Si Stiles était bien certain d'une chose, c'est qu'il ne sortirait plus de la maison pour des choses aussi futiles que les courses. Il savait ne pas pouvoir éviter l'imminence de son retour en cours : mais tout le reste pouvait attendre. Ou être réalisé par son père. N'en déplaise à Noah, Stiles se savait capable de refuser toutes ses prochaines demandes à ce sujet. Qu'importe s'il se posait des questions. L'humain savait qu'il ne pourrait éviter la meute bien longtemps… Mais aurait très bien pu se passer de la rencontre fortuite qu'il avait faite au supermarché.
Derek.
Derek.
Derek putain de Hale.
Stiles n'aurait pas pu tomber plus mal que cela. S'il avait pour habitude d'enquiquiner l'ancien alpha pour son bon plaisir, sa récente expérience le poussait à éviter tout le monde comme la peste… Lui, peut-être encore plus particulièrement que les autres. Les raisons à cela étaient aussi opposées que nombreuses. Outre le fait qu'il continuait de se sentir responsable de la tournure cauchemardesque de la soirée meute, il y avait cette façon qu'il avait eue de prendre son pied – et c'était encore plus vrai lorsqu'il s'était trouvé dans les bras de Derek. Oh oui, son corps avait aimé et Stiles trouvait cela ignoble car, de toute évidence, l'ancien alpha s'était retrouvé aussi démuni que lui, incapable de se réfréner. Alors… Il avait joui ainsi tout en profitant de Derek. Et Stiles s'imaginait de moins en moins victime. S'il avait aimé alors que le loup était drogué… Cela voulait dire, pour lui, qu'il avait, si ce n'est cherché, hypothétiquement provoqué cette situation, ce qui le faisait revenir au point de départ.
Et Stiles ne s'en sentait que plus sale encore. A quel point était-il une ordure ? Le jeune homme, encore habillé, se réfugia dans son lit, sous ses couvertures. Car s'il pensait à Derek, il n'oubliait pas les autres. Tous ceux qui lui étaient passés dessus. Tous ceux qui l'avaient pénétré. Ceux qu'il avait touchés, embrassés, sucés. Le traumatisme, boosté par cette culpabilité qu'il imaginait parfaitement justifiée, ne faisait que grandir, grandir, grandir. Il prenait une ampleur telle que de sombres pensées finirent par naître dans l'esprit de l'hyperactif.
Ainsi, il s'imagina mériter l'état dans lequel il se trouvait, les angoisses qui le torturaient. Une chose était certaine : jamais il ne pourrait plus regarder ses amis dans les yeux sans se rappeler de l'état dans lequel il les avait mis. Parce que Stiles savait qu'aucun d'entre eux n'avait désiré que cette soirée parte en vrille et prenne cette direction scabreuse. De son côté, il doutait. Même si le plaisir qu'il avait ressenti n'était pas quelque chose qu'il avait désiré, son corps avait réagi. Il avait réagi et Stiles savait qu'il avait passé sa soirée à gémir, à en redemander.
Et maintenant qu'il y repensait, ça le minait profondément.
Parce que dans sa tête, rien n'avait de sens et c'était tel que son esprit transformait l'histoire en la modifiant suffisamment pour y trouver un coupable… En sa personne. Ainsi, il ne sut pas faire la différence entre la gravité de son état et ce qu'il avait ressenti, qu'il prenait pour acquis. Et s'il l'avait voulu, ce plaisir ? Et s'il l'avait intentionnellement provoqué ? N'était-il pas le premier à s'être senti chaud, excité ? C'était lui qui avait malencontreusement laissé son corps parler et titiller la libido de chacun de ses amis. Le mystère dans tout ça, c'était Lydia : en tant que banshee, elle n'avait pas le même sens de l'instinct que les loups-garous, la façon dont elle avait suivi le mouvement l'interrogeaient. Mais pour Stiles, ça revenait au même.
Pour lui, tout était de sa faute… Y compris ce qu'il considérait de moins en moins comme une agression. Pourtant, c'en était une : il se souvenait avoir dit à Scott d'arrêter. Mais en partant du principe qu'il était l'unique instigateur de tout ce bordel, pouvait-il réellement se plaindre de ce qui était arrivé ? Son angoisse était telle qu'il en oublia la lueur malsaine qu'il avait pourtant remarquée dans son regard. Il en oublia l'air sûr de lui de l'alpha, et ce côté lucide qui tendait à laisser penser qu'il savait ce qu'il faisait.
Alors Stiles alla s'imaginer que ça aussi, c'était de sa faute. Et il n'eut plus envie de sortir de chez lui. De sa chambre. De son lit. Il désira continuer sa vie d'ici, à l'abri des regards de tous, même si l'idée de rejoindre l'autre monde lui paraissait étrangement attirante. Pétri de honte et écrasé par son mal-être, l'hyperactif se laissait aller à des pensées qu'il n'avait pas pour habitude d'expérimenter, néanmoins… A l'intérieur de son crâne, chaque souvenir de cette soirée cauchemardesque était teinté de noir – de sa vision déformée des choses. La réalité, transformée par sa psyché brisée, avait une saveur répugnante, qui prenait pour origine sa personne. Le châtain continua de s'imaginer instigateur de cette horreur, s'imagina qu'il avait peut-être… Brisé d'autres vies, en plus de la sienne. Et si Stiles abhorrait bien quelque chose dans la vie, c'était l'idée de faire du mal à autrui.
Et il repensa longuement à sa rencontre on ne peut plus fortuite avec Derek, au supermarché. A la façon dont il l'avait regardé. Même encore maintenant qu'il était chez lui, à l'abri de tous regards, Stiles n'arrivait pas à savoir si ce qu'il avait vu dans ses yeux était de la colère, de la peur, ou de la honte. De la colère pour s'être fait avoir, pour avoir eu à poser ses mains sur lui – et plus encore – alors qu'il ne le voulait pas. De la peur de se retrouver à nouveau victime de ce sort que Stiles lui-même ne comprenait toujours pas. De la honte d'avoir couché avec lui, de s'être uni physiquement avec cet hyperactif qu'il abhorrait. Le gringalet de la meute, le stratège agaçant. Celui qui n'avait rien pour lui, si ce n'est une étincelle d'intelligence de temps à autres. En outre, Stiles ne savait pas comment Derek se sentait et… Ça l'ennuyait tout autant que ça l'arrangeait. Parce qu'il n'était pas certain de vouloir connaître son état d'esprit… Qui était probablement aussi désastreux que le sien, mais pas dans le même sens. Stiles se vit une fois de plus coupable. Le statut de victime qui lui revenait de droit s'éloignait de plus en plus de sa pensée. Il avait fait, provoqué quelque chose. Durant cette soirée… Quelque chose avait tourné autour de lui, c'était certain. La logique extérieure voudrait que Stiles s'excuse. Contacte la meute entière et essaie de réparer ce qu'il considérait comme un cataclysme. Mais la raison, sous couvert de panique, le paralysa sur place. Il avait peur. Peur de parler, de se prendre le torrent de violence qu'il pensait mériter.
Cependant, la rencontre avec Derek lui avait permis de se rendre compte d'une chose, ou plutôt, de se rappeler d'un fait que son cerveau tendait à vouloir oublier : il ne pourrait pas éviter la meute éternellement. C'était quelque chose qu'il se disait déjà mais que son âme meurtrie tendait à continuer d'essayer de repousser pour… A défaut de tenter de se guérir, éviter d'aggraver la situation.
Stiles ferma les yeux. Ce serait mentir que de dire qu'il n'était pas fatigué par cette situation. Epuisé pourrait même être un euphémisme au regard des efforts que faisait son esprit pour ne pas sombrer dans son intégralité. Si l'hyperactif se savait quelque peu brisé, il avait la chance d'être partiellement stable – et de le savoir. Simplement, il n'avait aucune idée du temps que cet équilibre pourrait durer et ne pouvait prévoir le moment où celui-ci basculerait du mauvais côté. Très sincèrement, il aimerait ne jamais avoir la réponse à cette question qu'il ne cessait de se poser.
Comment pourrait-il savoir qu'il serait fixé dès le lendemain ?
En attendant ce jour fatidique que Stiles ne voyait que comme l'extension naturelle de celui qu'il vivait actuellement, vide de sens, le jeune homme resta dans son lit. Le soir, il se força à avaler quelque chose, notamment pour faire plaisir à son père dont les traits commençaient à trahir l'inquiétude croissante qu'il ressentait. Ensuite et sans grande surprise, Stiles alla se coucher. Passa une nuit affreuse – plus encore que les précédentes. Cauchemars et souvenirs allèrent bon train, si bien qu'il se réveilla en sueur à de si nombreuses reprises qu'il cessa de compter rapidement et resta à attendre dans son lit que le temps passe, tremblant et les joues humides de ces larmes dont il connaissait le goût par cœur.
Mais c'est à onze heure que sonna le glas de son existence. Comment se manifesta ce coup du sort ? En un message, sur son téléphone.
Un message qui lui fit se dire que sa fin était définitivement proche et le pire… C'est que, derrière la terreur, l'idée ne lui déplut pas complètement. Il était en train de se rendre malade. Malade d'angoisse et de culpabilité.
Alors une rupture totale à sa vie comme solution à son malheur lui paraissait de moins en moins extravagant.
