Hermione pénétra dans la première pièce qu'elle jugea suffisamment éloignée de la cuisine d'un pas vif, en prenant de profondes inspirations pour tenter de juguler son agacement. Le fait que la petite salle s'avère être une bibliothèque était sans nul doute d'une grande aide, mais l'adolescente peinait à se retenir de hurler.

« Harry est insupportable. » marmonna-t-elle entre ses dents tout en se laissant tomber dans un vieux fauteuil déglingué.

Le nuage de poussière la prit par surprise et elle éternua violemment plusieurs fois avant de se résoudre à tenter quelque chose. L'incapacité de se servir de sa baguette magique quand un simple sort de nettoyage aurait suffi… pour ce fauteuil, mais aussi pour la maison de manière générale, était une autre source d'agacement. Hermione comprenait bien que personne n'y ait vécu pendant plusieurs années mais était-ce une raison pour laisser les choses se délabrer ainsi ? Les sorts de conservation existaient, pour l'amour du ciel !

Sirius passa la tête dans l'entrebâillement de la porte et lui adressa un sourire contrit.

« Besoin d'aide ? »

Hermione ferma les yeux quelques secondes avant de désigner la pièce d'un geste de la main éloquent. La poussière s'était déposée sur toutes les surfaces disponibles, y compris humaines, et l'ensemble de la bibliothèque et de son occupante étaient à présent grisâtres. L'animagus agita sa baguette et nettoya la pièce avant de s'immobiliser en découvrant le tableau qui en décorait le seul mur n'abritant pas de livres.

« Sirius ? »

Hermione laissa passer son regard du sorcier au tableau plusieurs fois, indécise. La ressemblance était frappante, et elle n'avait aucun mal à s'imaginer un Sirius adolescent ressemblant à la peinture, mais quelque chose lui disait que ce n'était pas lui. Le garçon du tableau semblait beaucoup plus sérieux, presque sombre, et avait une carrure plus fine et plus élancée, pour autant qu'il soit possible de juger ce genre de choses sans avoir le modèle devant soi.

« Hermione, articula finalement Sirius d'une voix rauque, je te présente mon petit frère, Regulus. »

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Présenter était un bien grand mot, songea Hermione quelques heures plus tard, assise dans le fauteuil dépoussiéré de la petite bibliothèque. Le tableau était inerte, plus proche d'une peinture moldue que de ceux dont elle avait l'habitude à Poudlard, et la sorcière ne savait pas si elle en était déçue ou soulagée. Sirius avait semblé partagé, lui aussi. La peinture avait apparemment été faite juste avant l'entrée de Regulus en septième année, et les deux frères n'avaient déjà plus aucun contact à ce moment-là. Regulus avait aussi, probablement, déjà pris la marque des Ténèbres. Hermione se demanda s'il aurait été du genre à hurler sur tous ceux qui osait souiller la noble demeure ancestrale des Black, comme sa mère, ou s'il les aurait simplement regardé avec dédain, comme se plaisait à le faire Phineas lorsqu'il consentait à apparaitre dans son cadre. Sans vraiment savoir pourquoi, Hermione penchait pour la deuxième solution.

Le fait que le tableau soit inerte n'empêcha pas Hermione de lui parler, et la bibliothèque devint bientôt sa pièce personnelle, celle où elle se réfugiait pour souffler quand Ron agissait comme un enfant ou quand Harry se mettait à hurler sur tout le monde sans raison. Elle comprenait qu'il soit traumatisé par l'épisode du cimetière, la mort de Cédric et tout ce qui avait suivi, mais elle n'y était personnellement pour rien et sa patience se faisait de plus en plus disparate. Chaque fois qu'elle se sentait sur le point d'exploser, la sorcière se réfugiait dans son fauteuil et expliquait au tableau, à Regulus Black, pourquoi elle n'en pouvait plus et à quel point elle aimerait que ses deux meilleurs amis fassent preuve d'un peu plus de bon sens.

Le bon sens, cependant, était apparemment devenu rare, puisqu'elle se sentit légèrement triste de partir à Poudlard entamer sa cinquième année en laissant le tableau derrière elle.

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Hermione passa presque la totalité des vacances de Noël dans ce qu'elle considérait à présent sa bibliothèque. Elle étudia, lu, se reposa simplement, tout en racontant au tableau les actualités du monde sorcier, et parfois même du monde moldu, juste pour le plaisir. Le tableau ne répondait jamais, bien entendu, mais Hermione avait parfois l'impression que son expression faciale changeait, comme si Regulus se retenait de sourire ou de froncer les sourcils.

Même en sachant que ce n'était pas possible, la sorcière se plaisait à imaginer que le cadet des frères Black devenait son ami, son confident, et compatissait à ses malheurs de la même manière qu'il se réjouissait de ses victoires.

Noël passa, et Hermione se sentit un peu morose à l'idée de devoir retourner à Poudlard. Avant de partir, elle passa dire au revoir au tableau et lui promit qu'elle serait de retour pour les vacances de Pâques. Une part d'elle se sentait ridicule, mais elle savait qu'elle aurait regretté de partir sans un mot.

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La première chose que fit Hermione en arrivant au Square Grimault lorsque les vacances arrivèrent enfin fut de monter en courant les deux étages séparant l'entrée de sa petite bibliothèque personnelle. Elle poussa la porte, ouvrit les rideaux et sourit au tableau, qui sembla lui rendre son sourire pendant un dixième de seconde avant de reprendre son habituelle expression neutre. Hermione secoua la tête et entreprit de raconter tout ce qui s'était passé au château depuis janvier. La majorité des événements tournaient autour d'Ombrage et n'étaient pas joyeux, sans compter les divers accidents et l'attitude étrange de Malefoy, mais Hermione était tout de même de bonne humeur, sans doute parce qu'elle était soulagée de retrouver son petit refuge. Harry et Ron avaient tenté de l'y rejoindre, mais la sorcière avait été très claire. Elle avait besoin d'un espace qu'elle ne partageait avec personne.

Sirius avait fait remarquer qu'elle n'était pas vraiment seule, Hermione avait platement répondu que Regulus ne comptait pas, Ron s'était presque étranglé en lui demandant qui était Regulus et Harry s'était contenté de regarder son amie d'un air perplexe. La scène avait eu l'avantage de faire rire Sirius, cependant, et Hermione l'avait raconté au tableau avec une certaine satisfaction, qui s'était accentuée quand Regulus avait semblé sourire plus franchement que d'habitude.

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Hermione se demanda si un tableau magique pouvait se pétrifier et reprendre vie. Imaginer des changements d'expressions chez Regulus était une chose, mais être persuadée qu'il se tenait appuyé contre le fauteuil et non assis dessus le matin-même en était une autre. La sorcière regarda le tableau d'un air suspicieux mais n'obtint aucune réaction. Cependant, Hermione n'avait pas dit son dernier mot. Elle partit à la recherche du propriétaire des lieux pour qu'il lance un sort de prospection pour elle, qui serait nettement plus rapide que de lire chaque tranche de chaque livre jusqu'à ce qu'elle en trouve un qui traite du sujet, et se retrouva rapidement avec une petite pile d'ouvrages traitant de près ou de loin des portraits magiques et de leur conservation.

Se lancer dans des recherches fastidieuses sans savoir réellement dans quelle direction aller n'avait jamais effrayé Hermione, et c'était sans doute une bonne chose puisqu'elle trouvait absolument tout, sauf la réponse à ses questions. Elle lisait une grande partie de ses résultats à voix haute au bénéfice de Regulus, juste au cas où le tableau soit réellement conscient, mais n'aboutissait à aucune conclusion pertinente, et Regulus lui-même n'avait pas semblé bouger de nouveau. Consciente qu'il ne lui restait que peu de temps avant de devoir retourner à Poudlard pour la fin de l'année scolaire et les BUSE, Hermione ne quittait plus la bibliothèque que pour dormir, et seulement lorsque Sirius l'y obligeait.

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Hermione se réveilla en sursaut dans son lit du Square Grimault et se précipita hors de la chambre le plus silencieusement possible, afin de ne pas réveiller Ginny. Elle courut plus qu'elle ne marcha jusqu'à la bibliothèque, ouvrit vivement la porte en remerciant le ciel d'avoir demandé à madame Weasley de jeter un sort sur les gonds le jour précédent, et s'arrêta devant le tableau, essoufflée comme si elle avait couru un marathon.

Sur la toile immobile, Regulus sembla lui adresser un regard interrogateur.

« Je me suis réveillée et tu n'étais pas là, souffla Hermione. Ce qui est stupide, puisque tu es un tableau. Je ne sais pas. J'ai paniqué. »

En soupirant, la sorcière se laissa tomber sur le fauteuil. Il ne lui restait plus qu'un jour avant de retourner au château, et elle ne se sentait pas plus proche de la solution qu'au début de la semaine. Rien ne lui indiquait non plus qu'il y ait une solution, ou même un problème pour commencer, mais Hermione sentait que quelque chose était différent avec le tableau et elle voulait découvrir quoi. Elle voulait aussi se débarrasser du sentiment d'urgence qui l'habitait perpétuellement, comme si ne pas résoudre le mystère du tableau allait provoquer de terribles événements. Hermione était fermement convaincue qu'elle n'avait pas besoin de plus d'agitation dans sa vie : Ombrage et l'état actuel de Poudlard étaient plus que suffisant, sans même parler des examens. Mais le portrait prenait toute la place dans son esprit, et elle devait donc s'en occuper en premier.

Laissant tomber ses mains sur les accoudoirs du fauteuil d'un geste à la fois fatigué et résigné, la sorcière fixa le tableau et son occupant d'un regard morne. Les livres lui faisaient défaut. Elle n'aimait pas l'admettre, mais c'était pourtant le cas, et il était temps de tenter autre chose.