Freeeee from desire! I'm freeee from desire! Enfin, presque. Tout d'abord merci à vous pour vos messages de soutien, d'encouragement et tout et tout, vous êtes extras. Ensuite, désolée pour l'attente, je sais que beaucoup ont été un peu frustrés (merci particulièrement à ceux qui ont été polis dans cette frustration, ceux qui l'ont un peu moins été, je vous pardonne mais à titre indicatif il suffit de m'ordonner de faire quelque chose pour que j'ai précisément envie de faire l'inverse, évitez donc de me dire d'un ton péremptoire de ne pas publier de Hunger Games si vous voulez obtenir la suite d'HP ^^).

Bon, j'espère que l'attente entre ce chapitre et le prochain sera moins long mais pour être tout à fait franche, je ne sais pas si je parviendrais à retourner à la publication tous les 15 jours pour le moment. J'ai très peu de chapitres d'avance (genre... 2) et je n'ai pas vraiment tout le loisir que j'aimerai consacrer à cette historie. Là encore je sais ce que certains d'entre vous vont me dire : Tu as bien le temps d'écrire du HG tous les jours. Et là encore je répondrais que la qualité du HG en question est bien moindre, souvent griffonnée à la hâte et pas approfondi comme Le Dernier Secret exige de l'être. A ça s'ajoute que j'avouerai très franchement être un petit peu coincé sur un pov à un certain moment et que les chapitres, en raison du nombre de perso, sont quand même très long et prennent donc du temps. Comprenez que pour 3 pages de Hunger Games, vous avez quand même entre 15 et 30 pages d'Hp, donc, c'est plus long mais, en même temps, y en a plus. :)

Bref, cette parenthèse étant refermée, merci pour vos reviews, messages et tweets. J'espère que ce chapitre vous plaira.

Enjoy & Review!


Some may call it a curse
A life like mine
But others, a blessing
It's certainly a lonely life
But a fulfilling one and the best
It's my cross to bear
And I'll bear it gladly
Someone has to take a stand against evil
Why should it not be me?

Why not me ? - Within Temptation

Certains pourraient qualifier de malédiction

une vie comme la mienne

Mais d'autres l'appelleraient une bénédiction.

Il s'agit certainement d'une vie solitaire

mais c'est la plus épanouissante et la meilleure

C'est la croix que je dois porter,

et je la porte avec joie.

Quelqu'un doit s'opposer aux forces du mal

Pourquoi ne serait-ce pas moi?

Why not me ? - Within Temptation

Chapitre 3 : Some May Call It A Curse

Les mâchoires monstrueuses claquèrent une fois, beaucoup trop près de sa gorge, mais Harry tint bon et, l'ayant attrapé par la peau du cou, tendit les bras aussi fort que possible pour éloigner le monstre. L'animal laissa échapper un gémissement plaintif et éloigna suffisamment son énorme tête pour que le garçon puisse, enfin, l'apercevoir.

Ce n'était pas un loup-garou.

Évidemment que ce n'était pas un loup-garou. Ce n'était pas la pleine lune et il faisait encore jour. Quel idiot, il faisait.

L'énorme chien noir poussa un nouveau couinement et Harry lâcha sa fourrure, ne souhaitant pas lui faire mal. Certes, il aurait préféré que Sirius respecte sa volonté et se tienne loin de lui pendant quelques temps, mais il n'y avait pas véritablement cru. Et il n'avait jamais voulu le blesser.

Une langue râpeuse passa sur sa figure plusieurs fois, jusqu'à ce qu'Harry repousse le chien sans ménagement pour s'asseoir, notant au passage qu'il avait de nouveaux hématomes pour sa collection. Patmol aboya joyeusement et voulu recommencer à lui sauter dessus, mais le Gryffondor le tint fermement éloigné d'une main. De l'autre, il essuya la bave que le molosse avait fait dégouliner sur son visage.

« Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, trop froidement.

C'était précisément la raison pour laquelle il avait désiré attendre quelques jours avant de revoir Sirius. Pour se préparer. Pour parvenir à ériger une distance entre le Sirius du passé et celui du présent. Il n'avait pas vraiment eu l'occasion de le faire avant de devoir affronter Dumbledore ou McGonagall mais c'étaient des cas de figures tout à fait différent. Le premier ne lui en avait jamais voulu personnellement et la deuxième était morte, c'était totalement différent de l'attitude de son parrain. De tous les Maraudeurs, il avait été le pire. Pendant des mois et des mois, il s'était acharné à l'humilier, le rabaisser et le blesser, à tout bout de champ – ce qu'il avait réussi à mettre de côté durant la fin de son séjour, afin de ne pas partir sur une note désagréable. Mais oublier ? Pardonner ?

Oh, sur ce point, il comprenait parfaitement Snape.

Et Sirius n'avait beau pas être la même personne que l'adolescent qui l'avait martyrisé en 1975, il était compliqué de voir les différences.

Le chien s'assit brusquement et inclina la tête sur le côté, langue pendante, avant d'aboyer.

Harry n'avait pas très envie de jouer aux charades.

« Transforme-toi ou laisse-moi tranquille. » lâcha-t-il, en se relevant. « Je parle Fourchelang, pas la langue des chiens. »

Il ramassa son sac, sa baguette et tourna le dos à l'animal, s'attendant à moitié à ce que les crocs de Patmol se plante dans son sac pour le retenir. Ce fut une main tout à fait humaine qui attrapa son bras et le traîna à l'intérieur de la pièce la plus proche. Une ancienne salle de classe, complètement vide, dont une fenêtre était fêlée. Leur entrée souleva des particules de poussières qui se mirent à danser dans la lumière froide qui passait à travers les vitres.

Harry se dégagea et s'éloigna de son parrain, se forçant à ranger sa baguette. Ce n'était pas une confrontation. Ce n'était pas un règlement de compte. Ce n'était pas le Sirius Black qui l'avait jeté dans la gueule, pas si proverbiale, du loup. Il n'y avait aucune raison d'avoir peur de lui tourner le dos.

Excepté qu'Harry ne tint pas plus de quelques secondes, avant de se retourner, pour lui faire face. Sirius, comme tout le reste, avait changé pendant son absence. Il avait quitté un homme à l'aspect négligé, traqué, presque sauvage malgré sa gentillesse… Les vêtements du Sirius qu'il avait devant lui n'étaient plus en lambeaux, et n'étaient certainement pas de seconde main. Il était habillé à la moldu, jean noir, haut noir, et blouson en cuir qui lui donnait l'air dangereux qu'affectionnaient les motards, ses cheveux étaient un peu plus courts et beaucoup moins emmêlés… Il arborait toujours une barbe de trois jours mais il était évident que l'aspect mal rasé était étudié davantage que le résultat d'un manque de temps. Il était moins maigre, moins famélique du moins, il devait manger à sa faim. Il avait également repris un peu de muscles et son regard, sans être totalement libéré de la lueur tourmentée qui y régnait souvent, paraissait plus clair, plus lucide. L'un dans l'autre, Sirius semblait être un homme transformé. La liberté lui réussissait.

Harry aurait été ravi pour son parrain si cette transformation n'avait pas l'effet regrettable de le faire ressembler davantage à l'adolescent qu'à l'évadé d'Azkaban. Ça aurait probablement été plus facile si Sirius avait eu l'aspect cadavérique de l'homme qu'il avait rencontré en troisième année.

« Harry… » souffla finalement Sirius.

Le garçon s'aperçut, alors, qu'il n'avait pas été le seul à examiner l'autre. Son parrain ne paraissait pas apprécier totalement ce qu'il voyait. Harry ne se sentait pas bien différent, pourtant, mais Hermione avait dit qu'il avait un peu changé, physiquement. Il avait grandi, sans s'en rendre compte, il était un peu plus musclé, sans que cela soit vraiment flagrant, à cause des entraînements de Terrens et de Snape-Prince… Il était beaucoup plus à l'aise avec son corps. Ça, Hermione ne l'avait pas dit, mais il le savait. Snape-Prince l'avait bien formé. Il savait bouger rapidement, avec fluidité… À Serpentard, il avait appris à avoir l'air bien plus confiant qu'il ne l'était en réalité, surtout lorsqu'il n'était pas à l'aise. Et, à l'instant, il n'était pas à l'aise.

« Où sont tes lunettes ? » demanda son parrain.

Pourquoi tout le monde lui posait cette question là ? Était-il défini par ces horribles lunettes, choisies par la Tante Pétunia, en plus de tous leurs défauts ?

« J'ai des lentilles. » répondit-il, comme il l'avait répondu à tous les autres, ce jour là.

Sirius accepta l'explication d'un hochement de tête, puis lui offrit un de ces sourires exubérants qu'il avait si souvent vu sur le visage de l'adolescent lorsqu'il s'adressait à James ou un autre des Maraudeurs.

« Ça te va bien. » jugea l'homme, avant de faire un pas en avant, bras grands ouverts.

Harry envisagea, l'espace d'une seconde, d'accepter l'étreinte, simplement parce que son parrain lui faisait de la peine. Il n'y pouvait rien, lui, si les choses avaient changé. Sauf que ce n'était pas tout à fait vrai. Certes, le Sirius Black qu'il avait devant lui ne l'avait jamais appelé 'princesse' ou entraîné vers la Cabane Hurlante, mais… Ce qu'il ne lui avait pas fait, à lui, il l'avait fait à Severus. Et Severus n'avait eu que Lily, dans leur ligne temporelle, et puis, lorsqu'elle s'était fâchée, il n'avait plus eu personne. Et imaginer Severus, seul, face aux plaisanteries mesquines des quatre Maraudeurs…

Est-ce que ça changeait véritablement quelque chose que ce Sirius ne soit pas le même que celui des années soixante-dix ? Au fond, ils étaient la même personne.

Harry n'était pas hypocrite. Il n'avait jamais voulu être hypocrite.

Il fit un pas en arrière.

Sirius laissa retomber lentement les bras, l'air tellement peiné qu'Harry s'en voulut. Presque. Ce n'était pas tout à fait de sa faute, après tout, il lui avait demandé du temps, de l'espace… Si son parrain avait su attendre un peu… Ne serait-ce que quelques jours…

« Harry… » déclara son parrain, d'un ton sérieux. « Je ne sais pas ce que t'a dit Dumbledore. Mais, quoi que ce soit… »

« Dumbledore ? » coupa-t-il, étonné. Son regard parcourut rapidement les murs nus, soulagé de ne pas y trouver de portraits. Ce qui ne signifiait pas que leur conversation demeurerait forcément entre eux, des portraits, il y en avait plein le hall. Il n'avait rien à cacher à Dumbledore, mais les habitudes avaient la vie dure et il n'appréciait pas tellement l'idée qu'on puisse espionner ses discussions. « Assurdiato. »

Sirius fronça les sourcils. « Qu'est-ce que c'est que ce sort ? Je ne l'ai jamais entendu. »

Harry balaya sa question d'un geste de la main. « Qu'est-ce que tu veux, Sirius ? »

« Qu'est-ce que… » répéta l'Animagus, plus contrarié que perplexe, à présent. « Mais te voir, bien sûr ! As-tu une idée du sang d'encre que je me suis fait, ces derniers mois ? Je savais que tu n'étais pas mort ! Je le savais ! »

Le garçon se força à sourire. « Hermione et Ron m'ont dit que pratiquement tout le monde avait abandonné espoir de nous revoir. »

« Pas moi ! Jamais, Harry. » s'énerva Sirius, en faisant un nouveau pas vers lui. Harry recula d'autant et son parrain s'immobilisa, semblant finalement remarquer que son filleul n'était pas enchanté par l'idée de se retrouver seul avec lui. En y repensant à deux fois, le Gryffondor n'était pas certain qu'un assurdiato fût un choix judicieux. Non pas qu'il pense que Sirius puisse s'en prendre à lui, mais...

« Merci. » hésita-t-il. Que répondre à ce genre d'affirmation ? « Tu avais raison, tu vois. Je suis rentré. Et j'ai pas mal de choses à faire, alors… On se verra une autre fois, d'accord ? »

Il esquissa un pas vers la porte, mais Sirius lui barra le chemin.

« Je ne sais pas ce que t'a dit Dumbledore. » réitéra l'Animagus. « Mais quoi qu'il t'ait dit, c'est faux. »

Harry soupira et se passa une main sur le visage. Il n'y échapperait pas, n'est-ce pas ? Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, Sirius ne le laisserait pas en paix. Il n'avait aucune intention de composer avec la paranoïa de son parrain. Pas quand les insultes et railleries étaient aussi claires dans sa mémoire.

« Dumbledore ne m'a rien dit sur toi, Sirius. » démentit-il. « Par contre, il était censé te dire que je ne voulais pas te voir, pour le moment. Je suppose que j'aurais dû le faire moi-même. On n'est jamais mieux servi que par soi-même. »

On aurait dit qu'il venait de lui jeter un doloris, mais Harry refusa de se laisser attendrir.

« Tu peux m'écrire. » lâcha-t-il. « Mais je ne veux pas te voir. Pas pour l'instant. »

Considérant que la conversation était close, il contourna son parrain et marcha vers la porte, avec plus d'assurance qu'il n'en ressentait. Il avait la main sur la poignée lorsqu'il se retrouva violemment agrippé par le bras et poussé contre le mur, le bout d'une baguette enfoncée dans le creux de sa gorge.

Quelques bleus de plus, songea Harry, la joue écrasée contre la pierre, non sans ironie.

« Où Harry Potter m'a-t-il vu pour la première fois ? » grinça Sirius, si près de lui qu'Harry pouvait sentir le tabac froid dans son haleine.

Son parrain lui tordait l'épaule et un faux mouvement l'aurait probablement déboîtée, mais le Survivant refusait de se faire agresser par Sirius Black, qu'importe son âge ou ses intentions. Sirius était, de toute manière, un idiot. Il tenait son bras gauche, mais il lui suffit de donner un léger coup de poignet pour que sa baguette tombe dans sa main droite. Qu'avait dit Snape, déjà ? Un informulé, même faible, pouvait se révéler efficace ? Il jeta un expulso qui projeta son parrain à quelques mètres, suffisamment loin, en tout cas, pour qu'Harry se retourne et le désarme.

Allongé sur le dos, dans la poussière, Sirius l'observait avec une colère et une haine telle que le Gryffondor comprit qu'il le prenait pour un imposteur. Bien sûr. C'était plus simple que de se remettre en question ou de simplement demander pourquoi Harry était contrarié.

« Magnolia Crescent. » répondit-il, en lançant sa baguette par terre. « C'est bien moi, Sirius. Et je ne veux pas te voir, pour le moment. Dans quelques jours, peut-être. »

Et c'était déjà une concession, en ce qui le concernait.

Il se détourna et repartit vers la porte, mais…

« Le Harry que je connais n'agirait pas comme ça. » lança Sirius. « Qu'est-ce qui t'est arrivé ? »

Il ferma les yeux, compta jusqu'à trois et occluda les émotions volatiles qui voulaient le pousser à la fureur. Le sentiment d'impuissance, les humiliations, les rires moqueurs… Il enfouit le tout derrière des murs de flammes et s'efforça de conserver un semblant de calme.

« J'ai grandi. » lâcha-t-il, en serrant les poings.

Il se retourna, à nouveau, incapable de supporter l'idée de ne pas l'avoir dans son champ de vision. Il lui semblait qu'à chaque fois qu'il lui tournait le dos, Sirius finissait par l'attaquer.

Évidemment, lui tourner le dos l'aurait empêché de voir cette grimace haineuse sur le visage de son parrain, toujours assis par terre, là où il était tombé… Il n'en fut ni surpris, ni particulièrement touché. Il avait l'habitude. Le comportement de Sirius s'était amélioré depuis qu'il savait qu'Harry était le fils de James, mais il avait eu des mois pour admirer cette expression si particulière de dégoût à chaque fois que l'Animagus posait les yeux sur lui.

Excepté que, ce coup-ci, ce n'était pas contre lui qu'elle était dirigée.

« Snape. » cracha Sirius. « C'est ce cloporte qui… »

Le sortilège partit tout seul. Vraiment. Une chance qu'il se soit retenu au dernier moment. L'étincelle rouge s'enfonça dans le sol, à quelques centimètres à peine de l'entrejambes de Sirius qui recula précipitamment.

« Harry ! » glapit son parrain.

« C'est la première et la dernière fois que je le dis. » déclara-t-il. Ses doigts serraient la hampe de sa baguette avec tellement de force que ses phalanges lui faisaient mal. « Si tu ne te tiens pas loin de Severus, ce n'est plus la peine de m'adresser la parole. »

Sirius le fixa du regard, les yeux écarquillés et la bouche légèrement ouverte, comme s'il ne parvenait pas à contrôler sa surprise.

« Mais… Mais… » balbutia finalement l'Animagus, sans faire un geste pour se relever. « Tu le détestes. »

Et Hermione exécrait Malfoy et Ron était persuadé que les Serpentards étaient le mal incarné.

« Les choses changent. » répliqua-t-il. « Ces derniers mois, Severus et Snape étaient de mon côté. Toi, en revanche, ça t'amusait bien de faire rire la galerie en me… »

Il s'interrompit. Ça n'en valait pas la peine et c'était injuste. Ce n'était pas ce Sirius. Severus n'aurait pas apprécié qu'il défende son honneur de la sorte. Et Snape non plus.

Cette fois, il s'en allait.

« Harry. » insista Sirius, en se remettant debout. « Harry, je ne sais pas ce qu'il t'a dit… »

« Il ne m'a rien dit. » coupa-t-il, en levant les bras et en les laissant retomber lourdement sous le coup de l'énervement. « Ce n'est pas Snape le problème, c'est toi. C'est… »

C'était les nouveaux amis de Ron et d'Hermione qui ne les laissaient pas tranquilles. C'était l'absence d'une jeune fille aux cheveux de feu qui avait le don de le dérider en toutes circonstances. C'était le vide, à côté de lui, à chaque fois qu'il se retournait pour parler à Sev. C'était l'impossibilité de se réfugier dans les appartements gardés par les loups et de prétendre, pour un temps, que sa vie était normale. C'était la prophétie qui pesait plus lourdement sur ses épaules qu'elle ne l'avait fait dans les années soixante-dix. C'était l'horcruxe qu'il sentait s'agiter, à chaque fois qu'il se mettait en colère. C'étaient tous les secrets qu'il gardait encore, alors qu'il s'était promis qu'il n'y en aurait plus.

« Laisse-tomber. » soupira-t-il « Juste… Laisse-moi tranquille. »

« Harry. » tenta Sirius, en tendant la main vers lui, mais Harry en avait assez.

« Petrificus Totalus. » lança-t-il.

N'ayant toujours pas eu la présence d'esprit de ramasser sa baguette, Sirius n'eut même pas l'opportunité de se défendre. Il devint tout raide et tangua sur lui-même, avant de basculer par terre, sur le dos. Harry s'en voulut un peu, mais fut heureux de penser qu'il ne serait pas le seul à avoir des hématomes. Justice poétique.

« Désolé. » lâcha-t-il, tout de même.

Claquer la porte sur son parrain statufié fut probablement la chose la plus satisfaisante qu'il fit de la journée.

°°O°°O°°O°°O°°

Severus n'était pas dans un de ses meilleurs jours.

Il avait passé la moitié de la nuit à ramper aux pieds du Seigneur des Ténèbres, à inventer des explications qui ne L'avaient pas totalement convaincu et à subir ses punitions inventives. Il était revenu à Poudlard de très mauvaise humeur mais vivant, et, supposait-il, il fallait savoir compter ses victoires. Ses collègues et ses serpents avaient tous fait preuve d'un soulagement et d'une joie certaine à le retrouver, ce qui avait un peu apaisé sa mauvaise humeur, jusqu'à ce qu'il ait finalement le temps, entre deux entrevues avec McGonagall à propos du programme, de ses élèves ou de l'école en général, d'aller jeter un coup d'œil à sa réserve et à son laboratoire personnel.

Il avait exigé qu'Albus fournisse son propre laboratoire et ses propres ingrédients à Slughorn s'il ne souhaitait pas qu'il présente, lui, sa démission.

L'autre Maître des Potions était très compétent lorsqu'il voulait l'être mais, en vérité, il était souvent très paresseux et ouvertement négligent. L'état de la classe de potions n'était pas très surprenant, cependant, ce n'était plus le problème de Severus. Sa réserve et son laboratoire, en revanche… Ses étagères d'ingrédients méthodiquement classés, inventoriés, rangés…

Cela le mettait véritablement en colère.

Il n'avait pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures, il était fatigué, n'avait que peu de patience pour les exigences de Dumbledore qui désirait, entre autres, savoir s'il avait déjà trouvé le temps de se pencher sur le problème des loups-garous… Vraiment. Quand aurait-il trouvé le temps ? Entre le thé brûlant qu'il avait avalé en deux longues gorgées en fin de matinée et la tonne de problèmes que lui avait soumis Minerva ? C'était à peine s'il avait pu mettre un orteil dans ses propres appartements. Et, voilà, qu'il devait ranger la réserve… Et il devait ranger. Il n'aurait jamais pu s'endormir, ce soir là, en sachant qu'il y régnait un tel désordre.

Un miaulement rauque attira son attention et il baissa les yeux juste au moment où un gros matou noir et blanc se frottait contre ses jambes, peu soucieux des poils qu'il déposait sur ses robes.

« Toujours vivant, sac à puces ? » grogna-t-il. Il se pencha, toutefois, pour le gratter derrière les oreilles. L'animal se mit à ronronner comme une turbine.

« Je l'ai nourri en votre absence. » annonça la voix, amusée, de la sous-directrice.

Severus se redressa avec dignité et prétendit, très fort, ne pas avoir été surpris en plein moment d'humanité.

« Ce n'est pas mon chat. » répondit-il, en recommençant à trier les fioles et bocaux qu'il avait devant lui.

La réserve était une petite pièce, située non loin de son laboratoire, suffisamment perdue dans les méandres des cachots pour que personne n'y vienne le déranger, en règle générale.

« Curieux. » se moqua-t-elle, en rajustant ses lunettes. « J'aurais pu jurer qu'il vivait dans vos appartements. »

« En attendant qu'Hagrid lui trouve un domicile plus convenable. » riposta-t-il, en la foudroyant du regard. « Que voulez-vous encore, Minerva ? J'ai l'impression de ne pas vous avoir quittée de la journée. »

Et, il fallait admettre que mis à part lorsqu'elle avait dû assurer ses cours, la lionne ne lui avait pas laissé une minute de répit. Papiers, papiers, et un peu plus de papiers à signer, des hiboux à envoyer, les examens à organiser…

« Pourriez-vous vous charger de superviser la mise en place des sorties à Pré-au-lard ? » demanda-t-elle, en déposant un tas de parchemins sur une des étagères, entre deux bocaux. « Dolores les avait interdites mais Albus a d'autres idées. Seulement, cet homme est toujours par monts et vaux, Filius est… Je ne veux pas surcharger Filius, et Pomona n'est tout simplement pas aussi efficace que vous. »

Severus leva les yeux au ciel face à ces flatteries totalement inutiles. Il savait bien que, sans Minerva et lui, cette école n'avait aucune chance de fonctionner administrativement. Ils étaient les seuls qui insistaient pour que les formulaires, autorisations et autres formalités soient remplies en bonnes et dues formes. Et à temps.

« Je m'en charge. » soupira-t-il. « J'ai également envoyé un courrier aux parents des Serpentards pour les informer de mon retour en temps que Directeur de Maison, vous pouvez rayer cela de votre liste. »

Minerva s'appuya contre le chambranle de la porte avec lassitude.

« J'ignore comment j'ai survécu sans vous, Severus. » avoua-t-elle. « Un seul jour et ma charge de travail a diminué de moitié. Je ne sais pas comment vous remercier. »

Il haussa les épaules, ôta le bocal de foie de chauve-souris de là où Slughorn l'avait négligemment posé et, grimpant sur l'échelle en bois, le rangea à sa place, trois étages plus haut.

« Nommez-moi sous-directeur lorsque vous serez directrice. » plaisanta-t-il, à moitié.

« Je pensais que cela était entendu depuis longtemps. » répondit-elle, très sérieusement.

La fiole d'essence de sauge manqua lui échapper des mains. Perché sur son échelle, il baissa les yeux vers elle.

« N'y pensez pas ou je démissionne. » prévint-il.

Il savait pertinemment que les directeur n'était là que pour le décor. C'étaient les sous-directeurs qui faisaient tout le travail. Du moins, c'était le cas depuis que Dumbledore était en charge de Poudlard.

Minerva se pencha pour caresser le chat plutôt que de répondre et Severus retourna à son inventaire, pensant qu'elle allait s'en aller.

« J'ai informé les Dursley du retour de Potter. » lâcha-t-elle. « Évidemment, ils n'ont déjà pas daigné répondre à mon courrier annonçant sa disparition, je doute de recevoir une demande de visite. »

Severus descendit, décala l'échelle et recommença son tri en haut de la rangée suivante.

« Harry ne compte pas pour eux. » expliqua-t-il, tâchant – et échouant – de contrôler la colère qui rendait sa voix plus rauque, plus dangereuse. « Les horreurs qu'ils ont mis dans le crâne de ce gamin… Je tordrai le cou de Pétunia, sans hésiter, si elle a la malchance de se retrouver devant moi. Ou, mieux… J'ai inventé quelques potions que je n'ai pas eu l'occasion de tester. »

Il y eut un silence, durant lequel Severus prit grand soin de ne pas baisser les yeux vers la Directrice des Gryffondors. Il tentait, généralement, de ne pas sérieusement planifier de meurtres devant elle. Il n'aimait pas la manière dont elle le regardait dans ces cas là. Il ne se souciait pas de l'opinion de grand monde mais celle de Minerva, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, comptait. Elle avait cette façon presque… maternelle de s'inquiéter pour lui, contre laquelle il se révoltait pour le principe, mais qu'il appréciait secrètement. Non pas qu'il lui aurait jamais confié une telle chose. Il avait accepté ses tendances de Poufsouffle lorsqu'il était question d'Harry, mais Harry était une exception et pas la règle.

« Harry, et pas Potter… » releva Minerva, avec prudence. « Je n'ai pu m'empêcher de constater que vous semblez vous être attaché au garçon, Severus. »

Il fit léviter un bocal jusqu'à une autre étagère et descendit de deux barreaux.

« Il a ses qualités. » grinça-t-il.

Et ses défauts, dont le principal était cette tendance beaucoup trop prononcée à se mettre en danger à la moindre occasion.

« Que s'est-il passé, là-bas ? » demanda-t-elle, soudain. « Vous ne nous avez dit que l'essentiel et Albus reste muet comme une tombe… »

Il hésita un peu. Il n'avait offert à ses collègues qu'un vague résumé des faits et, d'après les échos qu'il en avait eus, Harry avait fait de même avec ses camarades.

« Harry a été réparti à Serpentard. » répondit-il, non sans fierté. Il vit la lueur contrariée passer dans le regard de la sous-directrice mais ce n'était pas l'émotion dominante sur son visage.

« Harry est quelqu'un d'entier. » remarqua Minerva « Son père et ses amis… »

« J'aurais parié qu'il s'entendrait avec James comme deux frères siamois. » l'interrompit-il, en évitant son regard. « J'avais tort. Il s'avère que j'avais tort sur énormément de choses. »

Minerva soupira et croisa les bras devant sa poitrine, en signe d'impatience.

« Eh bien ? » pressa-t-elle. « Ne vous ai-je pas toujours dit qu'Harry ne ressemblait pas à James ? »

Il avait à nouveau atteint le bas de l'étagère. Il descendit de l'échelle, attrapa une fiole, la reposa, puis la reprit, dans le simple but de s'occuper les mains.

« Non. » lui accorda-t-il. « Il ne ressemble pas à James. En revanche… Lui et moi avons des points communs. »

Son regard fuyant se posa sur le chat qui faisait tranquillement sa toilette dans un coin de la pièce, sur les rangées de fioles, et sur les parchemins que lui avait apportés la sorcière. Partout sauf sur elle, en somme.

« Des 'points' que mon Directeur de Maison n'a pas voulu remarquer, à l'époque. » continua-t-il, en se demandant bien pourquoi il avait choisi cette approche là. Il aurait été bien plus simple de se contenter d'exposer simplement qu'Harry avait pris le parti de son double et de Lily. Pourquoi déterrer des secrets si longtemps enfouis ? Minerva ne savait pas. Elle n'avait jamais su. Personne n'avait jamais su. « Des 'points' qui m'ont conduit à faire des choix discutables. Des 'points' auxquels un adulte attentif aurait pu facilement remédier. Nous comprenons-nous ? »

« Severus ? » souffla Minerva, avec une incertitude qui lui fit mal. « Vous m'avez dit, hier, qu'ils étaient aussi mauvais que des Mangemorts, que… »

« Ils l'enfermaient dans un placard. » gronda-t-il. « Ils auraient mieux traité un chien que cet enfant. Ma seule consolation est qu'ils sont trop lâches pour avoir levé la main sur lui. Piètre consolation, en vérité. Un placard, Minerva. Un placard. »

Une rangée de fiole, à côté de sa tête, éclata brusquement. Le produit se mit à fumer et attaqua le bois, il fit disparaître l'acide d'un coup de baguette, un peu imprudent. Cependant, il n'avait pas la tête à la prudence. Il se souvenait, avec beaucoup trop de clarté, du soir où l'adolescent lui avait confié la manière dont les Dursley le traitaient, sa vulnérabilité… Il ne se rappelait que trop bien de la manière dont le gamin s'était recroquevillé sur son canapé, aussi fragile et terrifié qu'un enfant de cinq ans… Incapable de comprendre pourquoi le comportement de ses tuteurs l'avait mis, lui, dans un tel état de fureur. Et seul. Beaucoup trop seul.

« Non… » refusa la sous-directrice, en portant une main à sa poitrine. « Non, j'aurais forcément… Vous vous trompez, il serait venu me voir… Il a confiance en moi… »

« Il pensait que vous étiez au courant. » l'interrompit-il. « Sa lettre était adressée 'au placard sous l'escalier'. »

« Mais je ne savais pas ! » se défendit-elle, avec horreur. « Les lettres sont adressées automatiquement à chaque élève, je ne vérifie jamais… Je… Que voulez-vous dire, Harry et vous avez des points communs ? Severus, vous… »

« Ce n'est pas la question. » marmonna-t-il, en déplaçant d'autres bocaux, sans vraiment regarder ce qu'il faisait. « L'important… »

« Ne détournez pas la conversation. » cingla-t-elle, en attrapant son bras pour mettre un terme à ses gestes nerveux. Albus n'avait pas tort, piètre espion qu'il faisait désormais s'il tendait lui-même les pièges dans lesquels il tombait. Qu'avait-il eu en tête ? Sous-entendre une telle chose devant Minerva équivalait à s'assurer qu'elle le harcèle jusqu'à découvrir la vérité. « Severus. »

Ignorant son ordre informulé, il persista à regarder droit devant lui, lisant et relisant les étiquettes jaunies par le temps et l'humidité.

« Severus. » insista-t-elle.

Elle attrapa son menton et le força à tourner la tête vers elle. Il se dégagea, mais trop tard pour ne pas voir son regard bouleversé. Il s'écarta, notant que le chat avait déguerpi, probablement effrayé par l'agitation. Ou bien par la tension à couper au couteau.

« Par Morgane, combien de crimes ont eu lieu sous mes yeux, sans que je ne les vois ? » murmura-t-elle, choquée.

Severus déglutit et prétexta s'occuper de l'étagère du fond afin de lui tourner le dos. Il ne voulait pas voir la culpabilité sur son visage. Il ne voulait pas, non plus, voir la pitié dans ses yeux.

Mais c'était mal connaître Minerva McGonagall.

« Je regrette. » offrit-elle, doucement, au bout de quelques minutes de silence. Sa voix ne tremblait plus, elle avait retrouvé sa force et son assurance habituelle. « Si j'avais soupçonné… J'aurais fait mon possible pour vous apporter mon aide. »

Severus ne put retenir un bruit d'amusement amer.

« Je ne vous aurais jamais laissé faire. » lâcha-t-il. « Il fallait bien Harry Potter pour me sauver… »

Maudite tête de mule… Il n'avait pas vu la moitié des trésors de patience et de manipulation que le gamin avait déployé pour tirer le Severus de quinze ans de l'abysse de problèmes dans lequel il s'était empêtré mais ce dont il avait été témoin lui avait suffi. Harry avait réussi là où Lily avait échoué, ce qui, en ce qui le concernait, voulait tout dire. Et il ne parlait, là, que de son double… Il n'y avait pas de mots pour exprimer ce qu'Harry avait fait pour lui. Il était différent, Albus avait raison sur ce point là. Harry l'avait changé.

Severus osait se penser un homme légèrement meilleur d'avoir connu l'adolescent.

Cependant, dans cette guerre, ce n'était pas d'un homme meilleur dont ils avaient besoin. C'était d'un espion capable de faire taire sa conscience.

« Ne doutez pas de ma détermination, Severus. » contra Minerva, dans son dos. « Ou de mon affection. »

Elle n'avait pas eu beaucoup d'affection pour lui, vingt ans plus tôt, aurait-il voulu rétorquer. Néanmoins, il n'avait aucune envie de la blesser, alors il tint sa langue.

« Je refuse qu'Harry remettre un pied chez les Dursley. » déclara-t-il, d'un ton péremptoire. « Qu'importe ce qu'Albus a à en dire. Il n'y retournera pas. Puis-je compter sur vous ou pas ? »

Minerva, à sa décharge, n'hésita pas.

« Si ce que vous dites est vrai, et je ne douterai pas de votre parole sur un sujet aussi délicat, la question ne se pose pas. » déclara-t-elle. « Cependant… Que proposez-vous ? Sirius étale ses projets de demande de tutelle dans tous les journaux du Royaume-Unis, mais Albus y est récalcitrant au possible. »

Severus serra les dents et cessa de prétendre déplacer des fioles pour poser les mains à plats sur le rebord de l'étagère. Il baissa la tête et, dissimulé par les rideaux de cheveux qui encadraient son visage, ferma les yeux.

« Appuyez la demande de Black. » exigea-t-il. « Vous êtes respectée, vous êtes sa Directrice de Maison… Si vous prenez publiquement position pour Poudlard, Albus ne pourra pas le faire. »

Et le Magenmagot n'aurait aucun intérêt à rejeter la demande de la coqueluche de la communauté magique… Albus ne prendrait pas le risque de s'élever contre l'opinion. Il ne pouvait pas se permettre de diviser son propre camp et, s'il s'avisait de s'opposer à Black, division il y aurait… Scindé en deux, l'Ordre n'aurait plus aucune espèce d'efficacité.

Y aurait-il même division ? Lupin, Tonks, les Weasley… Tous ceux-là se rangeraient derrière Black. Minerva également. Lui, avec. Qui resterait-il à Albus ? Fol'Œil ? Le Directeur ne gagnerait pas la guerre avec un vieux borgne paranoïaque.

Minerva posa une main hésitante sur son épaule. « Êtes-vous certain que Sirius est la meilleure option d'Harry, Severus ? »

Elle dut sentir les muscles se contracter sous ses doigts parce qu'elle lui rendit l'espace dont il préférait toujours s'entourer. Il ne tourna, pourtant, pas le regard vers elle, incapable de se redresser pour l'instant. Devinait-elle ce que cela lui coûtait de prendre le parti de Black contre Albus ? Devinait-elle ce que cela lui coûtait de…

« Black est sa seule option. » répondit-il, en tentant d'occluder toutes ces émotions gênantes. « Il a besoin d'un adulte qui prendra soin de lui. »

Il ne parvint pas à dissimuler le regret dans sa voix. Il parvenait mal à dissimuler quoi que ce soit lorsqu'il était question d'Harry. Ses boucliers fonctionnaient mal dès que le garçon était concerné.

Et Minerva était un peu trop perspicace.

« Êtes-vous sûr qu'il ne l'a pas déjà trouvé, cet adulte ? » insista-t-elle, avec le tact d'un troupeau d'hippogriffes.

Il lui jeta un regard qu'il espérait méprisant et attrapa, un peu au hasard, des ingrédients sur les étagères.

« Légalement, Black est dans son droit. » riposta-t-il. « Sur un plan juridique, Albus aura du mal à manœuvrer contre lui. Sur le plan politique, il ne s'y risquera pas. »

« Il dit que c'est pour la sécurité de Potter. » argua Minerva.

Severus se retourna brusquement et la toisa.

« S'il renvoie Harry chez les Dursley, il ferait mieux de s'inquiéter de leur sécurité. » menaça-t-il. « Ce n'est pas un crime qui pèsera lourd sur ma conscience. »

La sorcière leva les yeux au ciel.

« Soit. » accepta-t-elle. « Et vous, dans tout ça, Severus ? »

Lui ? Que pouvait-il faire, lui ? Demander la garde d'Harry ? Sur quelles bases ? Pour quels motifs ? Autant se peindre une cible dans le dos et aller danser la gigue devant le Seigneur des Ténèbres… Et il n'aurait probablement pas besoin d'une mise en scène aussi théâtrale, de toute manière. Albus avait raison. Il peinait à se contrôler. Son esprit était plein de souvenirs du garçon, de l'affection qu'il lui portait, du soucis qu'il se faisait pour lui… C'était un miracle que le mage noir n'en ait rien perçu, la veille. Harry était trop présent. S'il voulait rester en vie, il devait se détacher, s'éloigner… Mettre de la distance. Pour sa sécurité comme pour celle du garçon.

Harry devait apprendre à se reposer sur quelqu'un d'autre, quelqu'un de plus fiable, et Black, pour toute la haine qu'il lui vouait, serait prêt à tout pour le fils de James. Peut-être même que si Black parvenait à prendre sa place en tant que figure paternelle, le gamin ne serait pas aussi dévasté lorsque le Seigneur des Ténèbres l'achèverait.

Alors, lui, dans tout ça…

Lui, ne pouvait rien faire. En admettant qu'il aille supplier Albus de le relever de son poste d'espion… En admettant qu'il parvienne à se protéger des sbires du Seigneur des Ténèbres suffisamment longtemps pour demander la garde d'Harry… Il restait un Mangemort. Aucun tribunal, saint d'esprit, n'aurait confié un enfant à un Mangemort, repenti ou pas, et, ce, sans même évoquer la particularité du cas du Garçon-qui-avait-survécu. Black, c'était autre chose. Severus avait vu les journaux. Il avait entendu les élèves discuter entre eux. Black était devenu un martyr… Une icone de leur génération sacrifiée…

Black était un héro et, lui, était un criminel. Le monde à l'envers, peut-être, dans son esprit, mais telle était la réalité du monde extérieur.

Il ne pouvait rien faire d'autre que de continuer à veiller à ce qu'il n'arrive rien au gamin. Il pouvait s'assurer qu'il reste en vie. Il pouvait chercher un moyen de détruire l'horcruxe. Il pouvait faire beaucoup de choses. Mais pas être son père. Pas là où cela comptait.

Est-ce que ça lui arrachait le cœur de devoir y renoncer ? Bien sûr. Était-ce affreux de penser que Black pouvait occuper un rôle qui lui était défendu ? Évidemment. Cela le tuait-il de penser que ce n'était plus vers lui que le gamin se tournerait en premier, en cas de problème ? Il n'y avait pas de réponses à cette question, cela le déchirait de l'intérieur.

Mais… James et Lily s'étaient sacrifiés pour leur fils et il ne pouvait faire moins. Son sacrifice à lui était juste d'une nature un peu différente.

« Moi ? » répondit-il, avec nonchalance, en attrapant une dernière fiole. « J'ai des potions à préparer. »

°°O°°O°°O°°O°°

« Je trouve ça… bizarre, c'est tout. » marmonna Ron, en remuant sa soupe sans aucun entrain. « Je n'ai pas dit que je n'étais pas content. Juste que… C'est bizarre. »

Hermione soupira et avala une gorgée de sa propre soupe, sans plus d'envie que n'en manifestait son meilleur ami. Ils s'étaient assis tout au bout de la table des Gryffondors, coincés entre des première année et le vide, exprès pour pouvoir être un peu seuls, étant donné qu'Harry semblait avoir du mal à supporter les autres en trop gros nombre. Elle avait gardé une place, mais visiblement le Survivant ne comptait pas assister au repas du soir.

Elle ne s'était pas rendu compte, avant qu'Harry revienne, d'à quel point ils formaient tous un groupe soudé. Elle n'y prêtait plus attention. Il lui semblait naturel de petit-déjeuner avec Malfoy, de s'asseoir, en cours, à côté de Daphné, de discuter avec Susan et Hannah quand elle les croisait dans le couloir, ou même de se retrouver après les cours avec les autres pour plaisanter ou travailler. Cela s'était fait petit à petit, si lentement qu'elle n'avait pas pris conscience, avant cet après-midi là, de ce que cela pouvait avoir d'impressionnant pour quelqu'un d'extérieur à la bande. Ils avaient leurs plaisanteries, leur fonctionnement, leurs codes…

Avant, il n'y avait jamais eu qu'Harry, Ron et elle. Et, bien sûr, de temps en temps, Neville ou un des Weasley… Mais… Les choses étaient véritablement différentes.

« Il faut juste qu'on se réhabitue. » déclara-t-elle, finalement. « Et lui aussi. Ça ne doit pas être facile de revenir, après… Je n'imagine même pas ce qu'il a traversé. »

Ce n'était peut-être pas une raison pour se sauver comme un voleur de la bibliothèque et ne pas donner signe de vie par la suite, mais… Hermione était déterminée à être compréhensive.

Ron continua de tracer des symboles étranges dans sa soupe, les épaules voûtées.

« Tout va s'arranger. » insista-t-elle. « Ce n'est que le premier jour. »

Son meilleur ami hésita puis jeta un regard vers la dizaine d'élèves, rassemblés à la table des Serdaigles, qui riaient et chahutaient sans sembler avoir aucun souci. Hermione fit bien attention de ne pas laisser ses propres yeux dériver. À chaque fois qu'elle croisait le regard de Draco, elle rougissait comme une idiote.

Ça non plus, ça n'avait pas dû plaire à Harry.

Peut-être qu'elle aurait dû le prévenir avant. Mais quand ? Leurs retrouvailles avaient été formidables. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de sa vie. Toutefois… Les explications et récits qu'ils avaient échangés, après coup, avaient forcément été réduits à leur strict minimum. Il y avait des détails que Ron et elle avaient gardés pour eux. Ron n'avait pas véritablement parlé de son père et, elle, avait tut ce qu'elle avait fait pour ses parents. Et Draco. Elle avait énormément minimisé la place que Draco avait prise dans leur vie. Ils n'avaient rien caché de ses changements de conviction ou du rôle majeur qu'il avait eu au début de la Trêve, mais… Ni Ron, ni elle n'avait véritablement osé dire qu'ils étaient très amis.

« Ce qu'il a dit sur ses parents… » reprit Ron, avec hésitation. « Ça ne t'a pas paru bizarre, à toi ? »

Hermione prit une nouvelle cuillerée de soupe pour s'accorder le temps de la réflexion. À vrai dire, elle avait tourné et retourné la question dans sa tête une bonne partie de la nuit.

« Allez. » insista son meilleur ami, en se penchant au dessus de la table pour que personne n'entende. « D'un seul coup, son père, Sirius et Remus sont des crétins et Snape, Snape, est génial. Avoue que c'est étrange, quand même. »

« C'est surprenant. » admit-elle, à contrecœur. Elle avait l'impression de trahir Harry en l'avouant à voix haute. « Mais on ne sait rien de plus sur les parents d'Harry que ce qu'on nous en a dit. Et Sirius et Remus n'allaient pas dire du mal de James… Snape a toujours dit que James était arrogant et il déteste Sirius. Peut-être qu'il a vraiment de bonnes raisons… On ne peut pas savoir. »

Elle jeta un coup d'œil à la table des Professeurs. Le regard de Snape, justement, était rivé sur eux, et il ne semblait pas content du tout.

« D'accord, disons que les Maraudeurs étaient aussi cons qu'Harry le dit et que Snape n'était pas aussi chiant quand il était jeune… » contra Ron. « Celui-là… » Il désigna le Professeur d'un geste de la tête. « C'est toujours le même. Il a détesté Harry dès le premier jour et, là, tout d'un coup… Quoi ? C'est fini ? »

Hermione haussa les épaules.

« Ils sont restés huit mois ensembles dans un environnement hostile. » lui rappela-t-elle. « C'est long, huit mois. »

Dieu sait qu'il s'était passé suffisamment de choses de leur côté, en simplement six.

Ron la dévisagea quelques secondes, observa sa soupe, puis jeta un coup d'œil aux portes de la Grande Salle. Harry n'était toujours pas en vue.

« Tout à l'heure, à la bibliothèque, quand il parlait de son père… » déclara le roux. « Il ne parlait pas de James. »

Elle repoussa son assiette de soupe à moitié pleine et attrapa un morceau de pain dans la panière.

« Je sais. » lâcha-t-elle. « J'ai compris. »

« Tu ne vas pas me dire que tu trouves ça normal, quand même ? » pressa Ron. « Snape, Hermione. »

Elle ôta nerveusement la mie. C'était probablement très lâche de sa part, mais elle n'avait pas très envie de s'immiscer dans les affaires d'Harry. Pas quand elle venait juste de le retrouver et qu'il était si…

« Il dit qu'il est différent avec lui. » tempéra-t-elle. « Tu l'as entendu. »

« J'ai entendu que Snape s'occupait de lui comme s'ils étaient une famille. J'ai entendu qu'il vivait avec lui. J'ai entendu qu'il fait référence à lui comme à 'son père'. J'ai entendu qu'il ne veut plus voir Sirius, alors qu'il pourrait enfin aller vivre chez lui. » râla Ron. « J'ai entendu qu'il s'est beaucoup trop attaché à Snape, voilà ce que j'ai entendu. »

Hermione planta fermement son regard dans le sien parce qu'elle refusait d'être hypocrite.

« Ron, tout ce que tu es en train de dire, là, il a le droit de le penser de Draco, Blaise et les autres. » exposa-t-elle, calmement. « C'est probablement aussi ridicule pour nous de douter d'eux que pour lui de douter de Snape, alors, à mon avis, tu ferais mieux de contrôler tes aprioris et de… »

« Ce ne sont pas des aprioris. » coupa Ron, en baissant davantage la voix, pour qu'on ne l'entende pas. Elle dut se pencher pour saisir ses paroles et, encore, il lui fallut plusieurs secondes pour déchiffrer ce qu'il venait de dire. « Que Snape ait changé ou pas, qu'il soit du bon côté ou pas… Qu'est-ce qui se passera quand Snape le laissera tomber ? Il a dit que Snape continuerait à espionner, il ne va certainement pas garder Harry, maintenant. Tu sais ce qu'Harry veut le plus au monde, non ? »

« Une famille. » répondit-elle, du bout des lèvres.

« Une famille. » confirma Ron, en attrapant le morceau de pain qu'elle avait abandonné pour le déchiqueter en petit morceaux. « Et il croit qu'il l'a trouvée, sauf que ça ne fonctionne jamais. Ça n'a pas fonctionné avec Sirius, ça n'a pas fonctionné avec… Maman l'adopterait si elle pouvait, mais avec ce qui est arrivé… Bref, ça n'a pas fonctionné. Et ça ne fonctionnera pas plus avec Snape. »

« Peut-être que si. » protesta-t-elle. « Peut-être que cette fois, il a enfin trouvé quelqu'un qui s'occupera de lui. Snape n'est pas le genre à lâcher prise. Il mérite d'avoir une famille. »

Ron continua de torturer le morceau de pain, n'ayant visiblement pas terminé sa pensée mais se refusant à la formuler jusqu'au bout.

« Vas-y. » l'encouragea-t-elle, un peu à regret. « Dis. »

« Harry est fragile. » lâcha-t-il.

Ça semblait si ridicule, dit comme ça. Incroyable presque. Hermione était persuadée que si Ron avait dit ça à n'importe qui dans la Grande Salle, la personne aurait éclaté de rire. Harry avait l'air de tout sauf d'être fragile. Il avait l'air d'un héro. Il avait l'air de l'Élu dont parlait cette prophétie…

« Ces moldus… Je ne sais pas ce qu'ils lui ont fait, mais, ça, plus tout le reste… » hésita Ron. « Parfois, j'ai l'impression qu'il suffirait d'une seule goutte de potion supplémentaire avant que le chaudron déborde. »

« Je ne l'ai jamais vu s'investir autant avec quelqu'un. » avoua Hermione, en ôtant l'élastique qui retenait ses cheveux en un chignon lâche, parce qu'il lui faisait mal. Elle secoua la masse de boucles, consciente qu'elle devait avoir d'une sauvage mais ne parvenant pas à s'en soucier outre-mesure.

« D'habitude, il s'emballe et puis il fait marche arrière. » renchérit son meilleur ami. « Comme avec Sirius. Il voulait vivre avec lui mais, au final, il était plutôt soulagé de devoir rester chez les Dursley. »

Ce n'était pas quelque chose dont ils discutaient. Jamais. Les Dursley était un sujet rapidement évoqué, en début et en fin d'année, sans qu'il ne soit approfondi. Ron et Hermione n'avaient jamais parlé des conditions de vie d'Harry. Ils savaient qu'elles étaient moins qu'idéales mais leur ami refusait de s'ouvrir à eux sur ce point. Il était, par contre, généralement volubile à propos de son parrain et de la chance que ce serait de pouvoir habiter chez lui… Toutefois, Ron n'avait pas tort. Hermione avait toujours perçu un certain soulagement, peut-être même inconscient, chez Harry lorsqu'on lui disait qu'il ne pourrait malheureusement pas aller vivre chez les Weasley ou chez Sirius.

Hermione avait dans l'idée qu'Harry désirait quelque chose qu'il n'avait jamais connu et qu'il ne savait pas exactement ce qu'il cherchait. C'était difficile pour elle, qui avait grandi choyée et adorée par ses parents et grands-parents, d'imaginer qu'on ne puisse pas savoir ce qu'était l'amour inconditionnel d'une famille aimante. Sans l'avoir expérimenté, ça ne pouvait être guère plus qu'une idée. Peut-être qu'Harry avait peur d'être déçu par la réalité de la chose… Peut-être qu'il avait peur de l'obtenir pour le perdre juste après… Il y avait un millier d'hypothèses possible relatives à l'approche d'Harry sur le sujet, demeurait que Ron n'avait pas tort : Harry, pour tous ses discours, était un peu soulagé de retourner chez les Dursley. C'était, après tout, tout ce qu'il avait toujours connu et ça avait beau être horrible, il savait à quoi s'attendre.

Dans les histoires et anecdotes qu'il leur racontait depuis la veille, elle n'avait perçu aucune de ces réticences vis-à-vis de Snape. C'était presque comme s'il avait déjà adopté le sorcier, comme si l'affaire était entendue. Et pourtant… Pourtant, Ron marquait un point. Si Snape avait effectivement repris son rôle d'espion, ne serait-il pas dangereux pour lui d'être trop proche de Harry ? Elle n'osait pas imaginer l'état dans lequel se mettrait Harry s'il lui arrivait quelque chose… Et, cela pris en compte… Était-il si idiot de penser que Snape allait prendre du recul ?

Elle ne savait pas exactement quel genre de promesses l'homme avait faite à Harry, mais si jamais il ne les tenait pas et abandonnait son meilleur ami…

« Je suis inquiet, c'est tout. » conclut Ron.

Et avec raison, songea-t-elle, sans toutefois se décider à l'admettre à haute voix.

En temps normal, elle aurait forcé Harry à s'asseoir dans un fauteuil et l'aurait forcé à écouter leurs avertissements. Excepté que les temps n'étaient pas normaux et qu'Harry semblait déjà suffisamment peiner comme ça à se réhabituer à leur époque.

« On ne devrait rien faire pour le moment. » décréta-t-elle. « On devrait attendre de voir comment les choses se passent. Il vient de revenir, je n'ai aucune envie de provoquer une dispute. »

Pourquoi ne pourraient-ils pas profiter, ne serait-ce que quelques jours, du plaisir des retrouvailles ? Était-ce trop demander ? Quelques jours avec ses meilleurs amis, sans drames, dangers ou tragédies quelconque ?

Ron n'avait pas l'air bien convaincu mais accepta sa proposition d'un haussement d'épaules.

« À ton avis, il est passé où ? » s'enquit-il, en jetant un nouveau regard inquiet vers les portes de la Grande Salle.

« Je ne sais pas. » soupira-t-elle. « Toutes ces questions, tout à l'heure, ça l'a contrarié… J'ai dit aux autres de s'abstenir. »

Ron approuva sa démarche d'un hochement de tête songeur, puis observa avec regret la table des Serdaigle où régnait une joyeuse cohue. Ginny et Zabini étaient apparemment en plein débat sur une équipe de Quidditch, elle l'entendait de là où elle était, soutenus de parts et d'autres par divers élèves.

« Il ne va pas venir… » hasarda Ron. « On pourrait peut-être… »

Hermione hésita. Si Harry finissait par arriver… Il était tard, cependant, la plupart des gens en étaient au dessert et, comme toujours à cette heure là depuis le début de la Trêve, vadrouillaient d'une table à l'autre, en quête d'une plaisanterie ou d'un ami à qui raconter sa journée. Si Harry avait dû venir les rejoindre, il aurait déjà été là.

« D'accord. » acquiesça-t-elle.

Il n'en fallut pas plus pour que Ron bondisse gaiment de son siège pour se précipiter vers Lavande afin de lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Avant qu'Hermione ait seulement eu le temps de ramasser son sac, son meilleur ami et sa camarade avaient quitté la Grande Salle, main dans la main. Secouant la tête avec un sourire affectueux, elle se dirigea vers la table des Serdaigles et se glissa entre Draco et Blaise. Ce dernier s'écarta tout naturellement pour lui laisser de la place, sans s'arrêter de discourir, sa fourchette fendant l'air pour ponctuer chacun de ses arguments. Ginny lui laissait à peine le temps de parler, haussant la voix pour se faire entendre, et tous les autres y allaient de leurs commentaires. Tactiques, joueurs, statistiques, tout y passait. Daphné ne cessait de répéter que Blaise était un crétin et qu'elle ne savait pas ce qu'elle lui trouvait, parce que, vraiment, en matière de Quidditch, il était dépassé…

Personne ne fit attention à elle. Excepté Draco qui l'observa, sourcils froncés.

« Où est passé Saint Potter ? » demanda-t-il, suffisamment bas pour ne pas attirer l'attention.

« Ne l'appelle pas comme ça. » s'agaça-t-elle.

C'était très étrange. Elle avait passé une bonne journée… Harry était miraculeusement de retour et rien n'aurait pu la rendre plus heureuse, l'incident en cours de potions, quoi qu'un peu embarrassant, avait fait naître des papillons dans son ventre qui ne s'étaient pas encore tout à fait dissipés… Autour d'elle, ses amis riaient, plaisantaient, s'amusaient… La journée avait été excellente.

Mais elle avait soudain très envie de pleurer.

« Hermione ? » s'inquiéta Draco, sérieux tout à coup.

C'était toujours sérieux lorsqu'il utilisait son prénom.

« Ce n'est rien. » répondit-elle. « Je ne sais pas. Tout ça, c'est juste… »

Ça aurait dû être parfait et ça ne l'était pas.

« Je ne l'appellerai plus Saint Potter, si ça te met dans un tel état. » bougonna-t-il, à contrecœur.

La fourchette de Blaise fendit l'air avec un peu trop de passion à son goût et elle se décala de quelques centimètres supplémentaires vers le Sang-Pur. Et puis, parce qu'elle était triste, elle attrapa la main de Draco et l'obligea à passer un bras autour d'elle. Il accéda à sa requête sans se faire prier et elle se retrouva le dos collé au torse du garçon, ses bras autour de son ventre dans une étreinte lâche mais solide, tournée pile dans l'angle idéal pour suivre le débat idiot qui opposaient leurs amis. Il cala son menton sur son épaule, de sorte qu'elle sentait chacune de ses inspirations rouler contre sa mâchoire. Par réflexe, elle posa les mains sur ses avant-bras. Il y avait quelque chose d'extrêmement rassurant à sentir ses muscles fermes jouer sous ses doigts.

« Dans deux minutes, la fourchette de Blaise va atterrir dans le pudding de Daphné et nous assisterons au meurtre le plus sanglant de l'histoire de la communauté magique. » commenta-t-il, à son oreille, amusé. « Ceci, bien sûr, si Astoria n'étrangle pas Ginny pour avoir insulté son cher poursuiveur. Les Greengrass ont plusieurs assassins célèbres dans leur famille… »

La plaisanterie lui arracha un petit rire. Il était vrai qu'Astoria avait l'air prête à étriper la lionne, tant elle se plaisait à déprécier un des joueurs que la brune ne cessait de défendre.

Hermione ne comprenait rien à ce dont ils parlaient mais les commentaires sarcastiques de Draco étaient, de toute manière, bien plus intéressants que les arguments et contrarguments qui volaient dans tous les sens. Petit à petit, elle se détendit et se sentit un peu mieux. Mais cette tristesse bizarre ne la quitta pas.

Le débat ne montrait aucun signe de s'arrêter lorsqu'elle tourna légèrement la tête vers le Serpentard, appuyant son front contre son cou. À un moment donné, bien qu'elle n'aurait pu dire à quel instant précisément, leurs mains s'étaient trouvées et Draco jouait distraitement avec ses doigts. Il baissa un peu la tête et Hermione savait qu'il voulait l'embrasser, qu'il allait l'embrasser. Seulement… Elle prit une grande inspiration, avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit, et rassembla son courage à deux mains.

« Si tu ne peux pas t'empêcher d'attaquer Harry, ça ne marchera pas. » lâcha-t-elle, à regret.

Il resserra légèrement son étreinte, mais n'offrit pas de réponse verbale. Il ne la laissa pas partir, sans tenter non plus de l'embrasser.

Ce n'était ni un refus, ni une promesse.

C'était un entre-deux.

Il semblait qu'ils étaient condamnés à errer dans ces drôles d'entre-deux, éternellement limités par les exigences d'un statut quo ou un autre.

°°O°°O°°O°°O°°

Harry coinça la carte des Maraudeurs dans son jean et rabattit son pull par-dessus, puis frappa à la porte du laboratoire privé du Maître des Potions. Il rentra sans attendre de réponse, sachant d'avance, grâce à la carte, que l'homme était seul.

« Vous avez oublié ma retenue. » lança-t-il, en guise de salut.

Il referma la porte derrière lui et examina les lieux. Rien de bien impressionnant. La pièce était à mi-chemin entre le laboratoire de fortune que Snape-Prince avait installé dans leurs appartements et la salle de potions. Grands murs de pierres nus suintant d'humidité, quelques torches, d'innombrables étagères contenants bocaux, fioles et autres curiosité, des tables recouvertes d'instruments en tout genre, et un espace de travail suffisamment large pour installer au moins quatre ou cinq gros chaudrons. À l'instant, le Professeur se tenait derrière le seul d'entre eux qui bouillonnait. Ses cheveux en désordre à cause de la fumée qui tourbillonnait dans l'air, et il le regardait sourcils froncés.

« La politesse exige que l'on attende que l'on vous invite à entrer avant de pousser une porte. » le gronda l'espion. « Et je n'ai rien oublié. Je t'ai envoyé un hibou pour te prévenir que je souhaitais la reporter à demain soir. Hibou qui t'aurait probablement trouvé si tu avais été dans la Grande Salle pour le repas, comme tu aurais dû l'être. »

Harry grimaça mais refusa de se sentir coupable. Il déposa son sac à l'entrée et alla se percher sur une table, dans le fond, l'unique surface libre de la pièce.

« Il y a des tabourets. » grinça le Professeur. « Je ne comprendrais jamais cette obsession que tu as à t'asseoir sur les meubles. »

Devinant que ce n'était pas son choix de siège qui l'avait contrarié mais plutôt le fait qu'il ait sauté un repas, Harry resta là où il était.

« Je suis allé aux cuisines. » se défendit-il. « J'ai mangé là-bas. »

Snape-Prince… Snape fronça les sourcils et Harry se dépêcha de regarder ailleurs.

« Ce qui me force à te demander pourquoi diable ? » s'enquit le Maître des Potions. « Tes amis t'ont attendu. »

« Ça m'étonnerait. » répondit-il, non sans rancœur. « Ils devaient être bien trop occupés avec Malfoy et leurs autres nouveaux amis. »

« Ah… » lâcha Snape, en le fixant du regard au travers de l'épaisse fumée qui s'échappait du chaudron. « J'en déduis que tu n'es pas bien réceptif à cette fameuse trêve ? »

« Ça vous plaît, à vous ? » riposta-t-il.

« Ce qui me plairait, c'est que tu ne me parles pas sur ce ton. » rétorqua sèchement le Professeur. « Je ne suis pas responsable des fréquentations de tes deux acolytes. »

Harry rumina son agacement quelques secondes, puis décida que Snape n'avait pas tort.

« Désolé. » marmonna-t-il.

Snape l'observa quelques instants de plus, et retourna à sa concoction.

Le silence qu'Harry laissa s'installer n'était pas aussi confortable qu'il l'aurait souhaité. Les gestes du Professeur étaient trop brusques, quoi que toujours précis, sa bouche était pincée et un pli soucieux barrait son front. Ce n'était pas ce que le garçon avait en tête quand ils avaient échafaudé cette histoire de fausses retenues. Il aurait voulu retrouver les soirées tranquilles au coin du feu… Faire ses devoirs sur la table basse, pendant que Snape lisait ou travaillait de son côté. Tout semblait simple, dans ces moments là, comme si les ténèbres du monde extérieur n'étaient pas autorisées à franchir le seuil de leurs appartements.

Rien n'empêchait le monde extérieur d'entrer dans le laboratoire. Ils étaient en plein dans le monde extérieur et n'avaient plus de refuge.

Un mouvement, dans un coin sombre, attira son attention et il sauta sur ses pieds, baguette en main, avant d'avoir eu seulement le temps d'apercevoir le chat noir et blanc qui s'étirait paresseusement. Il se rassit et rangea sa baguette, en ayant l'impression d'être ridicule. Une impression qui perdurait depuis qu'il s'était levé ce matin là.

Il s'était senti ridicule en suivant Hermione et Ron, comme un chien perdu, toute la journée. Il s'était senti ridicule de devoir entrer en compétition avec Malfoy pour leur attention. Il s'était senti ridicule en errant dans le château comme une âme en peine. Il s'était senti ridicule en s'éloignant de la salle de classe où il avait statufié Sirius, parce qu'il aurait dû s'expliquer comme un adulte au lieu de se servir de sortilèges d'enfants. Il s'était senti ridicule, assis sur les marches du grand escalier, en hésitant à entrer dans la Grande Salle pour le souper. Il s'était senti ridicule d'aller quémander un sandwich aux elfes de maison, alors que le chaos du repas du soir régnait dans la cuisine. Il s'était senti ridicule de paniquer en ne recevant pas d'instructions pour sa prétendue retenue. Il s'était senti ridicule en traquant Snape sur la carte des Maraudeurs, comme un idiot.

Il regarda le chat venir vers lui, en prenant tout son temps, ignorant soigneusement les yeux inquiets que Snape posait sur lui. Le chat s'assit devant la table où il était perché et l'examina avec une telle attention qu'Harry se demanda brièvement s'il s'agissait bien d'un animal. Il n'était pas très beau. Bien moins que Sekhmet, dans tous les cas. Qu'était-il arrivé à Sekhmet, dans la véritable ligne temporelle ? Lily et Snape avaient-ils continué à s'en partager la garde en dépit de leur dispute ? Ou bien Lily était-elle devenue sa seule propriétaire ? C'était une question qu'il ne se résolut pas à poser. Il savait combien Severus tenait à son animal de compagnie et il ne voulait pas rappeler à Snape de mauvais souvenirs.

Ce chat-ci n'avait rien de la légendaire grâce féline. Il avait une fourrure naturellement hérissée et une tête légèrement aplatie qui lui donnait l'air d'être de mauvaise humeur. Il était pratiquement tout noir, ce qui expliquait probablement qu'Harry ne l'ait pas remarqué plus tôt, excepté pour une tache blanche sur son œil gauche, le bout de sa queue et son ventre. Sa truffe était à moitié rose et à moitié noire.

Il avait l'air d'un chat de gouttière.

« Vous avez sauté dans un canal pour le repêcher, celui là, aussi ? » plaisanta Harry, parce que le regard fixe du félin commençait à le mettre mal à l'aise.

Snape leva les yeux au ciel.

« Il semble que j'attire les chats errants. » rétorqua le Maître des Potions, sans tout à fait se déconcentrer de sa tâche. « Hagrid m'a promis de m'en débarrasser depuis déjà deux ans. »

Harry tint sa langue mais n'en pensa pas moins. Hagrid n'aurait jamais pu concevoir que quelqu'un ne veuille pas d'un animal de compagnie. Le seul regret de son ami devait être qu'un chat soit un peu trop classique et pas assez dangereux.

« Comment s'appelle-t-il ? » demanda-t-il.

Le chat semblait avoir terminé son inspection. D'un bond puissant, il sauta sur la table, à côté de lui, et entreprit de le renifler. Harry tendit la main, paume vers le ciel.

« Je ne l'ai pas nommé, ce n'est pas mon chat. » répondit distraitement le Professeur, sans remarquer que le chat qui n'était pas son chat était très occupé à coller sa truffe humide sur la main du garçon. Lorsqu'il s'en aperçut finalement, Snape n'eut pas l'air d'approuver. « Sois prudent, il est parfois sauvage. »

Harry s'efforça de ne pas lever les yeux au ciel. Il s'était retrouvé face à Voldemort deux fois en deux ans. Que pouvait bien faire ce chat qui serait pire ? Le griffer ? Belle affaire.

L'animal, toutefois, paraissait avoir d'autres idées en tête que de l'attaquer. Il grimpa sur ses genoux et planta les griffes de chacune de ses pattes à tour de rôle, en ronronnant. Harry grimaça un peu mais le laissa faire, faisant courir une main hésitante sur le dos du chat.

« Il lui faut un nom. » insista-t-il.

« Tu n'es pas doué pour nommer les animaux. » répliqua Snape, repensant sans nul doute aux longues heures qu'Harry avait passé à tenter de trouver un nom au sombral. Ce n'était pas juste de le lui reprocher. S'il avait su que Nox était Snape, il se serait abstenu de lui chercher un nom. « Et ce chat ne m'appartient pas. »

« Vous le laissez entrer dans votre laboratoire. » remarqua Harry, en grattant l'animal derrière les oreilles. « Je suis prêt à parier que vous le nourrissez. Il est à vous et vous refusez de l'admettre. »

Par-dessus son chaudron, Snape lui jeta un regard indéchiffrable sur lequel Harry préféra ne pas s'attarder. Le Professeur attirait peut-être les chats errants mais qu'était un tigre sinon un gros chat ?

« Qu'est-ce que vous faites ? » demanda-t-il, plutôt, jetant un coup d'œil intéressé au tas d'ingrédients qu'il ne parvenait pas à identifier.

Il allait sans dire que l'espace de travail à la droite du Maître des Potions était méticuleusement organisé. Couteaux en argents, fioles, bocaux, coupelles pleines d'herbes parfumées… Tout était aligné, rangé, ordonné de telle manière que l'homme n'avait qu'à tendre la main pour attraper ce qui l'intéressait.

C'était une méthode qu'Harry avait essayé d'émuler plusieurs fois en cours de potions sans véritablement y parvenir. Il était trop naturellement désordonné. Un chaos innommable finissait toujours par régner autour de lui.

« Rien de particulier. » offrit Snape. « J'expérimente. »

Ce qui, intérieurement, alarma légèrement Harry. Lorsque Severus expérimentait sans but précis, c'était généralement parce qu'il était stressé ou angoissé.

« Sur quoi ? » insista-t-il.

Tout en découpant en fines lamelles une chose marron et gluante que le garçon choisit de ne pas regarder de trop près, le Mangemort lui jeta un coup d'œil moqueur.

« Désires-tu vraiment un exposé sur les dérivés qu'il est possible de créer à partir d'une potion de soin basique ? » s'enquit Snape.

« Pas vraiment. » rétorqua-t-il. « Mais maintenant que je l'ai demandé, vous allez le faire que je le veuille ou non… »

Les lèvres du Professeur tressautèrent en un sourire rapidement supprimé. Cependant, il n'eut aucune pitié et se lança dans le monologue promis, sous prétexte que tout était bon à savoir dans la vie, surtout lorsque, comme Harry, on avait tendance à se mettre régulièrement dans le pétrin.

Le Gryffondor n'écouta que d'une oreille distraite, caressant le chat d'une main et s'entraînant à transformer son autre bras en patte griffue. L'animal parut alarmé lorsque la fourrure tigrée remplaça la peau pour la première fois. Il eut droit à une nouvelle inspection détaillée à base de truffe humide qui ébouriffa les épais poils roux qui recouvraient sa patte. La sensation était étrange mais pas dérangeante. Au final, le chat, qui décidemment n'était pas peureux, se recoucha tranquillement et le laissa s'entraîner dans son coin.

Harry n'était pas certain que Snape ait remarqué ce qu'il faisait, tant il était occupé à décrire chacun de ses gestes et ses hypothèses d'un ton légèrement excité qui lui rappelait Severus. Toutefois, le garçon s'efforçait de ne pas penser à Severus. Severus lui manquait.

« Vous auriez pu tout simplement dire que vous cherchiez une potion pour soigner les effets du doloris. » remarqua-t-il, lorsque Snape fit une pause, dans son discours, pour reprendre sa respiration.

« Les dégâts sur les nerfs uniquement. » corrigea le Professeur. « Et encore, je ne suis pas certain de… »

Harry rendit sa forme humaine à son bras droit, sans écouter le reste. La situation était redevenue un peu plus normale et il était content de simplement entendre la voix du Professeur en bruit de fond. Il lui suffisait de hocher la tête par moment, d'émettre un petit bruit intéressé à d'autres, et Snape pensait qu'il buvait ses paroles.

Son autre main était beaucoup plus dure à transformer. Il avait beau forcer, se concentrer, tenter de trouver cette sérénité d'esprit que le livre préconisait… Sa main gauche refusait de devenir une patte. Cela faisait des semaines qu'il essayait. Frustré, il claqua la langue et fusilla ses doigts du regard.

« Tu n'as pas écouté un seul mot de ce que je viens de te dire. » reprocha Snape, en rajoutant une poignée d'herbes dans sa potion.

Harry ne chercha même pas à se défendre.

« Je suis coincé, Professeur. » soupira-t-il. « Je n'arrive pas à transformer plus que ça. »

Il métamorphosa son bras d'une forme à l'autre et le ramena à son état naturel. C'était si facile… Plus le temps passait, plus il y arrivait rapidement. Mais le reste de son corps, c'était une toute autre histoire.

« Comment avez-vous fait pour y arriver aussi vite ? » se plaignit-il.

Snape ne se laissa pas attendrir.

« Évidemment, si je te rappelle que, pour un sorcier de quinze ans, arriver ne serait-ce qu'à métamorphoser son bras est un exploit, cela ne fera aucune différence ? » déclara le Professeur.

« Pettigrow y arrivait. » riposta Harry.

Et si Peter Pettigrow y était arrivé, Harry y arriverait aussi.

L'homme baissa le feu sous le chaudron et observa le Gryffondor, réfléchissant visiblement au problème.

« Il est peut-être temps de demander l'aide d'un Animagus confirmé. » suggéra Snape. « J'y suis parvenu en vidant mon esprit et tu t'appuies davantage sur la Métamorphose, j'ignore comment t'aider. »

Le garçon secoua la tête avec véhémence.

« Si je vais voir McGonagall et que je lui dis que j'ai essayé de devenir un Animagus, elle va m'arracher la tête. » protesta-t-il. Avec conviction. Sa Directrice de Maison pouvait être terriblement effrayante lorsqu'elle décidait de l'être.

Le Professeur leva les yeux au ciel, dissimulant mal un rictus affectueux.

« Toujours aussi mélodramatique, Potter. » jugea le Maître des Potions, non sans amusement. « Cependant… Il me semble que tu as dans tes connaissances d'autres Animagus. »

La proposition était hésitante, presque récalcitrante, et Harry se referma immédiatement.

« Je ne veux pas le voir. » lâcha-t-il.

« Tu as conscience que Black n'est pas responsable de ce que tu lui reproches ? » insista Snape. « Tu l'idolâtrais au début de l'année scolaire. Il n'a pas changé, il s'agit du même homme. Ton parrain. Pas l'adolescent dégénéré que tu as rencontré. »

Les paroles du Professeur résonnèrent bizarrement dans la pièce, un peu comme si elles se réverbéraient contre les murs. Harry se demanda si l'intonation de l'homme était si plate parce qu'il ne croyait pas un mot de ce qu'il disait ou bien parce qu'il était obligé d'occluder comme un fou pour mettre sa haine à l'écart. Le pire était que le garçon comprenait parfaitement la rancœur tenace de l'espion. Il la partageait.

« Black ne s'en prendrait jamais à toi, dans cette réalité, Harry. » affirma Snape. Avec conviction, cette fois-ci.

Le Gryffondor étouffa un rire amer, hésitant à lui raconter l'entrevue avec Sirius. Son parrain n'avait eu aucun revers de conscience avant de le plaquer contre le mur… Néanmoins, au terme d'un débat intérieur de plusieurs secondes, il choisit de garder l'incident pour lui. Si Snape apprenait que Sirius l'avait attaqué, il ne donnait pas cher de la peau de l'Animagus.

Un silence pesant s'installa entre eux, troublé uniquement par les ronronnements du chat.

« On devrait l'appeler Masque. » décréta Harry, au bout d'un moment. « Ça irait bien avec sa tache. »

« Garde-le, si tu le souhaites. » offrit Snape.

« C'est votre chat. » contra-t-il. « Et j'ai déjà Hedwige. »

« J'aurais peu de temps à moi, dans les semaines à venir. » exposa le Professeur. « Je n'ai pas le temps de m'occuper d'un chat, Harry. »

Il avait mis trop de douceur dans les dernières paroles pour qu'elles soient anodines. Ce n'était pas de Masque qu'ils étaient en train de discuter, il le savait.

« C'est ça qui est bien avec les chats. » répliqua Harry. « Ils se débrouillent tout seul. Ils ont juste besoin d'une couverture au coin du feu. Ou sur un canapé. »

Snape ouvrit la bouche, la referma et prit une grande inspiration, comme il le faisait toujours lorsqu'il se préparait à lui annoncer une catastrophe.

« Harry. » commença l'homme, très sérieusement. Pourtant, il dut voir quelque chose sur le visage du garçon qui le dissuada, parce qu'il détourna le regard et changea brusquement de conversation. « As-tu eu des difficultés à suivre, en classe ? Le Professeur McGonagall m'a affirmé que les programmes n'avaient pas tant changé. »

Trop heureux de s'éloigner du sujet sensible, Harry se lança dans le récit de sa journée, en lui épargnant la visite de Sirius. Il s'épancha, cependant, à loisir sur Malfoy et Hermione et leur comportement inapproprié en cours de potions, sachant que la passion de Snape pour le respect des convenances et des règles de sécurité dans sa salle de classe le pousserait à être d'accord avec lui.

°°O°°O°°O°°O°°

« Est-ce que je t'ai déjà remercié de ne pas nous avoir imposé ça, avec Remus ? » marmonna Anthony, en rabattant la capuche de son sweater sur sa tête.

Le coton du vêtement le protégerait moins efficacement que le manteau sombre qu'il portait par-dessus mais Tonks se surpris à lui envier, tout de même, ce maigre rempart supplémentaire contre la pluie. Son blouson et le reste de sa personne étaient totalement trempés par l'averse qui leur était tombée dessus à l'improviste.

« C'est parce qu'il refuse de m'adresser la parole. » grinça-t-elle. « Tu peux croire qu'il a demandé à Sirius de me rendre mes affaires et de récupérer les siennes ? Sérieusement, quel âge a-t-il ? »

Elle enfonça davantage les mains dans ses poches, avec mauvaise humeur. À quelques mètres devant eux, sur le trottoir, Nyssandra et Fol'Œil se disputaient incessamment. Au moins, songea-t-elle, ils avaient le bon goût de ne pas trop élever la voix. Tous les passants qu'ils croisaient leur jetaient déjà des regards surpris voire méfiant. On pouvait déguiser l'ancien Auror en Moldu autant qu'on voulait, enchanter son œil pour que personne n'y voie rien de bizarre, Alastor Maugrey restait impressionnant. Et Nyssa… Nyssa avait la grâce féline de tout vampire et on ne pouvait faire autrement que la remarquer. Tonks qui, elle, avait l'habitude de voir sorciers comme Moldus se retourner sur son passage en raison de ses coupes de cheveux et choix vestimentaires atypiques, n'attirait pas un seul coup d'œil avec ses cheveux marron fades et son jean noir passe-partout.

Cela dit, ce n'était pas comme s'ils avaient eu affaire à beaucoup de monde dans cette petite ville Moldue, située à quelques kilomètres de Londres, surtout de nuit… À force d'en arpenter les rues, toutefois, Tonks avait l'impression de connaître l'endroit par cœur. Cela faisait plus de quinze jours qu'ils recherchaient les Granger, et elle commençait à perdre espoir de les retrouver vivants.

Une fois qu'ils leur avaient expliqué pourquoi ils étaient là, leurs voisins s'étaient montrés accueillant et coopératifs, malheureusement, il n'y avait pas grand-chose à tirer de leurs informations. Les Granger, parents et grands-parents, avaient disparu peu après le jour de l'an. Rien ne manquait dans la maison et il n'y avait aucune trace de lutte. Le petit-déjeuner était encore sur la table de la salle à manger, la vaisselle était restée dans l'évier, les lits, à l'étage, avaient été défaits… La maison familiale semblait suspendue dans le temps, la famille, elle, était introuvable.

Le seul détail un tant soit peu intéressant, le seul indice qui aurait pu les mettre sur la piste, était qu'Hermione n'était pas rentrée seule chez elle pour les fêtes. Les Granger avaient eu un invité : un garçon blond, du même âge, qui avait l'air d'un aristo.

Il n'en avait pas fallu beaucoup plus à Tonks pour tirer ses conclusions. N'avait-elle pas, elle-même, croisé Draco et Hermione sur Piccadilly, juste avant la rentrée ?

Fol'Œil avait voulu interroger le garçon, Tonks l'avait persuadé que ça pouvait attendre encore quelques jours. Elle ne voulait pas se tourner vers son cousin avant d'avoir exploré toutes les autres pistes. Si Draco ne savait rien, l'alerter revenait à mettre Hermione au courant. Si Draco avait quelque chose à voir là-dedans… Hermione aurait le cœur brisé. Elle voulait être certaine avant de mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Raison pour laquelle elle avait persuadé Fol'Œil d'emmener Nyssa. Naturellement, elle aurait plutôt demandé à Remus, mais, en ce moment, Remus l'irritait au point de lui donner envie de le frapper, et Nyssandra ferait aussi bien l'affaire. Loup-garou, vampire… La différence était minime lorsqu'il était question de leurs sens plus développés que la moyenne. En l'occurrence, ce qui intéressait Tonks, c'était l'odorat de la jeune femme. Elle avait ainsi pu leur confirmer que six personnes avaient logé dans la maison dernièrement, dont deux qui n'y vivaient pas régulièrement. Ce qui ne leur avait rien apporté de nouveau.

Anthony, qui n'était là que parce que, après la Nuit des Ténèbres, Remus avait refusé qu'un seul membre de l'Ordre parte en mission sans un équipier désigné, avait suggéré qu'ils explorent un peu les environs, dans l'espoir que Nyssa repérerait une odeur familière.

L'orage qui avait éclaté avait mis un terme à l'espoir ténu que Tonks avait de retrouver les parents d'Hermione quelque part dans le coin.

Par les temps qui courraient, disparaître de la sorte, sans laisser de traces ou emporter un seul album photo, ne présageait rien de bon.

Ils avaient continué à marcher pourtant, plus par besoin de faire quelque chose que par réel espoir de trouver un indice. Les Granger n'étaient plus là, c'était évident. Étaient-ils partis de leur plein gré ou avaient-ils été enlevés ? Voilà la véritable question.

Une question qu'il allait falloir poser à Malfoy, elle ne voyait pas bien comment y couper, à présent.

Il restait par endroit de petits monticules de neige que la pluie s'empressait de chasser dans les caniveaux. Tonks ne regardait pas suffisamment où elle allait, comme d'habitude, et mit le pied dans l'un d'eux. Elle s'attendait à du compact mais ne trouva qu'une purée glissante et elle bascula en arrière. En tentant de la rattraper, Anthony dérapa et ils s'effondrèrent tous les deux sur le trottoir trempé, tombant durement sur leurs fesses.

« Et merde ! » s'exclama-t-elle, à bout de nerfs.

Nyssandra et Fol'Œil se retournèrent, cessant finalement de se disputer. Lorsqu'ils virent la position de leurs amis, ils se regardèrent et Tonks aurait pu jurer qu'ils avaient échangé un sourire amusé. Cet instant de complicité aurait pu être touchant si la jeune Auror n'avait pas eu si mal au coccyx.

« Ne nous aidez pas surtout ! » grommela-t-elle.

Dissimulant mal son hilarité, Nyssandra entreprit de remettre Anthony sur pied, ce qui était plus facile à dire qu'à faire à cause de la plaque de verglas à moitié fondue sur laquelle il était tombé. Fol'Œil se contenta, plus sobrement, de lui tendre la main.

Sa silhouette trapue se découpait nettement dans la lumière du lampadaire et Tonks ne résista pas à l'envie de plaisanter sur sa carrure d'ogre.

« Tu ne t'es pas fait mal, gamine ? » s'assura son mentor, avec plus de sollicitude que nécessaire.

Fol'Œil faisait partie de ceux qui ne lui laissaient pas oublier une seule minute son handicap – si l'on pouvait appeler handicap l'impossibilité de changer de formes, parce que, comme se plaisaient à lui assurer les biens pensants, on vivait très bien avec une seule apparence. Il s'inquiétait du poids qu'elle avait perdu, du souci qu'elle se faisait, de l'expression chagrinée dont elle ne parvenait pas à se débarrasser… Si elle n'avait pas pris les devants en lui ordonnant de ne pas approcher Remus, elle était presque certaine que le loup-garou aurait passé un sale quart d'heure…

« Bien sûr que non. » riposta-t-elle. « Je ne suis pas en sucre. »

Nyssa et Anthony avaient pris un peu d'avance, ils leur emboîtèrent le pas, plus lentement.

« Il va falloir le dire à la petite. » annonça Fol'Œil, au bout de quelques minutes. « Ça ne sert à rien de le lui cacher, maintenant. »

Tonks soupira mais haussa les épaules.

« Je suppose. » admit-elle. « C'est tellement injuste… Harry vient à peine de revenir et, maintenant, on doit lui dire que sa famille est… »

« Probablement morte. » termina l'ancien Auror. « Ça ne sert à rien d'appeler un dragon un lézard, en espérant qu'il ne crachera pas de feu. »

« Qu'est-ce que c'est que ce proverbe à la noix ? » demanda-t-elle. « Hey, Anthony, est-ce que tu connais ce… »

Le reste de sa phrase fut coupé par le sortilège qui lui frôla la joue et heurta Fol'Œil de plein fouet. L'homme alla s'écraser sur la grille en fer de la maison la plus proche, si fort que le métal plia sous son poids.

Par réflexe, elle pivota vers l'origine de l'attaque, baguette pointée droit devant elle. La pluie qui tombait à torrent ne l'empêcha pas de distinguer la silhouette massive d'un sorcier, plus loin. Elle l'aurait reconnu entre milles, il faisait partie des gens qui peuplaient régulièrement ses cauchemars.

« Tonks ! » cria Anthony, en courant vers elle, tandis que Nyssa fonçait vers Fol'Œil.

« Non ! » avertit-elle, en levant la main pour indiquer au jeune homme de se tenir loin d'elle.

Elle descendit du trottoir et fit quelques pas sur la chaussée, presque surprise de ne pas éprouver de panique.

« Qu'est-ce que tu fais ? » s'énerva Anthony, en menaçant l'homme qui les avait attaqué du bout de sa baguette.

Elle continua de s'éloigner des autres, certaine qu'ils seraient plus en sécurité loin d'elle. Nyssa la suivait des yeux, mais resta accroupie auprès de l'ancien Auror, avec une immobilité surnaturelle.

« Nymphadora Tonks. » la salua Fenrir Greyback, dans un sourire féroce. « Nous avons une affaire à régler. »

Il avait ordonné la mort d'Hestia. Il avait tué son amie. Il avait transmis la malédiction à Remus.

D'un revers de bras, elle lança le premier sortilège qui lui vint à l'esprit : une volée de dagues apparut et fonça sur le loup-garou. Greyback ne tressaillit même pas lorsqu'une d'entre elle se planta profondément dans son épaule, il se contenta de la retirer comme s'il s'était simplement s'agit d'un cure-dent.

« Loup contre loup, compagne contre compagne. » lâcha son ennemi, faisant écho aux mots que Loba avait prononcé, si longtemps auparavant. Il s'était passé tellement de choses depuis, que la jeune femme en avait presque oublié la compagne de Greyback. C'était une erreur.

L'eau qui ruisselait sur son visage cisaillait les traits du loup-garou de sorte qu'on les aurait dit taillés à la serpe. Lorsqu'un éclair illumina la scène, Tonks ne put s'empêcher de reculer d'un pas, tant son apparence était effrayante.

« Tonks ! » appela Anthony. « Viens ! »

Fol'Œil commençait à reprendre conscience, mais il était groggy et ne pouvait pas transplanner. Nyssa en était incapable. Si Anthony et elle attrapaient chacun un de leurs amis…

« Oh, non, petite souris. Tu ne t'enfuiras pas, cette fois-ci. » riposta Greyback. « C'est ainsi qu'elle t'appelait, non ? Petite souris. Ça fait des jours que je piste ta trace. »

« Ce n'est pas moi qui l'est tuée. » s'entendit-elle dire, bien malgré elle.

« Tonks ! » insista Anthony, mais il n'osait pas quitter le chevet de Fol'Œil et Nyssa… Nyssa paraissait figée.

« Mais tu as son sang sur tes mains ! » rugit Greyback. Et ce coup-ci, Tonks céda à la peur et s'écarta. Elle entendait le loup dans sa voix. Elle entendait la bête sauvage, assoiffée de sang. « Toi, Lupin et ce chien de Black. Je vous tuerais tous. »

Ce n'était ni un serment, ni une promesse. C'était une certitude.

Anthony jeta un sort de désarmement que le loup-garou para d'un geste négligeant, puis sortit une petite fiole de sa poche dont il avala le contenu d'un trait.

« Une compagne pour une compagne. » gronda l'homme.

Elle ne songea même pas à protester le titre ou à expliquer qu'elle n'était plus la compagne de personne. Combien de temps durait une transformation normale ? Combien de temps fallait-il à un homme pour devenir une bête ?

Assez, probablement, pour qu'elle ait le temps de se précipiter jusqu'à ses amis et transplanne au Square Grimmaurd avec plus de peur que de mal. Mais lorsque les membres de Greyback commencèrent à se tordre, lorsque les os se mirent à se briser dans d'atroces craquements pour mieux se ressouder dans un autre agencement, elle ne put rien faire qu'observer, fascinée d'horreur, la fourrure grise qui, peu à peu, recouvrit entièrement l'homme. La pluie et l'obscurité rendaient son pelage presque noir. Les yeux jaunes, eux, trouaient la nuit sans aucun problème.

Une main attrapa son bras et la tira en arrière, sans ménagement. Elle croisa le regard terrorisé d'Anthony et se rappela, un peu tard, que ce n'était pas un combattant. Donnez-lui un dragon et il saurait quoi en faire, mais un affrontement ? Il était toujours mal à l'aise dans ce genre de combat, pas inefficace mais pas non plus très utile.

« Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda-t-il, peinant visiblement à garder son calme.

« Gamine… » grogna Fol'Œil, assis par terre, en se tenant la tête.

Elle n'eut pas le temps de distribuer des instructions. La transformation était achevée.

Le hurlement à la lune, pourtant au trois quart pleine, lui glaça le sang.

« Dégagez ! » hurla-t-elle, sachant déjà ce qui allait se produire.

Le loup-garou était énorme, bien plus que ceux qu'elle avait vu jusque là – et elle en avait, malheureusement, vu beaucoup – ses crocs étaient jaunes et abimés… Lorsqu'il se mit à courir vers elle, elle poussa Anthony vers les autres, et se retourna, jetant un bouclier hâtif entre elle et le loup qui avait bondit, mâchoire grande ouverte…

Le bouclier n'aurait servi à rien.

Greyback ne l'atteignit même pas.

Une chose informe, trop rapide pour son pauvre œil humain, lui passa à côté et sauta, percuta le loup de plein fouet dans les airs. Ils retombèrent sur Tonks qui trébucha et s'écroula sur le capot d'une voiture, roula sur la tôle, et atterrit par terre. Sa tempe heurta brutalement le sol et elle se mordit la joue. Elle ne s'accorda pas le luxe de perdre connaissance. Luttant contre la désorientation, elle se redressa, prenant appui sur la voiture qui lui bouchait la vue.

Greyback avait cloué Nyssandra au sol et…

Tonks dut se faire violence pour ne pas vomir.

Il y avait du sang partout. Sur son amie. Sur la chaussée. Des flaques et des flaques que l'eau qui se déversait du ciel venait gonfler.

« Non… » gémit-elle, cherchant un sortilège, une malédiction, un…

Il y eut un éclair lumineux qui l'éblouit, l'espace d'une seconde, puis le couinement de douleur d'un animal que l'on frappe. Lorsque l'éclat du sort s'éteignit, Tonks aperçut Fol'Œil, debout près du corps ensanglanté et terriblement immobile de Nyssandra, sa baguette pointée sur le loup-garou qu'il avait obligé à reculer de plusieurs mètres. La fourrure de la créature fumait par endroit.

À trop se moquer de lui, elle oubliait parfois à quel point Fol'Œil était dangereux. C'était une légende parmi les Aurors et, nul doute, chez les criminels.

Greyback avait-il eu conscience de qui l'accompagnait ?

Dur à dire.

Sans perdre un instant de plus, elle se jeta à genoux près de la vampire, cherchant à endiguer l'hémorragie de ses mains. Son abdomen était déchiré, elle ne voulait pas savoir où elle posait ses paumes parce qu'elle était pratiquement certaine que c'était sur des organes qui auraient dû être à l'intérieur de son corps. Anthony ne tarda pas à la rejoindre, partagé entre le besoin de menacer le loup-garou de sa baguette et tenter de sauver leur amie. Nyssandra demeurait désespérément inconsciente.

Le loup-garou se mit à gronder, se ramassa sur lui-même et bondit à nouveau dans les airs.

Sans trahir la moindre once de nervosité, Fol'Œil leva sa baguette.