De sa vie, Stiles Stilinski n'avait jamais autant espéré se retrouver seul, tout comme il n'avait jamais autant espéré qu'on le laisse ainsi. Selon l'horloge murale de la chambre, cela faisait déjà un bon quart d'heure qu'Isaac l'avait ramené ici, à la demande de l'alpha. Alpha qui l'avait appelé par ce qu'il considérait comme son nom mais qui était en réalité un surnom que son père lui avait trouvé lorsqu'il était petit. D'après ses souvenirs, c'était sa mère qui avait choisi son prénom, que personne n'avait su prononcer – pas même son propre mari, pourtant d'origine polonaise. De fait, il avait grandi aux Etats-Unis et n'avait jamais appris un mot de polonais, au contraire de sa femme, parfaitement bilingue.

Stiles avait grandi ainsi et ne s'était jamais départi de ce surnom qu'il considérait comme son véritable prénom. Pourquoi pas, après tout ? Mais pour une fois, juste pour une fois il aimerait que ce surnom n'ait jamais existé. Il aimerait qu'on ait plutôt tenté de prononcer son affreux prénom – c'était lui qui le jugeait ainsi –, de cette façon, il aurait pu tenter de mentir, de faire quelque chose pour détromper cet alpha de malheur qui avait, désormais, une information de taille le concernant.

Et Stiles soupçonnait son ancienne meute d'y être pour quelque chose, ce qui signifiait… Qu'elle n'était pas loin d'ici, qu'elle l'avait plus ou moins retrouvé. Et si, techniquement, elle ne pouvait pas le reprendre ainsi à un autre alpha, le jeune homme était conscient qu'un échange restait possible. Toutefois, il voyait mal ce qu'on pouvait donner à ce Derek en échange de sa personne. Stiles savait son espèce d'une rareté indéniable et était suffisamment lucide pour imaginer tout un tas de scénarii possibles. L'idée que Derek veuille le garder lui traversa bien évidemment l'esprit. Une fois qu'on le trouvait, on ne voulait que rarement le laisser partir… A moins que son ancienne meute propose une compensation suffisamment alléchante pour qu'on leur livre l'être qui avait fui leurs rangs. Cet être à la nature floue, qu'on ne nommait pas. A quoi bon donner un nom à une espèce destinée à n'être rien de plus qu'un outil ?

Outre ses réflexions froides et logiques, l'autre partie de Stiles angoissait. De manière plus générale, elle s'effondrait. Le jeune homme, qui se pensait déjà détruit, découvrait qu'on n'avait finalement pas fini de le briser. Qu'on trouverait toujours quelque chose, un espoir à écraser. Et même si l'on n'aurait jamais son obéissance complète en tant que telle, Stiles avait, d'un autre côté, abandonné depuis un moment l'idée de vivre libre. C'était en cela qu'il admirait la mort : elle seule le laisserait voguer au vent, elle seule briserait ses chaînes.

Et pourtant, il ne lui vint pas à l'esprit d'essayer de faire revenir Isaac pour tenter, encore, de le corrompre. D'obtenir de lui qu'il le tue à petits feux, de le manipuler jusqu'à ce qu'il s'exécute. Stiles était certain qu'il finirait par venir à bout de cette gueule d'ange et que celle-ci lui révèlerait bientôt l'ampleur de la part sombre que tout loup-garou avait en lui.

Pour autant, ce n'était pas là son envie première. Non, là, ce qu'il désirait, c'était ni plus ni moins se recroqueviller sur lui-même, sur ce lit beaucoup trop confortable pour être réel. Dès le départ, cet endroit avait eu pour lui l'image et la forme d'une cage dorée. Qu'en était-il maintenant qu'il se savait définitivement condamné ? Aujourd'hui c'était son surnom, et demain ? Son identité, c'était ce qu'il avait de plus précieux à l'heure actuelle – sa virginité mise à part mais ça, c'était une autre histoire. Alors entendre son nom prononcé par un loup-garou… Lui donnait l'impression qu'on lui avait arraché le peu d'intimité qu'il avait encore. S'il se savait condamné, il avait toujours réussi à conserver quelques petites choses pour lui, rien que pour lui… Ne serait-ce que pour se donner l'illusion d'avoir encore le contrôle sur certains aspects de lui-même.

Là encore, c'était vain.

Ainsi, Stiles se renferma davantage sur lui-même, complètement cassé, persuadé que ce n'était plus qu'une question d'heures avant que sa vie reprenne une tournure infernale. Quoiqu'au final, l'enfer n'avait jamais réellement cessé.

Le sursis qu'on lui avait offert n'était rien de plus qu'un cadeau empoisonné dont il ne voulait pas. Parce que c'était toujours très dur, de se dire que rien n'était terminé, que tout allait recommencer incessamment sous peu. Là, on le laissait se reposer… Pour mieux le vider plus tard. Stiles n'était pas dupe : il ne le serait jamais. Ses mains gantées étaient la preuve de sa captivité mais aussi de sa faiblesse. Il était arrivé à un stade où il n'était même plus capable de réguler ce qu'il donnait – ce qu'on lui volait. Ce fait lui conférait, pour le coup, un avantage conséquent : car dès lors qu'Isaac tomberait dans le panneau, Stiles pourrait enfin se libérer de cette prison que représentait son corps, bien trop usé par la vie alors qu'il n'avait que dix-huit ans.

Mais même là, Stiles n'était pas certain qu'il tenterait à nouveau d'amadouer Isaac. Pas tout de suite, en tout cas, pour la simple et bonne raison qu'il était complètement démoralisé. Il n'avait l'énergie de rien, pas même d'essayer de tout mettre en œuvre pour se libérer de cette vie de servitude en mourant. Son regard vide fixait le néant alors que son cœur battait encore un peu trop vite. Le corps du jeune homme n'appelait qu'à dormir, encore et encore, des heures durant. Mais Stiles n'y arriva pas tant le mal-être qui l'habitait grandissait à vue d'œil. Il n'avait plus rien. Plus rien. On lui avait tout pris, tout volé. Que lui restait-il ? Pas grand-chose, si ce n'est son éternelle résistance. S'il avait tout fait pour fuir son ancienne, meute, ce n'était pas sans raison. Il avait réussi là à préserver quelque chose auquel on n'avait encore jamais touché, quelque chose qu'il considérait comme précieux juste parce qu'il l'avait toujours.

Dès lors où on lui arracherait ça, Stiles serait définitivement perdu. Il était un outil, mais il n'avait pas envie que son corps le devienne complètement à son tour. Disons que c'était tout ce qu'il lui restait réellement, outre sa résistance : son intégrité physique.

Il ne voulait pas la perdre et c'était exactement pour cette raison qu'il avait trouvé la force de fuir, parce qu'il avait eu vent des projets prochains que son ancien alpha avait le concernant. C'était là, qu'il avait ressenti cette impulsion de la dernière chance, qu'il avait tout donné pour échafauder son plan et s'en aller, qu'il s'était débrouillé pour se procurer une certaine dose d'adrénaline, qu'il avait pu récupérer sa Jeep… Et tout ça pourquoi ?

Pour revenir au point de départ. Redevenir un esclave qu'on se passait de mains en mains.

Et bientôt, d'une autre manière, toute aussi sordide, si ce n'est plus.

Ainsi, Stiles ne réagit pas lorsque la porte finit par s'ouvrir et se refermer. S'il vit des jambes s'avancer dans sa direction, il n'en eut cure. Il avait les mains bien en évidence, les gants prêts à être retirés. Si l'on se servait, il ne résisterait pas, puisque ladite résistance concernait uniquement sa personnalité. On avait beau s'être emparé de son nom, on ne lui volerait pas réellement son identité, qui il était ni ce qu'il valait.

Enfin à ce stade-là, Stiles n'était plus vraiment sûr de rien, mis à part du fait qu'il mourait d'envie de disparaître de la surface de la terre le plus tôt possible. Pouvait-on au moins lui accorder cela ?

- Hey, est-ce que je peux… T'appeler Stiles ?

Le concerné n'avait même pas envie de répondre. A l'intérieur, il était mort – définitivement. Ainsi, il continuait de se demander, sans trop de convictions toutefois, pourquoi Gueule d'ange continuait de s'enquérir de son avis pour tout. Ce n'était pas ainsi qu'on se comportait avec un être inférieur, un esclave. Stiles avait l'habitude qu'on lui impose tout un tas de choses, pas qu'on cherche à gagner sa confiance. De source sûre, il ne la donnerait pas.

- Bon, est-ce que… Tu m'autorises à m'assoir ? A rester un peu avec toi ?

Stiles n'eut pas l'énergie de répondre – encore. A la place, il ferma les yeux. Qu'on fasse ce qu'on voulait de lui, qu'on lui prenne son énergie : il n'en avait cure.

Il eut néanmoins la surprise d'entendre des bruits de pas s'éloignant… Et la porte s'ouvrir, se fermer. Lorsque Stiles rouvrit les yeux, Isaac était parti.