Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 27
Vœux Solennels
Lany se trouvant paresseuse avant le voyage et désirant économiser ses forces, elle laissa Alika rendre visite à sa tante Saya et son oncle Tohya de cœur en compagnie de Shozen. Il était normal qu'elle voulût pavaner sa relation à ses amis et ses proches. En arrivant devant la boutique de Tohya, elle cogna joyeusement. Leur fils ainé, Nanda, passait par là et le vit.
« Oh, bonjour Alika ! la salua-t-il.
- Bonjour Nanda ! Comme tu as grandi ! s'exclama-t-elle.
- Merci. J'ai eu treize ans au printemps.
- Alors dans deux ans, tu seras officiellement adulte ici ! Est-ce que j'ai dormi pendant tout ce temps-là ? As-tu vraiment treize ans ? »
Nanda éclata de rire.
« Oui. Le temps passe vite. Qui est cet homme qui t'accompagne ?
- C'est mon amoureux : Shozen Yonsa.
- Yonsa… vous portez les mêmes noms de famille ? Êtes-vous déjà mariés ? »
Alika sourit de façon un peu malaisée. Tout en allant s'asseoir à la table basse alors que Nanda avertissait ses parents de leur visite, Shozen expliqua qu'à Kanbal, le pays était divisé en neuf territoires qui représentaient neuf clans. Naître dans l'une de ces divisions leur donnait automatiquement le nom du clan où ils avaient vu le jour.
« Nous avons des ancêtres en commun, mais ça ne veut pas dire que nous sommes liés par le sang ou que tout le monde fait partie de la même famille proche et immédiate, termina Shozen. Pendant un long moment, les unions entre différents clans étaient interdis… mais ça a commencé à changer au fils des cinquante dernières années.
- Il en était un peu le temps, soupira Alika, renouveler le sang ne fait pas de mal. »
Shozen ébouriffa ses cheveux avec un sourire. Tohya et Saya se montrèrent enfin, toujours heureux de voir Alika comme à chaque été.
« Oh, alors c'est lui le fameux prétendant ? Ou en est-ce un autre ? hasarda Saya.
- C'est bien de lui que j'ai parlé l'été dernier, s'amusa-t-elle.
- Enchantée, je suis Saya, et voici mon conjoint, Tohya.
- Enchanté, je m'appelle Shozen Yonsa.
- J'espère que tu prends soin de notre belle Alika, dit Tohya.
- Comme la prunelle de mes yeux.
- Voulez-vous quelque chose à boire quitte à être ici ? Nous sommes en congé, donc, nos employés ne sont pas là. »
Shozen demanda un simple verre d'eau et Alika reçut un jus de fruits. Ils se donnèrent quelques nouvelles. Ils apprirent que Saya s'était chicanée avec une de ses bonnes amies, qui avant, était presque considérée comme une sœur. Pour une question d'argent. Les deux étaient parvenues à mettre cartes sur table et prendre une pause d'amitié, mais l'amie de Saya n'était jamais revenue lui parler alors qu'elle avait fait ses efforts du siens.
« Parfois, seul le temps peut arranger les choses, tenta de la réconforter Shozen. Laisse-lui du temps, je suis sûr qu'elle reviendra d'elle-même. Parfois, les plus fortes amitiés doivent passer par les plus fortes tempêtes.
- Sûrement… »
Saya soupira.
« Est-ce que Lany est encore avec toi cette année ? questionna Tohya.
- Ah, oui. Elle avait juste envie de se reposer et ne pas bouger de la maison. Elle est avec Motoko.
- Donc, tu as ramené deux personnes cet été ?
- En plein ça.
- … Un jour, tu vas ramener le pays au complet chez Tanda et Balsa ! s'amusa-t-il.
- Issshh ! Je n'espère pas ! s'étrangla Saya. La vois-tu réellement ramener une centaine de personnes ?
- Oui !
- Peut-être que ce seront nos futurs enfants, tenta Shozen. Mais trois sera suffisant, pas vingt. »
Alika en profita alors pour sortir sa lettre qui était étampée d'un sceau, signe de confidentialité.
« Oncle Tohya, j'aurai besoin de tes services. Il s'agit d'un truc plus ou moins politique et j'aurai besoin d'une réponse avant la fin de mon séjour ici.
- Ah bon ? Qu'est-ce que c'est ? Tu peux tout me demander belle Alika !
- Lorsque tu croiseras Sir Jin, peux-tu lui donner ça de ma part ? C'est pour le Mikado lui-même.
- Ooohhh. »
Il prit la lettre de façon presque solennellement comme un précieux vase.
« Tu peux compter sur moi ! Elle arrivera à destination en un temps record !
- Merci. Tu me sauves la vie comme pas possible. Où sont vos filles ?
- Elles se font garder chez Tomoe avec Nhiva. Shuga a dit qu'il leur apprendrait à pêcher.
- À pêcher ? s'étonna-t-elle.
- Mine de rien, Shuga est né dans un petit village de pêcheur. Je suppose qu'il est quand même resté pêcheur au fond de son cœur.
- Alors il n'a jamais été noble de naissance ? s'écria-t-elle comme si sa vie avait été un mensonge.
- Non, rit Saya.
- Quoi ?! Mais où étais-je pendant tout ce temps-là ? »
Shozen la laissa marmonner dans son coin. Ils finirent par quitter Saya et Tohya. S'ils voulaient partir pour Sangal, ils ne pouvaient pas se permettre de continuer à procrastiner et faire attendre la famille d'Alika, mais au moins, un nouveau collier trouverait sa place chez leur reine. Avec un peu de chance, ils pourraient s'emparer du collier Talsh et le détruire…
Si Shozen trouvait que les étés au Nouvel Empire de Yogo étaient chauds et humides, il fut encore plus surpris quand ils traversèrent, à dos de cheval, les frontières entre le pays et Sangal. Pour économiser quelques frais de location, ils avaient été placés deux par deux pour une monture.
« Il y a des auberges familiales pour notre grande famille, annonça Balsa, qui tenait Karuna devant elle.
- Je parle trois langues, mais le sangalese n'a clairement pas été peaufiné dans mon cas, se désola Shozen, derrière Alika, enlaçant toujours sa fine taille. Je ne risque pas d'être d'un grand secours.
- Connais-tu au moins les politesses de base ?
- Je sais dire : bonjour, bonsoir, merci, s'il vous plait et… combien ça coûte. Ah, et renseigner les personnes sur le fait que je parle Kanbalese.
- C'est le principal d'une langue. Il y en a qui ne font même pas cet effort, alors je t'admire. Allons déposer nos choses dans une auberge. »
Motoko s'agita un peu sur sa monture.
« Qu'est-ce qu'il y a, Motoko ? questionna Lany en face d'elle.
- J'ai hâte de voir la mer…
- Nous pourrons y aller, mais seulement après avoir déposé nos choses, la prévint Tanda, qui tenait Jiguro devant lui. »
Ils suivirent Balsa qui connaissait la route. Ils laissèrent leurs montures aux palefreniers et entrèrent dans la grande auberge. Balsa réserva deux chambres qui pouvaient être interconnectées grâce à une porte encastrée dans le mur qui les séparait, sans avoir à passer par le couloir.
« Oh, ce système est trop cool ! jeta Shozen.
- Comment se disposons-nous ? questionna Alika.
- Tanda et moi allons prendre les jumeaux avec nous, dit Balsa. Vous quatre allez partager la même chambre.
- Je dors avec Lany ! annonça Motoko joyeusement. »
Alika fit une expression dure à déchiffrer, mais elle accepta la proposition. Ils montèrent les escaliers et trouvèrent leurs chambres attitrées. Si Motoko dormait avec Lany et que chaque chambre avait deux lits doubles, alors elle se retrouvait, pour la première fois, à dormir dans le même lit que Shozen.
« Pas de sexe avant le mariage, rappela-t-elle sous forme de blague.
- Je n'ai pas oublié, rétorqua Shozen. »
Les jumeaux ayant faim, ils décidèrent d'aller manger dans la salle commune. L'odeur du poisson était bien plus présente que dans les aires de restauration du Nouvel Empire de Yogo. Le serveur leur servit une salade d'algue wakamé, avec des bâtonnets de poissons frit. Dans des petits pots, il y avait une sauce aux tomates. Si Karuna, Jiguro et Motoko se retrouvèrent à manger avec appétit cette entrée, Shozen et Lany ne semblaient pas certains de leur plat.
« Tout va bien, vous deux ? s'inquiéta Balsa.
- Eh… je suppose que c'est parce que nous sommes habitués de manger de la viande de chèvre et très peu de poissons, s'excusa Shozen. Pourtant, les bâtonnets ont l'air d'avoir été cuits dans la friture comme nos lossos.
- C'est la première fois que je vois ces algues…, murmura Lany en souleva une algue de la salade avant de la renifler et voyant une petite graine de sésame.
- Pourtant tu as déjà mangé des feuilles d'algues avec des onigiri, lui rappela Motoko. »
Alika décida alors d'aller à rescousse de ses deux amis. Elle prit un bâtonnet de l'assiette de Shozen, le trempa dans la sauce et mordit dedans. Elle fit un petit sourire. Elle le trempa encore et décida de faire manger son petit-ami comme un enfant.
« Ne fais pas ton difficile… sinon, on n'ira pas faire une balade en amoureux sous un soleil couchant alam laï la au bord de la mer. »
Shozen ouvrit la bouche et mordit dedans. Le bâtonnet goûtait en tout point comme le poisson, mais le goût n'était pas très prononcé.
« Alors ? se renseigna Balsa.
- C'est… c'est différent, mais c'est bon.
- Un de gagné. »
Pour Lany, elle semblait encore réticente à goûter la salade d'algue. Comme pour Shozen, son mentor vint à la rescousse. Alika plongea ses baguettes dans la salade et se servit avec plaisir.
« Ça goûte vinaigrée, mais sucré. La texture est semblable à des carottes rappés, ou des champignons finement hachés en filet. Mais ça, ce sont des goûts personnels : sois on aime, sois on n'aime pas. »
Se sentant un peu la pression sur les épaules, Lany goûta un filament d'algue. La grimace qu'elle exécuta montra clairement qu'elle n'aimait pas; ni la texture, ni le goût. Son geste fit rire la petite famille.
« Nope, jeta-t-elle. Cette salade pour moi est un gros non…
- Au moins, tu as essayé, la réconforta Tanda.
- Alors je te prends ta salade, termina Alika. Concentre-toi sur les bâtonnets de poissons. Shozen a l'air de bien apprécié, lui. »
Il venait justement de terminer ses cinq bâtonnets de poissons. Convaincue par son expression ravie, Lany les essaya avec un peu de réticence.
« Je ne peux pas dire que j'en raffole, mais ça passe.
- Si tu n'as plus faim, alors ne te force pas, la réconforta Balsa. Peut-être qu'une chaudrée de palourdes te plairait mieux. Ça ressemble beaucoup à du laroo.
- Il y a des patates ?
- Oui, et c'est fait avec de la crème, parfois il y a des crevettes et des pétoncles, avec de petites palourdes.
- Je peux bien essayer. »
Balsa attrapa alors le serveur et commanda une petite portion de chaudrée de palourdes. Lany avait tellement peu mangé et Balsa ne se sentait pas à l'aise de la savoir avec un estomac presque vide après la longue route qu'ils avaient fait.
« Alors ? s'essaya Shozen. Est-ce que j'ai le droit à ma petite marche sur le bord de la plage en présence d'un alam laï la pour avoir mangé mes bâtonnets de poisson ?
- Oui, confirma Alika. »
Le bol arriva devant Lany avec une cuillère en bois. Encore une fois, elle renifla le mets et goûta du bout des lèvres. Elle ramassa ce qui semblait être une patate et après avoir soufflé, mangea sa première cuillerée, sous le regard inquiet et curieux de la famille. Son expression changea et indiqua qu'elle semblait bien aimer la saveur.
« J'aime bien !
- C'est vrai ? s'égaya Balsa.
- Oui. Je préfère ça plutôt que les bâtonnets de poisson et la… eewww, salade d'algues.
- Ouf, pendant un moment, je croyais que tu ne mangerais rien d'ici, soupira Motoko.
- Tôt ou tard, j'aurai fini par trouver quelque chose de bon. »
Après avoir rempli leurs estomacs, ils se sentirent assez en forme pour visiter les boutiques sur la plage. Shozen semblait intéressé par les bijoux, mais quand on lui proposa d'aller dans l'une des bijouteries, il préféra dire que ce serait pour plus tard. Il eut droit à sa petite marche en amoureux quand le reste de la famille d'Alika se retira à l'auberge pour se reposer – et parce que Lany n'en pouvait plus de voir le paysage de la mer cette journée-là.
Le ciel était effectivement coloré de couleur rose et orangée. Un vrai alam laï la.
« Il ne faut pas que tu te sentes gêné d'entrer dans les bijouteries, lui rappela Alika, accrochée à son bras. Je ne croirai pas que tu es efféminé parce que tu regardes l'or et l'argent. »
Il éclata de rire.
« Je n'ai rien d'efféminé sur moi, je te le garantis. Je préfère attendre et bien calculé mon budget. S'il me reste assez d'argent, j'irai regarder pour des bijoux.
- Tu es très responsable au niveau de tes dépenses.
- Ou peut-être est-ce simplement la pauvreté de mon pays natal qui m'a appris à être prévoyant et peut-être même, avoir toujours peur de manquer d'argent.
- Qui sait ? »
Ils finirent par s'asseoir à même le sable et regarder le coucher de soleil avec les quelques dauphins qui sautaient hors de l'eau. Alika avait rassemblé des coquillages et en grattant le sable, elle avait fini par trouver un dollar de sable.
« Hah, s'étonna-t-elle.
- Qu'est-ce ?
- C'est un dollar de sable. Je pensais que l'on les trouvait que tôt le matin, à la marée basse… mais je pense que la nature a caché ce dernier pour nous. »
Elle le secoua proche de leurs oreilles et Shozen entendit de petits bruits comme si le coquillage renfermait de quoi.
« Selon Maman, la légende dit que si on les brise, nous libérons cinq petits morceaux qui ressemblent à des colombes. Nous pouvons faire un vœu si nous en lançons un dans une rivière, un lac ou la mer… un cours d'eau qui ramènera toujours ce coquillage à la mer.
- Alors… pourquoi ne pas en faire une petite réserve ? Demain, on se réveillera tôt et on en prendra plusieurs !
- As-tu plusieurs vœux en tête, Shozen ?
- Oui ! Pleins la tête. »
Ils retournèrent enfin à l'auberge dès que le soleil avait quitté l'horizon et laissait place à la nuit. Alika se changea pour la nuit et prit la place proche du mur. Shozen et elle discutèrent un petit moment et lorsque Lany et Motoko décidèrent de dormir, ils les imitèrent dix minutes plus tard.
Alika ouvrit les yeux. Il faisait encore sombre dans la pièce et elle n'entendait pas grand-chose, sauf peut-être quelques pas de course au-dessus de sa tête. Elle n'avait pas fait de cauchemars ni eu des flash-backs, son sommeil l'avait seulement quitté. Elle se retourna, dos à Shozen et ferma les yeux, espérant que sa fatigue soit assez forte pour la faire se rendormir.
Elle finit par déclarer forfait en voyant que ça ne fonctionnait pas.
Pas une insomnie partielle ? J'avais si bien dormi la nuit d'avant, pensa-t-elle, renfrognée.
Il semble qu'elle avait assez tourné sur elle-même dans le lit que Shozen bougea à son tour. Leurs yeux se rencontrèrent malgré la pénombre; Alika pouvait le sentir dans son énergie.
« Tout va bien, Ali ? lui demanda-t-il dans un murmure.
- Ali ? C'est nouveau comme surnom.
- Tu n'aimes pas ?
- J'aime bien. Ça m'a juste surprise.
- Tu n'arrives plus à dormir ? »
Elle soupira et s'assit dans le lit.
« Non, malheureusement.
- Tu as fait un cauchemar ?
- Juste de l'insomnie… je déteste quand ça m'arrive. Je n'ai envie de rien faire quand ça m'arrive. Pas envie de m'entraîner, pas envie de plier des origami… juste, regarder le plafond à essayer de calmer mon esprit.
- Et lire, as-tu essayé ?
- Mes livres ne semblaient jamais vraiment intéressants…
- Alors… fais juste essayer. »
Shozen se leva et sortit hors du lit. Il ouvrit la mini lampe à l'huile de la pièce et alla fouiller dans l'un de ses sacs. Il en ressortit un livre Kanbalese et l'offrit à Alika, déposant la lampe à l'huile proche de sa table de chevet.
« Qu'est-ce que ça raconte ?
- Il s'agit tout simplement d'un livre qui recueille des poèmes… au début, il y a un sommaire qui dit d'aller à une page si tu te sens triste, déprimée, ou au contraire, heureuse, en extase… tu n'es pas obligée de suivre un ordre en particulier. »
Shozen se recoucha dans le lit, l'observant la tête accotée contre l'oreiller. Il la trouvait belle, malgré ses petits yeux et ses cheveux en désordre.
« Je ne pense pas pouvoir être en mesure de ramasser des dollars de sable ce matin, se désola-t-elle. Je sais que la fatigue va me reprendre… enfin, j'espère.
- On a encore plusieurs journées devant nous. Ce n'est que partie remise. »
Jiguro, son gardien spirituel, se sentit curieux et comme sa protégée lisait le livre couchée sur le ventre, il lisait par-dessus son épaule. Elle passa un bon deux heures à feuilleter les pages et relire les poèmes qui l'avaient interpellé, avant de fermer le bouquin, éteindre la petite lampe et fermer ses yeux pour récupérer des heures de sommeil. Tant pis si elle manquait une partie de la journée.
Lany se réveilla et regarda ses alentours. Shozen était déjà levé, mais Alika faisait encore la marmotte sous les draps. Elle roula et secoua l'épaule de Motoko
« Wakey-wakey, Motoko. »
Son amie ronchonna et ouvrit les yeux, se passant une main dans le visage.
« Urf… déjà le matin ?
- Oui. Bien dormi ?
- Je pense que oui. »
La porte s'ouvrit et Shozen apparut dans la pièce.
« Bon matin les filles, chuchota-t-il.
- Bon matin, Shozen, répondit Lany.
- Alika n'a pas vraiment bien dormi la nuit dernière, donc, on va la laisser se reposer et elle viendra nous rejoindre plus tard lors des activités.
- Oh, je vois… où est Maman Balsa et Papa Tanda ?
- Aux cuisines pour le petit-déjeuner.
- J'espère que ce ne sera pas du poisson, blagua-t-elle en se levant.
- Je ne pense pas non plus. »
Ils quittèrent la chambre doucement après voir fini de s'habiller et de se préparer. Vers l'heure du midi, Alika retraça sa mère et profita du reste de la journée pour s'amuser et se changer les idées.
Le séjour à Sangal fut amusant et Lany, bien que pas fan de la mer, avait profité de bons moments avec la famille de son mentor au bord de la plage. Ils s'étaient baignés et avaient récolté des dollars de sable, ainsi que des coquillages et même quelques verres de mer de différentes couleurs. Tanda acheta pour ses enfants des colliers fabriqués à partir de ces derniers, mêlés à des os de jagou. Le jagou était considéré comme un poisson encore plus délicieux que le santarai. Leurs os brillaient dans le noir. Pour cette raison, et parce qu'il s'agissait de poissons d'eau profonde, ils ne pouvaient généralement être pêchés que la nuit
Tanda repartait vers le Nouvel Empire de Yogo en compagnie des jumeaux; son entreprise avait encore besoin de lui et il ne pouvait s'absenter très longtemps.
« Mais si nous partons avec deux montures, sachant qu'un cheval peut transporter deux personnes, il va vous en manquer une, paniqua-t-il.
- On peut toujours louer une monture de plus, suggéra Shozen.
- Mais—
- Je suis du même avis que Shozen, l'arrêta Balsa, connaissant sa tendance à anticiper toujours le pire. Nous saurons nous débrouiller, promis. »
Tanda sourit et invita Karuna et Jiguro à monter en selle. Ils avaient aimé profiter des moments passés avec un grand frère qu'ils prenaient pour modèle.
« On va se revoir après notre retour de Sangal, les réconforta Shozen avec un grand sourire.
- Promis ? questionna Jiguro.
- Promis, sur mon honneur de lancier du roi. »
Les deux garçons lui sourirent en parfaite synchronisation. Les deux montures s'éloignèrent du reste de la famille. Motoko demanda si Balsa n'allait pas se sentir seule dans sa chambre.
« Un peu de tranquillité ne fait pas de mal.
- Lany et moi pourrions emménager dans ta chambre si jamais tu t'ennuies ! proposa sa plus jeune.
- Euh…, hésita Lany.
- Ça ira bien pour moi, la rassura Balsa. Continue de profiter de ta grande sœur le temps qu'elle est ici. »
Ils retournèrent à l'auberge pour déposer leurs achats et planifier le reste de la journée. C'est alors que Shozen lâcha un si grand cri de terreur que toutes les femmes de sa horde s'étaient armées de leurs lances et étaient venues à sa rescousse.
« Qu'est-ce qui se passe, Shozen ?! se troubla Alika. »
Pour toutes réponses, il pointa un coin entre le mur et le plancher.
« Enlevez-là quelqu'un, depuis quand elle est là ?!
- Ewwww, se dégoûta Motoko. Compte pas sur moi… »
Il y avait effectivement une assez grosse araignée, plus grosse que la moyenne qu'ils étaient habitués de voir, qui devait faire la moitié d'une main adulte.
« Sangal est reconnu pour avoir des espèces uniques et disons-le… un peu plus grosse que la normale, informa Balsa. »
Lany soupira et retira soudainement sa chaussure. Bravement, elle s'approcha de l'araignée et la frappa tellement fort qu'ils purent entendre un craquement, en plus de son cri de guerre triomphant. Elle mit plus de pression pour être sûre que l'araignée avait rendu l'âme, puis la souleva en faisant une grimace de dégoût.
« Qui veut du jus d'araignée ? plaisanta-t-elle.
- Je vais aller demander à l'aubergiste de quoi pour nettoyer ce dégât, annonça Balsa comme personne ne parlait vraiment sangalese dans la petite horde, sauf elle.
- J'ai bien des peurs, mais pas celle des orages ni des araignées… quand j'y pense : je t'ai sauvée deux fois de ces bestioles, Shozen.
- Très drôle !
- Elle se trouvait de mon côté du lit, donc tu es en sécurité, essaya de l'apaiser Alika.
- Qu'elle eut été ou pas de ton côté, je ressens un besoin viscéral de tout soulever et de secouer les draps ! Par pitié, les filles.
- Bon, d'accord, soupira Lany. »
Lorsque Balsa revint avec un bac d'eau et des linges propres, elle fut surprise de les voir secouer les draps et soulever tous les objets qu'ils avaient mis sur le sol. Elle comprit alors que son futur gendre avait une phobie inexplicable des araignées et qu'il ne pourrait fermer les yeux cette nuit qu'après être sûr qu'aucune autre bestiole ne s'était faufilée sous les draps. Balsa attrapa la sandale de Lany et la nettoya.
« J'ai lu à quelque part que l'odeur de lavande, la menthe, la cannelle et le vinaigre aidait à repousser les araignées qui détestent ces parfums, sortit Motoko. Peut-être que ça pourrait apaiser mon beau-frère cette nuit. En plus, la lavande aide à se détendre et favorise le sommeil.
- J'en mettrai partout ! dit Shozen avec un enthousiasme déconcertant.
- Maman, tu voudrais venir avec moi pour demander s'ils ont de la lavande ici ? De l'huile, ou les plantes.
- Bien sûre. »
Alika termina de placer les draps et sourit à son petit-ami qui tremblait encore de la tête aux pieds.
« Je suis embarrassé, avoua-t-il.
- Pourquoi ?
- … Tu me poses vraiment la question, Ali ?
- Que tu sois grand, imposant et musclé, tu restes un humain avant tout, une âme réincarnée comme nous toutes ici présent. Tu as le droit d'avoir des peurs et des phobies. Personne ne se moquera de toi. »
Shozen arqua un sourcil et jeta un œil à Lany qui frappa un coussin pour en retirer la poussière.
« Elle ne le fait pas par méchanceté, et tu le sais. Elle s'amusait beaucoup à me taquiner avant que toi et moi ne soyons officiellement ensemble. Elle fait ça à ceux qu'elle apprécie.
- Je sais… »
Il soupira.
« Et puis, on ne se le cacherait pas, cette araignée a été un record concernant sa taille, admit Alika. Je pense que Lany a eu plus de courage que moi là-dessus, car je ne m'en sentais pas capable sur ce coup-là.
- Hototo n'a jamais réussi à trouver de trucs pour apaiser cette peur. Que ça ait été par les énergies, l'exposition face à ces bêtes, les vies antérieures, rien. Niet.
- Ça arrive. »
Elle emprisonna une de ses bouclettes dorées entre ses doigts et l'entortilla. Puis, elle l'embrassa sur les lèvres. Ce toucher le détendit et il se sentit mieux, léger. Motoko revint avec des bouquets de lavandes et en disposa dans les deux coins où il y avait les têtes de lit et tout autour du lit d'Alika et de Shozen.
« On aurait dit des fiançailles, c'est drôle, rit-elle. J'espère que tu arriveras à dormir cette nuit.
- Ça devrait. Merci. »
Les deux derniers jours du voyage, ils se promenèrent sur la plage devant les petits kiosques de marchandises. Shozen avait été dans quelques bijouteries, mais n'avait rien acheté. Il aimait juste regarder l'or miroité et se faire plein de scénario quant à ceux qui pouvaient s'offrir cette richesse.
C'est alors que Balsa remarqua un homme à un kiosque. Il lui semblait étrangement familier. Intriguée, elle s'approcha de lui en regardant ce qu'il avait à vendre.
« Euh… Karbo ? demanda-t-elle en Yogoese. »
L'homme leva la tête. C'était effectivement son visage, sauf que la vieillesse l'avait rattrapé. Il avait plus de rides que de traits durs sur le visage, ses cheveux étaient gris et son regard était différent.
« Quoi, femme ? Ce n'est pas mon nom. Je m'appelle Seishin !
- Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu ne me reconnais vraiment pas ? s'intrigua Balsa en arquant un sourcil.
- Pas du tout ! »
Voyant l'étrange échange de sa mère et de l'homme, Alika s'approcha d'elle. Shozen l'imita, décidant d'utiliser son physique imposant pour dissuader un quelconque voleur ou brigand de faire du mal à Balsa.
« Maman, c'est qui cet homme qui t'enquiquine ?
- Hé bien, j'ai cru que c'était—
- L'enquiquiner, moi ?! la coupa Karbo. C'est elle qui pense me connaître ! »
Alika le dévisagea avec un regard sans expression. Elle se pencha vers son kiosque et toucha une des pierres du doigt.
« Hum… ce sont des fausses, déclara-t-elle. Elles sont faites de verre chauffé et teinté.
- Mais qu'est-ce que tu racontes-là, fillette ?! De grands vendeurs venant de Rota me les ont livrés. Je connais leurs marchandises. Ils ne me mentiraient pas.
- Je ne suis pas là pour faire de la discrimination entre des cristaux provenant directement de la terre et des faux, mais c'est un fait : ce ne sont pas de vraies pierres à proprement parler. Elles font de jolis ornements pour ceux qui ne peuvent se payer un tel luxe, mais… bon. »
Motoko et Lany qui regardaient les pierres avec un certain intérêt les lâchèrent soudainement.
« Père, j'ai enfin les coquillages ! annonça une voix d'adolescent.
- Tu en as mis du temps, Akoni ! s'écria Karbo. »
Le dénommé Akoni possédait des yeux vert émeraude. Décidemment, il n'avait pas retenu des yeux de Karbo pour ce gène-là. Il avait cependant les cheveux de la même couleur de Karbo, mais détachés et lisses qui lui arrivaient un peu en bas des épaules. Akoni regarda la famille de Balsa et crut même que Shozen était son mari.
« Tu allais vendre des choses à cette famille, Père ?
- Ils sont capricieux, lâcha-t-il, encore rancunier de la remarque d'Alika sur ses pierres. »
Alika remarqua que sa mère semblait encore troublée. Balsa intérieurement cherchait à savoir qui était cet adolescent avec celui qu'elle appelait Karbo, mais qui s'autoproclamait comme étant Seishin. Alors l'unique façon que sa fille aînée trouva pour avoir des informations fut de lire son énergie et son aura. Elle récolta assez de détails sur Akoni pour pouvoir renseigner sa mère plus tard.
« On y va, les enfants, annonça Balsa. »
Alors qu'ils étaient plus loin, Motoko demanda qui était cet homme.
« Hé bien, j'ai cru que c'était un ancien garde rival que j'ai combattu à l'époque avant que tu ne naisses. Mais il semble avoir une amnésie me concernant… peut-être que c'est son karma de guerrier que ma lance a séparé de lui qui a créé ça. Ah, peu importe, continuons notre route. »
Shozen et Lany continuaient de regarder dans la direction du kiosque dudit Karbo. Alors qu'ils prenaient une pause et mangeaient des brochettes de fruits de mer, Alika sentit que le moment de dire les informations qu'elle avait récolté était venu.
« Croyez-vous vraiment que Karbo aurait eu un fils ? demanda Balsa, presque pour elle-même.
- C'est quand la dernière fois que vous avez croisé le fer ? s'enquit Shozen.
- Il y a ça presque dix-huit ans maintenant.
- Il peut s'en passer des choses en dix-huit ans alors ! Il a peut-être pris sa retraite de garde entretemps.
- Son attitude ne lui ressemblait pas… en tout cas, pas à l'ancien Karbo que j'ai connu.
- Il n'avait pas l'air hostile, commença Alika. Il était plus courroucé sur le fait que j'insulte la composition de ses fausses pierres qu'autre chose… j'ai récolté des informations concernant son fils, Akoni, juste pour toi Maman.
- Ah bon ? s'étonna Balsa.
- Oui. En lisant son flux d'énergie. Karbo a eu une aventure d'un soir avec une femme Yogoese qui est devenue son amante et ils ont eu un fils par accident : Akoni, dans ce cas-ci. Sa mère est décédée d'une fièvre puerpérale… Karbo s'est retrouvé seul à l'élever, mais en allant dans une taverne, il a rencontré une mercenaire qui a eu pitié de lui et ils sont devenus bons amis. Akoni la voit comme sa marraine. Depuis, ils vagabondent un peu partout sur la péninsule de Sangal ou Rota pour dénicher, vendre et marchander des trucs plus ou moins illégal. Son fils sait maîtriser les arts du sabre, mais pas celle de la lance.
- Hé bin, je suppose que la vie continue de suivre son cours alors. C'est quand même un avantage d'avoir une fille qui est médium, à la fois voyante.
- Pour ces informations, je suis d'accord. Il y a plein d'autres désagréments qui entrent en jeu par après. »
Le choc finit par passer pour Balsa. En quittant Sangal, ils remarquèrent qu'ils avaient tous pris du soleil et avaient bronzé.
La dernière partie de leurs vacances commencèrent une fois qu'ils se furent reposés du voyage à Sangal. Alika, Shozen, Lany et Motoko avaient été rendre visite à Nao, au village de Toumi, et n'étaient restés que trois jours; ils manquaient tous un peu d'énergie après avoir voyagé ici et là. Motoko montra aussi le coin des forges à Shozen, qui connaissait plus cette partie de Kosenkyo, pour être venu quelques fois avec des compagnons faire réparer ou forger des lames de lances et des armes.
Alors qu'Alika se préparait à aller chercher les vêtements à la boutique de Martha, elle s'arrêta en voyant la silhouette de Taiga dans la clairière, au loin, portant un colis.
« Bonjour Monsieur Jin ! le salua-t-elle fortement en faisant aller sa main, sachant pertinemment qu'il n'aimait pas qu'elle soit aussi formelle que ça avec lui. »
Il lui renvoya son salue et s'approcha.
« Bonjour Mademoiselle Alika. Tu partais à quelque part ?
- Oui. Ma famille et moi avons des commandes de vêtements prêts chez Madame Samada, donc j'ai été désignée pour aller les chercher avec mon amoureux.
- Je vois.
- Quel est ce colis ? »
Taiga lui tendit de façon très solennelle.
« Il est justement pour toi, avec une lettre et un objet que seule toi peux savoir de quoi il en retourne. J'étais venu il y a deux semaines, mais personne n'était à la maison, et comme c'était important, je n'ai pas voulu le laisser à l'air libre, aux mains de voleurs.
- C'est gentil ! »
Alika prit le paquet, ravie.
« Veux-tu un thé ? l'invita-t-elle. Quitte à avoir fait toute cette route…
- Refuser une telle hospitalité est impoli. Mais tu n'étais pas sensée partir ?
- Oui, mais les vêtements peuvent attendre. Ils ne prendront pas leurs jambes à leur cou, rit-elle. Sauf s'il existe un sortilège qui leur donne vie… comment va Hyoku, d'ailleurs ? A-t-il encore ses oreilles de chats et sa queue ? »
Taiga essaya de garder une tête sérieuse, mais ses lèvres trahirent son expression quand les coins se soulevèrent.
« Il vient de les perdre il y a deux jours…
- Oh… je vois. Ça duré plusieurs semaines. Ça dû être… compliqué.
- Compliqué, c'est le cas de le dire. »
Entendant une autre voix accompagner celle de sa fille, Tanda passa la tête à travers la porte et sourit en voyant leur messager habituel. Laissant leur invité aux bons soins de son père, Alika en profita pour aller vers son futon, prendre Lany et Shozen par le bras pour parler de « politique ».
« Mais quel est ce sourire qui envahit ton visage, bella ? s'amusa-t-il, intrigué.
- J'ai le collier, Shozen ! s'égaya-t-elle.
- C'est vrai ?! »
Lany avait eu vent de son plan pour échanger le collier Talsh de la reine Naiyana pour un nouveau de rang royal. Avec précaution, Alika ouvrit une partie du paquet et l'or qui s'y reflétait confirma le contenu.
« Je n'ai toujours pas eu le temps de lire la lettre de mon Niisan qui allait avec…
- Pourquoi ne pas le faire maintenant ? proposa Lany.
- Parce que ça attirerait trop l'attention… je le ferai ce soir quand la famille sera majoritairement couchée. Et comme je ne veux pas revenir trop tard, je voudrais aller chez Martha le plus tôt possible.
- À pied ou à cheval ? demanda Shozen.
- Tu es drôle ! On y va à cheval, car je me sens très paresseuse. Tu viens avec moi, ordonna-t-elle.
- Compris, chef. Et toi, Lany ?
- Je reste avec Motoko. On avait prévu d'aller faire quelques emplettes au Bas Ougi. »
Le couple passa le salut à Taiga et préparèrent le cheval. La route semblait bien moins longue en bonne compagnie. Pour faire changement, Alika prit une route plus au sud-ouest et traversa les plaines et les forêts, plutôt que de passer par Kosenkyo qui regorgeait constamment de vie.
« Aimes-tu tes vacances, jusqu'à présent ? s'informa-t-elle.
- Oui. Je ne me souviens pas avoir eu autant d'amusement depuis longtemps déjà. Et cette chaleur ne me déplaît pas. Ça fait différent.
- Ma famille t'aime beaucoup, tu sais.
- Je les adore aussi… surtout les petits jumeaux. »
Ils arrivèrent enfin à Shirogai, où les portes étaient ouvertes pour les visiteurs. Alika arrêta leur cheval et ils mirent pied à terre. Elle poussa la porte qui émit le son d'une clochette. Il n'y avait personne à l'accueil, mais bientôt, Martha apparut.
« Bonjour Alika ! Bonjour Shozen ! les salua-t-elle chaleureusement.
- Bonjour Martha. Nous venons récupérer nos vêtements. Nous ne sommes pas venus plus tôt, car nous étions en vacances à Sangal.
- Je l'ai déjà dit à ta mère Alika : vous passez quand vous le pouvez !
- Asura n'est pas là ?
- Elle est en congé aujourd'hui.
- Oh, je vois. Elle le mérite bien. »
Martha se rendit dans une pièce à part et remit la pile de vêtements à ses clients. Shozen ramassa sa tenue et observa le travail qui avait été effectué.
« Wow, ça ne paraît plus !
- On dit que Martha fait des miracles, dit Alika.
- Dans la mesure du possible, la reprit Martha. Il y a parfois des vêtements qu'on ne peut pas sauver, sauf si vraiment la personne tient à le garder… malgré que ce soit un amas de fibres et de tissu. »
Il y eut une petite pause.
« Au fait, Balsa m'a fait part de la nouvelle.
- Quelle nouvelle ? s'intrigua Alika.
- Toi et ton amoureux n'allez pas vous marier prochainement ?
- Euh… c'est dans nos plans. Dans quelques années, oui, mais pas pour demain.
- Ça me rappelle que j'ai déjà fait une belle robe pour ta mère.
- Il y avait une occasion spéciale pour ?
- Non. C'était un présent qui venait du fond du cœur : elle était de couleur bleu profond tel un ciel d'automne, avec de la broderie en or. Ta mère la peut-être encore. »
Alika fouilla dans sa mémoire. Elle ne se souvenait pas d'avoir vu sa mère dans une robe comme le décrivait Martha. Peut-être que le vêtement n'entrait pas dans les goûts ou la palette de couleur de Balsa, tout simplement… ou qu'elle l'avait oublié au fil du temps. Encore, est-ce qu'elle lui ferait après toutes ces années ? Le bleu n'était pas non plus dans la palette de couleur d'Alika, mais elle savait que Lany aimait cette couleur, dans tous ses tons et nuances.
Ils quittèrent la boutique Samada et retournèrent au refuge avec le gros sac de vêtements qui avaient été altérés. Trop ravi de ravoir son uniforme, Shozen se changea à nouveau dans un soupir d'aise.
« Je me sens mieux ! annonça-t-il. »
Balsa ne put s'empêcher de voir le style vestimentaire de Jiguro Musa à travers son futur gendre. Alika lui fit part de sa robe bleue que Martha lui aurait offert, des années plus tôt.
« J'ai complètement oublié ce vêtement au fils des années, avoua-t-elle. Mais je ne l'ai jamais jetée, même si je ne l'ai jamais portée. Je doute que maintenant elle me fasse, car j'ai quand même changé physiquement depuis. La faute à mes enfants et la ligne du temps, principalement. Est-ce que tu la voudrais si je parviens à la retrouver ?
- Hum… le bleu n'est pas ma couleur. Mais… Lany et Motoko pourraient très bien l'avoir si elles continuent de grandir. »
Sa mère monta au second étage et ouvrit la garde-robe. Elle bougea les différents kimonos, robes kanbalese et uniformes Yakue. Enfin, elle tomba sur ladite robe qui possédait un col maho, avec une encolure en forme de goutte et était fendu des deux côtés. Le biais était en or et divers motifs étaient brodés dans du fil doré avec des incrustations de perles colorés. Balsa redescendit au rez-de-chaussée, arrivant dans le salon qui servait de chambre à coucher.
« Les filles, les appela-t-elle, à l'intention de Lany et Motoko. Aimez-vous la couleur de la robe ? »
Les deux adolescentes levèrent les yeux vers Balsa, intriguées.
« Oh wow, elle est super jolie ! se pâma Motoko. C'est pour une occasion spéciale, Maman ?
- Pas vraiment. J'ai toujours eu ce vêtement, mais je ne l'ai jamais porté… et je crois qu'elle ne me fait plus dorénavant. J'aimerai lui donner une donner une seconde vie.
- Alika-Onee-ny-chan ne la veut pas ?
- Ce n'est pas ma palette de couleur, malheureusement, résonna sa voix dans la cuisine.
- Oh… et toi, Lany ? Est-ce que tu la veux ? »
Il est vrai que les yeux de Lany restaient rivés sur le vêtement.
« Hé bien, j'aime beaucoup la couleur. C'est sûr que comme je m'entraîne souvent, je ne la porterai pas quotidiennement, mais…
- Si tu la veux, je te la donne, ça va me faire plaisir, la rassura Balsa. Tu n'as pas encore fini de changer physiquement, non plus.
- En es-tu sûre ? Motoko ne la voudrait-elle pas ?
- On pourrait se la partager comme ma robe que tu m'as redonnée ! s'égaya Motoko. Mais de base, je pense que la robe de ma Maman est à toi.
- Alors je la prendrai. »
Balsa lui tendit avec un doux sourire. Lany prit le vêtement comme si c'était une chose précieuse en soit avec un « merci ».
Le festival Hanma approchait à grand pas. Encore une fois, la famille de Balsa s'était préparée pour séjourner à Rota cette fois-ci, avec quelques jours d'avance pour visiter la province de Rakul, là où se tiendrait l'événement.
Nao était de la partie avec Maho et il ne se gênait pas pour rappeler à sa grande sœur que physiquement, elle était désormais « plus petite » que lui.
« Par contre, tu as encore du chemin à faire pour atteindre la taille de Shozen, rétorqua-t-elle, faisant mine d'être offensée.
- Je doute que Nao arrive à surpasser Shozen, intervint Tanda. »
Shozen se gratta le derrière de tête.
« Je suis un peu plus grand que la moyenne des hommes à Kanbal… et j'ai rarement rencontré une personne plus grande que moi. J'ai retenu de la taille de ma mère, et non pas de mon père.
- Ce n'est pas commun, commenta Nao.
- Non, effectivement. Mais mon père n'a jamais éprouvé un complexe face à ça. Il l'aime, après tout.
- C'est le plus important, termina Tanda. »
Pour faire différent, ils avaient choisi d'y aller à pied sans emprunter de montures. Ça changeait de la routine et c'était anti-anxiogène. Ils campèrent une nuit à la belle étoile, écoutant Nao réciter des histoires et légendes Yakue qu'il avait mémorisé au fils des années. Même s'ils étaient principalement en sécurité au Nouvel Empire de Yogo, Shozen se porta volontaire pour faire des tours de gardes en compagnie de Balsa. Dans l'une de ses poches, il caressait une petite boîte en bois.
En arrivant enfin dans la province de Rakul, Jiguro se mit à écouter des conversations entre les clients, et en attrapa en Yogoese.
« Il y a des coyotes qui rôdent ces derniers temps, ici. Fais attention à tes choses, disait l'un d'entre eux.
- Il y a plus dangereux que des coyotes et ce sont les loups, répliqua son ami. »
Des loups ? déglutit nerveusement Jiguro. Et des coyotes ?
Prit par la peur, il se dépêcha d'aller proche de Balsa et tira sa main pour avoir son attention.
« Qu'est-ce qu'il y a, Jiguro ? demanda sa mère.
- J'ai entendu dire qu'il y avait des coyotes et e des loups qui rôdaient par ici, murmura-t-il, paniqué.
- Nous dormirons dans des auberges, et non pas à la belle étoile, tenta-t-elle de le réconforter.
- Mais si on est dehors pendant le festival et que les coyotes nous attaquaient ?
- Je suis sûr que les organisateurs sont au courant et qu'ils ont posé des pièges un peu partout, essaya Shozen qui suivait leur conversation. Et puis, je serai-là pour vous défendre, toi et Karuna. »
Les yeux de Jiguro brillèrent de soulagement. Par simple mesure de précaution, mêlé à de la paranoïa, en arrivant leur chambre d'auberge, Shozen souleva les draps et les tapis tout en regardant les coins de mur. Par chance, il n'y avait pas d'araignées de caché. Il alla ensuite voir l'aubergiste pour avoir plus d'informations sur les coyotes et les loups.
« Ils ne risquent pas de se mêler à la foule lors du festival, lui répondit le monsieur à l'accueil. La majorité des chasseurs Rotan ont décidé de les chasser, car il semblerait qu'ils soient surpeuplés. Ils ont commis pas mal de ravages sur les fermes de campagne, mais très peu en ville.
- Ont-ils déjà attaqué des personnes ?
- Il y a eu très peu d'incidents de ce genre rapportés, mais nous ne sommes jamais trop prudents pour mettre des mises en garde.
- Je vois… et sinon, quelles sortes d'activités y a-t-il avant le festival ?
- Les bébés tortues de mer sont sur le point d'éclore. Afin de leur donner toutes les chances de survie, nous les prenons dans ses seaux et les emmenons jusqu'à la mer pour éviter que les mouettes, crabes et autres prédateurs les avalent tout rond.
- Oh, c'est intéressant. Est-ce de jour ou de nuit ?
- En tout temps, jusqu'à ce que la saison de l'éclosion termine.
- Merci beaucoup pour les informations ! »
Content, il retourna dans la chambre, réconfortant ainsi Jiguro et Karuna. Motoko était toute égayée de pouvoir participer à l'éclosion des bébés tortues de mer et Lany ne s'y opposa aucunement, même si c'était proche de la mer. Ils mangèrent un plat appelé massal en soirée, qui était du porc effiloché mélangé à des œufs. Le plat entier était frit avant d'être servi.
Il n'était pas rendu très tard dans la soirée, quand une sonnette retentit dans les rues comme un avertissement. Shozen alla sur son balcon de chambre, en compagnie de Lany, Alika et Balsa.
« Des coyotes ! avertit un des messieurs. Mettez-vous à l'abris et laissez les chasseurs faire leur travail ! »
Les jappements des bêtes se firent plus audibles. Balsa comprit qu'ils étaient tout proche de leur auberge, à quelques mètres à peine. Tanda essaya de calmer les jumeaux avec Motoko, car ceux-ci restaient le plus loin des fenêtres et des portes.
« L'aubergiste avait dit qu'ils venaient rarement dans la ville, murmura Shozen. Bon… j'ai peut-être une idée.
- Hein ? s'exclama Lany.
- Je ne sais pas si ce sont les œufs qu'il y avait dans le massal, mais j'ai mal au ventre… - … Oh, Yoram ! Non !
- Je me demande si ça les ferait taire ?
- N'ose pas, Shozen, n'ose pas !
- Je ne t'ai jamais dit que Koda et moi s'amusions souvent à faire des concours de—
- NON ! »
N'écoutant pas les supplications de Lany, il se mit à sourire et lâcha une énorme et résonnante caisse. Le son retentit à travers la rue et les coyotes se turent d'un seul coup, ou presque comme un seul avait encore jappé comme s'il demandait si « vraiment » un humain avait osé les interrompre.
« DÉGUEU ! s'insurgea Lany en rentrant à l'intérieur. T'es pire que mon frère Koda ! »
Balsa et Alika éclatèrent d'un fou rire.
« Hé ! résonna une voix voisine. Tu penses vraiment que t'as le contrôle, dude ?! »
C'est alors que le voisin se laissa aller également, changeant l'atmosphère en concours de celui qui faisait le plus fort pet. Shozen décida de rentrer à l'intérieur, ne désirant pas prendre la responsabilité de ce qui se passait à l'extérieur en dehors des coyotes. Lany était encore en train de pester contre son compagnon.
« Mais avoue que c'était drôle, tenta-t-il de la dissuader. Tu ne peux pas t'empêcher de rire, quand même.
- Vraiment Shozen… t'es pas possible ! grogna-t-elle.
- Je pourrais réchauffer les couvertures en hiver, continua-t-il.
- Fais-le avec Alika, mais pas avec moi. »
Il décida d'aller voir les jumeaux dans la chambre voisine qui se jetèrent contre lui, dans ses bras.
« Nous sommes au second étage, les consola-t-il. Les coyotes ne peuvent pas venir ici. Où est Nao ?
- Sur notre balcon, indiqua Tanda. »
En gardant Karuna et Jiguro proche de lui, Shozen rejoignit Nao. Il semblait psalmodier dans la langue Yakue, ses deux mains devant lui, formant un triangle avec ses index et son pouce. Shozen croisa le regard de Maho.
« Qu'est-ce qui se passe ? murmura-t-il.
- Nao est en train d'invoquer un sort qui pourrait repousser les coyotes de façon naturelle avec les énergies, le renseigna-t-elle.
- Comment ?
- C'est un sort très ancien Yakue qui est en relation étroite avec la nature. »
Rien ne brisait la concentration de Nao qui gardait les yeux fermés. Les jappements des coyotes avaient repris, mais peu à peu, Shozen pouvait apercevoir leurs ombres et leurs yeux brillants se reculer dans la nuit. Une brume lécha le sol, se dispersant partout dans la ville et les environs. La brise sentait légèrement sucré. Nao sembla reprendre contact avec la réalité, clignant plusieurs fois des yeux. Il croisa le regard de son beau-frère et Shozen nota que les pupilles de Nao étaient un peu plus dilatées que la normale.
« Tout va bien, Nao ? s'inquiéta-t-il.
- Oui.
- Tu as les pupilles dilatées… c'est intense.
- Pourtant, je n'ai pris aucune substance illicite. C'est sûrement le sortilège qui me fait ça.
- Tu as créée tout ça par toi-même ? s'impressionna-t-il.
- Pas "totalement" par moi-même… d'autres magic-weavers ont senti que j'invoquai un sort de répulsion et m'ont aidé. En gros, ça a été plusieurs énergies combinées pour un seul but.
- C'est très impressionnant. Et tout ça, grâce à ta profession de compteur au village de Toumi ?
- Oui, et mon apprentissage de la magie.
- Les coyotes sont partis pour de bon ? demanda timidement Karuna.
- Oui… du moins, pour le temps du festival. »
Ils entrèrent de nouveau dans la chambre. Collés l'un contre l'autre, les jumeaux arrivèrent à se calmer et à dormir, veillés par Nao et leurs parents.
Le jour suivant, ils se retrouvèrent sur une des plages Rotan pour l'éclosion des œufs de tortues de mer. Alors que Motoko et Maho mettaient les tortues en sûreté dans leur seau de bois pour les emmener à la mer, Lany et Shozen préférèrent capturer les petits crabes.
« Ne te fais surtout pas pincer le doigt, la prévint-il. Tu ne la trouveras pas drôle et tu vas être fâchée pour le reste de la journée.
- Regarde ce que tu fais d'abord, rétorqua Lany. »
Shozen évita une petite pince de justesse. Lany lui tira la langue et se mit à rire.
« Ils ne sont pas assez gros pour être manger, hein ? demanda-t-il.
- Tu pourrais en faire ton animal de compagnie, hasarda Alika, un seau remplit de bébés tortus de mer. Mais encore, faut-il qu'il survive lors de notre trajet jusqu'à la maison, et encore, il n'est pas certain qu'il tienne jusqu'à Kanbal…
- Leur place est ici… mais loin des bébés tortus. »
Il se mit à sautiller plus loin sur la plage comme retombé en enfance l'espace d'un instant, pour déposer les crabes dans une étendue d'eau. Alika ne l'avait jamais vu agir ainsi depuis qu'ils se connaissaient.
La place du festival était décorée du thème des étoiles partout où ils allaient. Des lanternes en passant par les peintures. Même les bams, des pains sans levure, avaient été façonnés et cuits de manière à avoir une forme étoilée. Pour Balsa, elle trouvait ça démodé et exagéré. Elle comprenait que c'était pour rendre hommage à la déesse Hanma, mais trop ce n'était comme pas assez. Tanda, par contre, était le total contraire. Il venait de retrouver son cœur d'enfant naïf et s'amusait à compter tout ce qui avait une forme d'étoile sur leur passage avec ses plus jeunes. Ses yeux pétillaient de joie.
Les festivaliers étaient majoritairement habillés dans des vêtements flamboyants de couleur bleu, mauve et gris – symbolisant la couleur argentée des astres – et des familles de toutes les ethnies et groupes sociaux se mêlèrent à la foule.
Shozen se sentait étrangement nerveux. Lui, qui avait normalement un contrôle total sur ses émotions, se retrouvait dans une tempête d'émotions internes très intense. Il voulait le faire devant un publique, et pas n'importe quel publique : devant la famille d'Alika en entier. Il avait vu et revu son plan et choisit le moment précis où il devrait faire l'action.
« On pourrait aller voir les feux d'artifices sur le pont ? demanda Nao.
- Le pont ? questionna Balsa.
- Oui ! Il y a un pont par-dessus la rivière qui donne une bonne vue sur les feux d'artifices. Sinon, j'avais pensé à une colline.
- Je ne me sens pas à l'aise sur un pont, avoua Lany, alors je pense que la colline sera l'option pour moi.
- Je suis la suggestion de Lany ! appuya Motoko joyeusement, prenant une bouchée de son bam étoilée, lequel avait été saupoudré de sucre cristallin. »
Ils trouvèrent un bon endroit, proche d'un arbre et attendirent pour les feux, jouant à un jeu de ficelle ou de devinettes. Shozen croisa le regard de Tanda. Ce dernier lui sourit comme pour le rassurer. Le guerrier tourna son attention vers Alika et prit sa main, avant de l'accoter contre lui. Les premiers feux d'artifices firent sursauter Lany, mais bientôt, leurs couleurs et leurs beautés la captivèrent. Le spectacle ne dura que dix minutes, mais il avait suffi à presque clore cette soirée. Le dernier événement qui restait était l'officialisation des unions des personnes qui s'étaient rencontrées lors du festival et désiraient se marier entre eux.
Maho insista pour aller en regarder quelques-uns. Il y avait une longue file de couples qui attendait que les deux prêtes et prêtresses les unissent. Les amants qui se mariaient buvaient trois fois dans une coupe avant de recevoir un parchemin qui officialisait leur couple. Après tout, les organisateurs n'étaient pas pour commander et faire forger des centaines de joncs de différentes tailles, au risque de sois en manquer, ou en avoir un surplus.
« C'est un étrange festival, admit Alika.
- Autres coutumes, autres mœurs, dit Shozen.
- J'ai tellement hâte de pouvoir vivre ce moment, se pâma Maho.
- Est-ce que des couples de même sexe peuvent s'unir lors de ce festival ? questionna Motoko en regardant les couples. Ils m'ont tous l'air normal…
- Tu sais, certains couples de même sexe se camouflent, déclara sa grande sœur. Une femme pourrait très bien s'habiller en tant qu'homme pour épouser celle qui fait battre son cœur et vice-versa.
- Oh, ça a du sens, quand j'y pense. Et c'est mignon ! »
Ou un homme pourrait se travestir et se faire passer pour une femme, ajouta Alika pour elle-même en pensant à Akira – le hunter qui avait pour pseudo Sune… ou Ribbon-Chan, d'après Mayuna…
Balsa s'approcha d'une place en particulier et pointa les différentes lanternes de papier qui étaient suspendues aux branches d'un grand arbre. Entre elles, il y avait de nombreuses petites bandes de papiers accrochées à de petits crochets de métal.
« Il s'agit de l'Arbre des vœux et des souhaits. Avec un petit bout de parchemins, vous pouvez écrire soit un vœu, ou une pensée pour des amis ou des proches, ou un couple nouvellement marié. Vous le suspendez aux petits crochets accrochés et vous pouvez même décider d'allumer une de ces lanternes.
- Oh super ! s'égaya Motoko. Je veux écrire mon souhait !
- C'est quoi ? questionna Karuna.
- Ah ! je peux pas le dire. Sinon, il va pas se réaliser. »
Son petit frère fit la moue. Shozen avait pris de l'avance sur eux et avait déjà écrit son souhait. Alika cherchait une lanterne à allumer et il l'aida à en choisir une qui était libre. Alors qu'elle était occupée à faire prendre en feu son petit bâton de bois pour donner vie à la chandelle, Shozen compris que le moment était venu. Il inspira profondément, plongea sa main dans sa poche et en ressortit la petite boîte en bois. Il mit un genou au sol et attendit qu'elle se retourne. Un murmure parcourut la foule qui fut témoin de ce geste.
Motoko allait pousser un cri d'exclamation quand Lany lui plaqua sa main sur la bouche, lui intimant de ne pas brusquer les choses. Elle avait senti que son compagnon d'arme avait été nerveux depuis quelques jours grâce à ses facultés médiumniques, mais jamais elle ne s'était doutée que c'était pour demander la main d'Alika et que son plan se déroule comme il l'avait escompté. En y réfléchissant plus en profondeur, elle avait souvent vu Tanda et Shozen s'échanger des regards silencieux. Tanda rassurait toujours son futur gendre d'un doux mouvement de tête avec un sourire réconfortant.
Alika finit enfin par se retourner et son cœur rata un battement. Comprenant la signification de son geste, et sentant tous les regards posés sur elle, y compris ceux hors de sa famille immédiate, elle cacha son visage dans ses mains, gênée et réservée. Ses ailes, au nombre de six, grandes et blanches translucides avec des brillants, s'étaient enroulées autour de son corps comme pour la protéger malgré la droite de la paire principale qui n'avait jamais repoussée. Elle était la seule qui pouvait les voir, mais elle les sentait autour d'elle.
« Oh non… Shozen, on avait dit—
- Je sais que nous en avons parlé… mais je t'aime assez que j'ai voulu faire une promesse devant ta famille et ce festival était l'occasion rêvée idéale. »
Il prit sa main et lui caressa le dessus avec son pouce. L'attention de Shozen était complètement concentrée sur Alika. Le monde ne se réduisit qu'à eux deux et plus rien ni personnes les entourait. Il avait écrit et répété ce texte par cœur depuis le début des vacances pour le mémoriser, l'imprégner dans son esprit pour que ces mots ne soient plus que des réflexes que ses lèvres articuleraient. La poésie était un point très fort chez lui, ayant peaufiné un talent particulier dans cet art en tant qu'apprentis et lanciers. Il ferma les yeux un bref instant, comme s'il priait un esprit suprême. Elle était sa déesse, la gardienne de ses nuits, celle qu'il aimait inconditionnellement par-dessus tout et laquelle il ne pourrait vivre sans, son tout. Et il parlait franchement.
« Avec cette bague de promesse, je promets que peu importe ce que le Dieu Yoram nous réserve comme épreuves de la vie, je serai toujours là, à tes côtés, sans jamais t'abandonner. Je promets de prendre soin de toi, de te tenir contre moi pendant ces longues nuits d'insomnies et être ton phare quand la tempête envahit ton esprit et que tu ne vois plus d'espoirs. Je promets d'essuyer toutes tes larmes, ainsi que récolter chaque sourire, collectionner chacun de tes rires et me tenir droit comme un volcan sans jamais flancher ni fuir quand la colère menace de faire éruption à tout moment et ravager tout sur son passage… Alika, ma douce, ma tendre partenaire de combat, tu es entrée dans ma vie comme un vrai projectile, comme une étoile filante dans le ciel et comme une lance que l'on projette dans l'air. Tu m'as bouleversé et changé pour le meilleur comme pour le pire. S'il te plaît, Alika, ma douce, prends cette bague comme étant le symbole de l'amour que je vais toujours avoir pour toi. Si cette promesse à ton cœur, à ton âme n'est pas assez, alors peut-être que j'aurais dû y penser deux fois à propos de nous. Mais même si je le ferais, je serai toujours éternellement, profondément et éperdument en amour avec toi. »
Il arrêta et plongea ses yeux bruns dans son regard. Alika avait été ému jusqu'au plus profond de son âme et elle peinait à contenir ses larmes qui rendaient ses yeux brillants.
« Oui… je te le promets, couina-t-elle. »
Alors juste à cet instant, Shozen retira de la petite boîte le jonc en argent, incrusté d'une petite pierre ronde fuchsia qui reposait autour de six petits zircons blancs qui formait une petite fleur.
« Je ne sais pas si la taille sera la bonne, dit-il alors qu'il lui glissa l'anneau à l'annulaire gauche. Mais j'ai essayé de déduire la grandeur au simple regard, et si elle est trop grande, nous la ferons rapetisser une fois de retour à Kanbal. »
Il se redressa sur ses jambes et l'embrassa sur les lèvres. La foule applaudit devant le spectacle et Tanda essuya ses larmes de bonheur qui ne cessait de rouler sur ses joues malgré lui. Shozen prit le visage d'Alika dans ses mains et l'observa encore dans les yeux. Elle y vit alors son aura, blanche avec un soupçon de vague d'énergie rose. L'aura des âmes sœurs, pensa-t-elle.
« Je t'aime, bella, susurra-t-il.
- Je t'aime aussi, Shozen… mon mien. »
Il lui fallut un moment avant de redescendre complètement sur terre et reprendre contact avec la réalité et l'environnement dans lequel ils étaient, mais Alika finit par accueillir Lany dans ses bras et Motoko qui les félicitait.
« Dommage que vous vous gardez pour le mariage, commenta Motoko.
- De comment ça "dommage" ? questionna Shozen.
- Parce que j'aurais pu parier que vous auriez pu vous amusez un peu ce soir pour sceller cette promesse.
- Motoko ! s'offusqua Nao.
- Elle a l'âme d'une grande rêveuse, s'amusa Balsa. »
L'effervescence du moment passé, ils retournèrent enfin à l'auberge. Alika observa plus minutieusement la bague.
« Est-ce pour ça que tu désirais tant regarder les bijouteries à Sangal ? devina-t-elle.
- En partie, répondit-il avec un petit sourire, gêné de voir qu'elle l'avait percé à jour. La bague n'est pas trop grande ?
- Elle tourne un peu vers l'intérieur, mais elle a une petite résistance face à ma jointure… tu as l'œil.
- Disons que j'ai eu de l'aide…
- Tu as demandé ma main à mes parents ?
- En partie. J'avais besoin de références pour la taille des doigts, mais j'ai remarqué que tu as les mains de ton père… fines, douces aux longs doigts.
- Alors ainsi, Papa et toi étiez complices de ce moment depuis le début ?
- Hé oui. Il m'a aidé à choisir la bonne taille de bague, et aidé à répéter mon texte quand tu n'étais pas dans les parages. »
Il fouilla dans ses sacs et en ressortit une autre bague. Elle était complètement en fer et faisait de petites torsades. Il se la glissa sur son annulaire gauche, changeant le jonc de cuivre qui reposait sur son majeur de la même main, pour le mettre plutôt dans son majeur droit. Alika arqua un sourcil.
« Je n'aime pas que mes bagues se touchent quand je colle mes doigts, l'informa-t-il tout simplement.
- Oh, je vois.
- Question de confort. Et celle-ci est mon alliance de promesse. Ce n'est pas encore la bague de fiançailles ni de mariage, mais… c'est un début ?
- Je dis que oui. »
Elle sourit et l'embrassa sur les lèvres. Il la renversa sur le lit et se mit à la chatouiller sous une pluie de baisers. Elle finit par devenir violente et la porte s'ouvrit sur Motoko et Lany qui revenaient de prendre un bain aux sources chaudes. Ils se redressèrent vivement.
« Ewwwww, grimaça Motoko.
- Ils n'auraient jamais rien fait ici, rit Lany. Il y a trop de monde au bercail. »
Lany fit un clin d'œil. Toujours sous l'adrénaline du moment passé, Alika se surprit à ne pas dormir avant peut-être deux heures du matin. Elle s'installa sur le balcon, sur un petit banc de bois et se mit à regarder le ciel. Les lumières étaient tamisées dans la rue de leur auberge et elle pouvait admirer les étoiles. Elle y vit quelques étoiles filantes.
Est-ce que les vœux étaient vraiment exaucés si on en voyait dans le ciel ? Alika ne le savait pas elle-même. Mais à cet instant, elle ferma les yeux et pria n'importe quelles divinités ou entités de répondre à son souhait, caressant sa bague de promesse. La chaleur du métal contre ses doigts lui indiquait à quel point sa relation avec Shozen était définitivement en train de prendre un nouveau tournant.
Je veux avoir la force de lui rendre tout cet amour qu'il mérite, même si je ne sais pas m'exprimer aussi bien que lui, souhaita-t-elle.
Note : Enfin !
J'ai finalement réussi à écrire le dernier passage, mais je dois avouer que même si c'était la partie la plus excitante que j'attendais des vacances du trio d'Alika, quand je suis arrivée pour rédiger ce moment fatidique, mon inspiration a été totalement… bloquée. Dans ma tête, ça sonnait si simple, mais mes doigts n'étaient pas en mesure de taper les mots justes ni transmettre la puissance des émotions.
J'ai donc cogité un très long moment, et tout a fini par couler librement. Nous avons donc atteint la fin de la 1ère Partie de cette fanfic – il en reste malheureusement (ou heureusement ?) 3 autres ^^" alors c'est loin d'être la fin de cette aventure !
