Stiles agissait en automate et s'était muré dans un silence des plus inquiétants. Isaac avait bien essayé de le faire parler à la demande de Derek, mais… Rien. Il refusait de décrocher un mot et se laissait faire d'une horrible manière. Si on lui disait de manger, il s'exécutait. Si on le prenait par le bras pour l'emmener dans une autre pièce, il ne résistait pas. Si on lui disait de rester là où il était, il ne bougeait pas. Son odeur ? D'une puanteur difficilement supportable. Si l'on savait qu'il allait plus mal que jamais, on ne savait que faire pour lui changer les idées ou même lui montrer qu'on n'irait rien faire contre sa volonté. Isaac n'osait d'ailleurs pas trop forcer, choisissant de tout mettre en œuvre pour lui laisser le plus d'espace possible. Peut-être que de cette manière, il comprendrait ? Rien n'était moins sûr. Du peu qu'Isaac le connaissait, le châtain était une tête de mule. Lui faire changer d'avis semblait ardu et ce, peu importe le sujet.

Maintenant, restait à savoir ce qu'on allait faire de lui. Car si Derek avait eu une idée et qu'il lui en avait fait part, Isaac ne saurait affirmer avec certitude si elle était bonne ou… Extrêmement mauvaise. En fait, c'était un plan à double tranchant. Si les soupçons de Derek s'avéraient juste, tout devrait bien se passer. En revanche, s'il s'avérait qu'il avait eu tort, qu'il avait surinterprété ce qu'il avait senti et cru comprendre… Les choses risquaient de se gâter. Pourtant, l'alpha était intimement certain de ne pas s'être trompé. Il ne pouvait cependant écarter le doute qu'il assaillait. Il avait tant envie de bien faire, tant envie de faire bien… Qu'il se mettait une pression conséquente et doutait.

Cet adolescent, vraisemblablement du même âge qu'Isaac… Derek le voyait un peu comme un membre de sa meute et ce, même s'il ne le connaissait pas le moins du monde. Disons qu'il captait sa détresse, décelait tant de désespoir chez lui qu'il ne désirait qu'une chose : le protéger comme s'il était l'un des siens. C'était ça son truc, à Derek, ça qui faisait de lui un alpha d'exception. Isaac le disait souvent d'ailleurs et Alan Deaton, l'espèce d'émissaire de la meute, le lui confirmait toujours sans un mot.

La confiance de cet homme était aussi inestimable que dure à gagner, d'autant plus qu'elle n'était pas acquise. Cela signifiait donc qu'il ne lui aurait pas confié la « garde » de cet être de lumière sans raison, encore moins s'il le pensait capable de ne pas prendre soin de lui. Et c'était ce que Derek faisait sans trop se montrer. Stiles – Hale gardait en tête sa réaction fort parlante à son test – avait peur de lui : il craignait les alphas tout autant qu'il les haïssait. Au vu de son épuisement bien réel, de sa maigreur et de son attitude sempiternellement méfiante, Derek comprenait aisément pourquoi.

Isaac aussi.

- Arrête de douter, je… Je pense que ça va bien se passer.

Le plus jeune avait la main sur l'épaule de son aîné, dont il sentait l'appréhension depuis qu'ils étaient levés. La tension de Derek lorsqu'il avait fait le test de « Stiles » n'était rien face à ce qu'il ressentait en ce jour. Au lendemain de sa découverte dans la Jeep que le shérif lui avait mis à disposition, l'alpha ne savait que faire. S'il avait la chance d'être capable de garder son sang-froid, cela ne l'empêchait pas de se sentir extrêmement nerveux.

- Il arrive à quelle heure ? S'enquit Isaac sans rompre le contact.

- Bientôt, fut tout ce que consentit à répondre Derek. Stiles est réveillé ?

Isaac avait du mal à l'entendre prononcer ce surnom qui faisait l'effet d'un nom. S'il se souvenait très bien de la manière dont le châtain avait réagi lorsque Derek l'avait appelé ainsi, il avait du mal à se dire que… C'était bien ça. A côté de cela, « Stiles » ne lui avait pas donné l'autorisation lorsqu'il lui avait demandé s'il pouvait l'appeler de cette manière et l'air de rien, même s'il n'en avait pas besoin, il s'agissait d'une chose à laquelle tenait. Oui, il ressentait le besoin d'avoir son accord, de lui faire comprendre qu'il avait le droit d'émettre son avis, quel qu'il soit. Au diable la meute qui avait tout fait pour le détruire : le châtain montrait, par son côté têtu, qu'elle n'avait rien brisé de sa personnalité. Elle l'avait rendu docile, oui. Mais Stiles restait Stiles et montrait sa personnalité d'une autre manière, en mettant notamment en valeur sa lucidité et son côté têtu qu'il était impossible de nier.

- Il l'est.

Isaac n'avait pas cherché à lui dire qu'il pouvait le sentir à l'aide de ses sens : si Derek lui avait demandé si leur invité était réveillé, c'était parce qu'il se concentrait sur autre chose… Le contrôle qu'il exerçait sur lui-même, peut-être. Garder son sang-froid s'avérait graduellement plus difficile au fur et à mesure que le temps passait. La pression qu'il se mettait était faramineuse, vraiment.

Parce qu'au final, c'était la santé mentale de deux êtres qu'il mettait en jeu. Stiles par son désespoir. Noah Stilinski par son deuil qu'il n'avait jamais réellement pu faire. Il n'avait pas réussi et au final… Pas sûr qu'il ait désiré faire les efforts adéquats pour cela. Par manque de forces, sans doute. Le shérif avait déjà perdu sa femme il y a quelques années de cela : nul doute que celle de son fils avait été trop dure pour qu'il l'accepte. Pour autant, Noah était toujours resté plus ou moins lucide à ce sujet, ce qui ne l'avait pas empêché de ne pas complètement accepter la situation. Stiles était avec lui un sujet tabou, la boîte de Pandore qu'il avait été forcé d'ouvrir à cause de cette Jeep maudite apparue récemment sur son chemin.

Alors oui, Derek espérait vraiment que son idée n'irait pas foutre davantage en l'air la vie de ces deux âmes torturées par la vie. Dans d'autres circonstances, il aurait pu passer outre et intégrer directement Stiles à sa meute, pour lui apprendre que sa vie avait tout autant de valeur que celle des autres, que son opinion et sa liberté comptaient tout autant. Sa nature le rendait spécial, certes, mais l'on ne devait pas le considérer différemment des autres. Le traiter comme un esclave, encore moins.

Dans la configuration actuelle, organiser une rencontre entre Stiles et le shérif était plus que nécessaire, ne serait-ce que pour vérifier l'hypothèse de Derek de manière définitive et… Mettre fin également aux doutes de Noah, qui le rendaient peu à peu malade. Dans la police, l'alpha avait un contact avec l'adjoint du shérif qui le tenait régulièrement au courant de son état, lorsqu'il n'allait pas le voir lui-même… Et les nouvelles n'étaient pas très bonnes. Ainsi, il fallait mettre fin au suspens rapidement. Ou Stiles était le fils disparu et probablement mort du shérif, ou il ne l'était pas. Seule cette entrevue permettrait de répondre à cette question plus qu'épineuse.

Dans les deux cas, Derek ferait au mieux pour prendre soin de cet humain un peu spécial qui ne méritait rien de plus que d'avoir les mêmes droits et la même liberté que n'importe qui. De fait, il ne le laisserait pas tomber. Car même s'il s'avérait être le fils du shérif… Il faudrait qu'il soit protégé, au moins pendant un temps. Ensuite, libre à lui de rejoindre la meute ou non. Simplement, Derek ne pouvait pas continuer sa route sans s'assurer que le châtain soit parfaitement bien entouré. Ça, c'était un côté qu'il tenait de sa défunte mère, une alpha avec de solides valeurs qu'elle s'était efforcée de transmettre à tous ses enfants.

C'était réussi.

Isaac, de son côté, se retrouvait dans une impasse, à ne pas savoir quoi faire pour soulager et son alpha, et le châtain, à l'étage. Disons que l'état du premier ne faisait que le tendre, le rendre anxieux, tandis que celui du second le préoccupait réellement. Disons que Derek était stable mentalement. Quant à Stiles – il devait commencer à essayer de s'y habituer –, les choses étaient bien plus délicates qu'on pouvait seulement l'imaginer. En un sens, il était brisé et muré dans cette croyance qui le poussait à se dire qu'il n'avait aucune vocation, si ce n'est celle de servir ceux qui le « possédaient ». Et il s'agissait d'une chose qu'il essayait de tourner à son avantage… Pour mettre fin à ses jours. Puisqu'en temps normal, on l'en empêcherait, il tentait de faire les choses d'une autre manière, celle qui servait à autrui. Et si c'était foutrement intelligent, il était tombé sur la mauvaise meute.

Ici, on ferait tout pour qu'il s'en sorte.

Une sonnerie qu'Isaac connaissait bien mais entendait peu retentit. Entre loups, on ne sonnait généralement pas, puisqu'on percevait généralement très vite la présence d'autrui.

Ce qui signifiait que le visiteur en question n'était pas un loup… Et qu'il s'agissait sans doute d'un être humain. Si le regard que lui lança Derek voulait tout dire, Isaac décida tout de même de se rendre compte de la chose par lui-même. Ainsi, il déploya ses sens, en particulier son odorat. Il avait besoin de savoir autrement qu'en se fiant à la tension de son alpha.

Autant dire qu'il n'eut aucun mal à comprendre la situation… Ni même à reconnaître l'odeur du shérif, puante d'appréhension et de cette morosité qui ne le quittait jamais vraiment.