Elle s'appelait Monica von Ochs. Et elle avait une coupe de cheveux tout aussi ridicule que son nom imprononçable. J'ai essayé à plusieurs reprises, mais tentez de prononcer « Ochs » seulement une fois. Monica était désormais la « nouvelle élève » de Saint Seiros, mais personne ne l'avait jamais appelé ainsi. La raison ? Elle avait fait sa première année ici avant de déménager à l'étranger à cause du travail de son père. Et elle était de retour. Plus que prête à rattraper le temps perdu. Quant à moi, je n'avais absolument aucune raison de me soucier d'une nouvelle élève pas si nouvelle rattrapant le temps perdu. Mais ce n'était pas l'avis de mes camarades.
La nouvelle – peu anodine – avait fait rapidement le tour du lycée ce matin-là. C'était encore plus incroyable que le A que j'avais reçu en littérature. Elle s'était toutefois rapidement tassée puisqu'il n'y avait qu'Edelgard et moi, et surtout le couple que l'on formait, sur les lèvres de tous nos petits camarades ignorants. Bientôt, cette information atteindrait même les oreilles de l'innocente Monica pensais-je sans vraiment y prêter attention. Une de plus à y croire, c'était une bonne chose après tout.
—Je n'arrive pas à croire qu'elle soit de retour celle-là !
—Tu as peur de devoir de nouveau partager tes amis ?
—Partager ? Ce mot n'existe même pas chez elle !
Claude parla ensuite d'opéra ou de théâtre, quelque chose dans ce genre-là, avant d'ajouter que la nouvelle était une fan de la chanteuse, quelque chose dans ce genre-là. Je n'avais pas vraiment tout suivi puisque, comme à mes habitudes, je jouais à l'un de mes jeux de prédilection tout en me vantant de mon A par texto auprès d'Edelgard. Celle-ci n'avait d'ailleurs trouvé pour me féliciter qu'un sévère et rude « Ne relâche pas tes efforts pour autant. » ce qui chez elle, valait certainement toutes les félicitations du monde.
—Byleth ? Tu nous écoutes au moins ?
« Aucunement » aurais-je du répondre à ce moment-là mais même la question avait passé mes oreilles pour se perdre dans ma tête et mes pensées tellement j'étais absorbée par toutes les choses qui se passaient sur l'écran de mon téléphone en plus d'être trop bien installée sur mon coussin pour me soucier de quoique ce soit. Eh oui, Dorothea avait gagné une manche. Il fallait dire que chaque fois que Claude se débarrassait d'un coussin la brune en ramenait deux de plus le jour suivant. Alors, il n'eut d'autre choix que celui d'abdiquer. Elle savait se montrer convaincante quand il fallait. Et, même si ça me faisait mal de l'admettre : elle avait eu raison. C'était très confortable. Notre cage d'escalier ressemblerait bientôt à un petit salon d'intérieur.
—Je trouve que tu prends la nouvelle plutôt bien.
—Hein ? Quelle nouvelle ?
Je verrouillai mon téléphone et en levai enfin les yeux lorsque Dorothea et Claude soupirèrent en chœur.
—Monica. Ca ne te pose aucun problème ? demanda Claude.
—Pourquoi, ça devrait ?
—Tu n'as pas écouté un seul mot de cette conversation pas vrai ?
—Si, si, mais tu n'étais pas censé ne plus vouloir me parler au fait ?
—Il s'agit d'une situation critique. Tu vas avoir besoin d'alliés.
—D'alliés dignes de confiance !
Ca devait vraiment être une situation urgente pour que Dorothea cesse de tirer une tronche de dix pieds de longs en présence du cerf, ou bien avait-elle simplement fini par s'habituer à celle-ci, bien obligée d'admettre que je ne pouvais me couper en deux (sans y laisser la vie du moins).
—On pourrait régler ça rapidement, je suis certain de pouvoir mettre au point du poison assez discret pour n'apparaitre sur aucune analyse post mortem ! proposa le garçon.
—C'est hors de question.
—Alors on pourrait peut-être faire avaler à Edelgard une potion d'amour pour s'assurer que Monica n'interfère pas ?
—C'est encore pire ! Garde tes plans loufoques et autres potions pour jamais !
—D'accord, alors tu comptes faire quoi ?
—Rien du tout ? répondis-je.
—Rien du tout ?! répétèrent mes amis à l'unisson.
Car désormais, je les considérais bien comme des amis. Et mes amis étaient d'accord puisque partageaient tous deux la même expression catastrophée.
—Tu sais, Byleth, maintenant qu'Edelgard et Dimitri ne sont plus ensemble, et même s'ils ne l'ont jamais vraiment été, rien ne l'arrêtera !
—Vous pouvez me rappeler pourquoi j'aurais à m'en faire ?
—Pourquoi ? Par tous les Saints, Byleth ! Cette fille est complètement frappée !
—Je suis d'accord avec elle, elle a le bocal ébréché.
—Ebréché ? Quel euphémisme ! Ca fait des années qu'elle est amoureuse d'Edelgard, et elle ne s'en est jamais cachée ! Elle raconte même qu'elle était prédestinée à l'aimer pour toujours et à jamais.
—Même si c'est vrai, et même si elle est un peu barge, je ne vois pas ce qu'il y a de choquant. C'est pas comme si on était vraiment ensemble elle et moi.
—Byleth, il vaut mieux une fausse relation avec n'importe qui qu'une relation de n'importe quel genre avec Monica !
La chanteuse se tourna un peu plus vers moi et prit un air innocent (celui qui me donnait parfois envie de la gifler) avant de me sourire.
—Oh, je ne parle pas de toi bien-sûr !
—Non, toi, tu es si différente ! ajoute Claude sur un sentiment de déjà-vu.
—Ce que ressent Monica, crois-moi, c'est loin d'être de l'amour ! Plutôt une sorte d'obsession passionnelle. Le genre qui change quelqu'un en parfait psychopathe !
—Sans oublier qu'elle l'est déjà.
—Hélas je suis d'accord avec le cerf sur ce coup. Ha, tu te souviens du jour où elle a annoncé son départ ? L'équipe d'entretient du lycée a du poser un panneau dans le couloir « attention sol mouillé » tellement elle s'était vidée de ses larmes ! Elle hurlait des trucs comme… Qu'est-ce qu'elle hurlait déjà ?
Claude se leva de sa marche (et du coussin qu'il avait été forcé de reconnaitre agréable) et ébouriffa ses cheveux avant de poser ses deux mains sur ses joues. Il prit un air des plus pitoyables et je jurai voir des larmes perler de ses émeraudes.
—Non ! Ne m'emmenez pas loin d'Edelgard ! Par pitié ! Edelgard ! Edelgard ! Je reviendrai ! Même si je dois braver la tempête et les déserts les plus arides ! Même si je dois en mourir !
Puis il replaça correctement ses cheveux sur son crâne et sa mèche dansante avant de se racler la gorge. Ses miaulements aigus venaient de fendre mes tympans.
—Quelque chose comme ça, avant d'ajouter qu'Edelgard serait sa seule maitresse et reine.
—Exactement ! Intervint Dorothea en tapant du poing dans sa main avant de lever son index devant mon regard perplexe. On a même du faire intervenir Manuela pour qu'elle lui injecte une dose de tranquillisant ! Même deux ! Il parait même qu'elle a fini sous antidépresseurs ! Si elle n'en prenait pas déjà.
—Ah oui ? demanda le jeune homme. Comment tu sais ça ?
—Les réseaux sociaux !
Car Dorothea savait toujours tout n'est-ce pas ? Pour ma part, je m'en fichais un peu. Je ne connaissais ni cette fille ni ses problèmes mentaux, et peut-être allait-elle mieux ? (Ce n'était pas le cas).
—Elle n'en a pas l'air, mais cette fille est prête à tout pour parvenir à ses fins !
Comme tout le monde, pensais-je. Je restais toutefois persuadée que mes amis y allaient un peu fort et exagéraient la situation. Comment une gamine aussi frêle qu'une brindille et avec autant de charisme qu'un épi de mais (avant cuisson, avec les feuilles) pouvait être à ce point dangereuse ? Et puis, je devais me concentrer sur mes notes afin de ne pas me faire jeter de Saint Seiros, ou pire : finir dans le bureau de Manuela jusqu'à la fin de mes jours.
Vous : Même heure ce soir ?
Comme vous le savez déjà, j'avais pris l'habitude de faire le trajet avec Edelgard plusieurs fois par semaine, et lorsque je la déposais le matin, je la ramenais généralement chez elle le soir. Sauf en cas d'imprévu.
Edelgard : Je te prie de m'excuser mais je ne vais pas pouvoir ce soir.
Et l'imprévu ne s'était encore jamais pointé jusqu'ici.
Byleth : Tu rentres avec ton ex ?
C'était juste de l'humour, les blagues les plus courtes sont toujours les meilleures et j'aurais préféré mille fois qu'Edelgard rentre avec Dimitri quitte à faire fleurir un peu d'espoir chez leurs anciens fanatiques que de lire ce qu'elle m'envoya par la suite.
Edelgard : Monica m'a proposé d'aller boire un café après les cours, elle veut me raconter son année à l'étranger.
Vous : Ca marche.
Et Monica courait. Je n'étais jamais sortie après les cours prendre un café, boire un verre ou manger une gaufre avec Edelgard. Les seules choses que l'on partageait étaient les quelques heures de soutien scolaire, les trajets à bécane, et un déjeuner quelques fois par semaine (qui se résumait à un sandwich pour ma part avalé en quatrième vitesse). En plus de notre stratagème. Cela n'aurait pas dû me choquer, nous n'étions pas ensemble alors qu'elles étaient amies. Et elles ne s'étaient pas vues pendant une année toute entière (un jour de plus ou de moins à mes yeux n'aurait donc pas changé grand-chose).
—Est-ce que ça va ?
J'ignorais pourquoi Dorothea me posait cette question, et j'ignorais aussi pourquoi Claude et elle me fixaient de la sorte. Comme si j'avais soudain perdu mon teint pour prendre celui d'un cachet d'aspirine. Deux copines qui sortent prendre un café n'avait rien d'incroyable (c'était seulement un « gros imprévu »). Dans le pire des cas, et si mes camarades avaient raisons, la présence de cette nouvelle pas si nouvelle ne ferait à terme que mettre fin à ma relation avec Edelgard. Etait-ce si grave que ça ? Aujourd'hui, je connais la réponse. Et, si vous vous y connaissez un minimum en amour (plus que je ne m'y connaissais) je suis certaine que c'est bien plus évident pour vous que ça ne l'était pour moi à l'époque. Car à l'époque, je ne faisais que respecter les termes du contrat qui nous liait : pas d'attachement, pas de sentiments. Hélas rien ne se passe jamais comme on le souhaiterait.
