'huile, représentant un vieux manoir anglais, occupait un mur et Harry devina qu'il s'agissait du Manoir Malfoy.
L'absence de cadre photo étonna Harry. Il s'attendait à voir des traces de la vie de Drago, mais rien de tel n'apparaissait. Une série de livres sur les étagères attira son attention. Il parcourut les titres, laissant ses doigts effleurer les dos usés : des romans, surtout des policiers, tous écrits par des moldus, et quelques documentaires sur l'architecture, l'art et la photographie. Harry fronça les sourcils : il n'aurait jamais imaginé Drago intéressé par ces sujets.
En fouillant dans un placard, Harry découvrit un vieux tourne-disque à pavillon. L'objet semblait hors du temps. La tentation était trop forte et il l'essaya : il mit un vieux disque de Jazz Américain des années 30 et une musique crachotante et nostalgique emplit la pièce.
La maison abritait deux autres pièces : la première était une petite salle de bain accompagnée de ses toilettes. Rien de bien remarquable ici. Au bout du petit couloir, la dernière porte, fermée, attira son attention. Il savait que c'était la chambre de Drago. Un frisson d'hésitation le parcourut et il resta là, pendant un moment, à contempler la porte, se demandant ce qui pouvait bien se trouver derrière.
Alors qu'il posait la main sur la poignée, un drôle de grattement attira son attention. Cela venait d'en dessous. Il entendait de petites griffes pointues râcler le parquet. Il s'agenouilla et posa son oreille à même le sol. Il pensa d'abord à des loirs ou des rats, mais il ne parvint pas à trouver la source exacte du bruit. Il se dit qu'il devait y avoir un vide sous la maison (une cave peut-être ?) dans lequel des animaux avaient trouvé refuge.
Les grattements s'étaient tus. Harry se redressa, époussetant négligemment son jean, avant d'observer, du couloir où il se trouvait, la maison de Drago.
Quelque chose ne collait pas.
Trop simple.
Trop moldue.
Trop peu ostentatoire.
Une vague de perplexité parcourut son corps : tout cela était bien trop loin du Drago qu'il avait connu à Poudlard. Comme tous les Malfoy, il ne savait que s'entourer de luxe et ne pouvait s'empêcher d'étaler sa richesse aux yeux de tous. Toujours vêtu des dernières fringues à la mode, entouré des objets magiques les plus coûteux... Au Quidditch, il avait offert à toute son équipe le top du top des balais, dépensant des sommes ridiculement élevées sans la moindre hésitation.
Harry se demanda ce qui avait bien pu changer chez Drago.
Plus précisément, il se demanda si quelque chose avait vraiment changé ou si Drago ne dissimulait pas un secret bien caché.
Un soupir résigné s'échappa de ses lèvres. Rien n'était jamais aussi simple qu'il n'y paraissait, bien sûr, mais l'incohérence entre ces vieux souvenirs et la modestie de la demeure actuelle de Drago titilla la curiosité d'Harry.
Il se tourna à nouveau vers la porte fermée de la chambre de Drago ; C'était le seul endroit qu'il n'avait pas encore exploré.
Alors qu'il s'approchait, prêt à franchir le seuil, la porte d'entrée s'ouvrit dans un fracas retentissant.
Drago entra, chancelant, s'appuyant sur les murs pour se soutenir. Harry remarqua avec effroi des traînées sanglantes là où ses mains s'étaient posées. Puis, il vit ses vêtements déchirés et son visage qui portait les stigmates d'une lutte acharnée.
Alerté par l'état de Drago, Harry s'empressa de se diriger vers lui pour lui apporter son aide, mais ce dernier le rabroua brusquement avant de s'enfermer dans sa chambre, dans un claquement de porte : « Dégage. Reste pas dans mon chemin ! »
Harry resta au milieu du salon, les bras ballants, sans trop savoir quoi faire.
Il prêta l'oreille, mais un silence inquiétant persistait du côté de la chambre de Drago. Il fit plusieurs allers-retours dans la maison, mais ceux-ci ne suscitèrent aucune réaction. Frapper à la porte était quelque chose qu'il n'osait pas entreprendre, de peur de se faire jeter dehors manu-militari, comme un malpropre, par un Drago un peu trop en rogne.
Pour apaiser son anxiété grandissante, il saisit sa baguette et d'un geste habile, effaça le sang qui avait maculé les murs et goutté sur le parquet.
Mais son inquiétude persistait.
Cherchant à occuper son esprit, Harry se lança dans un nettoyage méticuleux de tout l'appartement.
Drago n'émergeait toujours pas de sa chambre.
Le survivant décida de se rendre à la cuisine. Lorsqu'il ouvrit le réfrigérateur, il y découvrit des tomates, des oignons, des poivrons et de la viande hachée. Dans un placard, un paquet de riz l'attendait. L'idée des tomates farcies germa dans son esprit.
Il avait appris, enfant, les bases de la cuisine. De douloureux, bien que lointains, souvenirs d'une enfance malheureuse. Mais il connaissait les gestes. Il connaissait les textures, les odeurs, les différents goûts… et puis, au fil de ses réincarnations, il avait continué d'étoffer ses connaissances dans ce domaine, sans non plus jamais trop s'y intéresser.
Il n'était pas un Chef, loin de là. Mais ses plats étaient… mangeables.
La cuisine s'animait désormais avec le crépitement de la poêle chauffée, les bruits du couteau tranchant les légumes, le chant de la viande dans la poêle chaude et le doux murmure du riz bouillonnant. Les arômes aussi s'élevaient, mêlant l'odeur sucrée des tomates aux épices savamment dosées.
Ce fut seulement à ce moment-là que Drago sortit hors de sa tanière. Harry, concentré sur sa préparation, nota du coin de l'œil son changement de tenue. Il n'avait plus l'air blessé, mais ses vêtements (un pull à col roulé et un jean) dissimulaient entièrement son corps.
Sans prêter attention à la présence de Drago, Harry continua ses gestes comme s'il s'agissait d'une routine quotidienne. Il évita de poser des questions, agissant avec précaution, comme s'il craignait d'effrayer un chat sauvage. Drago, quant à lui, s'installa sur l'une des chaises de la cuisine, observant silencieusement les activités d'Harry. « Ça sent bon » finit-il par dire, rompant le silence.
Harry esquissa un sourire tout en écrasant du pain pour en faire de la chapelure : « Je fais des tomates farcies. »
Drago se pencha sur la table pour attraper une bouteille d'eau et Harry ne put s'empêcher de remarquer la grimace de douleur qui déforma son visage alors qu'il faisait ce geste.
Harry choisit de ne pas aborder le sujet et enfourna les tomates farcies dans le four : « Ça fait longtemps que je n'ai pas cuisiné pour quelqu'un. J'espère que ça sera bon. »
Il s'assit ensuite en face de Drago : « On en a pour une vingtaine de minutes. »
Drago demeura silencieux, perdu dans ses pensées.
Harry reprit : « Au fait, j'ai rencontré tes amies ce matin. »
L'attention de Drago se reporta sur lui et il haussa un sourcil : « Mes amies ? »
Harry sourit : « Oui, trois charmantes vieilles dames... »
Drago grimaça : « Quelles plaies celles-là. Elles sont encore entrées comme si c'était chez elles ? »
Harry rit : « Elles semblent beaucoup t'apprécier ! » En réponse, il reçut un regard noir. « Au fait, - continua Harry - j'aime beaucoup ta maison, mais il n'y a vraiment aucun objet magique ici... »
Drago s'appuya nonchalamment contre le dossier de sa chaise et jaugea Harry du regard : « À Rome, fais comme les romains, non ? Je suis dans un village moldu, alors je vis comme un moldu. »
Harry ne releva pas, mais il sentit que Drago ne disait pas toute la vérité. Il y avait définitivement quelque chose de plus dans cette maison qu'il n'avait pas encore découvert. Drago devina peut-être ses pensées, car il ajouta rapidement : « Potter, je te déconseille de mettre ton nez dans mes affaires. Je te le déconseille vivement. »
Harry offrit son sourire le plus innocent : « Évidemment. »
Drago se pencha dangereusement vers lui, par-dessus la table : « Je suis très sérieux. Si je découvre que tu es allé dans des lieux où tu ne devrais pas être, je te jure que tu le sentiras passer. »
Harry changea de sujet : « Tu pratiques toujours la magie ? »
Drago se recula à nouveau : « Évidemment. »
« Je te le demande, car je ne crois pas t'avoir vu avec ta baguette depuis que je suis arrivé. »
Drago esquissa une moue : « Ce n'est pas parce que tu ne vois pas la magie qu'elle n'est pas là, Potter. »
« Il y a donc bien quelque chose ici ! » s'exclama Harry.
Drago gronda, menaçant, et Harry se releva rapidement pour sortir du four le repas grésillant : « Bon appétit ! »
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Les jours passèrent.
Drago n'avait plus mentionné l'idée de mettre Harry à la porte et ce dernier appréciait la paix qui lui était offerte. Il était surtout étonné de constater qu'ils pouvaient se comporter de manière civilisée, sans même avoir essayé de s'entre-tuer une seule fois. Bien sûr, Drago n'était pas amical, tout au plus indifférent à la présence d'Harry. Mais c'était la première fois qu'on le considérait simplement comme « Harry » et non comme le sauveur, le survivant, l'élu.
Drago ne faisait pas semblant de l'aimer et cela était rafraîchissant.
Drago partait souvent, revenait blessé, ou disparaissait pendant de longues heures pour réapparaître dans la maison comme si de rien n'était. Harry avait fouillé l'habitation de fond en comble, mais n'avait rien trouvé. Il avait aussi essayé de tirer les vers du nez de Drago, mais n'avait obtenu en réponse que des insultes, des menaces ou des grognements. C'était devenu tellement coutumier qu'il n'en faisait plus grand cas.
Le soir, ils avaient pris l'habitude de se retrouver autour du repas qu'Harry préparait, évitant soigneusement les sujets sensibles tels que Poudlard, Voldemort ou la Guerre.
Ainsi, perdu dans ce village, au milieu de nulle part, sans nouvelle aucune du monde extérieur, Harry aurait presque pu croire qu'il se trouvait dans une réalité alternative.
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Drago était parti depuis deux jours quand l'œil d'Harry fut attiré par quelque chose d'étrange dans le couloir qui menait à la chambre.
C'était un miroitement, presque imperceptible, comme une distorsion sur le mur.
Il ôta ses lunettes pour les essuyer : le miroitement était toujours là. « Je t'ai enfin trouvé ! Bon sang ! Combien de fois je suis passé devant toi ? », murmura-t-il pour lui-même.
Voilà comment Drago réussissait à apparaître et disparaître comme par magie. Un passage secret… et bien caché qui plus est.
Harry tenta plusieurs sorts en direction du mur, espérant trouver la séquence magique qui révélerait le passage secret. Il murmura des incantations, dessina des runes dans l'air avec sa baguette, mais n'obtint aucune réaction.
Frustré, il abandonna momentanément la magie et se concentra sur le mur lui-même. Il examina chaque centimètre carré, passant ses mains sur la surface en quête du moindre indice. Ses doigts glissèrent sur la pierre froide, mais rien ne trahissait la présence d'un mécanisme. Il appuya, au hasard, sur le pan du mur, espérant qu'une pression particulière déclencherait l'ouverture du passage secret.
Malgré ses efforts, le mur demeura… un simple mur.
Harry savait qu'il devait persévérer, mais la frustration grandissante le poussait à bout. Il décida d'explorer d'autres idées pour ouvrir le passage. Il se remémora ses années à Poudlard, où les mots de passe oraux étaient monnaie courante. Sans grande conviction, il essaya des expressions qui lui semblaient liées à Drago Malfoy. « Sang Pur », « Serpentard », « Lignée ancestrale ».
Face à l'absence totale de réponse, son agacement monta d'un cran : il continua avec des mots de passe plus personnels, oscillant entre l'irritation et l'absurdité : « Abruti de mur », « Crétin de Malfoy », les tentatives s'enchaînèrent, mais la pierre demeura insensible à ces approches hasardeuses.
Harry, conscient que cette méthode était bien trop aléatoire étant donné l'infini des combinaisons possibles, se résigna à une approche plus physique : il laissa éclater sa colère en donnant un coup de pied désespéré dans le mur.
Une onde de douleur remonta le long de sa jambe, accompagnée d'une série d'insultes colorées. Sautillant sur sa jambe encore fonctionnelle, il s'appuya de tout son poids contre le mur opposé dans un mélange de dépit et d'irritation.
C'est alors qu'il entendit le « clic » tant attendu. « Merde, c'était l'autre mur… » maugréa-t-il, pris de court, avant de basculer dans le vide et les ténèbres.
