Je me suis souvent moquée de tous ces animés débiles dans lesquels les méchants sont vaincus grâce au pouvoir de l'amitié. Franchement, je me demande en quoi l'amitié peut être si salvatrice. Prenons le cas d'une attaque nucléaire : est-ce que les choses auraient été différentes à Hiroshima si les Japonais s'étaient rassemblés pour se tenir la main et former une ronde avant de se prendre une bombe à l'uranium sur le coin de la tronche ? Certainement pas. Et rien n'aurait pu les sauver de ça. Une véritable tragédie. Il existait toutefois des domaines et situations dans lesquels les amis pouvaient être grandement utiles (ou au contraire être de véritables boulets) et fort heureusement ou non (j'hésitais encore à l'époque) j'en possédais deux particulièrement têtus.

[Claude] : Tu dis n'importe quoi. C'est toujours la discrétion qui prime !

[Dorothea] : Monsieur-je-sais-tout veut encore avoir le dernier mot surtout ! Puisque je te dis qu'anti-serpent est plus logique !

[Claude] : Si tu indiques « anti » ça sous-entend directement que l'on prépare quelque chose contre quelqu'un. Opération Serpent fait beaucoup plus mystérieux.

J'aurais pu intervenir dans cette discussion à trois sur un groupe Messenger mais qu'avais-je à ajouter ? Rien. Puisque je n'étais pas d'accord avec eux deux depuis le tout début. Au moins, ils s'étaient accordés sur les fondements du plan : l'Opération Anti-Monica. Et bien-sûr je m'étais faite embarquée là-dedans contre mon gré. Avec Dorothea et Claude, et particulièrement lorsqu'ils étaient d'accord, il n'existait aucune négociation possible. Si ces deux-là étaient de vieux rivaux, ensemble ils formaient de très puissants alliés. Au moins autant qu'une bombe à l'uranium. Enfin, ça ne faisait pas de mal de se sentir entourée même si ce n'était pas forcément pour les bonnes raisons car je ne comptais m'embarquer dans aucune guerre quelle qu'elle soit. Surtout avec une stratégie mise au point par deux fêlés du bulbe.

[Byleth] : Vous savez que j'essaye de travailler là ?

Vous devez être surpris, mais ce n'était pas un mensonge. J'avais ressorti ma guitare après m'être décidée à prendre option musique et m'exerçais tous les mercredi après-midi, parfois le soir et même le week-end, sur des musiques pas compliquées (qui comprenaient les quatre accords de base en gros). Je m'étais plutôt rapidement refaite la main et j'avais eu la joie de voir tout aussi rapidement réapparaitre la callosité pas très glamour sur mes doigts (rassurez-vous ça s'adoucit après un temps). Pour mon plus grand bonheur, un bon nombre de chansons d'un de mes groupes préférés, Imagine Dragons, était plutôt abordable pour tout débutant, mais ça se compliquait dès qu'il s'agissait de barrés. Je les ratais une fois sur deux et avais franchement du mal à enchainer sans perturber la rythmique.

[Dorothea] : Il va falloir revoir tes priorités Byleth. Bon, puisque nous sommes d'accord, je propose d'attaquer ce vendredi. Nous arriverons à la cafétéria avant les autres, Edie arrivera quelques minutes plus tard accompagnée de notre cible ! Byleth, ton rôle est simple : lui faire comprendre que c'est TON territoire. Oh, je parle d'Edie bien-sûr, la cafétéria est accessible à l'ensemble des élèves et du corps enseignant de Saint Seiros après tout !

[Claude] : Tu pourrais en venir aux faits ?

[Dorothea] : Chut. C'est moi qui raconte. Il faudra te montrer détendue, sûre de toi !

[Byleth] : C'est foutu. Je déteste manger au réfectoire.

[Dorothea] : Ecoute très chère, si tu ne fais aucun effort tu n'obtiendras rien du tout alors tu prends sur toi et sort les griffes !

[Byleth] : Mais puisque je vous dis que ça ne me dérange pas qu'elles trainent ensemble ?! Vous êtes vraiment bornés !

[Dorothea] : Je vais faire comme si tu n'avais rien dit, sache qu'on appelle ça la prévoyance !

[Byleth] : Prévoyance mes fesses. En fait c'est toi qui a peur de passer moins de temps avec Edelgard non ?

[Claude] : Ah ! Un point pour Byleth !

[Dorothea] : On ne t'a pas demandé ton avis le brouteur de fougères ! Je suis capable de partager, moi. Je le fais bien avec toi.

[Byleth] : Et puis, comment tu peux-tu être certaine que Monica sera avec elle ?

[Dorothea] : Par tous les Saints, c'est tellement évident !

J'imaginai aisément la tête de Dorothea et son sourcil levé l'air de dire « mais t'es débile ou quoi ? » ce que Dorothea n'aurait jamais osé me dire (mais elle ne s'en privait pas avec Claude). Je ne comprenais pas pourquoi il fallait fournir autant d'efforts dans le seul but de protéger une relation fictive. Mes amis avaient beau m'avoir répété que plus que protéger mon « couple » ils ne pouvaient décemment pas laisser Edelgard finir avec une fille aussi instable que Monica je n'avais vraiment pas la foi de gérer de telles « complications ». Faire semblant d'être en couple était déjà pénible, alors faire semblant d'avoir des problèmes de couple était au-dessus de mes forces. J'avais une quantité limitée d'énergie sociale et elle était déjà entièrement allouée.

[Claude] : Et moi ? Je fais quoi ?

[Dorothea] : Tu t'assieds avec nous et tu te tais !

[Byleth] : Ça risque d'être difficile.

Plus que de faire semblant d'être sûre de moi c'était certain.

[Claude] : Vous savez que je peux mettre n'importe quoi n'importe quand dans votre repas ou bouteille d'eau ?

[Byleth] : Pourquoi crois-tu que je ramène mon déjeuner ?

Je verrouillai mon téléphone après cette petite plaisanterie qui me fit sourire. Nos conversations à tous les trois n'avaient jamais de sens, et parfois ils étaient plutôt lourdingues mais dans l'ensemble ils étaient plutôt drôles. Ils avaient au moins le don de me faire rire, parfois à leurs propres dépens. Souvent-même. Quoiqu'il en fût et malgré l'intérêt certain que je portais à leur plan tarabiscoté je me concentrai de nouveau sur la chanson que j'essayai de reproduire, en vain. Les barrés tailladaient mes doigts en plus de me briser le poignet. J'avais regardé pas mal de tuto avec mon pote Youtube mais rien ne valait une vraie démonstration.

Vous : Est-ce que ça te dérange que je demande de l'aide à Ingrid avec la musique ? Tu sais, elle m'avait proposé.

Evidemment, je n'avais pas pu m'empêcher de raconter ma rencontre avec Ingrid à mon amie qui en était raide-dingue. Et elle avait d'ailleurs failli tomber raide quand je lui avais expliqué lui être rentrée dedans. Un contact physique dont Dorothea aurait rêvé et rêvait d'ailleurs encore et chaque nuit sans doute. Dans une autre vie, la chanteuse aurait sûrement appris la musique en trente-sept minutes maximum pour passer du temps avec la blonde, mais dans celle-ci, elle n'avait pu renoncer à la chorale et les sacro-saints chants.

Dorothea : Pourquoi tu ne demandes pas à Edie ? Elle a arrêté mais conserve un excellent niveau.

Vous : C'est plus pour le côté technique que théorique. En plus, Edelgard est particulièrement occupée en ce moment.

Dorothea : Depuis le retour de Monica tu veux dire ?

Vous : Ça t'ennuie ?

Dorothea : Au contraire ! Je suis certaine qu'Ingrid serait ravie de t'aider ! Plus que toi devant la proximité entre Monica et Edie !

Je n'en étais pas certaine, mais il avait quand même une probabilité assez élevée que Dorothea dise cela avec satisfaction. Comme si elle n'attendait que ça : qu'un conflit éclate entre la nouvelle et moi. Peut-être espérait-elle secrètement que je lui botte le cul à coup de pompes renforcées (elle l'espérait explicitement d'ailleurs). C'était plutôt évident. Et il était tout aussi évident que Dorothea percevait des choses que j'ignorais encore moi-même. Comme l'agacement naissant que j'entretenais sans vraiment le réaliser encore. Je n'avais pas manqué de lui raconter que cette très chère Monica était en ce moment-même avec Edelgard pour se « décider » si oui ou non elle prendrait l'option Arts Appliqués (c'est Edelgard qui me l'avait dit un peu plus tôt). Franchement, de vous à moi, pourquoi choisirait-elle autre chose alors que cette option lui garantirait tous ses mercredis après-midi avec sa seule raison de vivre ?

Vous: Pas du tout.

Si taper ces trois mots ne me posa aucun problème, l'envoyer me donna le sentiment de mentir et je n'aimais pas mentir (l'on dit d'ailleurs souvent que je suis d'une franchise un peu trop brute). Et puis, même si c'était vrai, je trouvais cela ridicule d'être agacée par la proximité entre deux amies alors qu'Edelgard et moi n'étions en couple que pour les apparences. D'autant plus que Dorothea, elle, n'était pas du tout dérangée par l'idée que je passe du temps avec Ingrid pour qui elle entretenait un véritable crush. Bien-sûr, je ne représentais aucun danger et la brune me faisait confiance. La copine, la chasse gardée ou même l'ex d'une amie est à peu de choses près semblable à un putain de terrain radioactif duquel il ne faut pas approcher même trois siècles après la catastrophe ! Hélas, Monica ne connaissait pas les bases de la guerre. Par-dessus tout, nous n'étions pas amies. Et nous ne le serions jamais.