The greatest monuments to fallen men are not carved in marble. They are at the bottom of the sea, deep in the jungle in foreign territory. A rifle driven into the ground, with a helmet and some tags.

David Scarpa – The Last Castle

Les plus grands monuments dédiés aux hommes tombés au combat ne sont pas gravés dans le marbre. Ils sont au fond de la mer, au plus profond de la jungle en territoire ennemi. Un fusil planté dans le sol, avec un casque et des plaques d'identification.

David Scarpa – The Last Castle

Chapitre 22 : To Fallen Men

Tonks avait un très mauvais pressentiment.

Elle avançait d'un pas mesuré dans la ruelle sombre, prenant garde de ne pas perdre l'imposante silhouette de Fol'Œil de vue sans pour autant le suivre de trop près. Tous ses sens étaient aux aguets, sa main enserrait la baguette dans sa poche… Elle sentait presque le guet-apens sur le point de se produire.

Charlie et Anthony étaient censés la suivre mais cela faisait plusieurs minutes déjà qu'elle avait cessé d'entendre le léger écho de leurs pas sur les pavés. Son cœur battait fort, ses cheveux étaient dressés à l'arrière de la nuque…

Elle perçut le mouvement sur sa droite et pivota, baguette sortie. Le stupefix alla s'écraser contre le mur de briques alors qu'un chat gris filait entre deux poubelles dans un feulement. Elle marmonna un juron et rangea sa baguette, avant de reprendre sa filature. La distraction avait été suffisante pour qu'elle perde Fol'Œil de vue.

Elle hâta le pas et eut à peine le temps d'apercevoir sa silhouette se discerner au loin, trop près du carrefour où l'attaque était censée avoir lieu.

Quelque chose se referma autour de sa gorge.

Elle tenta de se libérer mais elle était clouée sur place par la magie du Mangemort qui sortit lentement de l'ombre. Le masque était blanc et lisse, inconnu. Une chose était certaine, cependant, ce n'était pas McNair. L'homme était trop mince et trop petit, sa voix était frêle et pourtant il ne rata pas une syllabe de la litanie latine qu'il égrenait patiemment.

L'étau invisible autour de sa gorge se resserra encore. Elle leva sa baguette, jetant toute sa puissance dans un sortilège informulé qui fut paré par le second Mangemort qui se hâtait vers eux.

« Achève-la. » ordonna ce dernier.

Celui-là non plus, songea-t-elle, n'était pas McNair.

Le rythme de la litanie s'accentua et sa baguette échappa à ses doigts gourds. Elle entendit à peine le cliquetis du bois sur la pierre. Le sang lui battait aux oreilles, ses mains se portèrent à sa gorge et elle griffa sa propre chair sans parvenir à se libérer. Ses jambes refusèrent de la soutenir plus longtemps et elle s'écroula à genoux, cédant à la panique. Elle essaya d'ouvrir la bouche, de gober l'air, mais tout ce qu'il en sortit fut un gargouillis.

Elle vit l'éclair vert du coin de l'œil mais le reste… Le reste se passa trop vite pour qu'elle comprenne qui avait fait quoi. Soudain, l'air pénétra à nouveau dans ses poumons et elle l'aspira à grandes bouffées, toussant légèrement.

Nouvel éclair vert et le second Mangemort s'écroula avant d'avoir pu riposter.

Elle leva les yeux mais avant qu'elle ait pu ne serait-ce que tenter de récupérer sa baguette pour faire face au troisième homme masqué qui se tenait là, il s'agenouilla près d'elle et repoussa ses cheveux en arrière, dégageant son visage.

« Respire. » exigea une voix familière.

Elle se détendit quelque peu, s'autorisant plusieurs autres longues inspirations avant d'attraper son bras pour se redresser.

« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? » marmonna-t-elle. « Ce n'est pas le plan. Ce… »

« C'est un piège. » lâcha Severus. Il se remit debout et la tira sur ses pieds sans ménagement avant de ramasser sa baguette et de la lui fourrer dans les mains. « Il nous a convoqués. Tous. La moitié de son armée a été envoyée ici et le reste… Il a emmené le reste, j'ignore où. »

« Un piège… » répéta-t-elle.

« Je n'ai jamais pensé que nous en arriverions à de telles extrémités. L'espion… » lâcha-t-il avec agacement.

Elle se dégagea brusquement. « Tu aurais pu nous avertir. »

« Je n'en ai pas eu le temps. » répliqua-t-il. « Vas-tu m'accuser d'être un traitre, à présent ? Toi ? »

L'Allée des Embrumes explosa.

L'onde de choc les propulsa contre le mur et ils s'écroulèrent tous les deux au sol où ils restèrent prostrés. Sonnés.

Il y eut des cris, des appels au secours… Ses oreilles sifflaient mais elle entendit distinctement des sortilèges fuser de parts et d'autres. La Marque se mit à luire dans le ciel nocturne… C'était à nouveau la Nuit des Ténèbres.

« Tonks ! »

Elle leva la tête, soulagée de voir Charlie s'accroupir auprès d'elle, une balafre sanguinolente sur la joue. Anthony se tenait juste derrière lui, la baguette rivée sur le Professeur.

« Non ! » protesta-t-elle immédiatement, étendant un bras pour le protéger. « C'est Severus. »

« Tu saignes. » s'inquiéta Charlie, sans paraître se préoccuper du fait que son petit-ami n'ait pas abaissé sa baguette et ne semblait pas pressé de le faire. Les deux dragonniers n'avaient pas l'air au mieux de leur forme. Outre la balafre sur la joue de Charlie, sa veste était déchirée à l'épaule et Anthony semblait favoriser son côté gauche.

« Qu'est-ce qui se passe, bon sang ? » gronda le jeune homme. « Trois Mangemorts nous sont tombés dessus. »

« Un piège. » grinça Severus. « Dumbledore doit être prévenu. Nymphadora, il nous faut également des Aurors. »

« Il faut aller aider les autres. » intervint Charlie. « Ils vont se faire massacrer. »

« Pourquoi n'avons-nous pas été prévenus ? » siffla Anthony. « À quoi bon avoir un espion s'il ne nous prévient pas ? »

« Laisse tomber pour le moment. » répondit son petit-ami. « On règlera ça plus tard. On doit aller aider les autres. »

Tonk était déjà en train de créer ses patronus. L'un pour Dumbledore et l'autre pour Scrimgeour. Elle ne s'attendait pas particulièrement à ce que l'un ou l'autre leur envoie une aide efficace. Elle attrapa la main que Severus tendit et le laissa la remettre debout une fois de plus.

« Allons-y. » déclara-t-elle. « On reste en binôme. Charlie, Anthony, ne vous lâchez pas. Severus, toi et moi, on… »

« Je ne peux pas. » coupa sèchement le Mangemort et elle dut résister à l'envie irrépressible de lui arracher son masque et de le piétiner. « S'ils s'aperçoivent de mon absence… Je courais un risque rien qu'en venant vous avertir. »

« Et tu vas faire quoi ? » demanda-t-elle, sourcils froncés. « Retourner te battre pour l'autre camp ? Tu as dit la moitié de son armée. On va avoir besoin de tout le monde. On va avoir besoin de toi. »

Il était impossible de dire ce qu'il ressentait à ce moment là, le masque ne renvoyait rien d'autre que le reflet des flammes qui brûlaient au loin.

« Ce n'est pas ma mission, Nymphadora. » cingla-t-il. « Ma mission est de protéger ma couverture à tout prix. »

« C'était un piège et personne ne t'avait averti. » riposta-t-elle. « Elle est foutue, ta couverture, Severus. Enlève ça et vient te battre avec nous. »

« Je regrette. » refusa-t-il à nouveau d'une secousse de tête. « Il me faut tenter de conserver un avantage tactique. »

Un hurlement à la lune retentit suivit d'un deuxième puis d'un troisième et Tonks secoua, elle aussi, la tête avant de se tourner vers Charlie et Anthony. « Allons-y. Quoi qu'il arrive, on reste groupé. Inutile que je vous rappelle les sorts qui ne fonctionnent pas contre un loup-garou, n'est-ce pas ? »

« On s'occupe de dragons au cas où tu aurais oublié. » se moqua son meilleur ami avec une bonne humeur de façade.

Elle fit un pas vers le carrefour et fut contrainte de s'arrêter. La main gantée du Professeur enserrait son bras.

« Sois prudente. » exigea-t-il à voix basse. « Je ne peux promettre d'être toujours là au bon moment. »

Elle se dégagea sans un mot et rejoignit ses amis qui étaient déjà partis devant. Ils coururent tous les trois en direction des flammes, plantant là le Mangemort. Tonks aurait voulu avoir le luxe de se mettre en colère ou de lui en vouloir mais il y avait plus urgent. Ils s'arrêtèrent tous les trois dans un même élan lorsqu'ils atteignirent le carrefour. Des flammes léchaient les bâtiments environnants que les riverains faisaient de leur mieux pour contenir – l'incendie, au moins, n'avait pas l'air magique – et dans les rues, c'était le chaos.

« Tu m'étonnes qu'il ne voulait pas venir. » lâcha Anthony.

« Sale traître. » grommela Charlie.

Elle voulut protester mais n'en eut pas le temps.

Les loups-garous déboulèrent par la gauche.

Décidemment…

C'était une manie chez elle de se retrouver nez à nez avec de gros loups aux crocs acérés.

°O°O°O°O°

Patmol attendait, tapi dans l'ombre sous sa forme canine. Plus loin sur sa droite, il sentait la présence rassurante et familière de Remus dans le renfoncement du mur, à l'abri derrière un sort de désillusion. Un picotement désagréable ne cessait de parcourir l'échine du chien et il aurait aimé pouvoir blâmer une nervosité un peu trop prononcée, pourtant… Il avait un mauvais pressentiment. C'était aussi simple que cela.

Le carrefour était désert, les différents membres de l'Ordre complètement dissimulés à la vue du premier venu. La nuit était complètement silencieuse excepté pour une fenêtre qui battait régulièrement dans l'air froid dans une rue attenante.

Fol'Œil émergea de la ruelle à l'heure convenue et avança d'un bon pas. L'ancien Auror aussi semblait nerveux, son œil magique roulait en tout sens. Son bâton martelait le sol à chaque pas mais Sirius ne fit pas l'erreur de croire qu'il y avait dans ces frappes une quelconque faiblesse, il paraissait prêt à s'en servir.

À la seconde où Maugrey atteignit le centre du carrefour, une silhouette transplana juste en face de lui. À croire que Bellatrix avait, elle aussi, patienté dans l'ombre. Fol'Œil frappa à nouveau le sol de son bâton, libérant une charge de magie que la sorcière para d'un revers de bras. Elle fut tout de même forcée de reculer de deux pas mais il s'agissait là d'une piètre victoire.

Deux silhouettes apparurent dans le dos de Fol'Œil et Sirius ouvrit la gueule pour aboyer – signal convenu qui lancerait l'attaque.

Il n'en eut pas le temps.

Bellatrix éclata de rire alors que les frères Lestrange échangeaient déjà quelques passes avec Fol'Œil. Ensuite, le monde éclata tout court.

Sirius n'aurait su dire d'où vint l'explosion. Il entendit le hurlement – Bill, songea-t-il, Bill ou Kingsley – et puis plus rien. Le carrefour était en flamme et ses oreilles canines, trop sensibles, n'entendaient plus rien. Désorienté, il redevint humain et secoua la tête sans que cela n'apaise la douleur. Du sang coulait de son oreille et il se demanda vaguement si son tympan avait été touché.

Ces quelques secondes d'inattention manquèrent lui être fatales.

Une main attrapa son bras, le poussa en arrière, et, soudain, Remus était là, droit devant lui, boucliers dressés et rendant sortilège pour sortilège face aux trois hommes masqués qui se tenaient là. Sirius n'eut pas le luxe de lui prêter main forte, à peine celui de se positionner dos à son meilleur ami, juste à temps pour contrer les Mangemorts qui déboulaient par la gauche.

Combien y en avait-il ?

Beaucoup trop.

Certains des bâtiments autour d'eux étaient en flammes, des gens sortaient dans la rue en hurlant, quelques uns se joignirent à la bataille – pas beaucoup. Sirius n'entendait toujours rien. Il parait les sortilèges qui fusaient vers lui sans savoir ce à quoi il échappait, répliquant avec fureur et haine.

Les combats faisaient rage mais il aurait été incapable de dire qui se battait où. Il suait à grosses gouttes, la chaleur de l'incendie et la violence du duel lui faisant perdre la tête. Il n'avait que trop conscience qu'il jouait sa vie à l'instant.

Remus fut contraint de plonger vers la droite. Sirius sentit le mouvement dans son dos et esquiva, lui aussi, pivotant juste à temps pour bloquer le maléfice d'un coup de baguette. Leurs adversaires se regroupèrent pour mieux les séparer.

Sirius échangea un regard avec son meilleur ami. Les lèvres de Remus bougeaient sans qu'il ne puisse déterminer s'il tentait de communiquer avec lui ou s'il s'agissait de formules magiques…

Le combat l'attira plus loin, vers les flammes qui dévoraient une des maisons… Il aperçut Nyssa sauter sur un loup-garou à la lueur du brasier. Il aperçut Kingsley qui contenait avec élégance trois Mangemorts. Il aperçut, plus loin, Charlie et Anthony qui peinaient à faire face…

Il y en avait trop.

L'éclair vert troua la nuit sans qu'il ne détermine d'où il venait, qui avait lancé un Avada et, surtout, qui avait été touché.

Il ne pouvait rien faire d'autre que tenter de gagner du temps face à ses ennemis.

Et lorsque la silhouette de sa cousine se glissa sur sa droite, il sut qu'il était véritablement dans les ennuis jusqu'au cou.

Sa baguette virevoltant autour de lui dans un arc plus protecteur que dévastateur, il recula encore pour avoir Bellatrix dans son champ de vision.

Il n'avait pas besoin d'entendre pour savoir qu'elle riait comme une démente.

Il avait entendu l'écho de son rire suffisamment de fois à Azkaban.

°O°O°O°O°

Sa bouche était pleine de suie.

Bill se força à se redresser, rampant parmi les débris, tâtonnant à la recherche de sa baguette. Il s'était apprêté à bondir dès que le signal de Patmol retentirait lorsque l'immeuble lui était tombé dessus. Enfin… Pas dessus, supposait-il, il n'aurait pas survécu à cela, mais suffisamment proche, en tout cas pour qu'il s'écroule dans un hurlement.

Les flammes dévoraient tout.

Foutus Mangemorts et leur pyromanie…

« Bill ! »

Ses doigts se refermèrent sur une baguette qui n'était pas la sienne une fraction de seconde avant qu'il n'aperçoive le corps. L'homme était jeune, à peine sorti de l'enfance. Il lui sembla qu'il était dans la même promotion que Percy à Poudlard.

« Bill ! Aguamenti ! Aguamenti ! Bill ! »

« Ici ! » cria-t-il. « Accio baguette. »

Il tendit la main à temps pour récupérer sa propre baguette et empocha celle du mort par réflexe. La sienne avait noirci légèrement le long de la hampe et il grimaça, espérant qu'elle n'avait pas été endommagée.

Fleur apparut entre deux poutres léchées par les flammes, une main levée pour se protéger des cendres qui virevoltaient en tout sens. Un soulagement sans borne se peignit sur son visage et elle franchit la distance qui les séparait en quelques pas, se jetant dans ses bras sans plus de considérations pour ils se tenaient ou pour ce qui se passaient à l'extérieur.

« Idiot. » décréta-t-elle, suivi d'une flopée de mots aux consonances étrangères qu'il devinait moins que flatteurs. « Idiot. »

Ses mains fines encadrèrent son visage et l'attirèrent pour un baiser au goût de cendres. Ce n'était pas l'idéal et ce n'était pas leur meilleur et, pourtant, il ferma tout de même les yeux et s'y abandonna sans retenue.

Jusqu'à ce qu'un craquement ne l'alerte.

Il eut à peine le temps de la jeter sur le côté, encore moins celui de lever le bras pour parer le sortilège qui le projeta plus loin. Une plaie s'ouvrit sur son flan. En quelques secondes, ses vêtements étaient poisseux de sang.

Il avait déjà été sonné avant alors là…

Il ne put rien faire d'autre qu'observer le Mangemort fondre sur lui, uniquement stoppé dans son élan par la jeune femme qui se planta sur son chemin.

Fleur se battait comme les danseuses de ces ballets classiques qu'elle l'avait obligé plus d'une fois à regarder.

Avec grâce et élégance.

Finesse.

Elle sautait et virevoltait, sa longue queue de cheval blonde fouettant l'air, ses gestes fluides et précis…

Il n'était juste pas certain que cela serait suffisant face à un Mangemort décidé à en finir.

°O°O°O°O°

Le roulé-boulé que Tonks fut contrainte d'effectuer pour éviter les crocs du loup l'amena plus loin encore de Charlie et Anthony. Elle se releva le dos trop près des flammes qui léchaient les bâtiments, suffisamment près en tout cas pour qu'elle sente leur chaleur sur sa nuque.

Elle suait à grosses gouttes. La transpiration coulait sur son visage, traçant des sillons dans la suie et la poussière qui recouvraient sa peau. Elle lui piquait régulièrement les yeux mais ce n'était rien en comparaison de la fumée âcre qui envahissait tout. Le carrefour était cloisonné, la fumée ne s'évacuait pas correctement.

On n'y voyait pas beaucoup plus loin que le bout de son nez.

Elle n'avait aucune idée d'où étaient les autres.

Il y avait des Mangemorts partout et elle se battait sans réfléchir, visant les ombres noires aux visages masqués de blanc, et espérant sans trop y croire que Severus ait eu la bonne idée de se mettre à couvert ou de se signaler aux autres membres de l'Ordre. C'était tuer ou être tuer et elle n'avait aucun doute sur le fait que les autres opéraient de la même manière qu'elle.

L'énorme loup au pelage fauve se ramassa sur lui-même pour mieux bondir sur elle et elle laissa échapper un grondement instinctif. À trop se battre contre des bêtes sauvages

Le loup-garou ne fut ni impressionné, ni perturbé par cette piètre tentative d'intimidation.

Il bondit.

Sa baguette fouetta l'air de gauche à droite avant de remonter dans une large boucle, la formule peu familière glissant sur sa langue presque avec réticence.

L'animal s'écroula dans la poussière, fauché mi-bond, lacéré de toutes parts par des lames invisibles. Il se vida de son sang à ses pieds et elle le fixa du regard quelques secondes, écœurée tout autant par ce qu'elle venait de faire que par la manière dont elle l'avait fait.

Une main se referma sur son bras et elle pivota.

L'homme écarta le bout de sa baguette juste à temps, le sortilège défensif alla s'écraser plus loin.

Les flammes accentuaient encore davantage la ressemblance avec un lion.

« Vous ne devriez pas être là ! » ragea-t-elle, se dégageant de la poigne du Ministre de la Magie. Ses yeux gris fouillant déjà les alentours, inquiète à l'idée que quelqu'un l'ait aperçu. « Ce n'est pas sûr ! »

Scrimgeour secoua la tête. « Nous avons besoin de tous les Aurors disponibles. » Il étudia le cadavre du loup quelques secondes et leva les sourcils. « Dites-moi… Je me trompe ou ce sortilège n'est pas tout à fait légal ? »

Elle rougit jusqu'à la racine des cheveux mais préféra prétendre que c'était la chaleur de l'incendie. Non seulement elle utilisait des sortilèges non approuvés par le Ministère – des sortilèges plus ou moins noirs – mais il fallait qu'elle se fasse attraper par le Ministre en personne.

« Vous avez mal vu. » répondit-elle du tac-au-tac.

Un sourire amusé flotta un instant sur les lèvres de Scrimgeour.

« Sans doute. » accepta-t-il. « Toutefois, à l'occasion, j'apprécierais que vous me fassiez une démonstration. »

Expliquer que le sortilège ne lui appartenait pas aurait été beaucoup trop long et compliqué à l'instant. Sans compter que Severus n'aurait certainement pas apprécié.

Les répits dans les batailles de ce genre ne duraient jamais longtemps.

Trois Mangemorts sortirent de l'ombre et Scrimgeour les engagea sans plus attendre. Il se battait bien mais sa jambe l'handicapait quelque peu et Tonks n'était pas sereine. Elle gardait son flan du mieux qu'elle le pouvait, soupirant presque de soulagement lorsque Kingsley les rejoignit et prit position de l'autre côté du Ministre.

« C'était folie de venir en personne, Monsieur ! » cria le chef des Aurors au Ministre entre deux sortilèges.

« Je n'envoie pas mes Aurors au casse-pipe sans les accompagner, Shacklebolt. » rétorqua Scrimgeour.

Noble sentiment, songea Tonks, mais peu pratique.

Elle entrapercevait ses collègues dans la fumée – ou ce qu'il en restait du moins. Les quelques Aurors confirmés tenaient bon, les autres…

Son attention était toute entière sur le Ministre, sa sécurité primant sur la sienne.

Quelqu'un hurla dans le chaos ambiant et elle en eut la chair de poule.

Elle était trop concentrée sur la protection de Scrimgeour.

Elle ne vit pas le coup venir.

Ce fut comme un coup de massue en pleine tête.

Elle s'écroula.

°O°O°O°O°

Sirius n'avait entendu aucune des provocations de sa cousine et, de guerre lasse, avait bel et bien engagé le combat.

Tout aussi folle qu'elle soit, le style de Bellatrix était impeccable, meurtrier. Il peinait à bloquer ses attaques et parvenait à peine à répliquer. Cela semblait l'amuser. Elle jouait avec lui comme un chat jouerait avec une souris avant de la dépecer et de la gober.

Son oreille droite se mit à siffler au moment où il plongea derrière un pan de mur à moitié écroulé. Il se transforma sans hésiter, la différence soudaine de taille lui évitant de terminer décapité par un maléfice.

« Avada… »

Bien entendu, il n'y avait pas de meilleur moment pour récupérer une ouïe partielle qu'au moment où on s'apprêtait à se faire assassiner.

Bellatrix s'étouffa sur le reste de la phrase et Patmol se tint là, indécis, alors que sa cousine portait une main à sa gorge, cherchant à aspirer à grandes goulées un air dont elle était privée.

Il aperçut le mouvement plus loin sur sa gauche bien qu'il soit infime. Un Mangemort se tenait là, immobile, les yeux rivés sur sa cousine. Sirius n'avait aucun doute que ses lèvres soient en train d'égrener un maléfice sous le masque d'ivoire familier.

Drôle de méthodes.

Ses griffes raclèrent le sol alors qu'il redevenait homme, observant la lente fin de Bellatrix.

Le but de la mission avait été de la capturer vivante mais Sirius ne pouvait pas blâmer Snape de vouloir s'en débarrasser.

Bien entendu, ce fut le moment où Dumbledore entra dans la danse, bien plus efficace qu'aucun autre membre de l'Ordre n'aurait pu l'être.

Le vieux sorcier engagea tout un groupe de Mangemorts qui se battaient contre Charlie et Anthony un peu plus loin et libéra un sortilège si puissant que Sirius, Bellatrix et Snape furent pris dans l'onde de choc.

°O°O°O°O°

Tonks s'assit et s'essuya la bouche d'un revers de bras, grimaçant lorsque le cuir frotta contre sa lèvre fendue.

Une montagne lui faisait face.

Crabbe ou Goyle senior, décida-t-elle, et visiblement pas dérangé par l'idée de se battre à la Moldue.

Le coup de pied la cueillit au creux de l'estomac, lui coupant brièvement la respiration. L'homme amorça un second coup et Tonks réagit, vive comme l'éclair, le fauchant à la jambe et récupérant la dague cachée dans sa botte de sa main gauche pendent qu'il s'écroulait dans la poussière.

Elle ne prit pas le temps de réfléchir lorsqu'elle planta la lame dans sa poitrine.

Le Mangemort était imposant, la dague ne l'arrêta pas.

Elle se retrouva projetée comme une poupée de chiffon pour ce qui devait être la dixième fois ce soir là et elle s'effondra au sol, bien loin de Kingsley et du Ministre. Elle eut à peine le temps de distinguer la haute silhouette de Dumbledore, un peu plus loin, qui avait visiblement enfin rejoint la bagarre, avant que le Mangemort soit à nouveau sur elle.

Ses doigts enserraient si fermement sa baguette que l'on aurait eu du mal à l'arracher à son cadavre. Elle refusait de la perdre et se retrouver désarmée au milieu de ce chaos.

Elle se remit debout rapidement, ignorant l'élancement dans son épaule, pour mieux faire face à la montagne en mouvement qui se dirigeait tranquillement vers elle.

Jambes fléchies, bras gauche derrière elle pour une meilleure agilité, elle prit une position de duel classique, sachant qu'il lui faudrait privilégier la rapidité à la brutalité des sorts.

Cela aurait été plus facile à faire si Dumbledore n'avait pas lancé un sortilège qui les prit tous les deux dans l'onde de choc et les envoya rouler chacun de son côté dans la poussière.

Elle resta allongée sur le dos quelques secondes, ravalant un soupir.

Elle détestait être projetée de la sorte.

°O°O°O°O°

Bellatrix n'était nulle part en vue.

Sirius rampa dans les décombres jusqu'à trouver le corps inerte du Mangemort qui l'avait aidé. L'homme tenta de protester lorsqu'il lui arracha son masque mais il n'était clairement pas au mieux de sa forme, n'ayant, sans doute, pas tout à fait récupéré de sa dernière séance de torture, et l'Animagus n'eut aucun mal à le maîtriser.

Sans surprise, les traits de Snape se dissimulaient derrière le masque.

Sirius n'entendait que d'une oreille mais le champ de bataille était de toute manière trop bruyant pour qu'il comprenne ce que son rival de toujours disait. Il vérifia une nouvelle fois que Bellatrix n'était pas sur le point de les attaquer puis tâta le torse du Maître des Potions à la recherche d'une blessure plus importante que les autres, ignorant les grimaces de douleur et les vaines tentatives du Professeur pour le repousser.

Une plaie barrait le front de Snape mais au-delà de ça, Sirius ne voyait rien de potentiellement dangereux. Cela ne voulait rien dire, bien sûr, il pouvait avoir des blessures internes… Cependant cela dépassait ses compétences.

Au bout de plusieurs secondes, Snape agrippa son épaule et s'en servit comme levier pour se redresser avec une grimace. Il secoua la tête plusieurs fois, comme pour mieux se réorienter et, avec l'aide de Sirius, se remit debout.

S'il en avait eu le temps, le hors-la-loi aurait volontiers pris un moment de réflexion sur l'ironie du sort qui les avait amenés à s'entre-aider au milieu d'une bataille rangée.

Snape parlait mais Sirius n'avait pas la moindre idée de ce qu'il racontait, c'était trop bruyant, il était trop sonné, et son oreille gauche saignait.

Mort, il lui sembla entendre.

Mais qui ou quoi…

« REPLI. » ordonna soudain la voix de Dumbledore, amplifié d'un sonorus. « REPLI. »

Il y eut un moment de flottement, d'hésitation. Sirius était réticent à fuir. Snape fit un pas sur le côté, flanchant légèrement sur ses jambes, et l'Animagus s'imagina soudain avoir à annoncer à Harry que son débile de Professeur de Défense avait eu la grande intelligence de se faire trucider sur un champ de bataille sur lequel il n'avait visiblement rien à faire vu son état physique. Sans plus tergiverser, il attrapa le bras du Mangemort et transplana.

Le salon du Square Grimmaurd était tellement silencieux que cela l'agressa.

Snape se dégagea d'un geste sec, son autre bras s'enroulant immédiatement autour de son torse avec un rictus de douleur. Sirius supposa que ses côtes n'étaient pas guéries ou bien qu'elles s'étaient à nouveau brisées durant le vol plané.

« Je n'ai rien à faire ici. » grinça le Maître des Potions.

Avant qu'il ait pu transplaner toutefois, les autres arrivèrent.

Remus fut le premier, soutenant Bill, et n'ayant pas l'air tout à fait sûr sur ses jambes. Puis Fleur. Puis Charlie et Anthony. Kingsley. Et, enfin, au milieu de la pièce, derrière le canapé élimé, Nyssa, Tonks et Fol'Œil.

Tonks sanglotait, Nyssa était à moitié couchée sur le corps inerte de l'ancien Auror et Alastor Maugrey ne bougeait plus.

Soudain, il y eut un tel brouhaha que Sirius fut heureux de n'entendre que d'un seul côté. Qui et quand et non semblaient être les mots les plus récurrents.

Fleur enlaça Bill et enfouit le visage dans son épaule… Remus se frottait la bouche, l'air assommé… Charlie et Anthony s'accrochaient l'un à l'autre… Kingsley avait fermé les yeux et gardait la tête baissée d'un homme défait… Tonks demeura agenouillée derrière Nyssandra, pleurant à gros sanglots sans sembler pouvoir s'arrêter… Et Nyssa…

Sirius ne pouvait dire si la vampire pleurait. Elle était prostrée sur son ancien amant, le seul signe trahissant qu'elle était toujours en vie étaient les crispations régulières de ses doigts autour du tissu déchiré du manteau de Fol'Œil.

Sonné, Sirius fit un pas en avant puis s'immobilisa.

« Rookwood. » lâcha Snape et un silence de mort suivi sa prise de parole. Le Professeur ne sembla pas s'en émouvoir. « Rookwood lui a jeté un sort de mort dans le dos. »

Nyssa leva soudain la tête, si vite que quelque chose claqua obligatoirement dans sa nuque. Ses yeux verts demeurèrent rivés sur Snape.

Dans le dos.

Lâche, songea Sirius, sentant la bile monter dans sa gorge. Lâche.

« Qu'est-ce que ça change qui a lancé quoi. » cracha Charlie. « On n'avait rien à faire là-bas pour commencer. On aurait pu tous se faire étriper comme des lapins. »

« Il m'était impossible de vous avertir plus tôt. » rétorqua le Mangemort. « J'ai rejoint Nymphadora aussi rapidement qu'il m'a été possible de le faire. »

Le feulement fut le seul avertissement qu'ils eurent.

Snape était lent et eut à peine le temps de reculer d'un pas.

Sirius s'interposa sans réfléchir, refermant ses bras sur la vampire et la retenant du mieux qu'il put malgré les ongles qui lui griffèrent les bras et le visage.

« Arrête ! » tonna-t-il. « Arrête ! »

« Somnus. » murmura Kingsley et Nyssandra s'écroula soudain dans ses bras, trop lourde pour ses muscles fatigués. Il ralentit sa chute du mieux qu'il put. Ce ne fut qu'une fois agenouillé, son précieux fardeau dans les bras qu'il prit conscience de l'hostilité ambiante qui régnait dans la pièce.

Et des baguettes qui étaient braquées sur lui.

Enfin… Pas sur lui. Mais sur l'homme qui se tenait derrière lui.

« Pose ta baguette, Severus. » ordonna Remus avec un détachement forcé. « Nous tirerons tout ça au clair lorsque Albus sera là. »

Le loup-garou et Kingsley le visaient tous les deux sans trembler, Charlie et Anthony mirent davantage de temps à tirer leurs baguettes mais ne paraissaient pas plus hésitants, Fleur les aurait peut-être imités mais Bill la tenait trop fermement, un air catastrophé sur le visage.

Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, peu surpris de trouver Snape baguette au poing et apparemment impassible.

« Non. » refusa simplement l'espion.

Et cela mit le feu aux poudres.

Sirius ne perdit pas une seconde avant de poser Nyssa avec précaution et de se redresser, les deux mains levées parce que sa baguette était dans sa poche et qu'il ne tenait pas à un échange de maléfices, fermement planté entre Snape et le reste de la pièce.

Ironie, oh ironie…

Comme James devait se tordre de rire de l'autre côté du voile…

« On se calme. » exigea-t-il.

« Écarte-toi, Sirius. » demanda Remus.

« Snape n'est pas un traître. » s'énerva-t-il, ses yeux fouillant ceux de son meilleur ami, le suppliant silencieusement de se ranger de son côté. Lorsque cela échoua, ils se posèrent sur la jeune femme qui pleurait toujours. « Tonks. »

L'Auror leva un regard vide vers eux avant de le reposer sur le corps de son mentor, trop choquée et abattue pour donner son avis.

« Ne sois pas idiot, Sirius. » insista Charlie. « Tout ça pue la traitrise à plein nez. »

« Sur ce point, je ne peux qu'être d'accord. » décréta Snape d'un ton moqueur. « Traître, il y a. Cependant, navré de vous décevoir, il ne s'agit pas de moi. »

La nouvelle n'était pas le coup de massue qu'elle aurait dû être.

Sirius s'en doutait depuis un moment.

« Ou c'est ce que tu veux nous faire croire. » murmura Tonks, si bas que Sirius l'entendit à peine. « Parce que pendant qu'on chasse les traîtres fantômes, personne ne s'intéresse à toi. »

Le ricanement de Snape fut bref et amer. Trahi, peut-être.

« Autant pour la confiance, Nymphadora. » commenta le Professeur, non sans sarcasme.

La baguette qu'elle leva vers eux tremblait si fort que Sirius doutait qu'elle ait été en état de lancer un quelconque sortilège valable. Il était évident pour lui qu'elle n'avait pas toute sa tête à l'instant.

« Il ne faut faire confiance à personne. » répliqua la jeune femme, la voix chevrotante. « Tu n'as pas cessé de me le répéter. Jette ta baguette. On verra avec Dumbledore. »

« Épatant comme tu retournes dans son giron à la première difficulté. » ironisa le Professeur. « J'espérais que tu avais davantage de jugeote. »

« On essaye de les convaincre que tu es du bon côté. » grommela Sirius. « Alors… Ça aiderait si tu ne te comportais pas comme un connard. »

« Peu m'importe leur opinion. » cingla Snape.

« Tout ça est stupide. » intervint Bill. « Je suis d'accord avec Sirius. »

« Vraiment ? » contra Anthony « Alors pourquoi est-il resté du côté des Mangemorts ? Pourquoi ne pas se battre avec nous ? Tonks avait raison tout à l'heure, si on ne l'a mis au courant qu'au dernier moment comme il le prétend, sa couverture est grillée de toute manière. Pourquoi ne pas se battre avec nous ? »

« Il m'a aidé. » siffla l'Animagus.

« Moi aussi. » hésita Tonks, sa main libre se refermant sur le vieux manteau élimé de Fol'Œil. « Moi aussi… »

Les yeux gris de sa cousine étaient rivés sur l'homme qui se tenait derrière lui, l'échange de regards un peu trop intense à son goût.

« Comment être sûr que ce n'est pas juste une manière de brouiller les pistes ? » riposta Charlie. « C'est un salaud. Ça a toujours été un salaud. Et si Maugrey était là… »

« Mais il ne l'est plus. » répondit Kingsley. « Et je ne suis pas certain qu'il aurait été impartial quoi qu'il en soit. »

Remus fit un pas en avant et Sirius se décala pour mieux faire barrage de son corps. S'il leur prenait l'envie de se déployer en cercle, ils étaient fichus.

« Pose ta baguette et attendons Albus. » insista le loup-garou. « Je ne demande rien d'autre que cela. Pose ta baguette. »

« Je n'ai aucune intention de me livrer désarmé à une bande de Gryffondors assoiffés de justice. » grinça Snape.

« Je lui fais confiance. » offrit Sirius. « Je lui fais confiance et nous sommes encore sous mon toit. Si cela ne vous plait pas. Vous êtes libres de dégager. »

Tonks porta sa main libre à son visage et la laissa immédiatement retomber avant de baisser sa baguette et de reporter son attention sur son mentor, des larmes ruisselant sur son visage.

« Nous faisions confiance à Peter. » lui rappela doucement Remus.

« Et j'ai douté de toi, ce qui nous a tous condamnés. » rétorqua-t-il.

Les lèvres du loup-garou se pincèrent, son regard passant de lui à Snape plusieurs fois. Au bout d'un moment, il hocha la tête une seule fois et rangea sa baguette avant d'aller s'accroupir auprès de Tonks. Elle ne résista pas lorsqu'il la prit dans ses bras et elle enfouit son visage dans son cou, s'accrochant à lui de toutes ses forces.

Il sentit plus qu'il ne vit le mouvement agacé de Snape. Sirius comprenait fort bien. Il aurait été agacé aussi si trois personnes avaient toujours eu leurs baguettes pointées sur lui.

Kingsley abaissa lentement la sienne avec une réticence palpable.

Charlie et Anthony en firent de même après plusieurs autres secondes.

Rassuré, Sirius retourna s'agenouiller auprès de Nyssa tandis que Snape replaçait sa baguette dans l'étui en cuir sanglé à son avant-bras.

Le silence retomba. Fleur aida Bill à boiter jusqu'à un fauteuil, Kingsley marmonna quelque chose à propos du Ministre avant d'emprunter la cheminée vers le Ministère, Charlie envoya un Patronus à Andromeda et un second à Pomfresh…

Sirius écarta délicatement les cheveux sombres du visage de la vampire, cataloguant les différentes blessures qu'elle avait reçues au cours de la bataille. Elle non plus n'avait pas été au mieux de sa forme avant de s'y engager.

Le grognement de Snape fut soudain et suffisamment incongru pour que tout le monde se tourne vers lui une fois de plus. Il agrippait son poignet gauche, les traits crispés par une douleur qu'il refoula au prix d'un effort visible.

Leurs regards se croisèrent et Sirius bondit sur ses pieds une fois de plus.

« Non. » ordonna-t-il.

Preuve qu'il avait conscience de la stupidité de la chose, le Mangemort hésita. Snape s'humecta les lèvres, ses yeux sombres se baissant momentanément vers le poignet que ses propres doigts enserraient toujours comme pour mieux contenir la douleur.

« Il le faut. » décréta pourtant le Professeur. « S'il reste un maigre espoir de convaincre le Seigneur des Ténèbres que je lui suis toujours loyal… Il le faut. »

Le Mangemort se détourna dans un claquement de robes, sans jeter un coup d'œil à qui que ce soit. Sirius le rattrapa dans le couloir et agrippa son bras.

« Pense à Harry. » cracha-t-il. « Si tu vas là-bas et que tu ne reviens pas… »

« Je pense à Harry justement. » répliqua vivement Snape, en se dégageant d'un coup d'épaule. Il cilla. La colère et l'inquiétude disparurent de son visage, remplacées par un détachement aussi lisse que factice.

Il occludait, comprit Sirius, et pas d'une excellente manière.

« Tu n'es pas en état. » asséna-t-il. « Tu tiens à peine debout. Tu… »

« Je finirais ce que j'ai commencé. » l'interrompit le Professeur sèchement. « À chacun sa mission, Black. »

« Snape. » gronda-t-il. « C'est du suicide. »

« Pas encore. » contra l'espion. « S'il avait voulu me démasquer, il l'aurait fait avant la bataille de ce soir, avant que je n'ai l'opportunité de m'enfuir. Il reste une marge de manœuvre. Mince, certes, mais une marge de manœuvre tout de même. »

Comprenant qu'il ne parviendrait pas à lui faire entendre raison, Sirius secoua la tête, stupéfait par sa stupidité. Si ça avait été n'importe qui d'autre, il aurait peut-être parlé de courage mais c'était Snape et il s'en tint donc à stupidité.

« Prends soin de Harry. » exigea le Maître des Potions, d'un ton presque menaçant. « Sur ta vie, Black. »

C'était un serment qu'il avait déjà prêté il y avait de cela longtemps, à un autre homme qui s'était sacrifié pour son fils.

« Sur ma vie. » jura-t-il avec gravité.

Snape le salua d'un hochement de tête et transplana.

Il se frotta le visage avec lassitude et retourna dans le salon où le reste de l'Ordre tentait tant bien que mal de reprendre pied avec la réalité.

Snape n'était pas parti depuis plus deux minutes lorsque Dumbledore émergea de la cheminée. Sirius avait à peine eut le temps de porter Nyssa jusqu'au canapé où elle serait mieux installée qu'à même le sol, sur le vieux tapis poussiéreux rongé par les mites. Les yeux bleus du Directeur se posèrent sur chacun d'entre eux avant de tomber sur le cadavre de Fol'Œil.

Le vieux sorcier le rejoignit en trois enjambées, s'accroupissant auprès de l'ancien Auror pour prendre son pouls, ce qui était bien inutile, son visage ne reflétant rien d'autre qu'une douleur sourde. Il baissa la tête et demeura dans cette position quelques secondes avant de se relever et de se tourner vers Sirius, la seule personne dans cette pièce qui n'ait pas l'air hébété.

L'adrénaline n'était pas encore redescendue. Dans quelques minutes, l'Animagus était certain qu'il aurait l'expression aussi vide et épuisée que Remus ou Bill.

« Azkaban est tombée. » annonça le vieux sorcier. « L'Allée des Embrumes n'était qu'une diversion. »

Sirius ferma brièvement les yeux, sa main s'enfonçant automatiquement dans sa poche à la recherche d'un paquet de cigarettes. Lorsqu'il n'en trouva pas, il se dirigea calmement vers la cuisine.

Qu'y avait-il d'autre à dire de toute manière ?

Outre les quelques prisonniers qu'il y restait encore et qui étaient sans doute venu grossir les rangs des Mangemorts, Azkaban était imprenable. Si Voldemort en avait fait son quartier général, alors ils étaient foutus. Tout simplement.

Il était vaguement conscience que Dumbledore lui avait emboîté le pas, pourtant il ne se retourna pas, envoyant promener Kreattur d'un ordre sec et attrapant avec un soulagement palpable le vieux paquet de cigarettes cabossé qui trainait sur la table.

« Où est Severus ? » demanda le vieux sorcier. « Il nous faut nous organiser. Les… »

« Il est parti. » lâcha-t-il, coinçant une cigarette entre ses lèvres. Il leva les yeux à ce moment là et l'effroi qui passa sur le visage du Directeur était tel qu'il mordit dedans sans le vouloir. Le goût de tabac qui envahit sa bouche était écœurant.

« Non. » contra Dumbledore, la voix nouée. « Je vous ai vu transplaner ensemble. Il n'est pas retourné à Poudlard, je le saurais. Je vous ai vu, Sirius. »

« On a transplané, oui. » confirma-t-il dans un haussement d'épaules. « Puis la Marque… »

La vaisselle exposée sur le buffet s'entrechoqua brièvement avant d'exploser. Dumbledore serra les poings et la vague de magie brute et volatile qui avait soudain pris Sirius à la gorge reflua lentement.

Il avait conscience, sans trop savoir comment, qu'il était heureux que l'homme ait une telle prise sur sa magie. Il arrivait à tout le monde de perde le contrôle de temps en temps, confronté à une nouvelle perturbante, mais peu de gens étaient aussi puissants qu'Albus Dumbledore et s'il avait véritablement perdu pied, il y aurait eut davantage de dégâts que quelques morceaux de faïence brisée.

« Dites-moi qu'il n'est pas retourné auprès de Voldemort. » supplia à moitié le vieux sorcier.

Sirius resta silencieux et Dumbledore se laissa tomber sur une chaise, pâle et défait comme l'Animagus l'avait rarement vu.

« Merlin… » souffla le Directeur avec une détresse palpable. « Je pensais qu'il aurait le bon sens de… Fou que j'ai été… Bien sûr… Bien sûr… J'aurais dû revenir directement ici. J'aurais dû envoyer un Patronus. J'aurais dû…»

Il jeta sa cigarette sur la table, mal à l'aise face à ce monologue. Dumbledore n'avait pas l'air de se rendre compte qu'il parlait à voix haute.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda-t-il.

Il fallut plusieurs secondes avant que l'homme ne tourne les yeux vers lui et, à cet instant, il faisait chacune de sa centaine d'années. Ce n'était plus Albus Dumbledore que Sirius avait devant lui mais un vieillard frêle dont les yeux brillaient de l'éclat trop familier du deuil.

« Il est allé à sa mort. » expliqua Dumbledore, au bout d'un long moment. « Il est démasqué. »

Démasqué…

Les questions se bousculaient sur ses lèvres. Comment le Directeur le savait-il ? En était-il sûr ? Pourquoi ne pas les avoir avertis avant ?

« Qu'est-ce qu'on peut faire ? » gronda-il, sortant déjà sa baguette et prêt, s'il le fallait, à aller rassembler le reste de l'Ordre et à les secouer jusqu'à ce qu'ils se rendent compte de ce qui était en jeu. Il les mènerait au combat une seconde fois ce soir là s'il le fallait parce qu'il était hors de question qu'il ait à apprendre à son filleul que…

Le vieux sorcier ne bougea pas, à peine cilla-t-il, les yeux brillants de larmes contenues.

« Rien. » admit l'homme à regret. « Absolument rien. Il est perdu. »