Hello! Faite gaffe d'avoir lu le 49 avant de lire celui-ci parce que je l'ai publié lundi ;)
Comme d'habitude, j'attends vos retours avec impatience!
Enjoy & Review!
Maura kissed the back of his hand. "You're going to have to be brave."
The Gray Man said, "I'm always brave."
She said, "Braver than that."
Maggie Stiefvater – The Dream Thieves
Maura embrassa le dos de sa main. « Il va falloir que tu sois courageux. »
L'homme En Gris dit : « Je suis toujours courageux. »
Elle répondit : « Plus courageux que ça. »
Maggie Stiefvater – The Dream Thieves
Chapitre 50 : Braver Than That
Severus étudia pour la dixième fois les runes que Bill avait patiemment et méticuleusement tracées sur la pierre. Le Briseur de Sorts en faisait de même à l'autre extrémité pour s'assurer qu'aucune d'entre elles n'était brisée par le sol inégal et trop humide. Le sang commençait à sécher et ils ne pouvaient se permettre de s'attarder beaucoup plus longtemps, le fait qu'il s'agisse de sang volé dans un hôpital Moldu au lieu de fraichement versé affecterait déjà sans doute le rituel – mais aucun d'entre eux n'avait été prêt à sacrifier suffisamment de sang pour la quantité dont ils auraient eu besoin et ils manquaient de prisonniers Mangemorts qui auraient potentiellement pu mourir pour la cause.
Les runes formaient deux cercles reliés par un chemin runique. Des bougies rouges et noires avaient été disposées selon un ordre précis tout autour. Le vieux collier un peu cabossé qui attendait de recevoir l'horcruxe était posé dans le deuxième cercle. Ils n'avaient pas encore sorti le médaillon du coffret que gardait jalousement l'elfe de maison qui observait les préparations avec impatience.
« On est sûr que c'est une bonne idée de faire ça ici ? » demanda Black.
Il se tenait à l'écart, une main protectrice posée sur l'épaule d'Harry, le regard rivé au cadavre du basilic à l'autre bout de l'énorme salle.
Tenter le rituel dans la Chambre des Secrets n'était peut-être pas la meilleure des idées mais c'était la seule qui était venue à Severus. L'endroit était spacieux, suffisamment loin sous l'école pour être isolé et avait dû, en son temps, voir d'autres rituels similaires.
« Connais-tu un autre endroit à Poudlard où nous pouvons nous adonner à de la magie aussi noire sans alerter le Directeur ? » riposta-t-il, sans même lever les yeux.
Pour être franc, ses appartements étaient couverts par suffisamment de sorts de protections pour qu'ils y agissent sans qu'Albus ne soupçonne rien mais l'idée de corrompre l'endroit où il vivait avec Harry par de la magie aussi vile… Il n'avait pas pu s'y résoudre.
« La Salle sur Demande. » répondit Sirius.
« On y est tout le temps et c'est en plein cœur du château. » soupira Harry. « Et puis… Tu-sais-qui a utilisé cet endroit pendant des années sans que Dumbledore ne le remarque. »
« Il y a probablement créé un horcruxe ou deux sans alerter qui que ce soit. » marmonna Bill.
Black leva les yeux au ciel. « Très bien. Faisons le rituel bien noir sous les yeux de la statue de Salazar Serpentard, à deux pas de son animal de compagnie mort. Ça va très bien se finir, je sens. »
Severus termina son inspection et lui jeta un regard agacé avant de se déplacer jusqu'à Harry, vérifiant d'un coup d'œil qu'il portait bien ses gants et avait fermement en main le second crochet de basilic qu'il venait d'arracher à la carcasse. Juste au cas où. Harry ne serait pas présent pour le rituel mais le Professeur le préférait armé.
Ignorant l'Animagus, il plaça ses propres mains gantées sur les épaules de l'adolescent pour emplir son champ de vision, se détestant pour ce qu'il s'apprêtait à faire, pour ce qu'il n'avait pas su éviter.
« Je regrette d'avoir dû te demander de redescendre ici. » déclara-t-il.
Il avait tergiversé et tergiversé, avait envisagé d'utiliser la Cabane Hurlante à la place… Mais la Cabane Hurlante impliquait de quitter Poudlard, ce qui impliquait d'alerter Albus. La Chambre… Il était plus simple d'accéder à la Chambre, surtout avec Kreattur. On ne pouvait transplanner à Poudlard mais les elfes allaient et venaient comme ils voulaient et, le cas échéant, avec qui y ils voulaient. L'endroit était le secret le mieux gardé de l'école. C'était l'endroit parfait pour leurs expériences.
Cela ne voulait pas dire qu'il avait demandé à son fils de les accompagner de gaité de cœur. Devoir l'exposer à nouveau au cadavre du basilic, à la tâche de son propre sang dans le coin, aux souvenirs traumatiques de voir l'horcruxe adolescent du Seigneur des Ténèbres tenter de tuer Ginny Weasley…
« Tu l'as déjà dit. » commenta l'adolescent, avec un sourire un peu forcé. « C'est pas grave. Ça va. Je veux aider. »
S'il avait pu se passer de son aide, le garder à l'écart, Severus l'aurait fait, il n'avait jamais prévu de l'impliquer. Malheureusement, après deux jours passés à étudier le médaillon sous toutes les coutures, ni lui, ni Black, ni Bill Weasley n'étaient parvenus à l'ouvrir. Et Kreattur avait tout essayé au fil des ans.
Harry avait débarqué dans ses appartements après une longue session d'étude totalement improductive et leur avait offert la réponse sur un plateau d'argent avec l'assurance de l'évidence : il fallait lui demander de s'ouvrir en Fourchelang. Le garçon n'avait pas su expliquer pourquoi il en était si sûr mais il était absolument convaincu.
Ce qui impliquait qu'il soit là lorsqu'ils tenteraient le rituel.
« Une fois que tu auras ouvert le médaillon… » reprit-il.
« Je m'éloigne autant que possible et je reste à l'écart quoi qu'il arrive. » répéta Harry avec une irritation certaine. Parce qu'il aurait préféré participer.
Cela allait être suffisamment dangereux comme ça. Severus l'avait interdit.
« Je ne m'attends pas à ce que cela fonctionne. » insista-t-il. « Pas cette fois-ci, tout du moins. Le but est d'aller aussi loin que possible, affiner ce qui fonctionne et repérer ce qu'il faut changer. Et le rituel est extrêmement noir, Harry. Je veux que tu sortes de la Chambre. Je ne veux pas que tu sois exposé à… »
« Je sais. » l'interrompit l'adolescent.
« Kreattur. » appela Black, attirant l'attention de l'elfe qui tenait le coffret contre son torse. « Si Harry est en danger de mort, je veux que tu le sortes d'ici. »
Severus n'avait pas été pour avoir l'elfe dans les pattes pendant le rituel mais Sirius avait insisté, arguant qu'il pourrait être utile si cela se passait mal. Kreattur semblait aller beaucoup mieux depuis qu'il n'était plus exposé quotidiennement à l'horcruxe. En quelques jours, la transformation était déjà marquée. Il avait troqué son chiffon crasseux pour une taie d'oreiller immaculée frappée du blason des Black au centre et les poils blancs qui lui sortaient des oreilles avaient été lavés et ordonnés.
De fait, au lieu de marmonner dans sa barbe à l'ordre de Sirius, il s'inclina bien bas pour indiquer qu'il avait entendu.
« Il faut le faire avant que le sang sèche. » leur rappela Bill, l'air grave. Il se tenait déjà en position, à l'extrémité du second cercle, celui où le collier attendait d'être transformé en vaisseau.
Le Maître des Potions pressa les épaules de son fils et prit sa propre place, en miroir de Bill, du côté de l'horcruxe.
Black, qui avait l'autre crochet de Basilic et serait responsable de détruire l'horcruxe s'ils perdaient le contrôle, étreignit brièvement le garçon puis se dirigea vers Kreattur. Weasley ayant désactivé les protections sur le coffret au préalable, il n'eut qu'à soulever le couvercle et en sortir le médaillon. Ils portaient tous des gants au cas où il leur faudrait toucher un des crochets mais avaient, de toute manière, déterminé que toucher cet horcruxe à mains nues ne les tuerait pas. À défaut d'autre chose.
Prudemment, attentif à ne pas marcher sur aucune des runes, Sirius plaça le médaillon au centre du premier cercle puis recula jusqu'à se tenir près de Kreattur. L'elfe n'était pas armé mais avait ordre de les protéger si cela devenait nécessaire.
« À toi, Harry. » ordonna Severus, en ajustant sa prise sur sa baguette. Il avait abandonné la canne à la maison, sachant que ce qui allait se jouer serait déterminé par sa maîtrise magique davantage que par ses capacités physiques.
Le garçon avança jusqu'à la limite du cercle. Trop près. Beaucoup trop près.
« Il va résister. » les avertit Harry, la tête inclinée sur le côté comme s'il écoutait une voix que personne d'autre ne pouvait entendre. « Il sait. »
« Ses pouvoirs sont limités. » répondit Bill. « Il est vivant mais… »
« C'est un bout d'âme. » l'interrompit Severus, avec un rictus méprisant. « Évidemment qu'il est vivant et évidemment qu'il va résister. Ouvre-le et quitte la pièce, Harry. »
L'adolescent parut hésiter puis prit une profonde inspiration.
Il ne se passa qu'une seule seconde avant que le sifflement rauque ne quitte la bouche du garçon mais pendant cette seconde, Severus rassembla tous ses souvenirs heureux – la soirée de la veille passée à jouer aux échecs avec Harry, tout en s'assurant qu'il soit entièrement prêt pour les B.U.S.E.s le fou rire à lui donner mal au ventre qui l'avait secoué lorsque Nymphadora avait avalé le philtre à babille qu'il avait glissé dans son jus d'orange et qu'elle s'était vue condamnée à dire tout ce qui lui passait par la tête pendant dix bonnes minutes, peu de choses aimables à son encontre étant donné la vilaine farce qu'il venait de lui jouer, mais il avait promis de se venger et il tenait toujours ses promesses les bulles de bonheur des derniers mois – et les enferma dans un coin de sa tête, bien à l'abri derrière une douzaine de couches de boucliers. Pour ce qui allait suivre, il devait être froid, sans sentiments autres que des émotions négatives, méthodique.
Le médaillon bascula en position ouverte d'un seul coup.
Severus vit, du coin de l'œil, Harry reculer précipitamment mais n'osa pas détourner le regard pour vérifier qu'il sortait bel et bien. Les deux verres à l'intérieur du médaillon luisaient comme des yeux à la lumière des bougies.
Il commença à entonner le sort qu'ils avaient mis au point, la voix de Bill se joignant à la sienne comme un écho distordu. L'air s'alourdit alors que la magie noire se déployait autour d'eux comme une fleur vénéneuse… Les runes tracées dans le sang s'éclairèrent d'un coup.
Même Black qui se disait insensible à la magie trépignait d'un pied sur l'autre.
Le médaillon se mit à tourner sur lui-même mais pas sous l'effet du rituel.
Severus échangea un regard alarmé avec Bill mais ne cessa pas de psalmodier, pour autant.
Une voix sifflante qu'il connaissait trop bien emplit alors la Chambre.
« J'ai vu dans ton cœur et ton cœur est mien. »
« Putain. » marmonna Black, en posant une main sur l'épaule de Kreattur. « Va avec Harry, protège le. »
Dans un craquement, l'elfe disparut.
« J'ai vu tes rêves, Severus Snape, et j'ai vu tes peurs. Tout ce que tu désires est possible, mais tout ce que tu crains l'est également… »
Il n'aurait jamais dû toucher le médaillon à mains nues, se reprocha-t-il, tout en continuant à répéter le sort. Il avait senti l'horcruxe le sonder lorsqu'il l'avait étudié, avait senti sa noirceur effleurer son esprit, son âme… Lire en lui, peut-être, au-delà de tout ce que la Legilimencie aurait pu accomplir.
Le médaillon cessa brusquement de tourner sur lui-même et, l'espace d'un instant, tout fût tranquille. Le collier dans lequel il tentait de transvaser l'horcruxe s'était mis à fumer. Severus sentait une résistance mais il sentait aussi la magie qui affluait en lui, lui donnait l'impression qu'il pouvait tout faire, qu'il était tout puissant, que…
La magie noire était une drogue et cela faisait si longtemps qu'il n'y avait pas touchée, pas à ce niveau du moins, qu'il n'avait pas ressenti ce plaisir à jouer avec des forces qui le dépassaient… C'était grisant. Il dût faire un effort conscient pour se reprendre, se concentrer, ne pas laisser son âme se laisser grignoter par la puissance de ce qu'ils étaient en train de faire. C'était moins pire que de tuer un homme. Mais c'était tout aussi dangereux, en un sens : plus tentant, plus enivrant.
Le rituel était presque terminé.
Ils avaient presque réussi.
Ils avaient…
L'éclat de rire de Lord Voldemort résonna dans la Chambre, répercuté à l'infini par les murs de pierres.
« Regarde-toi, Prince de Sang-Mêlé… Tu penses pouvoir me vaincre ? Toi ? Toi qui aurait voulu être comme moi ? Qui aurait voulu être moi ? »
Le collier qu'ils essayaient d'utiliser comme nouveau vaisseau explosa sans un avertissement. Weasley, qui était le plus près, fût projeté au loin et ne se releva pas.
Le sortilège était brisé.
Les runes redevinrent de simples dessins sur la pierre.
Les bougies furent soufflées par un courant d'air soudain.
« Bill ! » s'écria Black, en courant vers lui.
Severus avait eu la présence d'esprit de dresser un bouclier hâtif qui le protégea de la déflagration mais pas de l'attention trop prononcée du médaillon. Il entendit les sorts de soin que Black jetait désespérément, vit la flaque de sang luire à la lumière surnaturelle de la Chambre sous le corps du Briseur de Sorts…
Il ne fit aucun geste pour les rejoindre.
Il ne pouvait pas.
Il était figé.
Figé parce que la magie noire avait ouvert une porte en lui qu'il maintenait habituellement fermée et dans laquelle l'horcruxe s'était engouffré.
Figé parce que les yeux de Tom Jedusor étaient rivés sur lui de l'intérieur du médaillon. Deux têtes sortirent de ses entrailles, suivies par deux torses, quatre jambes… Les silhouettes avaient l'air solide mais leurs couleurs étaient ternes, comme une photo vieillie, et leurs yeux brillaient comme des points rouges. Comme ceux du Seigneur des Ténèbres.
Mais ils étaient facilement identifiables.
C'étaient Lily et James Potter.
« Tu crois être un héro ? » se moqua Lily, avec un rire cristallin qui était le sien et pourtant pas. Déformé. Tordu. Avili. « Tu crois que si tu fais suffisamment semblant d'être courageux tu les mériteras ? »
« Tu m'as volé mon fils. » renchérit James. « Tu crevais tellement d'envie d'être moi que tu m'as fait tuer, tu aurais pris ma femme si elle n'était pas morte à cause de toi et maintenant mon fils… Tu m'as volé mon fils… »
« Tu ne le mérites pas. » répéta Lily.
« Et tu crois que je ne le sais pas ? » rétorqua-t-il, en sachant pourtant que c'était une mauvaise idée de répondre, de lui donner de l'attention, de nourrir le fantasme que ces deux là étaient qui ils prétendaient être. Ce n'était pas la vraie Lily ou le vrai James, pas même un reflet de leurs existences, ce n'étaient que ses propres craintes qui avaient pris forme. Rien d'autre qu'un Epouvantard un peu plus intelligent que la norme. Rien qu'il ne pouvait vaincre.
Où était le crochet de Basilic ?
Où…
« Et elle… » murmura Lily. « Je croyais que tu m'aimais, Sev… Pour toujours. Tu as juré que tu ne m'oublierais jamais. Tu as juré qu'il n'y aurait que moi. Tu as juré que tu mourrais pour te racheter. Et tu m'as remplacée par un modèle plus jeune ? »
Il sentait l'horcruxe l'attirer à lui, comme des crochets plantés dans sa poitrine. Il voulait se détourner, chercher le venin qui lui permettrait de mettre un terme à tout ça, mais ne contrôlait plus son propre corps.
Sans le vouloir, il fit un pas vers le médaillon.
« Comme si elle pouvait t'aimer, de toute manière… » ricana James. « Comme si qui que ce soit pouvait véritablement aimer cette boule de graisse de Servilus… »
Un deuxième pas.
L'Occlumencie n'aidait pas.
Rien n'aidait.
Les mots le transperçaient. Des flèches qui le touchaient à l'âme, un acide qui le rongeait.
« Elle ne t'aime pas. » acquiesça Lily. « Peut-être qu'elle le croit mais elle ne t'aime pas. On n'aime pas un fruit une fois qu'on découvre qu'il est pourri à l'intérieur. Elle t'admire. Elle croit encore que tu es un homme bien, que tu peux devenir l'homme de ses rêves, mais elle ne sait pas… Elle ne sait pas qu'on ne peut pas te faire confiance. Elle ne sait pas que tu la trahiras comme tu m'as trahie moi. Oh, comme elle sera déçue… Tu es prêt à ça, Sev ? Prêt à ce qu'elle te regarde avec dégoût ? Avec haine ? »
Un autre pas et il venait de passer les runes à présent bien inutiles.
« Tu vas la souiller comme tu souilles tout. Comme tu souilles mon fils. » siffla James, ses yeux rouges brillant de haine. « Tu me l'as arraché. Tu me l'as… »
Soudain, alors qu'il tendait involontairement la main vers le médaillon, luttant de toutes ses forces contre la volonté qui se supplantait à la sienne, quelque chose lui rentra dedans et il eut le souffle coupé.
Il tomba lourdement au sol, remarquant à peine la douleur vive dans sa jambe, l'esprit embrumé par…
Black se dressait entre lui et les silhouettes, le crochet emprisonné dans son bras levé, la respiration hachée, mais il ne se décidait pas à frapper.
Ou, plus possiblement, il ne pouvait pas frapper.
Severus n'était pas le seul à avoir touché le médaillon à mains nues au Square Grimmaurd, à lui avoir stupidement ouvert une fenêtre vers son âme.
« Ah… Le meilleur ami qui a précipité ma mort avec sa brillante idée… » se moqua James dans un rire cruel. « J'ai vu ton cœur, Sirius Black. J'ai vu tes désirs. J'ai vu tes craintes. Tant de craintes pour un Gryffondor… Mais un véritable Gryffondor ne serait pas si empressé de mourir et de laisser les difficultés aux autres, n'est-ce pas ? Peut-être le Choixpeau s'est-il trompé… Peut-être que tu aurais dû finir à Serpentard comme tous les autres membres de ta famille ? Peut-être qu'au fond tu es le digne héritier de la Maison des Black. Fou à lier. Lâche. »
Black restait immobile.
Severus se repoussa en position assise avec davantage de difficultés que ne l'expliquait sa jambe. Son corps était trop lourd, comme si la gravité avait soudain augmenté, sa tête tournait et…
« Fils indigne. » cracha Walburga Black, là où Lily s'était tenue une seconde plus tôt. « Merlin seul sait d'où tu sors. Tu as laissé mourir ton frère par jalousie. Parce que tu savais qu'il était cent fois l'homme que tu es. Regulus était digne d'être le Chef de famille. Il était digne d'être le futur des Black. Et toi… Toi… »
« Traître. » murmura la voix de Lupin qui avait remplacé la silhouette de James. « Traître à ta famille. Traître à tes amis. Traître qui préfère nos ennemis à tes meilleurs amis. Tu me laisses m'enfermer dans ma folie parce que c'est plus simple de passer ton temps avec Snape. De jouer à la petite famille parfaite avec Harry et lui. Mais James t'aurait renié de laisser ce Mangemort tourner autour de son fils. James t'aurait haï pour tes choix. C'était ton idée de changer avec Peter. C'est toi qui les a tués. C'est ta faute si Harry a grandi seul et malheureux. Ta faute. »
Le crochet de Basilic échappa aux doigts gourds de Black et tomba au sol dans une série de cliquetis.
Severus rampa dans sa direction.
L'Animagus, pour sa part, avait fait un pas vers le médaillon, main levée comme pour l'attraper…
Le Maître des Potions devinait que si l'un d'eux touchait l'horcruxe à cet instant précis… Son poison était trop insidieux, il tenait leurs âmes bien trop fermement dans ses pinces…
« Qu'est-ce que tu fais, Papa ? » demanda la voix moqueuse d'Harry.
Il tourna la tête pour voir qu'un double de son fils avait pris la place de Walburga Black. Sauf que cette vision lui fit serrer la mâchoire parce qu'elle était… Le garçon avait l'air trop parfait, trop détendu, les mains dans les poches, un sourire arrogant aux lèvres, les yeux rouges… Peut-être une de ses peurs les plus refoulées. Un Harry qui ressemblait trop à un jeune Seigneur des Ténèbres. L'horcruxe transformerait-il un être vivant en une copie de l'original ou bien influencerait-il Harry jusqu'à le transformer en une sorte d'hybride ? Jusqu'à ce qu'Harry soit une version pervertie de lui-même ? La vision sourit cruellement, comme si elle savait pertinemment ce à quoi il pensait.
« Et que crois-tu que je deviendrais, de toute manière, exposé à ton influence ? » railla son fils. « Puissant. Cruel. Manipulateur. Mauvais. À ton image. »
Il secoua la tête, se força à se reconcentrer sur le crochet de Basilic…
Black luttait tant que son corps tremblait mais ses doigts n'étaient plus qu'à quelques centimètres de l'horcruxe et ses yeux brillaient d'un éclat écarlate qu'il devinait luire également dans ses propres pupilles. Ils étaient si complètement sous l'emprise de l'horcruxe que…
« Ça vaut mieux que lâche, bon à rien et déloyal comme Sirius. » renchérit Lupin.
L'Animagus laissa échapper un gémissement alors qu'il tentait de fermer le poing, de retarder encore le moment où…
Il y eut un craquement sonore et puis Black tomba au sol, maîtrisé par une boule de poils que Severus identifia comme étant Kreattur avec un temps de retard.
« Maître Sirius ne doit pas toucher ! Très mauvais ! Très mauvais ! » gronda l'elfe, en ceinturant son maître.
« Kreattur. Mauvais elfe ! » cria une version fantomatique de Regulus.
Les oreilles de Kreattur tressautèrent avec agitation mais l'elfe secoua la tête et refusa de lâcher Black, de le laisser se relever. Ça ne l'empêcha pas de se frapper la tête contre le sol lorsqu'il le pouvait.
« Tu n'en as pas assez de te trainer au sol comme une mauviette, Severus ? » siffla Tobias Snape. « Lève-toi. Lève-toi et bats toi comme un homme au lieu d'aller pleurnicher dans les jupes de ta mère. Quand est-ce que tu arrêteras d'aller te cacher derrière une fille, hein ? »
Il avait presque atteint le crochet de Basilic… Il avait presque…
L'ordre le prit au ventre et il eut beau lutter, eut beau se retrancher derrière ses boucliers mentaux, il se vit contraint de s'accroupir et, à contrecœur, de se remettre debout.
« Ta mère, d'abord. » Le rire de son père était aussi gras que dans ses souvenirs, aussi embrumé d'alcool, rendu rauque par la cigarette. « Puis cette petite pute rousse après qui tu haletais comme un chiot en chaleur. Et maintenant cette… »
Le sombral argenté fusa droit sur Tobias le faisant momentanément éclater, avant de galoper autour de lui, Black et Kreattur, créant un cercle protecteur.
Le temps que son père ne se reforme, Severus avait l'esprit un peu plus clair et il ramassa rapidement le crochet de basilic.
Il n'eut pas le temps d'essayer de détruire l'horcruxe.
Dans un hurlement à glacer le sang les silhouettes disparurent et le silence retomba sur la Chambre, troublé uniquement par les coups de tête que Kreattur donnait contre le sol pour se punir. Ils ne tardèrent pas à se tarir lorsque Black l'attrapa à bras le corps pour l'arrêter.
Severus se tint là, à bout de souffle, et croisa le regard de son fils qui, accroupi près de ce qui restait du médaillon fracassé, haletait lui aussi. L'horcruxe fumait légèrement mais semblait inerte.
Black rendit finalement sa liberté à l'elfe et roula sur le côté pour s'asseoir prudemment.
« Je ne t'avais pas ordonné de sortir Harry d'ici ? » demanda l'Animagus.
« Si Maître Harry était en danger de mort. » nuança Kreattur. « Et Maître Sirius a aussi ordonné à Kreattur d'obéir à Maître Harry comme à lui. Maître Harry est l'héritier de Maître Sirius. Maître Harry voulait aider Maître Sirius. Kreattur aussi. Maître Harry n'était pas en danger de mort. Kreattur n'a pas vraiment désobéi. »
L'elfe devait pertinemment savoir que son raisonnement, pour aussi recevable qu'il fût, allait à l'encontre de la volonté de son maître, parce qu'il recommença à se frapper.
Black attrapa ses poignets rapidement. « C'est bien. Tu as bien fait, Kreattur. Mais obéis-moi la prochaine fois. Surtout si c'est à propos d'Harry. » Il jeta à son filleul un regard faussement courroucé. « Et toi, ne retournes pas mon elfe contre moi. »
Finalement, Severus sortit de sa torpeur et se précipita sur son fils, en boitant, pour l'écarter des restes de l'horcruxe. « Je t'ai ordonné de partir. »
Harry leva les yeux au ciel. « Comme si j'allais vraiment te laisser. »
« Bill ! » s'exclama Black, en se hâtant vers l'homme qui n'avait toujours pas fait mine de se relever. « Severus ! »
Décidant que gronder Harry pouvait attendre, il se précipita au chevet du Briseur de Sorts. L'Animagus avait clairement tenté d'endiguer les dégâts plus tôt mais ses blessures étaient profondes. Lorsque le collier avait explosé, des bouts de métal s'étaient logés dans sa poitrine.
« Vulnera Sanentur. » murmura Severus, encore et encore. Sa baguette tremblait trop et il n'était pas aussi précis qu'il l'aurait fallu. Et son état d'esprit n'était pas le meilleur pour de la magie de soin qui était, par définition, de la magie très pure. Avec un claquement de langue, il leva la tête vers son fils. « Harry, prends ma place. »
Le garçon s'exécuta avec hésitation. « Je n'ai jamais jeté ce sort… »
« Je vais te guider. » insista-t-il, en posant une main sur son poignet. « Vulnera Sanentur. Concentre toi sur les plaies et l'idée de les refermer, des pensées positives comme pour un patronus. »
C'était beaucoup lui en demander alors qu'il venait de détruire un horcruxe mais Harry ferma les yeux quelques secondes, le temps sans doute d'Occluder ce qui le dérangeait, puis balada sa baguette le long des plaies, répétant doucement la formule, à voix presque inaudible. Sa méthode manquait de finesse et Bill garderait très certainement des cicatrices mais les saignements se tarirent et les paupières du Briseur de Sorts se mirent à papillonner lentement.
« Kreattur, peux-tu nous ramener dans mes appartements ? » demanda Severus.
« Kreattur peut. » L'elfe se tenait devant l'horcruxe qui avait cessé de fumer et lui donna un petit coup de pied. « Vilain médaillon. »
« Très vilain, mais il est détruit. » commenta Black. « Il est détruit, on est d'accord ? »
Ce fût Harry qui répondit. « Il est définitivement détruit. »
« Tu peux le sentir ? » s'inquiéta Severus. Parce que si Harry pouvait le sentir alors le Seigneur des Ténèbres…
« Je l'ai senti parce que j'étais à côté, je crois. Comme la bague. Je ne pense qu'il… Je ne sais pas. » répondit le garçon, en se tournant vers l'elfe. « Kreattur, tu peux nous sortir d'ici, s'il te plait ? »
« Oui, Maître Harry. »
Le transport par elfe de maison était similaire au transplannage d'escorte. Et tout aussi désagréable. Severus s'écroula dans un fauteuil dès qu'ils se furent matérialisé dans son salon.
Bill reprenait lentement conscience…
« Harry, le placard à potions. » demanda le Professeur.
« Reconstituant sanguin ? » répondit le garçon, sans attendre de réponse pour tirer la fiole correspondante du placard et s'agenouiller auprès de Bill pour l'aider à la boire.
Black s'était laissé aller sur le canapé et se frottait le visage. « Est-ce que c'était un échec ou un succès ? »
C'était un succès dans le sens où ils devaient détruire les horcruxes pour vaincre le Seigneur des Ténèbres mais un échec parce qu'ils n'étaient pas plus près de sauver Harry.
Et tout le monde dans cette pièce en était conscient.
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Harry n'eut pas besoin du regard appuyé de Severus pour quitter le salon et se diriger vers la cuisine où Kreattur s'était retranché. Le Maître des Potions n'aimait pas l'idée qu'un elfe sans surveillance rôde dans leurs appartements et Harry en avait assez d'écouter la conversation trop technique des trois sorciers. Bill était à peu près remis mais s'était mis immédiatement à parler théories, Severus et Sirius avaient beaucoup d'idées eux aussi… Et la moitié de la discussion passait au-dessus de sa tête.
Harry ne savait pas si c'était le sang qui posait problème parce qu'à utiliser des poches de sang Moldu, on perdait l'idée de sacrifice, ou si c'était la nature de telle ou telle rune, ou même s'il fallait affiner la formule et, pour être franc, il s'en fichait.
Il ne s'était jamais attendu à ce que cela fonctionne.
Et pourtant il ressentait quand même une pointe de déception. La terreur qu'il occludait en permanence avait augmenté d'un cran.
Parce que le nombre d'horcruxes était son compte à rebours.
L'elfe de maison avait grimpé sur une chaise et semblait occupé à réorganiser les épices alignées sur le plan de travail. La bouilloire chauffait et, à côté, attendaient théière, tasses et plateau.
« Pas sûr que Sev apprécie que tu touches à son système de rangement. » l'avertit Harry, en se laissant tomber sur une chaise.
Kreattur continua à déplacer des choses, selon une logique qui était la sienne.
« Le jeune maître a besoin de quelque chose ? » demanda l'elfe, sans lui jeter un regard. « Le jeune maître veut un chocolat chaud au lieu de thé ? Kreattur fait du bon chocolat chaud. »
Et, comme si c'était décidé, l'elfe claqua des doigts et une casserole de lait apparut sur le poêle, juste à côté de la bouilloire.
Harry s'était toujours demandé comment fonctionnait la magie des elfes. Souvent, ils semblaient simplement claquer des doigts et les choses apparaissaient comme s'il n'y avait pas de préparations en amont mais les elfes de Poudlard trimaient toute la journée dans la cuisine pour préparer les repas et Kreattur était en train de faire chauffer du lait et de l'eau manuellement et…
« Est-ce que tu es obligé de tout faire chauffer comme ça ou est-ce que tu pourrais simplement claquer des doigts ? » s'entendit-il demander, en observant l'elfe passer à la réorganisation du placard à vaisselle. Il n'y avait pas grand-chose à ranger là-dedans mais ça ne l'empêcha pas de le faire.
« C'est meilleur lorsqu'on y met du travail. » répondit Kreattur, avant de se tourner vers lui, agitant les oreilles avec détresse. « Maître Harry est pressé ? Maître Harry le veut tout de suite ? Kreattur peut… »
« Non, non… » le rassura-t-il, en levant les deux mains. « Simple curiosité. »
L'elfe le dévisagea longtemps, avec méfiance, comme s'il n'était pas certain qu'il disait la vérité puis la bouilloire siffla avant de s'envoler pour aller verser l'eau fumante dans la théière où attendaient déjà les feuilles de thé. Kreattur n'avait même pas agité la main, il continuait à regarder Harry avec incertitude.
La transformation de l'elfe n'était pas radicale mais elle était perturbante.
Il avait été facile de le détester lorsqu'il avait ressemblé à un vieux crapaud rabougri et sale qui pestait et insultait tout le monde en trainant dans les coins sombres. Mais Kreattur était maintenant propre, avec une taie d'oreiller fièrement marquée du sceau des Black, et il avait l'air beaucoup plus sain d'esprit. On ne pouvait pas nier l'étincelle d'intelligence qui brillait dans son regard.
Mal à l'aise, Harry se remémora Dobby et…
Il n'aurait pas dû être aussi dur avec Kreattur, l'été précédent. Certes, il n'avait fait que suivre l'exemple de Sirius mais…
Kreattur vivait dans un réduit minuscule dans la cuisine, il était ignoré et détesté par son maître qui était censé, techniquement, prendre soin de lui, et… Et… Et…
Harry dressa une barrière de flammes entre lui et le parallèle que son cerveau essayait de faire. S'il devait mourir bientôt – et il n'y avait aucun doute qu'il allait mourir bientôt – il ne voulait pas perdre de temps à penser aux Dursley, n'en déplaise à Severus ou Sirius.
« Je peux te poser une question ? » hésita-t-il. « Tu n'es pas obligé de répondre. » L'elfe inclina la tête sur le côté, semblant attendre, ce qu'il prit pour une permission. « Est-ce que tu préférerais… Est-ce que tu préférerais être libre ? »
Dobby n'avait jamais voulu que ça et était très heureux mais Winky avait vécu ça comme la pire des humiliations et ne s'en était jamais remise.
Il ne savait pas qui de Ron ou d'Hermione avait raison au sujet des elfes de maison. Quand il y pensait… Cela le mettait mal à l'aise. C'était plus simple d'accepter que c'était ainsi que marchait le monde magique. Plus simple mais peut-être pas plus éthique.
Les yeux de Kreattur s'agrandirent d'effroi et il sauta de la chaise pour se jeter à genoux aux pieds de Harry.
« Kreattur a déplu au jeune maître ? » gémit l'elfe, en frappant le torse avec une détresse non feinte. « Kreattur va être congédié ? Non, non, Maître Harry ! Kreattur préfère mourir ! Kreattur… »
« Arrête, arrête ! » s'alarma-t-il, en se reprochant d'avoir posé une question aussi stupide.
« Harry, tout va bien ? » lança Sirius du salon.
« Oui, oui ! » mentit-il, tout en fermant la porte d'un coup de baguette.
Il lui fallut presque cinq minutes pour calmer l'elfe et le convaincre qu'il n'avait aucune intention de demander à son parrain de le renvoyer. Il lui en fallut cinq de plus pour l'installer à table et le forcer à accepter la tasse de thé qu'il posa devant lui. Kreattur paraissait suprêmement mal à l'aise et ne touchait pas au thé.
Les elfes de maison n'en buvaient peut-être pas.
Ou bien Harry était un idiot et…
« Le jeune maître veut que Kreattur boive avec lui comme un égal ? » s'effraya l'elfe. « C'est inconvenant, Maître Harry, très inconvenant ! Kreattur ne mérite pas cet honneur ! Kreattur… »
« Tu as aidé à détruire un horcruxe. » l'interrompit Harry. « Et tu as finalement rempli la mission de Regulus. Ça se fête. Tu mérites bien… euh… cet honneur. »
Kreattur cilla plusieurs fois en l'observant d'un air émerveillé. C'était plus subtil que lorsque Dobby le dévisageait ainsi mais non moins… dévoué.
« Maître Harry est gentil. Maître Harry sera un bon maître pour Kreattur. » décida l'elfe. « Même si Maître Harry n'est pas vraiment un Black et que sa mère était une Sa… » Kreattur s'interrompit, pâlit, puis se frappa la tête contre le bord de la table, renversant du thé partout. Harry eut à peine le temps d'esquisser un geste que la créature avait cessé son manège et le regardait avec crainte. « Maître Sirius a ordonné à Kreattur de ne plus utiliser de vilains mots. Mais Kreattur oublie. »
« Ce n'est pas grave. » promit-t-il. « Essaye juste d'éviter. »
Nouveau cillements puis l'elfe claqua des doigts. Le plateau de thé disparut, probablement pour aller rejoindre le salon où discutaient toujours les trois hommes, le liquide renversé rejoignit la tasse de l'elfe, et Harry se retrouva avec un mug fumant de chocolat chaud où baignaient de petits marshmallows devant lui.
Il attrapa la tasse à deux mains pour s'y réchauffer les doigts. « Merci. »
Kreattur s'inclina – ou tenta de s'incliner, ce qui était dur à faire alors qu'il était agenouillé sur une chaise pour atteindre la table.
« Je ne voulais pas t'offenser tout à l'heure. » grimaça-t-il. « Je me posais la question parce que… Je croyais que tu détestais Sirius. »
Un tic nerveux agita le visage de l'elfe. « Maître Sirius n'est pas le préféré de Kreattur. » Son œil tressauta jusqu'à ce qu'il ne cède à l'impulsion et ne se donner un énorme coup sur le nez. « Kreattur ne doit pas dire du mal de son maître ! »
« Pardon ! Pardon ! » s'excusa rapidement Harry. « Je ne voulais pas… » Il soupira. Peut-être que ce serait plus simple de mettre simplement un terme à la conversation. Il prit une gorgée de chocolat et se figea. « C'est le meilleur chocolat que j'ai jamais bu. »
Et il ne mentait même pas.
Kreattur se rengorgea. « Mes jeunes maîtres et maîtresses ont toujours aimé le chocolat chaud de Kreattur. Toujours. Maîtresse Bella et Maître Sirius en redemandaient toujours à Kreattur. »
Harry lui sourit sans trop savoir quoi dire. Il était évident que l'elfe avait toujours de l'affection pour Bellatrix.
Kreattur hésita puis porta la tasse à ses lèvres, comme au ralenti, comme s'il s'attendait à ce qu'Harry lui ordonne brusquement de ne pas le faire et de se punir pour avoir eu la prétention de boire en compagnie d'un humain. Lorsque rien de tout ça ne se passa, l'elfe parut se détendre. « Maître Regulus était le meilleur maître. Kreattur était en charge du bébé quand Maître Regulus est né. La maîtresse a dit : Kreattur et Kreattur seulement. Maîtresse faisait confiance à Kreattur. Kreattur s'était aussi occupé de la maîtresse lorsqu'elle était enfant. Beaucoup d'honneur. Beaucoup. Maître Regulus était un si gentil garçon. Si gentil. Si courageux. Si bon avec Kreattur. »
Pas étonnant qu'il ait tellement aimé le frère de Sirius s'il l'avait pratiquement élevé, se dit-il. Ou qu'il déteste tellement Sirius de ne pas être lui. Ou que Sirius le déteste parce que Regulus était son préféré.
« Je suis sûr que tu t'occupais très bien de lui. » offrit-il maladroitement.
« Kreattur voulait être le meilleur elfe pour Maître Regulus. » soupira tristement l'elfe, en se perdant dans la contemplation de sa tasse de thé, avant de visiblement se reprendre. Il se redressa légèrement. « Maintenant Kreattur va être un bon elfe pour Maître Sirius et Maître Sirius sera un bon maître pour Kreattur. Maître Sirius l'a dit. Et Kreattur va servir la noble et ancienne nouvelle génération des Black comme il a servi Maître Regulus et sa maîtresse. »
Harry fronça les sourcils parce que ça n'avait pas grand sens pour lui mais l'elfe semblait si convaincu qu'il se força à sourire. « C'est bien. Tant que ça te rend heureux. »
Kreattur l'observa comme si c'était lui qui ne faisait aucun sens. « Kreattur est heureux d'être un bon elfe. Kreattur est malheureux quand il ne peut pas être un bon elfe. Kreattur ne peut pas être un bon elfe sans un bon maître. Maître Harry comprend ? »
« Oui. » mentit-il. « Je comprends. »
Ça devait être la bonne réponse parce que l'elfe de maison hocha la tête d'un air entendu, termina son thé et repartit à l'assaut des placards pour mieux les ranger.
Harry but son chocolat lentement, grignotant les marshmallows détrempés qui fondaient sur sa langue…
« J'avais… J'avais de mauvais maîtres avant. » s'entendit-il déclarer dans le silence relatif de choses qu'on déplaçait dans le placard. Les bruits moururent immédiatement. Il y eut un craquement puis Kreattur réapparut juste en face de lui, debout sur la chaise qu'il avait précédemment occupée, une expression confuse sur le visage.
« Le jeune maître est un sorcier. Le jeune maître n'est pas un elfe. » contra Kreattur, en l'étudiant plus attentivement. « Le jeune maître n'est pas non plus un demi-elfe. »
Ça existait ?
Il mit ça de côté très, très vite. Il y avait certaines choses auxquelles il ne valait mieux pas penser.
« C'est… une image. » lâcha-t-il, sans savoir pourquoi il continuait de parler alors qu'il avait décidé de ne plus aborder le sujet. Ou pourquoi il en parlait à un elfe qui, jusque là, avait toujours été hostile voir haineux avec lui. « Les gens qui étaient censés s'occuper de moi… Ils n'étaient pas très gentils. Ils me traitaient un peu comme Sirius te traitait avant. Moi aussi je vivais dans un placard et je ne devais pas faire de bruit, prétendre que je n'existais pas. »
Kreattur plissa les yeux dans une expression étrange. Il lui fallut plusieurs secondes pour l'identifier comme étant de la colère sourde. « Maître Harry est un sorcier. Les sorciers ne vivent pas dans des placards. Les bons elfes ne vivent pas dans les placards non plus. Les bon elfes ont des quartiers dans le grenier. Maître Harry n'est pas un elfe mais si Maître Harry était un elfe, il vivrait dans les quartiers sous les toits. »
Kreattur essayait de dire qu'il aurait été un bon elfe, déduisit-il, en souriant tristement. Ce qui semblait être le plus haut compliment dans son arsenal.
« Non, les gens normaux n'enferment pas un bébé dans un placard. » murmura-t-il. « Mais eux ils l'ont fait. Et… Et ils me faisaient souvent faire le ménage, la cuisine, le repassage, le jardinage… Pour m'occuper. » Pour qu'il gagne son pain, disait Pétunia. Cela ne lui avait même pas paru anormal à l'époque, ce n'est qu'avec le temps qu'il avait réalisé que Dudley n'avait jamais rien à faire. « Ils n'étaient pas très gentils. »
L'elfe de maison se pencha en avant et baissa la voix dans un croassement à peine audible. « Si Maître Harry l'ordonne, Kreattur peut leur faire beaucoup, beaucoup de mal. Maître Harry est gentil. Kreattur serait content de faire beaucoup de mal à ses méchants maîtres. »
Et c'était tentant, s'aperçut-il.
Très tentant.
Suffisamment tentant pour qu'il sente l'horcruxe s'agiter en lui, roucoulant presque de plaisir à la notion de la souffrance qu'éprouveraient les Dursley.
« Non. » se dépêcha-t-il de refuser. « Non, merci. Ils n'en valent pas la peine. »
Kreattur l'observa longtemps puis hocha la tête d'un air entendu. « Si Maître Harry change d'avis, Kreattur est prêt. »
Et, comme s'il ne venait pas de proposer de torturer des gens pour lui, l'elfe se détourna à nouveau et repartit à son ménage.
°O°O°O°O°
« C'est forcément le sang. » insista Bill. « Tous les livres disent qu'il faut un sacrifice pour créer un horcruxe, si on suit cette logique pour le déplacer, il en faudrait un équivalent. »
Sirius ferma les yeux, affalé sur le canapé, sa tasse de thé corsée à la main – béni soit Kreattur, il n'avait même pas eu besoin de le lui demander – et écoutait la conversation tourner en rond. Harry était parti un peu plus tôt et il aurait dû en faire de même, parce que…
« On ne va pas commettre un meurtre. » cingla-t-il, en rouvrant les yeux pour fusiller l'ainé des Weasley du regard. « Tu n'es pas en train de suggérer qu'on commette un meurtre, Bill, si ? »
« Bien sûr que non. » soupira Bill, en se frottant le visage, l'air défait et toujours trop pâle malgré la potion de reconstituant sanguin et la potion antidouleur. « Je dis juste que sans ça… »
Sirius tourna la tête vers Severus, le trouvant beaucoup trop silencieux. L'ancien espion avait une étincelle calculatrice dans le regard qu'il n'aimait pas du tout et ses doigts tremblants pianotaient sur l'accoudoir.
« Non, nous n'allons pas aller capturer un Mangemort pour le saigner à blanc. » grinça-t-il. Les yeux noirs croisèrent les siens, gardés et durs. « Non, Severus. »
La bouche du Maître des Potions se contracta avec un agacement manifeste mais l'homme se contenta de soupirer. « Je persiste à penser que le problème était la nature du vaisseau de remplacement. Le rituel a fonctionné correctement jusqu'au moment précis où l'horcruxe devait changer d'objet. »
« Quoi, tu penses qu'il n'aimait pas le collier ? » se moqua-t-il.
« Je pense… » rétorqua Severus « … que le Seigneur des Ténèbres a choisi ses vaisseaux à dessein, qu'ils étaient tous importants à ses yeux, qu'ils avaient du sens. Même Harry, si tu y réfléchis, avait de l'importance pour lui, il le craignait, en avait fait son égal dans son esprit. Peut-être qu'essayer de transvaser un horcruxe dans un banal collier n'est pas la meilleure idée que nous ayons eu. Au minimum, il nous faudrait un objet lui ayant appartenu. »
« Ça se tient. » admit Bill. « On peut tester la théorie sur le prochain. Seulement, on va vite être à court d'horcruxes pour faire des expériences. Si le problème ne vient pas du vaisseau… »
« Alors nous trouverons un Mangemort qui ne manquera à personne et, pour reprendre l'expression de Black, nous le saignerons à blanc. » lâcha froidement Severus.
La déclaration lui fit froid dans le dos.
L'homme assis dans ce fauteuil, ce n'était pas l'homme qu'il avait appris à connaître et apprécier ces derniers mois.
C'était l'adolescent agressif qui inventait des sorts noirs pour mieux les tester sur les Maraudeurs.
« Baisse tes boucliers. » exigea-t-il, alarmé.
Le regard de Severus se déplaça vers lui, toujours froid, toujours dur. Un peu trop vide.
Il était un peu trop facile d'imaginer qu'il y brillait toujours la lueur écarlate.
« Severus. Baisse tes boucliers. » répéta-t-il, avec un peu plus d'urgence.
L'espace d'une seconde, il pensa que l'homme allait l'envoyer se faire voir, puis, avec une expiration presque douloureuse, il s'exécuta. La transformation fût immédiate. Le corps de l'ancien Mangemort perdit en tension, son expression devint moins lisse, ses yeux plus vivants…
« Ça va mieux ? » demanda prudemment Sirius.
« Je ne le formulerais pas comme ça. » marmonna Severus.
« C'était de la magie très noire. » commenta Bill, en grimaçant. « Je n'avais jamais… C'était très désagréable. »
Il doutait que ce soit le rituel de magie noire qui ait indisposé l'ancien Mangemort. Un bref échange de regards le confirma. C'était l'horcruxe, le problème. La manière dont il avait enfoncé ses crocs dans leurs âmes, dont il avait exposé des choses qui…
« J'ai besoin d'une douche. » continua l'ainé des Weasley, plaisantant à moitié. « Si on a fini pour aujourd'hui… »
« Où est-ce qu'on va trouver un objet ayant appartenu à Vol… Vous-savez-qui ? » demanda-t-il.
« Ça doit se trouver au marché noir. » répondit Bill. « Quant à savoir s'ils sont authentiques… »
« Il doit bien rester quelque chose de son passage à Poudlard… » murmura Severus.
Mais ce serait un problème pour un autre jour, comprit Sirius.
Ils se séparèrent sur cette conclusion. Il renvoya Kreattur au Square Grimmaurd, hésitant l'espace d'un moment à le suivre, ne serait-ce que pour se perdre momentanément dans les bras de Nyssa, puis se souvint qu'il était censé s'assurer que tout était prêt pour les examens de Soins aux Créatures.
La plupart du temps, il adorait être un Professeur à Poudlard, surtout depuis qu'il partageait les inconvénients avec Severus, mais il y avait des jours comme aujourd'hui où la futilité de certains aspects le heurtait comme un uppercut à l'estomac.
Qui se souciait des B.U. ou des A.S.P. lorsque la guerre était à leurs portes ?
Il traversa le château lentement, les mains dans les poches, répondant d'un sourire forcé ou d'un hochement de tête aux saluts de ses élèves, notant que les plus jeunes se sentaient déjà en vacances avant l'heure. Le parc était bondé des premières aux quatrièmes années qui profitaient du beau temps.
En temps normal, cela lui aurait arraché un sourire et lui aurait réchauffé le cœur, cela lui aurait rappelé tous ses meilleurs souvenirs. À cet instant…
Traître, murmurait la voix de Remus à son oreille. Le mot était douloureux parce qu'il savait que ce n'était pas si éloigné de ce que le loup-garou pensait réellement.
Il était un piètre meilleur ami.
Et, oui, c'était l'évidence, peut-être que s'ils avaient finalement affronté les non-dits entre eux… Mais ils étaient incapables de le faire. Remus était incapable de lui cracher au visage qu'il avait trahi le premier en doutant de lui et Sirius était incapable de l'accuser de l'avoir laissé pourrir à Azkaban pendant douze ans sans douter une seconde de sa culpabilité.
Hagrid était dans son potager. Il le salua, fit la conversation quelques minutes et aurait été bien incapable de dire de quoi ils avaient parlé lorsque le demi-géant lui indiqua finalement où il pourrait trouver Charlie et Anthony.
Les étables empestaient le crin et le fauve. Il n'y avait pas que des sombrals dans les boxs et la quantité d'animaux rendait le tout presque irrespirable. Sans compter qu'il faisait très chaud à l'intérieur.
Anthony était tout au bout et était occupé à pelleter du crottin. En sueur, il avait ôté sa chemise.
Sirius n'avait pas d'appréciation particulière pour le corps masculin mais il nota les muscles habituellement cachés sous les vêtements ainsi que les cicatrices qui bardaient son dos et son torse. Des griffes de dragons, certainement. Mais pas que. C'étaient le genre de cicatrices que Severus devait avoir aussi. Il nota également qu'il n'y avait pas la moindre trace d'une Marque des Ténèbres.
Encore que cela ne voulait rien dire.
Traditionnellement, un Mangemort la portait à l'avant-bras gauche mais cela ne signifiait pas qu'elle ne pouvait pas être ailleurs.
« Salut ! » lança-t-il, lorsqu'il devint évident qu'Anthony ne l'avait pas entendu entrer.
Le jeune homme avait dû être perdu dans ses pensées parce qu'il sursauta et se tourna vers lui d'un coup, pelle levée comme pour lui asséner un coup. Il fallut quelques secondes de trop pour qu'il l'abaisse, comme s'il avait lutté l'espace d'une seconde avec l'idée de frapper Sirius.
Ce dernier fronça les sourcils. « Ça va ? »
Anthony planta la pelle dans le sol et se frotta les mains pour en ôter la poussière. « Il fait trop chaud. Les bêtes sont nerveuses. Je suppose que c'est contagieux. »
L'explication était entièrement rationnelle mais sonnait faux, pourtant.
Sirius se pencha pour jeter un coup d'œil à un des boxs. Un hippogriffe lui rendit son regard et il préféra s'éloigner prudemment. « Où est Charlie ? »
« Il est allé chercher de la viande fraiche pour les nourrir. » répondit Anthony. « Tu voulais quelque chose ? »
« Je croyais que vous ne pouviez pas vous éloigner l'un de l'autre ? » remarqua-t-il, innocemment. Ou aussi innocemment qu'il le put.
« On ne peut pas. » répliqua sèchement le jeune homme, en plongeant les mains dans les poches. « Mais on a gagné en distance. Il n'est pas si loin. »
Sirius le dévisagea un moment puis décida qu'il n'était pas fait pour la subtilité Serpentarde.
Peut-être le Choixpeau s'est-il trompé… Peut-être que tu aurais dû finir à Serpentard comme tous les autres membres de ta famille ? Peut-être qu'au fond tu es le digne héritier de la Maison des Black. Fou à lier. Lâche.
« Tu ne m'aimes pas beaucoup, n'est-ce pas ? » lâcha-t-il.
Anthony laissa échapper un bruit amusé qui sonna très amer. « Pourquoi est-ce que je ne t'apprécierais pas ? »
« Je ne sais pas. » Il haussa les épaules. « À toi de me le dire. »
Le dragonnier sortit sa baguette de sa poche. Sirius posa instinctivement la main sur la sienne mais, au lieu de l'attaquer, Anthony entreprit de faire disparaître le tas de crottin qu'il avait pelleté.
« Tu n'aurais pas pu commencer par là ? » demanda-t-il, en fronçant les sourcils.
« Si j'ai appris une seule chose dans mon enfance, c'est que la manière simple est toujours moins gratifiante. » répondit calmement le dragonnier. « Peut-être que la manière difficile est plus longue, demande plus d'efforts, mais cela vaut la satisfaction qu'on éprouve à la fin. Tu ne trouves pas ? »
Il ne savait pas de quoi ils étaient en train de parler mais il doutait que ce soit de crottin.
« Sirius ! » lança joyeusement Charlie dans son dos, les bras pleins de caisses empilées. Les animaux s'agitèrent tous sur son passage, sentant probablement la viande. « Tu viens voir ce qu'on a pour l'examen pratique ? »
« Oui. » répondit-il, tandis que Charlie posait les boîtes dans un coin.
Puis, le dragonnier sembla remarquer l'humeur de son fiancé et le rejoignit rapidement, lui parlant à voix trop basse pour que Sirius l'entende.
Il détourna pudiquement les yeux lorsqu'ils se mirent à s'embrasser, préférant étudier un des sombrals qui avait l'air en bien meilleure forme que Nox.
Après plusieurs minutes, Charlie plaça une main sur son dos et l'encouragea à sortir de l'étable.
« Je vais te montrer. » proposa-t-il. Ils marchèrent en silence quelques secondes, Sirius calculant mentalement la distance que les deux hommes pouvaient désormais mettre entre eux… « Ne le prends pas mal s'il est ronchon. Il lui faut du temps pour être à l'aise avec les gens. »
Ils se connaissaient depuis près d'un an, à présent, aurait voulu rétorquer Sirius.
« Il déteste être ici, tu sais. » ajouta Charlie, avec hésitation. « Il est revenu pour moi mais… Il ne voulait pas remettre les pieds au Royaume-Uni. Jamais. Trop de mauvais souvenirs. C'est pour ça qu'il n'est pas toujours de bonne composition. »
Sirius émit un bruit compréhensif et garda ses doutes pour lui.
Lorsqu'il y pensait, c'était alarmant à quel point il ne connaissait rien de l'autre dragonnier. Ce n'était pas le seul membre de l'Ordre qu'il avait rencontré seulement l'été précédent. Shacklebolt, Tonks, Charlie et Bill, Fleur… Et pourtant, il savait des choses sur chacun d'entre eux. Or Anthony…
Connaissait-il seulement son nom de famille?
Il se creusa la tête jusqu'à ce que Charlie lui montre ce qu'il avait préparé selon ses instructions.
Le temps qu'ils aient fini et qu'il ait repris le chemin du château, tout ça lui était entièrement sorti de l'esprit. Il n'y pensait même plus.
Il avait froid à l'intérieur, exactement comme lorsque les Détraqueurs s'attardaient devant sa cellule à Azkaban.
Foutu horcruxe.
Ce fût Patmol qui se glissa entre les grandes portes et rejoignit ses appartements.
Patmol supportait toujours mieux la tristesse que Sirius Black.
°O°O°O°O°
Severus n'était pas fier de l'admettre mais il en était à sa quatrième chocogrenouille.
Il ne parvenait pas à se défaire du froid qui le glaçait jusqu'à l'âme. Il avait allumé un feu dans la cheminée du bureau du Professeur de Défense, bien qu'il fasse suffisamment beau pour qu'on étouffe dans les étages.
Severus n'étouffait pas.
Severus frissonnait.
L'effet de l'horcruxe sur son organisme n'était pas sans rappeler celui des Détraqueurs et une part de lui se demandait si c'était la raison pour laquelle Harry était si sensible à ces créatures. Quoi qu'il en fût, il s'était retranché dans son bureau, avec les recherches sur les horcruxes et toutes leurs ébauches et théories sur un possible rituel pour les transvaser, et passait frénétiquement le tout en revue, tout en se gavant de chocolat confisqué au passage, dans un couloir, à un première année qui n'avait pas compris ce qu'il avait fait de mal.
Se replier derrière ses boucliers mentaux, mettre de la distance entre lui et les craintes viscérales qu'avait réveillées l'horcruxe, était tentant mais cela aurait été un peu trop dangereux.
La facilité avec laquelle il avait suggéré d'égorger quelqu'un, un peu plus tôt, l'effrayait.
Ce n'était pas qu'il n'ait jamais tué personne ou n'était pas prêt à le refaire mais… Dernièrement, il tendait à avoir des remords lorsqu'il prenait une vie, à éviter de tuer autant qu'il le pouvait. Or…
Une gorgée de magie noire pure et il replongeait dans ses vieux travers.
On n'aime pas un fruit une fois qu'on découvre qu'il est pourri à l'intérieur.
Ce souvenir, il l'occluda sans hésitation. Ce n'était pas Lily. Il savait que ce n'était pas Lily. Juste le Seigneur des Ténèbres. Juste ses peurs les plus intimes. Mais…
Il tira le carnet de sa poche intérieure, feuilleta les pages déjà bien remplies jusqu'à trouver leur dernier échange, attrapa le stylo qui tremblait davantage encore que d'ordinaire et s'appliqua à former des lettres lisibles. Malgré tous ses efforts, on aurait dit qu'elles avaient été tracées par un enfant malhabile.
Ce soir ?
Il avait besoin de voir Nymphadora, de la serrer dans ses bras, de respirer son odeur, d'effacer par sa chaleur et sa tendresse la froideur et la cruauté de la voix de Lily.
Il avait froid.
Si froid, à l'intérieur.
Il fixa la page des yeux pendant plusieurs minutes puis, alors qu'il allait refermer le carnet, se forcer à se replonger dans ses recherches, des mots apparurent, tracés à la hâte.
Tu sais que Kingsley a dit que j'étais la meilleure invitée qu'il ait jamais eue ? Principalement parce que depuis que je lui ai demandé si je pouvais squatter son canapé, je n'ai pas mis les pieds chez lui une seule fois…
Et alors ?, aurait-il voulu répliquer. C'était vrai qu'elle avait passé les dernières nuits avec lui. C'était un concours de circonstances. Oui, la première nuit, elle était revenue parce qu'elle ne voulait pas dormir au Square Grimmaurd et Shacklebolt n'était pas disponible. La seconde, elle était venue à Poudlard en fin d'après-midi pour passer un savon aux recrues qui avaient envahi le domaine et Severus n'avait pas vu l'intérêt de la renvoyer à Londres alors qu'elle pouvait tout aussi bien rester là. Et la veille au soir… La veille au soir… Il avait oublié pourquoi elle était passée la veille au soir. Avait-elle besoin d'une excuse, cependant ?
Ce n'était pas comme si elle vivait chez lui.
C'était juste…
Peut-être que quatre nuits d'affilée, en comptant celle qui avait précédée sa requête de partager momentanément l'appartement de Shacklebolt, faisaient beaucoup. Est-ce que cela faisait beaucoup ? Il n'en avait aucune idée. Il…
Tu vas la souiller comme tu souilles tout. Comme tu souilles mon fils.
Il prit une profonde inspiration, occluda le souvenir, décapita une nouvelle chocogrenouille d'un coup de dents rageur avant qu'elle ait pu se sauver… Ca n'empêcha pas les frissons de le secouer. Son corps entier tremblait.
Il était en colère et il ne savait pas pourquoi.
Il était triste et il ne savait pas pourquoi.
Il posa la pointe du stylo sur le papier, écrivit presque qu'il avait besoin d'elle. Elle viendrait s'il disait qu'il avait besoin d'elle, il le savait. Elle était comme ça. Elle était…
Elle ne t'aime pas.
Il ferma brièvement les yeux. Ses mains tremblaient trop et le stylo laissa un gribouillis sur la feuille avant qu'il ne le lâche.
Severus ?
Du bout des doigts, il retraça son nom, et se demanda, non pour la première fois, à quoi il jouait. Il n'était pas de ceux qui avait des fins heureuses. Il ne méritait pas de fin heureuse. Il ne méritait rien et surtout pas elle.
Il reprit le stylo.
Tu as raison. Une autre fois. Peut-être après les examens.
Deux bonnes semaines.
Deux semaines loin l'un de l'autre leur feraient le plus grand bien. Il reprendrait ses esprits et cesserait de se comporter comme un adolescent avec son premier béguin et elle se rendrait probablement compte qu'il ne lui était pas aussi essentiel qu'elle le pensait. Elle rencontrerait peut-être même quelqu'un d'autre dans l'intervalle et…
Il ferma le carnet. Il chauffa dans sa main mais il le laissa tomber dans le premier tiroir de son bureau et l'y enferma d'un coup de clef colérique sans lire son message.
C'était mieux ainsi.
Beaucoup mieux.
Elle t'admire. Elle croit encore que tu es un homme bien, que tu peux devenir l'homme de ses rêves, mais elle ne sait pas… Elle ne sait pas qu'on ne peut pas te faire confiance. Elle ne sait pas que tu la trahiras comme tu m'as trahie moi. Oh, comme elle sera déçue… Tu es prêt à ça, Sev ? Prêt à ce qu'elle te regarde avec dégoût ? Avec haine ?
Lily avait raison.
Lily avait…
Ce n'était pas Lily, se remémora-t-il fermement, en enfouissant son visage dans ses mains. Ce n'était pas Lily. C'était le Seigneur des Ténèbres.
Il était si familier des manipulations et méthodes du mage noir, il aurait dû s'en détacher beaucoup plus facilement, passer outre…
Il laissa tomber ses mains, prit une profonde inspiration et se repencha sur les parchemins étalés sur le bureau.
Parce que s'il ne résolvait pas ce problème, Harry allait mourir.
Et c'était beaucoup plus important que Nymphadora et ses propres états d'âme.
Et que crois-tu que je deviendrais, de toute manière, exposé à ton influence ? Puissant. Cruel. Manipulateur. Mauvais. À ton image.
Il occluda l'image de l'horcruxe-Harry.
Cela ne lui avait pas échappé que son fils s'était sauvé de leurs appartements aussi vite qu'il l'avait pu, plus tôt, afin d'éviter une conversation ou des remontrances pour lui avoir désobéi.
Harry n'aurait jamais dû être là.
Harry n'aurait jamais dû se retrouver à devoir poignarder le médaillon pour les sauver tous.
Harry…
Il faisait tout de travers.
Il n'était pas digne de…
Les frissons le firent claquer des dents.
D'un coup de baguette, il raviva le feu qui flamba haut dans la cheminée puis, sur un coup de tête, jeta un patronus. Le faon n'était pas aussi corporel qu'à l'ordinaire mais il trotta docilement jusqu'à lui, posa la tête sur sa jambe et Severus ferma à nouveau les yeux et laissa échapper un soupir parce que…
Le froid qui lui gelait l'âme s'atténua.
Peu à peu, les tremblements qui l'agitèrent s'apaisèrent suffisamment pour que son corps cesse de tressauter sans avertissement.
Lorsque le faon éclata comme une bulle de savon, il avait retrouvé un contrôle relatif de lui-même. Ses pensées n'étaient plus aussi dispersées. Son cœur ne battait plus à cent à l'heure. Il avait toujours froid et ses mains tremblaient toujours trop fort, même pour son handicap, mais il était, à défaut d'être tout à fait remis, lucide et cohérent.
Il se repencha sur les parchemins, tâchant de trouver l'aiguille dans la meule de fois, persuadé qu'il avait raison et que s'ils utilisaient un objet ayant appartenu au Seigneur des Ténèbres la prochaine fois…
Des coups frappés à la porte l'interrompirent et il prit quelques secondes pour enchanter grimoires et parchemins pour qu'ils aient l'air de parler de tout à fait autre chose avant d'inviter son visiteur à entrer, levant momentanément ses protections.
Minerva pénétra dans la pièce avec l'énergie d'une tornade particulièrement mécontente, une tonne de parchemins flottant derrière elle.
« De combien de bureaux avez-vous besoin précisément ? Je vous ai cherché dans tout le château. » s'agaça-t-elle. « Croyez-vous que j'ai le temps d'aller à la chasse aux Directeurs de Maison, Severus ? L'année prochaine, si tant est que l'école soit encore ouverte, vous laisserez ce bureau à Sirius et vous vous contenterez du Bureau de Directeur de Maison de Serpentard. Comment sommes-nous supposés savoir où vous vous installez pour vos heures de permanence ? »
Étaient-ce ses heures de permanence ?
Il se frotta les yeux.
Il ne savait pas quelle heure il était. Ou quel jour, s'il devait être honnête. Il n'avait donné aucun cours aujourd'hui. Black s'en était-il chargé ? Était-il censé… Non… Non, ses seuls cours de la journée avaient pris place dans la matinée. Les élèves de cinquièmes et septièmes années avaient quartier libre pour leurs dernières révisions et les sixièmes années… Qu'avait-il fait de ses sixièmes années ? Ils leur avaient donné un devoir appliqué et envoyés à la bibliothèque. Oui, voilà…
« On étouffe ici. » grommela la sorcière. « Qu'est-ce qui vous a pris d'allumer un feu ? » Elle se dirigea droit vers la fenêtre et batailla quelques minutes avec la poignée avant de l'ouvrir, laissant entrer le soleil en même temps que l'air extérieur. « Severus ? »
Il leva les yeux vers elle, tâchant d'avoir l'air moins perdu qu'il ne l'était en réalité.
Un échec vu son expression inquiète.
« Vous sentez-vous mal ? » s'alarma-t-elle, en se détournant vers la cheminée. « J'appelle Poppy. »
« Je vais bien. » mentit-il, éteignant le feu d'un coup de baguette avant qu'elle ait pu avoir l'idée de prendre la poudre de cheminette sur le manteau de la cheminée. « Laissez cette dragonne là où elle est. »
Sa protestation manquait de naturel, d'énergie.
« C'est l'évidence même. » se moqua la sous-directrice, en l'observant la bouche pincée. « Vous êtes pâle comme un linge. Et que fabriquez-vous avec ces papiers de chocogrenouilles… Par Merlin, si vous en avez avalé autant, il n'est pas étonnant que vous vous sentiez mal… »
« Je vais très bien. » marmonna-t-il. « Que vouliez-vous ? »
« La liste de vos Serpentards qui se sont inscrits pour les vacances d'été. » soupira-t-elle. « Comme convenu. »
La liste était toujours sur le panneau d'affichage de la salle commune des serpents, là où il avait oublié de la décrocher.
Avec une grimace d'excuse, il se frotta à nouveau les yeux. « Je vous enverrai un préfet avec la liste avant ce soir. »
« Très bien. » accepta-t-elle. Plus parce qu'il avait l'air mal en point que par bonté d'âme, supposait-il. « Il va également nous falloir faire une réunion avant la fin des examens. C'est bien beau de garder les enfants à Poudlard mais encore faut-il décider de comment nous allons les occuper. »
« Devons-nous les occuper ? » grinça-t-il.
« Je n'ai guère envie de les laisser sans supervision au sein de l'école pendant deux mois. » lâcha-t-elle. « Si nous offrons tous un peu de notre temps… Filius parlait d'ouvrir un club de duel. Il se demandait si… »
« Oui, très bien. » Il agita la main. « S'il me faut absolument participer, un club de duel est acceptable. »
Elle leva les yeux au ciel. « Quel enthousiasme. Personnellement, je pensais ouvrir un club d'échecs. Nous n'en avons plus depuis que Phyllis est partie à la retraite en quatre-vingt-six et… »
« Minerva. » l'interrompit-il. « Je n'ose vous dire à quel point cela m'est égal. »
« Pour quelqu'un qui n'ose pas me le dire, je vous trouve bien direct. » râla la sorcière, avant de l'étudier par-dessus ses lunettes. « Souhaitez-vous me dire ce qui ne va pas, à la place ? »
« Un malaise passager. » mentit-il.
Elle ne le croyait absolument pas et ne fit aucun geste pour quitter son bureau. Au lieu de ça, elle s'assit dans le fauteuil qu'utilisait habituellement Black, ses parchemins flottant derrière elle comme une armée administrative.
« N'étiez-vous pas débordée ? » railla-t-il, sans parvenir à y mettre le mordant nécessaire.
« Je ne suis jamais débordée s'il s'agit de vous tirer les vers du nez avant que vous n'explosiez. » rétorqua-t-elle. « Vous avez le don de laisser les choses vous ronger jusqu'à la limite du tolérable. Vous savez pertinemment que vous vous sentirez mieux une fois que vous vous serez confié. »
« J'en doute. » cracha-t-il. Il voulut attraper le stylo pour s'occuper les mains mais il manquait tellement de dextérité à cet instant qu'il lui échappa et roula au sol. Les joues rougies d'humiliation il se pencha pour le ramasser.
« Vous êtes-vous disputé avec Potter ? » s'enquit-elle patiemment. « J'ai remarqué qu'il n'a pas inscrit son nom sur ma liste. »
Il fronça les sourcils. Harry était-il toujours persuadé qu'il serait forcé de retourner chez les Dursley ?
« Harry vivra avec moi, cet été. » déclara-t-il fermement. « Vous pouvez rapporter ça à qui de droit et vous sentir libre de lui dire qu'il n'a pas voix au chapitre sur le sujet. »
Minerva leva les sourcils. « Vous a-t-il laissé entendre que c'était soumis à question ? Techniquement, Potter est sous ma responsabilité tant qu'il est à Poudlard, vous savez. M'inclure dans la conversation serait courtois. »
Albus ne tarderait pas à mettre les protections et les Dursley sur le tapis, Severus le sentait.
Il fallait l'ajouter à la liste des choses dont il devait s'inquiéter.
En plus du fait qu'il n'avait aucune idée d'où trouver le prochain horcruxe, sans parler de le faire avant Albus Dumbledore, de s'il pouvait parvenir à faire fonctionner le rituel ou même s'il survivrait à une autre rencontre aussi intime avec une de ces horreurs qui étaient beaucoup trop intelligentes à son goût.
Rien que l'idée lui serra le ventre au point qu'il dût fermer les yeux et prendre une inspiration.
« Je suis si fatigué… » murmura-t-il, sans véritablement le vouloir.
« Cela suffit, mon garçon. » le gronda Minerva. « Dites-moi ce qui se passe. Tout de suite. »
Il était presque tenté de le faire.
Rien que parce que Minerva, avec son assurance toute lionesque, ne manquerait pas de lui promettre que tout allait s'arranger.
Il en avait assez d'être celui qui devait toujours promettre aux autres que tout allait s'arranger.
Il gardait espoir pour Harry.
Il forçait Black à y croire.
Il encourageait Bill Weasley à repousser les limites de ses connaissances.
Il s'efforçait de rappeler à Nymphadora que rien n'était perdu tant qu'ils n'étaient pas morts.
Et lui dans tout ça…
Il n'avait personne pour le rassurer ou lui donner une illusion de calme.
Albus aurait pu remplir ce rôle mais lorsqu'Albus n'était pas occupé à être leur général et commanditer des assassinats, il était trop focalisé sur son ancien amant mourant pour s'apercevoir que Severus avait besoin de…
De quoi ?
L'horcruxe avait creusé un trou en lui qui siphonnait tout espoir ou sentiment positif et ne laissait qu'angoisse et désespoir à la place.
« Voulez-vous bien me dire que tout ira bien, qu'il y a une lumière au bout du tunnel même si nous ne pouvons pas la voir et que la situation n'est pas aussi désespérée qu'elle le parait ? » plaida-t-il. « Mettez-y autant de platitudes et de clichés qu'il vous semblera nécessaire. »
Elle le regarda avec pitié. Ou peut-être était-ce de la compassion, il n'avait jamais été doué pour faire la différence.
« Vous mentir, en somme ? » plaisanta-t-elle.
Il rit sans amusement puis empila les parchemins qui s'entassaient devant lui. « Qu'y a-t-il de si urgent à faire pour nous assurer que nous ayons toujours une école à la rentrée ? »
« Gagner la guerre ? » répondit-elle avec cynisme, avant de soupirer. « Rédiger la lettre informant les parents d'élèves des modalité du Poudlard Express pour les élèves qui retournent chez eux, en faire des copies et les envoyer. Organiser une réunion du corps professoral, comme je l'ai dit. Revoir une dernière fois l'emploi du temps des examens pour nous assurer qu'il n'y aura aucun couac et que, le cas échéant, les couacs soient facilement remédiables. Ah, et Albus n'ayant pas eu le temps, il faut également s'occuper des demandes de budget pour l'année prochaine avant que le Conseil d'administration au grand complet ne débarque pour nous demander des comptes et le tout pour avant-hier. »
Il hocha la tête, attrapa sa canne et se leva, lui indiquant de le précéder avant de fermer la fenêtre d'un geste de la main. « Allons dans votre bureau et mettons nous au travail dans ce cas. »
« La salle de réunion. » corrigea Minerva, en se levant, elle aussi, sa tonne de parchemins flottant docilement derrière elle. « Aurora m'a proposé son aide. »
Ce fût presque assez pour le faire fléchir.
Puis il se rappela que le carnet était enfermé dans le tiroir de son bureau et que, de toute manière, Nymphadora lui avait indirectement fait remarquer qu'ils passaient trop de temps ensemble. Et puis, ce n'était pas la faute d'Aurora si Black lui avait mis des stupidités en tête. Ils s'étaient toujours bien entendus et il n'y avait aucune raison que ça change.
Elle ne sait pas qu'on ne peut pas te faire confiance. Elle ne sait pas que tu la trahiras comme tu m'as trahie moi.
Il occluda le souvenir intrusif et attaqua d'un pas aussi rapide que le lui permettait sa jambe le chemin qui menait à la salle de réunion.
Il n'avait pas envie d'être seul, de toute manière.
Seul, il était trop facile de laisser gagner les angoisses que l'horcruxes avaient réveillées.
« Severus. » appela doucement la sorcière, alors qu'ils approchaient de leur destination. « Nous allons gagner cette guerre. Nous ne survivrons peut-être pas tous mais nous allons gagner. Parce qu'il n'y a pas d'alternatives. Tout s'arrangera parce qu'il n'y a pas d'autres alternatives. Nos enfants auront un futur, parce qu'il n'y a pas d'autres alternatives. Et quoi que ce soit qui ait mis cet air triste sur votre visage, cela passera. Tout passe, mon garçon. »
Il laissa ces paroles flotter dans l'air quelques instants puis émit un bruit amusé.
« Albus y met davantage de métaphores et de fioritures. » remarqua-t-il.
La sous-directrice leva les yeux au ciel. « C'est bien la seule chose qu'il fasse mieux que moi dans cette école, dans ce cas. Je vous jure que j'ai très envie de lui agiter sa plaque de Directeur sous le nez juste pour voir s'il se souvient qu'il a une école à gérer. J'ai parfois l'impression que tout ce qui lui importe, c'est d'être maître de Poudlard. Tous les inconvénients sont pour moi. »
Poudlard était une place forte et Albus menait une guerre, évidemment que le château était le seul point important de son statut de Directeur à l'instant.
Il n'était pourtant pas suffisamment stupide pour énoncer cette vérité à voix haute devant elle.
Au lieu de ça, il marmonna qu'il était du même avis et suivit la vieille femme dans la salle de réunion où Aurora était occupée à faire des copies de la lettre à envoyer aux parents. Elle le salua amicalement et, en son fort intérieur, il se fit la réflexion qu'il était étrange de se sentir gêné alors qu'elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il avait délibérément mis la table entre eux.
Il était agacé de se sentir obligé de le faire.
Après tout…
Elle ne t'aime pas.
Il avait l'impression d'entendre la voix de Lily le murmurer encore et encore à son oreille, moqueuse et fière d'elle-même.
Il savait que ça venait de lui.
Il savait que…
Mais il ne pouvait pas étouffer les mots de l'horcruxe. Il ne pouvait pas ignorer le fait qu'il s'était senti rejeté lorsqu'elle avait refusé de le rejoindre ce soir là, alors même que la part de son esprit encore capable d'être rationnel lui rappelait qu'elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait, qu'elle ne lui devait rien.
S'il avait eu moins besoin d'elle…
Mais c'était pour ça qu'il n'avait jamais voulu dépendre de personne, n'avait jamais voulu avoir besoin de personne…
On finissait toujours par en souffrir.
Personne ne restait jamais très longtemps.
Au bout du compte… Les gens finissaient par le quitter.
°O°O°O°O°
Harry aurait dû être occupé à revoir les derniers points importants avant l'examen pratique de Métamorphose le lendemain. Il avait à peine mis un pied dans la bibliothèque qu'il en était ressorti, pris à la gorge par l'ambiance angoissée qui y régnait et peu enclin à subir les ordres tyranniques d'Hermione en matière de révisions.
Même Malfoy et Ron avaient fait sécession, en se repliant à une table dans l'avant-salle, un endroit que seuls les plus jeunes fréquentaient parce qu'ils n'avaient pas encore appris à éviter l'œil de rapace de Pince. Il avait hésité à s'installer avec eux puis avait finalement battu en retraite sans qu'ils ne l'aperçoivent, pas tout à fait d'humeur à être avec des gens.
C'était comme ça qu'il s'était retrouvé à errer dans le parc à observer les différents groupes de premières à quatrièmes années et les sixièmes années qui étaient libres d'examens et déjà un peu en vacances, et avait terminé en haut des gradins du stade de Quidditch, allongé sur le dos sur un banc, à regarder les nuages cotonneux qui dérivaient paresseusement dans le ciel. De temps en temps, une silhouette sur un balai passait dans son champ de vision. Un des deuxièmes années qui avaient improvisé un match de Quidditch. Certains n'étaient pas mauvais. La fillette de Serdaigle aurait fait une bonne Attrapeuse.
Ça aurait été une très belle journée s'il n'avait pas su que, à des mètres et des mètres sous l'école, dans une Chambre secrète, le sang d'un rituel de magie noire était probablement en train de coaguler.
Il avait toujours su que ça ne marcherait pas, se remémora-t-il lorsqu'il sentit l'angoisse lui nouer l'estomac. Même quand Severus avait promis… Severus était désespéré, ferait n'importe quoi pour le sauver parce qu'il était incroyablement loyal aux personnes qu'il aimait, mais il avait déjà fait l'impossible une fois cette année là. Deux miracles, c'était en demander beaucoup.
Et Harry l'avait senti dès le début.
Au creux du ventre.
Il n'y aurait qu'une seule manière de se débarrasser de l'horcruxe en lui et c'était de l'emporter avec lui lorsque…
Il prit une profonde inspiration, fût tenté de renforcer encore ses boucliers mais savait que s'il le faisait il se couperait totalement de ses émotions et ça… C'était une chose de se servir de l'Occlumencie pour atténuer la panique, l'angoisse, une autre de ne plus rien ressentir du tout. Aussi tentant que ce soit.
Avec une exclamation de joie, la deuxième année de Serdaigle s'envola droit vers les nuages le poing tendu haut au-dessus d'elle. La gamine riait, le bonheur sur son visage était simple et sincère, il pouvait le voir de là, malgré l'éclat du soleil.
Avait-il jamais été aussi innocent ?
C'était dur à dire.
Même sa première année, où tout n'avait été que découvertes et émerveillement, avait été entachée par la quête de ce qui avait été caché au troisième étage. Ça avait été excitant à l'époque, une aventure. Mais quand il y repensait…
Avait-il jamais eu un moment où sa seule inquiétude avait été les devoirs à rendre ou réussir ou non à ses examens ?
« Je savais que je te trouverai là. » déclara une voix derrière lui qui le fit sourire.
Spontanément.
Facilement.
Peut-être qu'il y avait encore un peu de bonheur innocent en lui finalement.
Il avait entendu les bruits de pas montant les gradins – bien sûr qu'il les avait entendus, Severus l'avait entraîné à toujours être au fait des changements dans son environnement immédiat – mais ne s'en était pas alarmé, estimant le poids trop léger pour appartenir à un adulte ou un des adolescents plus âgés, ce qui limitait les chances d'une attaque surprise de Mangemorts.
« Tu me cherchais ? » demanda-t-il, sans bouger.
Le visage de Ginny apparut au-dessus de lui, bloquant son champ de vision. Ses cheveux étaient lâchés et le soleil derrière elle lui conférait une aura presque mystique que détrompait son expression mi-amusée, mi-inquiète.
« Tout le monde te cherche. » répondit-elle. « Hermione dit que tu étais censé les rejoindre à la bibliothèque et personne ne t'a vu depuis des heures. Tu as sauté le déjeuner. Tu n'as pas mis les pieds dans la salle commune. Malfoy et Blaise sont même descendus aux cachots, encore que, si tu veux mon avis, c'était juste une bonne excuse pour échapper à Hermione. »
Il laissa échapper un bruit amusé. « Hermione à la veille d'un examen n'est pas facile à vivre. »
« Et Malfoy est en train de le découvrir, crois-moi. » se moqua-t-elle, mais son expression s'adoucit. « Je ne leur ai pas dit que tu étais là. »
« Comment tu le savais ? » s'enquit-il avec curiosité.
Elle leva les yeux au ciel. « Où va Harry Potter lorsqu'il veut être seul ? Au Terrain de Quidditch. Ton balai était toujours dans ton dortoir, je n'étais pas sûre. » Sa tête disparut de son champ de vision mais elle s'assit juste à côté de lui. « Tu veux en parler ? »
Il lui vint bien à l'esprit qu'il aurait dû s'asseoir lui aussi mais il resta exactement comme il était, suivant la course de la deuxième année qui agitait toujours le vif d'or sous les acclamations de ses camarades. C'était toujours un peu étrange de voir des Serpentards, Poufsouffles, Serdaigles et Gryffondors jouer tous ensemble. Il n'était pas certain qu'il s'y ferait jamais.
« Elle est douée. » remarqua-t-il. « Tu penses que les Serdaigles la prendront dans l'équipe l'année prochaine ? »
Elle observa la petite, quelques secondes, puis haussa les épaules. « Possible. C'est de Gryffondor qu'on devrait se tracasser. On va perdre la moitié de l'équipe. »
« Katie nous trouvera bien de bons éléments. » remarqua-t-il. « Tu devrais passer les essais. »
« Katie ? » releva-t-elle.
« Elle sera Capitaine. C'est logique, ce sera la plus ancienne. » répondit-il.
Le rire de Ginny était presque affectueux. « Tu rigoles ? Ce sera toi le Capitaine, Harry. »
Et, juste comme ça, sa bonne humeur tourna légèrement aigre.
Il avait voulu prétendre, juste un peu, que tout était normal, que c'était une année comme une autre, mais… Encore fallait-il tenir jusqu'à la rentrée, espérer que l'école puisse rouvrir, penser que lui serait toujours…
« Si je suis encore là. » plaisanta-t-il. Ou prétendit plaisanter.
« Et où est-ce que tu comptes aller ? » se moqua gentiment Ginny, sans comprendre.
Comment aurait-elle pu comprendre ?
Même Ron, à qui il avait annoncé la chose, ou Hermione, qui comprenait parfaitement pourquoi il était si sûr de lui-même, refusaient d'admettre que son temps était compté. Ils étaient dans le déni. Comme Severus.
Les deuxièmes années étaient en train d'atterrir, tout en plaisantant les uns avec les autres… Si innocents…
« Est-ce qu'il t'arrive de repenser au journal de Jedusor parfois ? » murmura-t-il.
La question jeta un froid.
Principalement parce qu'il n'avait pas eu la courtoisie de lui demander s'il pouvait lui poser une question délicate d'abord.
Il s'en voulut de lui rappeler de mauvais souvenirs.
« Juste une fois par jour, en moyenne. » lâcha-t-elle, en tentant d'y mettre une pointe d'humour. Ce fût un échec « Et je suis sûre que j'y penserai tous les jours jusqu'à la fin de ma vie. »
Il se mordit la langue pour ne pas lui dire qu'il comprenait.
Il avait vu trop d'horreurs dans sa vie pour repenser tous les jours à Halloween, à la sensation de Voldemort envahissant son âme… Ses cauchemars avaient tendance à alterner entre Cédric, Voldemort, le cimetière, le basilic, Quirrell…
« Harry, qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-elle doucement, en se penchant au-dessus de lui pour mieux le dévisager. « Tu m'inquiètes. »
Ses cheveux lui effleurèrent la joue et…
Sans réfléchir, il balança ses jambes hors du banc pour s'asseoir dans un mouvement fluide qui la prit visiblement par surprise. Elle ne s'écarta pas, pourtant, lorsqu'il se retrouva plus près d'elle qu'il était probablement convenable de l'être. Ou sage.
Il fouilla son regard, gardant une prise ferme sur son esprit parce que depuis qu'il s'entraînait avec Hermione la Legilimencie lui venait un peu trop facilement, ressentant une telle sensation d'urgence que…
Il allait mourir.
Il savait qu'il allait mourir.
Mais il voulait vivre avant d'en arriver là.
Il voulait vivre.
« J'ai envie de t'embrasser. » avoua-t-il. Il s'était attendu à être nerveux ou peut-être un peu gêné, mais il ne ressentait rien de tout ça. Parce qu'il était juste honnête et si elle n'éprouvait pas la même chose, il pouvait l'accepter, mais au moins il le lui aurait dit et il n'aurait pas de regrets.
Il ne voulait pas de regrets.
Or il aurait regretté ne jamais avoir dit à Ginny Weasley qu'il voulait l'embrasser.
Apparemment prise par surprise, elle écarquilla légèrement les yeux, ouvrit et referma plusieurs fois la bouche comme si elle ne savait pas quoi dire…
Son regard dériva jusqu'à ses lèvres qui ne paraissaient pas capables de former un mot et il prit son courage à deux mains.
« Ça fait un moment que j'ai envie de t'embrasser. À chaque fois que je te vois. » ajouta-t-il. « Je comprends si tu… »
Il n'eut pas l'occasion de finir sa phrase.
Elle l'attira à lui et ce baiser était… tout ce qu'il avait toujours voulu.
Il fût évident très vite qu'elle avait davantage d'expérience que lui, ce qui était probablement heureux parce qu'une seule soirée passée à embrasser Amy ne lui avait pas appris beaucoup. Il était à bout de souffle lorsqu'ils se séparèrent mais ils restèrent front contre front, souriant tous les deux comme des idiots.
Voilà, décida-t-il, c'était ça le bonheur.
C'était pour ça qu'il se battait.
Parce que tout le monde aurait dû avoir la chance de goûter à ça sans se soucier de se le voir arraché par un mage noir aux illusions de grandeur.
Elle voulut l'embrasser à nouveau mais il recula légèrement, pas assez pour écarter son visage mais juste assez pour parler parce que…
La culpabilité lui vrilla le ventre, soudaine et inattendue.
« Je ne peux pas… Je ne peux pas te promettre que c'est pour toujours. » chuchota-t-il à regret. Parce qu'il aurait probablement aimé lui promettre des toujours et y croire, même s'ils étaient jeunes et que l'avenir semblait s'étirer à l'infini devant eux. Son avenir, à lui, n'était pas infini.
« On a quinze ans. » se moqua-t-elle. « Je ne m'attends pas à ce que tu me demandes en mariage. »
« Oui mais… » Il grimaça. « Je ne sais pas combien de temps je peux te promettre. Je… Ginny, il y a vraiment beaucoup de chances pour que… » Il ne savait pas comment le lui dire, se sentait mal de seulement avoir ouvert cette porte là. Était-ce égoïste ? Il l'avait embrassée pour ne pas avoir de regrets mais lorsqu'il mourrait, elle en souffrirait d'autant plus et… « Ginny… Je vais sûrement… »
Une main fine couvrit sa bouche, l'empêchant de terminer sa phrase.
Il y avait une compréhension grave dans le regard de la jeune fille, comme si elle avait deviné ce qu'il essayait de lui dire. Il fût curieusement soulagé de ne pas avoir à le formuler.
« Ne dis pas des choses comme ça. » le rabroua-t-elle.
Il attrapa gentiment son poignet, écarta sa main de sa bouche, se recula légèrement pour mieux pouvoir la regarder en face. « Mais c'est la vérité. Il faut… Je ne dis pas ça parce que j'ai peur ou… C'est la vérité, tu comprends ? Je ne veux pas… Je ne veux pas que tu t'engages là-dedans sans savoir que… »
« Harry, j'avais onze ans quand je me suis engagée là-dedans, comme tu dis. » l'interrompit-elle. « Amie ou plus, si tu ne sais pas encore que je serais là jusqu'au bout, que ce soit dans un mois, un ans ou un siècle, je ne sais pas quoi te dire. »
C'était probablement beaucoup trop tôt pour lui dire qu'il était amoureux d'elle.
Il n'était même pas sûr de s'il l'était vraiment ou si c'était les hormones qui parlaient mais…
À cet instant, à ce moment précis, il aurait été capable de faire quelque chose d'excessivement stupide pour elle, comme aller décrocher la lune en plein jour.
Au lieu de ça, il se pencha avec un peu d'hésitation pour l'embrasser à nouveau. Il sentit son sourire contre sa bouche juste avant qu'elle n'approfondisse le baiser. Incapable de lutter contre ces explosions de joie dans sa poitrine, il l'attira encore plus près…
Puis il perdit le compte du nombre de baisers.
Rien n'existait plus qu'eux deux dans cette bulle.
Rien n'existait plus que Ginny.
Ses lèvres.
La peau douce juste derrière son oreille.
La manière dont elle se fondait parfaitement dans ses bras comme si elle avait été faite pour lui…
°O°O°O°O°
Tonks était passablement agacée lorsqu'elle émergea des cachots, dont elle venait de faire le tour, perdant vingt minutes d'un temps qui aurait été mieux employé ailleurs. Elle fit un pas vers le grand escalier, louvoyant entre les groupes d'élèves qui se rendaient dans la Grande Salle pour dîner et qui étaient, apparemment, si habitués à la voir déambuler dans l'école qu'ils ne lui jetaient même plus de regard curieux.
« Nymphadora ! »
Elle se tourna même si la voix était trop jeune et bien trop enthousiaste pour appartenir au sorcier qu'elle cherchait partout. Elle sourit pourtant en voyant Harry se frayer un chemin jusqu'à elle, un air benêt sur le visage.
L'espace d'une seconde, elle crut qu'il était ivre et se dit qu'elle ne voulait surtout rien savoir. Puis il la rejoignit finalement avec une grimace d'excuse qui n'atténua pas son sourire et elle se rendit compte qu'il était simplement très heureux. Elle n'était pas sûre de l'avoir jamais vu comme ça.
« Désolé, à force d'entendre Sev t'appeler comme ça… » offrit-il.
« Oh, tu peux m'appeler comme tu veux. Nymphadora, Tonks… C'est pareil. » répondit-elle distraitement, avant de se rendre compte que c'était tout à fait vrai.
Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait piqué une crise parce que quelqu'un avait utilisé son prénom au lieu de son nom de famille et elle s'aperçut que… ça lui était égal. En partie parce que, étant donné la situation là-dehors, c'était puéril de s'attacher à ce genre de choses et en partie parce que… Entendre Severus susurrer son prénom avec révérence contre sa peau l'avait fortement réconciliée avec. Sa mère avait toujours dit qu'un jour elle serait assez grande pour le porter fièrement et… Elle avait eu raison.
« Tu peux m'appeler Dora, si tu veux. » offrit-elle, un peu sur un coup de tête. Elle n'allait pas laisser Remus gâcher un surnom que lui avait donné son père quand elle était petite et qui demeurait spécial. Peu de gens l'appelaient Dora. Sa famille et c'était tout.
« Dora. D'accord. » acquiesça Harry, sans cesser de sourire comme un idiot.
Amusée malgré elle, elle ravala un petit rire, oubliant momentanément son irritation croissante envers un certain Maître des Potions qui l'avait ignorée une grande partie de la journée après lui avoir plus ou moins dit qu'il ne voulait plus la voir pendant deux semaines.
« Toi, tu viens de passer du temps avec une fille, je me trompe ? » le taquina-t-elle.
Il eut l'air choqué.
C'était adorable, décida-t-elle.
« Comment… » balbutia-t-il.
Elle aurait pu mentionner ses cheveux en bataille, sa cravate à moitié dénouée ou le suçon qui dépassait à peine du col de sa chemise mais, comme elle était charitable, elle se contenta d'un clin d'œil. « Je suis un peu détective à mes heures perdues. »
La plaisanterie arracha un petit rire à l'adolescent qui se remit à sourire comme un dément. Elle espérait vraiment qu'il n'était pas ivre d'autre chose que d'hormones.
« Tu peux garder un secret ? » chuchota-t-il, en jetant un regard nerveux autour de lui.
Terrain dangereux, l'avertit une petite voix à l'arrière de sa tête, parce que Severus n'apprécierait certainement pas qu'elle lui cache des choses à propos de son fils.
Mais Severus n'avait qu'à répondre à ses messages s'il voulait avoir son mot à dire, rétorqua un autre petite voix.
« Je serai une tombe. » promit-elle.
« J'ai embrassé Ginny Weasley. » lâcha-t-il, en riant, avec la joie d'un enfant.
Elle en déduisit qu'il avait eu envie de se l'entendre dire à voix haute davantage que de se confier.
Elle ne put s'empêcher de sourire, confrontée à la simplicité d'un premier amour.
« Mais tu ne dis rien à papa, hein ? » insista-t-il soudain.
« Il n'aime pas Ginny ? » demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.
« Si. » soupira-t-il. « Mais il va se moquer. » Il leva les yeux au ciel. « C'est de bonne guerre, je suppose. Je me moque de lui, aussi. » Il fit la grimace et, cette fois ci, il perdit le sourire. « Mais, à tous les coups, il va encore essayer de m'expliquer les choses de la vie et non merci. »
Et, soudain, le secret n'était plus aussi mignon ou innocent et elle éprouva la même sensation d'horreur que lorsqu'elle avait trouvé Draco en train d'embrasser Hermione dans la bibliothèque.
« Harry… » grimaça-t-elle, elle aussi. « Dis-moi que tu connais le charme contraceptif. »
« Ne t'y mets pas ! » s'horrifia le garçon, en s'empourprant. « On vient à peine de commencer à… Ce n'est pas… C'est trop tôt pour… »
Pourquoi mais pourquoi se retrouvait-elle dans ce genre de galères ? Elle aurait dû rester au Ministère, faire des heures supplémentaires ou aller remplacer quelqu'un sur les rondes du Chemin de Traverse, au lieu de dire à Kingsley qu'elle couvrait Poudlard et Pré-au-Lard pour la soirée… Pour la cinquième nuit consécutive, comme l'avait fait remarquer son partenaire en plaisantant. Il rirait moins quand elle atterrirait sur son canapé, probablement ulcérée par la dispute qu'elle ne manquerait pas d'avoir avec Severus parce que soit il avait pris peur en se rendant compte qu'ils étaient sérieux au point de passer plusieurs nuits d'affilées ensemble, soit il avait mal compris ce qu'elle avait essayé de lui dire et…
« Je suis vraiment très, très contente pour toi et Ginny. » répondit-elle, s'efforçant de dire ce qu'il fallait, en y mettant les formes. « Et je sais que c'est tout nouveau et je ne dis pas qu'il y a besoin de… plus. Et même s'il y a… plus un jour, tu dois être sûr que… »
« Tonks. » plaida-t-il, l'horreur se peignant sur son visage.
C'était presque assez drôle pour qu'elle cesse elle-même d'être gênée. Presque.
« Tu dois être sûr que vous êtes sur la même longueur d'onde tout du long, qu'elle n'ait pas changé d'avis. » termina-t-elle rapidement. « Mais à ton âge, ce genre de… plus peut arriver sans prévenir et ça ne fait pas de mal d'être prêt alors tu dois aussi être sûr de connaître le charme, d'accord ? Parce que c'est très mignon là tout de suite mais tu sais ce qui est beaucoup moins mignon ? Un bébé. » Qu'est-ce qu'elle était en train de raconter ? « Enfin si, un bébé, c'est mignon. Mais pas quand c'est ton bébé. » Elle se frotta le visage. « Tu comprends ce que… »
« Tu es pire que Severus. » la coupa Harry, riant à moitié sous l'effet de l'embarras.
« Demande juste à un adulte de te montrer le sort, d'accord ? » insista-t-elle. « Demande à Sirius, si tu ne veux pas demander à Severus. Demande à Charlie, si vraiment ça te gêne, je te promets qu'il ne se moquera pas de toi, mais demande à un adulte et ne te contente pas d'aller chercher à la bibliothèque parce que c'est le genre de sorts dont on veut être sûr à cent pour cent. S'il est mal jeté, il n'est pas efficace. D'accord ? »
Le garçon grimaça. « D'accord. »
« Promets-moi. » exigea-t-elle.
Il grogna. « Promis. Si ça peut mettre un terme à cette conversation : promis. »
Elle ne put s'empêcher de rire, de manière peut-être un peu trop hystérique, parce que… Qu'était devenue sa vie ?
« À quel point tu me détestes, maintenant ? » demanda-t-elle, non sans humour.
« Là tout de suite ? Un peu. » admit Harry. « Mais tant que tu ne dis rien à mon père, je te pardonne. Ou à Charlie ! »
« Je ne le dirai à personne. » promit-elle. « Et je suis vraiment contente pour toi. » Le flot d'élèves qui allaient dans la Grande Salle avait commencé à se tarir. « Va manger, maintenant. Et si tu ne veux pas que tout le monde découvre ton secret avant la fin de la soirée, tu devrais peut-être cacher ce suçon sur ton cou. »
Il s'empourpra à nouveau sous sa taquinerie mais entreprit de resserrer sa cravate et d'arranger sa chemise. « Mieux ? »
« Parfait. » commenta-t-elle, avec amusement. « Dis-moi, tu ne saurais pas où est ton père, par hasard ? Il n'est pas en bas. » Il sortit un parchemin de la poche arrière de son pantalon, qu'il entreprit de déplier sans un mot. « Oh, c'est la fameuse Carte des Maraudeurs ? J'en ai entendu parler… »
« Il est dans la salle de réunion, à côté de la salle des professeurs. » lui dit-il. « Méfait accompli. »
« Pratique. » remarqua-t-elle, avant de céder à une impulsion et de remettre de l'ordre dans ses cheveux en désordre. Il se débattit pour la forme mais riait de bon cœur lorsqu'il s'éloigna en direction de la Grande Salle.
« Hé, Dora ? » lança-t-il, d'un ton un peu hésitant. Elle se tourna légèrement, levant les sourcils en guise de question. « Tu… Tu lui fais vraiment du bien, tu sais ? Il est heureux. »
Ça la toucha beaucoup plus qu'elle n'aurait su l'exprimer.
Néanmoins, rumina-t-elle le long du couloir qui menait à la salle des professeurs, il allait être nettement moins heureux lorsqu'elle allait finalement lui mettre la main dessus.
L'obliger à courir partout comme si elle n'avait que ça à faire, comme s'il n'y avait pas tout un tas de parchemins sur son bureau qui attendaient qu'elle les lise ou comme si…
Elle poussa la porte de la salle de réunion sans frapper ou s'annoncer…
Et se figea, regrettant de ne pas l'avoir fait.
Parce que Sinistra était assise et que Severus était penché au-dessus d'elle, une main sur le dossier de sa chaise, l'autre posée sur la table…
La partie rationnelle de son esprit lui dit qu'il n'y avait rien de mal à la scène. Il y avait une distance respectable entre eux, même si Severus était penché par-dessus son épaule pour lire le même parchemin qu'elle.
Mais la partie irrationnelle de son esprit qui était fatiguée, qui s'était sentie rejetée toute la journée et qui était en colère qu'il l'ignore délibérément, elle, ne vit que le fait qu'il soit seul avec Sinistra, beaucoup trop proches.
Les deux enseignants levèrent tous les deux la tête au même moent à son entrée un peu fracassante.
Elle n'eut même pas le loisir de décider comment elle allait réagir parce que, au lieu de la panique ou de la culpabilité qu'elle s'était attendue à voir apparaître sur le visage de Severus, son expression vira au soulagement absolu. Un soulagement qui ne masqua pas sa profonde tristesse.
« Tonks ! » s'exclama joyeusement Sinistra, avec une amabilité qui n'était pas feinte, comme si elle était sincèrement contente de revoir une ancienne élève. « Comment allez-vous ? Si vous cherchez Minerva, elle ne devrait pas tarder à revenir, elle… »
Le Professeur d'Astronomie s'interrompit, surprise par le mouvement brusque de Severus, qui se repoussa de la table pour claudiquer jusqu'à la jeune femme avec une détermination presque farouche.
Nymphadora n'eut même pas le temps d'exiger l'explication qu'elle était venue chercher. Avant de bien comprendre ce qui se passait, elle se retrouva dans ses bras. Et, alors qu'il la serrait suffisamment fort pour que ça en soit presque douloureux, elle remarqua la manière dont son corps tremblait légèrement. Elle passa les bras autour de lui pour lui rendre son étreinte, plus alarmée qu'autre chose.
Elle ne se soucia ni de la porte ouverte, ni de l'expression choquée de Sinistra.
Mais le fait que Severus, lui, ne s'en préoccupe pas au moins un minimum…
« Tu es là… » murmura-t-il dans son cou. Comme si c'était un miracle. Comme s'il avait pensé ne plus jamais la revoir.
Quelle idée ridicule s'était-il encore fourré dans la tête ?
Soudain, il lui sembla moins probable qu'il l'ait ignorée toute la journée parce qu'il avait pris peur… Elle n'aurait pas dû plaisanter au lieu de lui répondre si oui ou non elle comptait passer à Poudlard ce soir là. Severus était… Il y avait des choses sur les relations amoureuses qui auraient parues évidentes à n'importe qui qu'il ne saisissait pas ou prenait trop au sérieux.
Elle savait tout ça.
Sans doute s'était-il fait tout un film selon lequel elle essayait de le larguer en douceur alors que…
Mais ce n'était pas que ça, souffla son instinct. Le tremblement n'était pas normal. Pas plus que la manière dont il la serrait à l'étouffer. Ou qu'il ait initié ce genre d'étreinte désespérée devant une tierce personne qui avait visiblement du mal à se remettre de sa surprise et à fermer la bouche.
Elle recula le haut du corps jusqu'à pouvoir encadrer son visage de ses mains et le forcer gentiment à la regarder en face. Il ne la lâcha pas pour autant. Et elle n'aima pas ce qu'elle lut sur son visage.
Le soulagement était toujours présent.
La tristesse également.
Et dessous tout ça…
Était-ce de l'angoisse qu'elle voyait briller dans ses yeux ?
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-elle. « Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »
Il secoua la tête sans y mettre assez d'énergie pour dégager ses mains.
McGonagall débarqua sur ses entrefaites et ne cilla même pas à les trouver dans les bras l'un de l'autre. « Ah, Tonks… Parfait. Vous pouvez le ramener chez lui. Il ne se sent pas bien et refuse de nous dire ce qu'il a. Il refuse également de voir Poppy, bien évidemment. Je vous aurais appelée plus tôt mais nous gardions un œil sur lui et je sais que vous êtes occupée. »
Severus abaissa un de ses bras pour se tourner vers la vieille femme mais garda l'autre fermement enroulé autour de sa taille.
Comme si c'était entièrement naturel d'avoir ce genre de gestes devant témoins.
Ou comme s'il était suffisamment désespéré pour ne pas vouloir la lâcher malgré la présence des deux autres sorcières.
Qu'est-ce qu'il s'était encore passé ?
« Je ne suis plus un enfant, Minerva. » gronda-t-il.
Cela manquait d'hostilité, d'irritation. Ça sonnait trop faux.
« Et pourtant vous persistez à vous comporter comme tel. » rétorqua la sous-directrice avec un regard sévère qui dissimulait mal son affection. « Allez. Filez, avant que je change d'avis et ne vous force à terminer tous ces calculs budgétaires. »
Apparemment, c'était le seul argument dont il avait besoin. Il récupéra sa canne et la poussa vers la porte d'une main posée au creux du dos. Tonks s'exécuta, un peu perdue mais déterminée à avoir le fin mot de l'affaire…
Il était toujours en train de fermer la porte lorsque ils entendirent le chuchotement excité de Sinistra. « Depuis quand ? Comment ? Oh, Minerva, c'est un crime d'avoir gardé un ragot pareil pour vous toute seule ! »
« Voilà qui devrait te tranquilliser quant à ses intentions. » marmonna Severus.
Les seuls mots qu'il consentit à prononcer sur le chemin des cachots.
Elle cala son allure sur la sienne, notant la manière dont il s'appuyait fortement sur sa canne comme si sa jambe le faisait souffrir alors qu'il n'en avait pas eu besoin pour se déplacer ce matin là.
Il s'était définitivement passé quelque chose.
Il choisit le chemin le plus long jusqu'à l'entrée de ses appartements plutôt que de passer par la porte dérobée dans le Bureau du Directeur de Maison de Serpentard. Si elle avait dû en deviner la raison, elle aurait parié sur le fait que le tunnel était trop glissant et les dalles trop inégales pour sa jambe.
Elle rongea son frein jusqu'à ce qu'ils atteignent la porte et qu'elle ne sente les protections fondre brièvement autour d'eux pour les laisser entrer sans qu'il ait rien à faire. Elle ouvrit la bouche aussitôt le seuil passé, décidée à obtenir des réponses, uniquement pour se retrouver plaquée contre la porte fermée. L'instant d'après, il l'embrassait avec suffisamment d'agressivité pour que…
Elle répondit à son baiser avec la même fougue.
Par réflexe.
Par désir.
Il n'en fallait jamais beaucoup pour qu'elle se laisse distraire par ses baisers, après tout.
Ses lèvres ne tardèrent pas à quitter les siennes, à tracer un chemin brûlant le long de sa mâchoire, ce qui la poussa à laisser tomber la tête en arrière… La canne heurta le sol dans un cliquètement, ses mains tremblantes glissèrent au creux de ses reins…
« J'ai froid… » murmura-t-il dans son cou. « J'ai si froid… »
Ça doucha momentanément le voile de désir qui lui avait fait perdre de vue l'important. À nouveau, elle attrapa gentiment son visage pour le forcer à la regarder en face, pour pouvoir l'étudier…
« Tu te sens mal ? » s'inquiéta-t-elle. Elle posa une main sur son front mais sa peau n'était pas plus ou moins tiède que d'ordinaire…
« Pas physiquement. » répondit-il, de manière assez inquiétante. Il frôla sa bouche de la sienne, quêtant sa permission. « J'ai besoin de toi. J'ai tellement besoin de toi… J'ai si froid à l'intérieur, Nymphadora. S'il te plait… »
Le baiser était désespéré, suppliant, et comment aurait-elle pu dire non à ça ?
J'ai besoin de toi.
Les mots la cueillirent au cœur.
Alors elle l'embrassa en retour, décidant que les questions pouvaient attendre. N'avait-elle pas été dans la même situation quelques jours auparavant ? Lorsqu'elle avait eu besoin de lui, il lui avait donné ce qu'elle voulait.
Et ce n'était pas comme si c'était vraiment un gros sacrifice de s'abandonner à ses caresses, à ses baisers enflammés…
Ils n'atteignirent pas la chambre.
Severus ne parvenait pas à la lâcher et sa jambe était un problème.
Ce fût un miracle qu'ils arrivent seulement au canapé sans trébucher sur quoi que ce soit.
Et ce fût parfait tant qu'ils furent perdus dans le feu du moment mais ensuite… Ensuite, elle se retrouva allongée sur son torse alors qu'il gardait résolument la tête tournée vers les braises qui rougeoyaient dans la cheminée derrière le paravent et refusait de la regarder en face. Il ne lui caressait pas les cheveux ou le dos, comme il le faisait d'habitude. Il avait l'air… éteint.
Elle n'osait pas demander si ça allait mieux.
Il était évident que ça n'allait pas du tout.
« Tu sais, s'il vient à quelqu'un l'idée de te contacter par cheminette, ils auront une surprise. » plaisanta-t-elle. Le paravent cachait beaucoup mais pas tout.
Sa seule réponse fût d'agiter la main. Ses lourdes sur-robes noires flottèrent jusqu'à eux et se posèrent sur elle, comme une couverture. Il ne prononça pas un mot.
« Pas sûre qu'Harry apprécie la vue non plus s'il revient à l'improviste. » remarqua-t-elle, juste pour provoquer une réaction. Son apathie l'inquiétait.
« Il protestera probablement ma nudité davantage que la tienne… » marmonna-t-il, sans véritable humour.
Il ne la regardait toujours pas.
Et elle commençait vraiment à s'inquiéter.
Elle chercha une manière subtile d'aborder le sujet puis abandonna l'idée de tourner autour du pot.
« Parle moi. » supplia-t-elle, au bout de plusieurs minutes, en pressant un baiser sur une des cicatrices qui serpentaient sur son pectoral. Celle-ci datait de la première guerre avait-il dit. Un maléfice vicieux lors d'une bataille avec l'Ordre alors qu'il était encore fermement du côté Mangemort. Il n'avait pas vu qui l'avait jeté mais soupçonnait Sirius.
« J'ai… fait de la magie noire aujourd'hui. » murmura-t-il, après un silence presque trop long. « De la pure. »
Cela lui fit l'effet d'un seau d'eau glacé déversé sur sa tête mais elle s'efforça de ne pas réagir, de ne pas seulement tressaillir.
La magie noire était dangereuse à plus d'un titre. Non seulement parce qu'elle pouvait faire des choses terribles mais parce que son impact sur ceux qui la pratiquaient était avéré. C'était une drogue. Une drogue qui vous détruisait jusqu'à l'âme.
Il était expert en Forces du Mal ou il n'aurait pas eu le poste de Professeur de Défense, toutefois…
Elle n'était pas idiote, elle savait très bien que Severus y touchait. La moitié des sortilèges qu'il inventait, la moitié de ceux qu'il lui avait appris, tirait vers la magie noire. Cependant ils demeuraient à la limite de l'acceptable, le prix demandé était raisonnable, il n'y avait pas de sensation de manque si on arrêtait de s'en servir.
De la pure magie noire, en revanche…
Elle ne pensait pas qu'il pratiquait encore. Elle savait qu'il avait dû le faire lorsqu'il était plus jeune mais…
Elle n'aurait même pas su dire à quoi ressemblait de la pure magie noire. Ils étudiaient brièvement la théorie lors de la formation des Aurors, étudiaient les signes et les effets pour mieux les repérer, mais elle ne l'avait jamais vue pratiquée en dehors des Impardonnables ou de maléfices. Des rituels ou ce genre de choses… Elle n'en avait jamais vu. Elle avait arrêté des gens qui comptaient en faire ou en avait faits mais son expérience concrète s'arrêtait là.
« Et tu fais ça régulièrement ? » demanda-t-elle, parvenant à garder un ton neutre par elle ne savait quel miracle.
S'il était accro à la magie noire, s'il était parvenu à lui cacher un secret pareil jusque là… Qu'allait-elle faire ? Parce qu'elle ne pouvait pas le regarder se détruire à petit feu mais elle ne voulait pas non plus l'abandonner et…
« Non. » répondit-il. « Pas à ce niveau. Pas depuis longtemps. J'avais sous-estimé l'impact que cela aurait sur moi. J'avais oublié… » Il s'interrompit, déglutit péniblement. « C'était nécessaire mais je ne compte pas replonger là-dedans. Ne t'inquiète pas. »
Ne t'inquiète pas.
« C'est dur de ne pas m'inquiéter quand tu t'es mis dans un état pareil. » rétorqua-t-elle, en se repoussant en position assise. Un peu pour le provoquer, si elle était honnête. Assise sur ses cuisses, elle le surplombait.
« Ce n'était pas la magie noire qui m'a mis dans cet état. » soupira-t-il, sans pour autant tourner la tête. Il ne la regardait toujours pas. « Cela n'a pas aidé mais ce n'était pas la magie noire. Si ce n'était que cela, je pourrais l'occluder. »
« C'était quoi alors ? » insista-t-elle, résistant à l'envie de lui demander ce qu'il avait fabriqué avec de la magie noire. On obtenait moins en confrontant frontalement un suspect qu'en détournant la conversation pour mieux y revenir par surprise. Non pas qu'il soit un suspect. Mais…
« J'ai touché un objet… maudit. » expliqua-t-il lentement. « C'était stupide de ma part. Irréfléchi. L'effet n'est pas dissimilaire à un Détraqueur, en pire. Il est en train de se dissiper mais cela prend du temps. »
Cela expliquait au moins son comportement, supposait-elle, la manière dont il s'était accroché à elle et le froid intérieur dont il se plaignait.
« Il est où cet objet ? » demanda-t-elle. Parce que ce genre de trucs étaient dangereux. Il y avait tout un Département au Ministère dédié à leur destruction.
« Détruit. » souffla-t-il. « D'où la magie noire. »
Elle n'avait pas eu conscience d'à quel point son corps avait été tendu avant que le soulagement ne le fasse se relâcher brutalement.
Il avait fait de magie noire pour détruire un objet maudit.
C'était tout aussi stupide que d'y avoir seulement touché en premier lieu mais ses intentions, au moins, avaient été bonnes. Il ne s'était pas juste livré à de la magie noire pour se distraire ou expérimenter. Il y avait eu une raison concrète, une bonne raison.
« Je ne devrais pas te dire ça. » s'alarma-t-il soudain, en se frottant le visage. « Tu ne peux pas savoir. »
Elle leva les yeux au ciel. « Tu ne m'as pratiquement rien dit. »
« C'est assez. » riposta-t-il, en faisant finalement l'effort de la regarder. « Quelqu'un sachant de quoi il s'agit pourrait le voir dans ton esprit et en déduire… »
« Ah, le fameux secret. » lâcha-t-elle.
« Ne fais pas cette tête. » protesta-t-il, en tendant la main pour frotter son pouce entre ses sourcils. Pour effacer sa grimace contrariée, sans doute. Le geste affectueux la rassura quelque peu. « C'est pour ta protection autant que celle du secret. Ils laisseraient ton esprit en lambeaux l'un comme l'autre pour cette information. » Soudain, il avait l'air beaucoup plus lucide, beaucoup plus présent. « Tout ce que je viens de te dire, enferme le derrière une couche de boucliers et pousse le au fond de ton esprit. N'y pense plus. N'y prête plus aucune attention. Oublie-le. »
Comme si c'était si facile.
Essayer d'oublier quelque chose était le meilleur moyen d'y penser encore et encore.
Mais il y avait suffisamment de détresse et d'inquiétude sur son visage pour qu'elle ne le lui fasse pas remarquer.
« La magie noire. » attaqua-t-elle. « Promets-moi de ne plus en refaire. Pas à un niveau qui peut te rendre accro. »
Il hésita. « Je ne peux pas. Et je ne peux pas te dire pourquoi. »
Ça l'énerva.
Évidemment que ça l'énerva.
Elle croisa les bras, pas moins agacée lorsque ses yeux noirs dérivèrent de son visage à sa poitrine et y restèrent.
Tellement prévisible.
Il avait beau prétendre qu'il contrôlait son corps et son esprit d'une main de fer, il restait un homme. Un homme qui appréciait toujours la vue et se laissait volontiers distraire par ses charmes.
Elle résista à l'envie de se couvrir avec ses robes juste pour le contrarier.
« Et la raison pour laquelle tu m'as ignorée toute la journée, tu peux me le dire, ça ? » le défia-t-elle.
Il fronça les sourcils comme si la question n'avait pas grand sens pour lui puis releva soudain les yeux pour croiser son regard. « Je ne t'ignorais pas. J'ai enfermé le carnet dans le tiroir de mon bureau. »
Elle lâcha un bruit amusé qui ne l'était pas vraiment. « Pour mieux m'ignorer. »
« Non. » nia-t-il. « Parce que… » Il se frotta le visage. « Nymphadora, je ne suis pas tout à fait moi-même. »
« Juste assez pour me sauter dessus à peine la porte franchie. » le taquina-t-elle, malgré elle.
Sa bouche tressauta en un rictus qui n'était pas tout à fait un sourire mais elle comptait ses victoires là où elle le pouvait. Lorsqu'il ôta la main de son visage, ce fût pour la poser sur sa cuisse. Une autre victoire. Tout ce qui n'était pas cette apathie alarmante était une victoire.
« Je sais que nous avons déjà eu cette conversation… » hésita-t-il, avec davantage de vulnérabilité qu'il s'autorisait d'ordinaire. « … mais es-tu certaine de bien me voir comme je suis ? »
« Un sorcier extrêmement brillant qui peut parfois faire des choix extrêmement stupides et qui est en plein bad trip après avoir touché à quelque chose qu'il n'aurait pas dû toucher ? » railla-t-elle, non sans sarcasme.
Elle attendit qu'il insiste, qu'il essaye de la convaincre une nouvelle fois qu'il n'était pas un homme bien, mais, au lieu ça, il ricana sans aucun amusement.
« Un excellent résumé, je suppose. » lui accorda-t-il.
Il aurait été facile de continuer à plaisanter, d'ignorer le vrai problème mais… Ignorer les problèmes, prétendre qu'ils n'existaient pas, avait été son erreur avec Remus et elle tenait trop à Severus pour reproduire le même schéma.
« La magie noire… » lâcha-t-elle.
« Je ne replongerai pas là-dedans. » jura-t-il. « J'ai trop à perdre et je le sais. Néanmoins… Je ne peux pas te promettre de ne pas y retoucher sans te mentir. »
« Tu te rends comptes de quoi ça a l'air ? » demanda-t-elle calmement.
« Des excuses d'un junky, oui, je le sais. » admit-il. « Je suppose que c'est une question de confiance. »
« De confiance aveugle. » corrigea-t-elle. « Que tu me demandes régulièrement sans jamais rien m'expliquer en retour. »
Il ferma les yeux. « Sans doute. Je comprendrais que tu… »
« N'essaye même pas de dire que tu comprendrais que je te quitte. » cingla-t-elle, avant qu'il ait pu terminer sa phrase.
Il rouvrit les paupières, l'observa avec tellement d'angoisse… Combien était dû à cet objet qu'il avait touché et combien venait de ses insécurités chroniques ? Toutefois, se força-t-elle à se remémorer, elle lui avait fait une crise de jalousie hystérique, il n'y avait pas si longtemps, et au lieu de le lui reprocher ou de véritablement la tourner en dérision, il l'avait rassurée, avait pris soin d'elle. Il n'était pas le seul avec des craintes. Il n'était pas le seul qui avait parfois peur que cette relation finisse par le détruire parce que c'était trop fort.
Elle venait juste de recoller son cœur en miettes et… Elle était persuadée que si lui le brisait il ne resterait pas assez de morceaux pour le rafistoler.
« Je te fais confiance. » offrit-elle, sincèrement à défaut de prudemment. « Mais, s'il te plaît, s'il te plaît, fais en sorte que je n'ai pas à le regretter. »
Cela n'eut pas l'air de le rassurer.
Il déglutit péniblement. « Je ne veux pas te décevoir… L'idée de te décevoir m'est insupportable. Mais je ne peux pas garantir… »
« Personne ne peut rien garantir, Severus. » soupira-t-elle. « Fais de ton mieux, c'est tout ce que je te demande. »
« J'essaye… » chuchota-t-il. « J'essaye vraiment d'être un homme bien, tu sais. Digne de toi. Digne d'Harry. »
« Je sais. » promit-elle, en plaçant une main sur son torse. « Tu te sens un peu mieux ? Tu es sûr que tu ne devrais pas consulter Pomfresh ? »
Il secoua la tête. « L'effet s'est déjà atténué. J'ai moins froid depuis que tu es là, je me sens moins vide. »
Qu'il en avoue autant aussi librement, cependant, ne contribuait pas à la rassurer. Severus se livrait généralement au compte-goutte et cette conversation avait été un peu trop sincère. C'était évident pour elle que, bien qu'il soit suffisamment lucide pour ne pas trop l'alarmer, il n'était pas tout à fait en contrôle de lui-même non plus.
« Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? » insista-t-elle.
« Rien. » marmonna-t-il, en passant un bras sur ses yeux comme pour bloquer la lumière.
Le bandage autour de son avant-bras était tâché de sang et elle attrapa sa main pour mieux l'examiner, écartant son bras de son visage.
« Severus, la Marque… » s'horrifia-t-elle, en faisant disparaître le bandage d'un geste, sans même s'apercevoir qu'elle n'avait pas utilisé sa baguette. Il était clair qu'elle avait saigné abondamment et pendant un moment.
Il regarda la chose avec un détachement presque effrayant. « Je ne m'en suis pas aperçu. »
« Comment tu as pu ne pas t'en apercevoir ? » râla-t-elle. « Ça a dû être douloureux. »
Et elle voyait un lien de cause à effet avec la magie noire.
« Je ne sais pas. » admit-il. Il gigota un peu sous elle mais ne tenta pas de se lever, au lieu de ça, il soupira. « Sais-tu ce que je donnerais pour pouvoir sortir d'ici ? Poudlard est devenu une prison. Une prison agréable, certes, mais une prison. »
Elle refusait de se laisser distraire de la chair boursoufflée et enflammée qui aurait dû le laisser à l'agonie. « Où est le baume ? »
« Dans la poche. » marmonna-t-il.
Il lui fallut une seconde pour comprendre qu'il parlait des sur-robes qui était tombées derrière elle quand elle s'était redressée. Elle fouilla les poches visiblement élargies par magie vu tout le bric-à-brac qui s'y trouvait et en retira finalement le petit pot.
S'il avait fallu une preuve qu'il n'était pas tout à fait dans son état normal, qu'il la laisse étaler le baume sur la Marque sans protester, qu'il la laisse toucher la Marque, aurait été tout ce dont elle aurait eu besoin.
Il ne semblait pas souffrir – encore qu'avec lui ça ne voulait pas dire grand-chose – alors elle résista au besoin d'envoyer immédiatement un Patronus à Bill pour lui demander de venir faire ce fameux rituel qui le soulageait mais se promit de lui envoyer un mot avant même le petit-déjeuner.
« Où est-ce que tu voudrais aller ? » demanda-t-elle pour le distraire, tandis qu'elle étalait prudemment le baume.
Son ricanement était amer. « Un bar ? »
Elle fronça les sourcils. « Tu n'aimes pas boire. »
« Ce n'est pas tant que je n'aime pas boire davantage qu'il me serait facile d'en arriver à trop aimer boire. » répondit-il, non sans sarcasme. « Il y a des prédispositions génétiques à l'alcoolisme. Un autre des souvenirs fabuleux de Tobias Snape. »
Parfois, elle aurait aimé que son père soit encore en vie juste pour avoir le plaisir de lui tordre le cou.
Il en parlait peu et jamais directement mais ce genre de remarques suffisait à dessiner une image de ce qu'avait dû être son enfance.
C'était probablement une mauvaise idée mais elle aurait tout fait pour effacer cette tristesse de son visage. « Je suis sûre que tu as du Polynectar dans tes réserves et je peux changer d'apparence… Si tu veux, on pourrait… »
« Non. » la coupa-t-il fermement. « Ne me tente pas. Ils finiraient par me traquer à travers la Marque et tous ceux qui se trouveraient autour de moi seraient en danger, toi la première. »
Elle n'insista pas, principalement parce qu'elle savait qu'il avait raison et que c'était une très mauvaise idée. Elle reboucha le pot, le remit dans la poche et se pencha pour chercher sa baguette sans la trouver… Elle avisa la baguette en bois d'aubépine au pied de la table basse, en revanche, et l'attrapa avant de la montrer à son propriétaire. « Je peux ? »
Il lui jeta un regard vaguement intéressé. « Il n'est pas sûr qu'elle fonctionne pour toi. Elle est caractérielle. »
« Vous faites la paire, donc. » se moqua-t-elle.
Elle perçut une résistance lorsqu'elle jeta le sort qui fit apparaître une bande de gaze mais la baguette parut consentir à fonctionner pour elle, même si c'était très différent d'utiliser la sienne.
« Quel genre de bar ? » demanda-t-elle.
« Est-ce important ? » marmonna-t-il, avec fatigue. « Un pub, je suppose. »
Elle termina de bander son poignet puis lui rendit sa baguette, avant de planter un baiser sur ses lèvres et de se relever, un plan se formant dans son esprit.
Il la regarda enfiler son jean avec un air déçu mais pas surpris. « Tu pars ? »
« Je reviens. » promit-elle, en renonçant à récupérer le tee-shirt qui avait atterri quelque part dans le couloir. Elle vola sa chemise à la place et trouva son étui à baguette dessous. Elle coinça la baguette dans la poche arrière de son jean, exactement comme Fol'Œil le lui avait toujours déconseillé, au lieu de sangler à nouveau l'étui à son bras. « En attendant, demande aux cuisines un plat de frites et d'ailes de poulet fris. Plus c'est gras, mieux c'est. »
Il s'assit mais fit la grimace. « Ne préfères-tu pas quelque chose d'un peu plus digeste ? »
« Non. » décréta-t-elle, en déplaçant le pare-feu. « Et n'oublie pas de mettre un pantalon. Inutile de traumatiser les elfes… »
Il laissa échapper un bruit amusé. « Personne ne m'a jamais accusé d'être beau mais de là à être qualifié de traumatisant… »
« Très bien, alors disons que je préfère être la seule à être autorisée à admirer certaines parties de ton anatomie. » rétorqua-t-elle, avec un clin d'œil.
« Le sentiment est mutuel. » répondit-il, en levant un sourcil. « Raison pour laquelle je m'inquiète de te voir partir Merlin sait où dans cette tenue… »
Elle baissa les yeux, grimaça en se rendant compte que le tissu était effectivement plutôt transparent, puis haussa les épaules. Elle ne comptait croiser personne.
« Je reviens. » répéta-t-elle. « Des frites et du poulet. » Elle jeta une poignée de poudre de cheminette dans l'âtre. « Douze Square Grimmaurd. »
Elle parvint à ne pas trébucher à la sortie de l'âtre, sa maladresse chronique jamais tout à fait sous contrôle lorsqu'il était question de voyage par réseau de cheminée. Elle attendit plusieurs secondes, comptant mentalement jusqu'à soixante, mais lorsque personne ne vint s'enquérir d'un visiteur, elle s'autorisa à respirer.
Ses pieds nus avaient l'avantage d'être silencieux. Elle se déplaça vite mais furtivement, prenant soin d'éviter les lattes de parquet qui grinçaient.
Severus n'avait pas de radio dans ses appartements or pour mettre son petit plan à exécution, il lui fallait de la musique. Initialement, elle avait prévu de voler la petite stéréo dans la cuisine mais un pas dans le couloir mit à un terme à cette idée. Il y avait du mouvement en bas et, certes, ça pouvait être Kreattur ou Nyssa mais elle n'avait pas envie de risquer une rencontre gênante avec Remus.
Elle se dirigea donc aussi silencieusement qu'elle le put vers le salon de musique qui avait été converti en un dortoir d'urgence dont personne ne s'était jamais servi.
Elle sortit sa baguette et jeta un faible lumos juste pour être sûre de ne pas se cogner dans quoi que ce soit. La radio était dans le coin, couverte de poussière, beaucoup plus imposante que celle de la cuisine, le modèle étant ancestral. Elle y jeta un sort pour la nettoyer et un autre pour la rendre plus légère avant de l'attraper à bras le corps. Elle aurait pu la faire léviter mais ne se faisait pas suffisamment confiance pour ne pas la cogner contre quelque chose et alerter…
La lumière inonda soudain la pièce, la faisant sursauter, et elle pivota, heureuse d'avoir plaqué la radio contre son torse juste parce que cela cachait la transparence du tissu.
D'accord, avec le recul, s'aventurer au Square Grimmaurd avait été un plan de merde.
Elle aurait aussi bien fait d'aller demander à McGonagall si elle n'avait pas une radio ou un gramophone qu'elle pouvait emprunter.
« Qu'est-ce que tu fais ? » demanda Remus, sourcils froncés.
Elle vit la seconde précise où le loup-garou aperçut la chemise d'homme qu'elle portait, ses pieds nus, ses cheveux roses en désordre…
« Rien. » lâcha-t-elle. « J'emprunte juste un truc. »
Elle fit plusieurs pas vers la porte mais s'arrêta bien vite parce qu'il lui barrait le passage.
L'expression du sorcier était dure. « Tu as demandé l'autorisation à Sirius ? »
« Tu crois vraiment qu'il en a quelque chose à faire si j'emprunte une vieille radio ? » riposta-t-elle. « Je la ramènerai, ce n'est pas la mer à boire. Laisse-moi passer. »
« Si ce n'est pas la mer à boire, peut-être que tu devrais lui demander d'abord. » riposta Remus. « Mais peut-être aussi que tu n'as pas envie de lui expliquer que tu veux emprunter sa radio pour un rendez-vous galant… » Il plissa le nez comme si quelque chose empestait. « Tu pues son odeur comme si tu l'avais dans la peau… As-tu conscience d'à quel point vos odeurs se mêlent dernièrement ? À croire que tu passes tout ton temps avec lui… »
« Je vois que tes bonnes résolutions n'ont pas duré longtemps. » railla-t-elle.
Il cilla mais ses yeux ne perdirent pas leur lueur ambrée. « J'aurais pu tout dire à Sirius mais je ne l'ai pas fait, j'ai gardé ton secret. »
« Et quoi ? » cracha-t-elle. « Tu veux peut-être que je te remercie de t'être mêlé de tes affaires pour une fois ? »
Remus s'humecta les lèvres, sa respiration était un peu trop profonde, un peu trop audible dans la pièce calfeutrée. Ça la rendait nerveuse, lui donnait envie de sortir sa baguette mais outre le fait qu'il n'avait eu aucun geste agressif, sortir sa baguette impliquait de poser la radio, ce qui signifiait exposer ce que la chemise ne cacherait pas. Elle aurait dû écouter Severus et passer autre chose par-dessus ou prendre le temps d'aller chercher son soutien-gorge là où il avait atterri.
« En toute amitié… » offrit-il, avec un effort manifeste pour garder un ton calme, plaisant. « Sincèrement… Dora, si tu as honte d'en parler à tes amis, à ta famille… Peut-être que tu devrais te poser des questions. »
Elle éclata de rire.
« Honte ? » répéta-t-elle. « Je n'ai honte de rien, Remus, et surtout pas de lui. »
« Pourquoi le cacher à Sirius, dans ce cas ? » insista-t-il. « Tes parents… »
« Mais on ne le cache pas à Sirius ! » s'énerva-t-elle. « C'est lui qui est complètement bouché ! Et puis ce ne sont pas tes affaires ! Je n'ai aucune intention de parler de ça avec toi. Laisse-moi passer. »
« Je ne te garde pas prisonnière. » riposta le loup-garou, en levant les bras avec exaspération. « Vas-t-en, si tu veux. »
Mais il était devant la porte et pour sortir elle aurait dû passer trop près de lui.
Elle avait beau affirmer encore et encore qu'il ne lui ferait jamais de mal… Quand avait-elle commencé à avoir peur de lui exactement ? Parce que là, seule, sans arme, dans une pièce poussiéreuse et mal éclairée, il était indéniable qu'elle ressentait une certaine appréhension.
Il lui était impossible de ne pas se souvenir de la sensation des crocs s'enfonçant dans sa gorge, pas assez pour percer la chair mais juste assez pour lui laisser comprendre qu'ils le pourraient.
Sous forme humaine, il ne lui ferait pas de mal, mais…
Mais il avait essayé de l'empêcher de partir alors qu'elle était vulnérable… Il avait essayé d'éloigner Severus lorsqu'elle avait été inconsciente, après l'avoir installée dans sa chambre comme s'il avait toujours eu un quelconque droit sur elle…
Il dût se méprendre sur les raisons de son immobilité parce qu'il fit un pas vers elle, en soupirant. « Dora… Pourquoi finissons-nous toujours par nous disputer ? Tu sais que je… »
Elle fit un pas en arrière et se décida à poser la radio pour sortir sa baguette. Elle était sur le point de le faire lorsqu'un craquement sonore annonça l'arrivée de l'elfe de maison qui se tenait désormais entre eux, l'air mauvais.
Elle n'avait pas vu Kreattur depuis des semaines et il lui fallut une seconde pour le reconnaître. Dans une taie d'oreiller propre, frappée du blason des Black, les poils de ses oreilles coiffés, il ressemblait à un autre elfe.
« Maîtresse Nymphadora a dit à l'animal de la laisser passer. » gronda l'elfe, avant de se donner un de poing sans raison apparente.
Maîtresse Nymphadora ?
Confuse, elle croisa le regard de Remus qui leva les yeux au ciel.
« Ignore-le. Il est bizarre depuis quelques jours. » expliqua-t-il. « Sirius dit qu'ils ont trouvé un terrain d'entente. »
« Kreattur sert la noble et ancienne nouvelle génération des Black. » croassa l'elfe fièrement. « Kreattur ne va pas laisser l'hybride menacer Maîtresse Nymphadora dans la maison de la vénérable famille Black. »
Ça n'avait aucun sens mais elle n'allait pas se plaindre d'avoir du renfort.
Même si l'elfe se frappa immédiatement après.
« Je ne l'ai pas menacée, Kreattur. » s'agaça Remus.
« Pas avec des mots, non. » grinça l'elfe, en le fusillant du regard. « Monsieur Remus… » Le titre dégoulinait de mépris « …n'est pas le maître ici. Monsieur Remus va laisser passer la maîtresse où Kreattur va écarter Monsieur Remus pour elle. »
Aussi tentant que ce soit de laisser l'elfe corriger le loup-garou pour elle, elle se racla la gorge. « Euh, Kreattur ? C'est très gentil mais j'ai la situation sous contrôle. »
L'elfe s'inclina bas devant elle mais ne disparut pas pour autant.
La tête haute, elle se dirigea vers la sortie, soulagée lorsque Remus n'esquissa aucun geste pour la retenir. Il était trop occupé à demander à Kreattur ce qui lui prenait.
Elle ne courut pas jusqu'au salon mais elle se dépêcha autant qu'elle le put, uniquement soulagée lorsqu'elle émergea de la cheminée de Severus.
« Il se passe des trucs de plus en plus bizarres dans cette maison de fous. » annonça-t-elle, en posant la radio dans un coin.
« Inutile que je te demande si tu as croisé Lupin. » commenta le Maître des Potions, avec un déplaisir évident. Il avait enfilé un pantalon et une chemise en tout point identique à celle qu'elle lui avait volé. Il avança jusqu'à pouvoir tirer sur une de ses mèches rouges.
« Ne t'y mets pas, s'il te plaît. » râla-t-elle, en regardant autour d'elle. « Les frites ? »
« Dans la cuisine. » répondit-il. « J'ai mis la table. »
« Non, ce n'est pas l'idée. » déclara-t-elle. « Va les chercher. »
Il fronça les sourcils. « Quelle idée ? »
« Fais moi confiance ? » réclama-t-elle, en jouant avec les boutons de sa chemise. Pour mieux le distraire.
« Aveuglément. » soupira-t-il, absolument pas dupe de son manège. « Bien qu'avec une légère méfiance. »
Il adoucit cette raillerie d'un baiser.
Elle attendit qu'il ait quitté la pièce pour se mettre au travail. La métamorphose avait toujours été une de ses meilleurs matières, elle avait une affinité naturelle pour la chose. Transformer le canapé en comptoir de bar et les fauteuils en tabourets ne lui demanda aucun effort la table basse devint un miroir, elle réarrangea le reste des meubles pour faire de l'espace. Elle ouvrit les rideaux, mit un terme à l'enchantement de la fenêtre de sorte qu'ils aient vu sur le lac et les créatures curieuses qui les épiaient à travers la vitre, éteignit les lumières puis murmura un sort qui lança au plafond une douzaines de sphères lumineuses de tailles différentes… La luminosité était tamisée, changeante, le reflet de l'eau louvoyait sur les murs et donnait à la pièce une ambiance qui aurait été lugubre si elle ne l'avait pas compensé en allumant la radio et en changeant de stations jusqu'à trouver la musique la plus ridicule qui existait dans le monde sorcier.
C'était à peine de la musique, au fond. Rien qu'ils appréciaient, ni l'un, ni l'autre.
Lorsque Severus revint, il se figea sur le seuil.
« Tadaaa ! » s'exclama-t-elle, avec un geste théâtral. « Ton bar personnel… »
Elle vola une frite du plat qu'il tenait à la main – trop bon pour être de la nourriture de pub mais ils feraient avec.
Elle avait à peine fini de l'avaler lorsqu'il glissa la main sur sa joue et l'attira dans un baiser passionné qui traduisit sa gratitude plus efficacement que des mots l'auraient fait.
Il retourna à la cuisine suffisamment longtemps pour revenir avec des jus de fruits dans des verres à scotch. Elle accepta le sien avec une méfiance feinte.
« J'espère qu'il n'y a pas de philtre à babille là-dedans. » l'avertit-elle.
Elle n'avait pas été fâchée par la plaisanterie. C'était de bonne guerre après ce qu'elle avait fait à sa cape.
« Pas ce soir. L'un de nous devrait être en mesure de contrôler ce qui sort de sa bouche. » ironisa-t-il, en triquant avec elle.
Elle avait voulu le dérider et était heureuse de le voir plus détendu.
Mission accomplie.
« Était-il nécessaire d'ouvrir les rideaux ? » se plaignit-il pourtant. « Harry le fait en permanence mais, lorsque la fenêtre est enchantée, je peux au moins prétendre ne pas être un animal de foire. »
« Ce n'est pas un bar si des gens louches ne te dévisagent pas comme une bête curieuse. » décréta-t-elle, en agitant la main en direction d'une des créatures qui s'attardaient derrière la vitre.
« Tu fréquentes de drôles de lieux. » commenta-t-il, en volant une frite dans le plat.
« Attends juste que je t'y traine. » l'avertit-elle. « Je vais là où il y a de la bonne musique. »
Il ne protesta pas autant qu'elle l'aurait cru.
Du moins pas avant qu'elle tente de l'attirer au centre de l'espace qu'elle avait sciemment dégagé.
« Je ne danse pas. » grinça-t-il, en tentant de lui échapper. Peine perdue. Elle avait une prise ferme sur ses poignets et il ne se débattait pas avec suffisamment d'agressivité pour qu'elle le lâche. « Nymphadora. »
« Si tu me traines dans un bar, Severus, tu danses avec moi. » déclara-t-elle.
Il leva les yeux au ciel. « Est-ce une règle ? »
Elle hocha la tête. « Gravée dans le marbre. »
Il grogna mais cessa de tenter de lui échapper. La musique était ridicule et il se tenait droit comme un piquet, ne consentant à bouger que si elle tirait sur ses bras… Elle se retrouva donc à le forcer à danser comme s'il était une marionnette.
Mais plus elle exagérait, se déhanchait et se trémoussait, plus ses lèvres tressautaient alors qu'il s'efforçait de ne pas sourire.
Elle s'estima satisfaite lorsque le premier rire lui échappa et qu'il l'attrapa à bras le corps pour l'empêcher de continuer à se dandiner.
« Tu es ridicule. » accusa-t-il affectueusement.
« Et fière de l'être. » répondit-elle.
Elle ne renonça pas à essayer de le faire danser sans trop de succès mais lorsque, au bout d'un moment, la musique laissa place à une chanson plus lente, ce fût lui qui l'attira contre lui. Il consentit même à osciller lentement.
Les bras passés autour de son cou, le menton calé sur son épaule, elle sourit lorsqu'elle sentit ses lèvres frôler sa gorge, s'égarer vers son oreille… Il resserra son étreinte…
« Je ne te mérite pas. » murmura-t-il.
« Ne recommence pas avec ça. » le gronda-t-elle. « C'est moi qui décide qui me mérite ou pas. »
Il émit un bruit amusé mais pressa un baiser sous son oreille, pile à l'endroit qui la faisait généralement fondre.
« Je… » hésita-t-il, après avoir pris une profonde inspiration. « Je… »
Elle recula précipitamment le haut du corps pour le bâillonner de sa main avant qu'il ait pu dire quelque chose qu'il aurait probablement regretté au matin. Cela l'aurait tuée s'il avait regretté.
« Dis moi lorsque tu auras l'esprit clair. » exigea-t-elle, en fouillant son regard.
Ses boucliers étaient inexistants à cet instant. La douceur dans ses yeux noirs, la tendresse, et, oui, peut-être…
Elle l'embrassa.
Elle l'embrassa parce que c'était l'embrasser ou avouer tout un tas de choses qui la terrifiaient, comme le fait que son cœur battait trop fort à chaque fois qu'elle le voyait ou que se blottir contre lui avant de dormir était le meilleur moment de sa journée ou qu'elle était désormais incapable d'imaginer un quelconque avenir sans lui.
°O°O°O°O°
Son salon avait repris son aspect habituel, il ne restait plus aucunes traces de la réplique de bar en laquelle Nymphadora l'avait transformé. Comme s'il l'avait rêvé.
Les dernières heures avaient une impression suffisamment irréelles pour que ça ait été le cas.
Assis dans un de ses fauteuils, dans le noir, le regard rivé sur les eaux sombres du lac à travers la large fenêtre, Severus fit le point. D'abord, inspecter ses boucliers, renforcer ceux que la péripétie de la journée avait endommagé. Ensuite s'assurer que l'horcruxe n'avait rien laissé derrière lui dans son esprit, ce dont il aurait dû se préoccuper plus tôt. Et enfin tâcher de comprendre comment contrer l'influence des horcruxes parce qu'il avait beau être à nouveau maître de lui-même, il avait beau avoir finalement dompté le froid qui lui avait glacé l'âme pendant des heures, il en sentait toujours la morsure et il refusait de se retrouver à nouveau dans une situation similaire.
Toutes les insécurités, les craintes que le médaillon avait déterrées… Il ne parvenait pas tout à fait à les remettre dans leur boîte, même avec l'Occlumencie.
Il entendit une latte du sommier craquer, guetta les légers bruits de pas qui ne tardèrent pas à approcher… Parce qu'il s'y attendait, il ne sursauta pas lorsqu'il sentit les bras l'enlacer par-dessus le dossier du fauteuil. Une main glissa à l'intérieur du tee-shirt qu'il avait passé pour dormir, des cheveux lui chatouillèrent la joue et, alors même qu'il souriait à l'odeur fruitée qui s'en dégageait, des lèvres trouvèrent son cou…
« Je n'arrivais pas à dormir. » avoua-t-il.
« Et tu penses que tu vas mieux y arriver assis ici, tout seul, dans le noir ? » se moqua-t-elle, la voix encore lourde de sommeil. « Loin de moi ? »
Il laissa tomber la tête vers son bras et ferma les yeux, en se demandant, pas pour la première fois ces dernières heures, par quel miracle elle avait décidé qu'elle voulait de lui. Il n'était tout simplement pas aussi chanceux.
« Est-ce si grave que nous ayons passé les cinq dernières nuits ensemble ? » s'entendit-il demander.
Elle pressa un dernier baiser contre son cou puis fit le tour du fauteuil sans ôter le bras glissé sous son tee-shirt pour se percher sur l'accoudoir. Elle était calée contre le dossier, le corps incliné vers lui, de sorte qu'ils étaient pelotonnés l'un contre l'autre. Encore autre chose qu'il n'aurait fait avec personne d'autre.
La simple idée l'aurait horrifié.
Mais avec Nymphadora…
Avec Nymphadora, c'était aussi naturel que respirer.
« C'est quoi mon livre préféré ? »
La question le prit de court mais il haussa les épaules. « Dune. »
« Mon film préféré ? » continua-t-elle patiemment.
Il agita la main. « Je ne me souviens plus du titre. Il est question d'otages, de terroristes et d'un méchant particulièrement séduisant. »
Ou du moins, c'était ce dont il se souvenait de sa description.
« Mon équipe de Quidditch préférée ? » s'enquit-elle.
« Les Harpies, évidemment. » se moqua-t-il à moitié. « S'il y avait un examen, tu aurais pu me prévenir… »
Dans la pénombre, son sourire paraissait particulièrement doux. « Tu dis que ton livre préféré est un traité de Potions long comme le bras mais tu caches des romans d'aventure dans la petite bibliothèque de ta chambre. Ton groupe préféré est The Cure,et tu prétends qu'aucun groupe de rock ne les a jamais surpassés, surtout pas un groupe sorcier, mais je t'ai déjà entendu fredonner des chansons d'Amortentia and the Gang. »
« Tu te trompes. » se défendit-il, avec mauvaise foi. « Et je ne fredonne pas. »
« Tu dis aussi que tu ne t'intéresses pas au Quidditch mais tu vérifies toujours le score lorsque les Faucons de Falmouth jouent. » continua-t-elle, comme s'il n'avait rien dit. « Tu préfères le thé au café, il n'y a rien qui t'énerve plus qu'un élève avec du potentiel qui ne fait pas d'efforts et pour quelqu'un qui n'a aucune peinture dans ses appartements, tu aimes l'art. » Son sourire s'était fait satisfait. « Tu vois, n'en déplaise à La Gazette, le mystérieux espion n'est pas si mystérieux que ça pour moi. »
Étant donné son ton, il supposait que c'était une bonne chose.
« On passe beaucoup de temps ensemble, c'est vrai. » conclut-elle. « Mais c'est du temps qui compte. Non ? »
« À toi de me le dire. » marmonna-t-il. « Ce n'est pas moi qui ait fait la remarque. »
Elle lâcha un soupir. « Severus… Je ne voulais pas dire quoi que ce soit par là… C'était juste… Cinq nuits d'affilées, ça fait beaucoup, c'est tout. Certaines personnes prendraient peur. Parce que ça veut dire que c'est vraiment sérieux, qu'il y a… des sentiments. »
Il ne comprenait pas le problème.
« N'avons-nous pas établi à plusieurs reprises que nous étions sérieux ? » répondit-il. « Ou qu'il y a des sentiments ? »
Elle ouvrit la bouche, la referma et puis laissa échapper un rire semi-amusé. « Je ne sais même pas pourquoi on se dispute. »
« Nous ne nous disputons pas, nous discutons. » corrigea-t-il. « Parce que s'il y a un nombre de nuits limites à passer ensemble avant que tu prennes peur, pour reprendre ta formulation, je préfèrerais le savoir. »
« J'ai un peu peur. » admit-elle. « Mais c'est de la bonne peur. Celle qui pousse en avant. Tu vois ? »
Pas vraiment.
La peur chez lui n'avait jamais été positive. La peur était catégoriquement négative.
S'il avait peur de quoi que ce soit en rapport avec Nymphadora, c'était davantage qu'elle le quitte plutôt qu'elle veuille passer du temps avec lui.
« Si j'échoue, Harry meurt. » lâcha-t-il. « Voilà ce qui m'empêche de dormir, pas le nombre de nuits que nous passons ensemble. »
« Severus, c'est différent… » murmura-t-elle, presque offensée. « Évidemment, que c'est différent. »
« Je n'ai pas le temps pour les petites peurs. » déclara-t-il. « Je dois vivre avec cette terreur là et tu n'as aucune idée d'à quel point elle me pèse. Si j'échoue, Harry meurt. »
Sa voix se brisa sur le dernier mot. Il se racla la gorge, heureux qu'aucun d'eux n'ait allumé la lumière.
Il avait des théories sur ce qui s'était mal passé avec l'horcruxe mais aucune certitude, aucune piste, aucune…
Et lorsqu'il s'aventurait à y penser, à y penser vraiment, la panique le prenait à la gorge.
Il s'était douté qu'ils n'y parviendraient pas du premier coup mais avait était certain que cela les aiguillerait or…
« C'est ce que je crains le plus au monde. » avoua-t-elle. « Perdre les gens que j'aime. Devoir les regarder mourir. Lorsque Fol'Œil est mort… » Elle laissa sa phrase en suspens, soupira. « Je comprends, surtout qu'Harry… »
« Non, tu ne comprends pas. » l'interrompit-il, sans hostilité mais avec une profonde lassitude. Les restes de l'effet de l'horcruxe sans doute. Il s'appuya un peu plus fort contre elle, ne protesta pas lorsque la main qui était à l'intérieur de son tee-shirt caressa son torse pour mieux l'apaiser. « Il y a des choses que tu ignores. Des choses que je ne peux pas te confier. Si j'échoue, il meurt. Ce n'est pas une métaphore, ce n'est pas une déclaration en l'air, ce n'est pas une interprétation de cette foutue prophétie, c'est la réalité. Il y a un problème concret à résoudre et si je ne le résous pas, si… » Il ferma les yeux, pressa le visage contre le creux de l'épaule de la jeune femme. « Je ferais n'importe quoi, Nymphadora, n'importe quoi. De la magie noire jusqu'à me détruire, tuer, mourir… Aucun sacrifice n'est trop grand et si… si tu dois un jour me regarder avec dégoût, avec haine, à cause de cela… »
« Severus… » souffla-t-elle, la voix nouée d'émotions.
« Je le ferai quand même. » avoua-t-il. « Même si je dois te perdre. Même si… »
Le bras qui était toujours autour de son cou se contracta et elle passa le second autour de lui, le serra contre elle avec force.
« Je n'ai jamais demandé à passer avant lui et je ne te le demanderai jamais. » murmura-t-elle, en posant la tête sur la sienne. « C'est ta priorité. C'est normal. Mais… Mais, Severus, j'espère que tu sais que… Tu peux compter sur moi. »
Les mots que la version horcruxe de Lily lui avaient jeté au visage tourbillonnaient dans sa tête, moins puissants que plus tôt mais…
Il faisait sombre et elle le tenait si fort…
« Je n'ai jamais eu de relation comme la nôtre. » admit-il. Ce n'était pas un secret, il ne le lui avait pas caché, mais il n'en avait jamais vraiment parlé non plus. C'était un peu ridicule pour un homme de son âge de ne pas avoir d'expérience en la matière, surtout vu qu'il était plus vieux qu'elle. Il n'en avait pas honte mais il craignait un peu ses taquineries, peut-être. « Je n'en ai jamais voulu, si je suis honnête. Après Lily… Et j'ai toujours su que… Je n'ai jamais pensé survivre une fois mon utilité devenue obsolète. Il n'y avait aucun intérêt à… » Il s'agaça de son incapacité à terminer une phrase. « Je n'ai pas vécu en moine mais même l'aspect physique ressemblait plus à une corvée, parfois. J'étais bien seul, j'étais mieux seul. Être seul était… plus sûr. »
Il aurait probablement dû protester la manière dont elle caressait ses cheveux, la tendresse qu'elle offrait toujours sans compter… La situation aurait dû lui paraître humiliante. Il aurait dû être sur la défensive. Il aurait dû…
Mais ses défenses étaient à terre.
Une caresse d'elle et ses défenses étaient à terre.
« Parce que lorsqu'on est seul personne ne peut nous blesser. » chuchota-t-elle, au bout de plusieurs secondes de silence.
« Sans doute. » soupira-t-il. « Certainement. » Il y avait une boule qui lui nouait la gorge. « Lorsque j'ai commencé à travailler l'Occlumencie avec lui et qu'il a vu mes anciens boucliers pour la première fois, Harry a dit qu'un jour ils m'exploseraient au visage et que ce serait un désastre. Il avait raison. Je me suis coupé du monde si longtemps, j'avais oublié ce que c'était de vivre. De… ressentir. »
Il attendit mais elle ne dit rien, ne répondit pas. Elle écoutait simplement.
« Je ne t'attendais pas, Nymphadora… » murmura-t-il. « Même après avoir accepté qu'Harry soit devenu important pour moi, même après avoir déterminé que je ferais n'importe quoi pour le voir survivre, pour le voir vivre et vieillir… Je ne souhaitais rien d'autre. Je n'ai jamais eu besoin de beaucoup de personnes autour de moi. J'avais Harry et… Je ne t'attendais pas. »
« Je ne t'attendais pas non plus. » plaisanta-t-elle, avec un peu trop d'émotions dans la voix. « Mais je suis bien contente de t'avoir trouvé. »
« Je ne suis pas quelqu'un de bien. » lui rappela-t-il, pour ce qui semblait être la centième fois. Elle ne relâcha pas son étreinte, ne tressaillit même pas. Ne le crut peut-être pas. « Ce qu'il y a entre nous… Il n'y a pas grand-chose que je ne ferais pas pour le garder. Cependant, Harry… Je pourrais être amené à faire des choses qui… »
« Severus. » soupira-t-elle.
« Comment puis-je t'affirmer que je ferais n'importe quoi pour toi tout en sachant que je sacrifierai tout, même nous, pour sauver Harry ? » souffla-t-il.
« Parce que tu es son père. » répondit-elle. « Et que je passe après ça. Et que c'est normal. »
Il l'entendit à peine.
« L'idée de voir le dégoût sur ton visage ou… » s'entêta-t-il.
« Severus. » répéta-t-elle, plus fermement.
Ses bras ne le serraient plus aussi fort et, comprenant ce qu'elle voulait, il s'écarta juste assez pour pouvoir croiser son regard. C'était plus difficile, cela demandait davantage de courage qu'il ne lui en avait fallu pour aller à Azkaban le soir où sa couverture avait sauté. La mort il pouvait l'affronter en face, la tête haute. Son jugement…
Sa main était toujours à moitié sous le col de son tee-shirt et elle ne la retira pas. Il sentait ses doigts sur sa clavicule et se focalisa sur ce point de contact, occluda le reste, parce que c'était plus simple. Parce que…
« Je vais dire quelque chose qui ne va peut-être pas te plaire mais que je pense que tu as besoin d'entendre, d'accord ? » annonça-t-elle, sans lui laisser le loisir de refuser. « On a tous notre passé. Quand on commence une nouvelle relation avec quelqu'un, une relation sérieuse… Imagine qu'on emmène des valises pleines. Ça vaut pour moi aussi. »
« Les tiennes sont en peau de loup. » grommela-t-il.
« Pas que. » lâcha-t-elle. « Ma vie ne se résume pas à Remus, même si… Oui, c'est probablement une des histoires qui a le plus compté pour moi. Avant toi. »
Il n'aimait pas l'entendre mais il pouvait l'admettre.
« Tes valises… » continua-t-elle, avant d'abandonner la métaphore. « Tu as peur de ne pas me mériter ou que je me réveille un matin et que je me rende soudain compte que tu es une personne affreuse. Tu as peur de faire quelque chose qui franchira la limite d'une frontière imaginaire que tu penses que j'ai par rapport à toi ou à la magie ou quelque chose comme ça… Vrai ou faux ? »
Il gigota, un peu mal à l'aise, mais il ne pouvait pas s'éloigner, pas sans la repousser et il ne voulait pas la repousser, qu'importe ce que criait son instinct de survie. « Vrai. »
« Je ne t'ai jamais demandé de me mériter. » déclara-t-elle. « Je t'ai déjà dit que je ne t'idéalisais pas. Et je n'ai pas de limites ou quoi que ce soit du genre. S'il y a quelque chose de rédhibitoire, je te le dirai. La torture et les meurtres gratuits, par exemple, ça ce serait un motif de rupture. Et si vraiment, vraiment, il faut tuer quelqu'un pour sauver Harry, même si j'espère que c'est plus au figuré qu'au propre, s'il s'agit vraiment de faire un choix entre la vie de ton fils et celle de quelqu'un d'autre, alors on tuera un Mangemort. Et, à choisir, on essayera d'en capturer un vraiment irrécupérable, comme ma chère tante Bella. »
Il croisa brusquement son regard.
« Oui. » confirma-t-elle. « On. » Elle grimaça. « Maintenant, pour la partie que tu ne vas pas aimer entendre… Essaye de ne pas me hurler dessus, s'il te plait… » Elle baissa les yeux, tirant nerveusement un fil qui dépassait de son pantalon de pyjama. « Je peux me tromper mais, de ce que tu m'as dit, il n'y a pas une personne qui ait compté dans ta vie qui ne t'a pas abandonné à un moment ou à un autre. »
Le froid revint le balayer, acéré, mais c'était davantage la panique face à une conversation qu'il ne voulait pas avoir que l'effet résiduel de l'horcruxe.
« Nymphadora. » l'avertit-il sèchement.
« Oui, je sais, tu n'aimes pas en parler. » lâcha-t-elle. « Mais… C'est important. Je crois qu'il faut que tu l'entendes parce que… Parce que tu me mets dans un schéma qui n'est juste pas… » Elle s'interrompit et grimaça. « Ton père était un connard, là-dessus pas de questions. Et ta mère… »
« Nymphadora. » répéta-t-il, avec davantage d'hostilité.
Il voulut s'écarter mais d'une caresse du pouce sur sa clavicule, elle l'immobilisa.
Sa douceur…
Elle le tenait par la douceur.
« Ta mère t'a laissé tomber. » affirma-t-elle avec beaucoup trop d'aplomb.
« Ma mère est morte. » cracha-t-elle. « Elle pouvait difficilement… »
« Tu avais quinze ans quand il l'a tuée. » l'interrompit-elle gentiment, toujours avec cette douceur qui…
Il ne lui avait jamais dit son âge. Mais elle avait lu l'article de La Gazette.
« Pendant combien d'années est-ce qu'il t'a tapé dessus avant ça ? » demanda-t-elle. « Pendant combien d'années elle t'a laissé dans cette merde ? Elle t'a abandonné parce qu'elle aurait dû te sortir de là. »
« Ce n'était pas si simple. » aboya-t-il presque, bien qu'il se soit lui-même fait la même réflexion plus d'une fois. Il lui en avait tellement voulu, il…
« Je ne dis pas que c'était simple. » contra-t-elle, sans élever la voix. « Les relations toxiques ou abusives, c'est toujours compliqué et c'est facile de se laisser prendre au jeu du 'c'est ma faute', 'c'est moi le problème'. » Elle n'avait pas besoin de dire qu'elle pensait à Lupin et ce fût la seule raison pour laquelle il ne s'énerva pas davantage. « Le truc, Severus, c'est que, même si elle avait ses raisons, même si elle a fait de son mieux dans la situation où elle était… Ça n'empêche pas qu'elle t'a abandonné. Les deux vérités peuvent coexister. » Elle secoua la tête. « Elle aurait dû te sortir de là à la seconde où il a levé la main sur toi pour la première fois. Elle aurait dû te protéger. Elle aurait dû faire de toi la priorité. Et parce qu'elle ne l'a pas fait, maintenant, tu penses que tu ne vaux pas la peine que quelqu'un d'autre le fasse. »
Il ferma les yeux.
Il aurait voulu protester, rager, mais c'était exactement ce qu'il répétait sans cesse à Harry.
Et la voix dans sa tête qui lui disait que ce qui s'appliquait à Harry ne s'appliquait pas forcément à lui, qu'il avait fait trop d'erreurs, qu'il avait causé trop de mal…
« Où as-tu trouvé ton diplôme de psychologie ? » railla-t-il, sur la défensive. « Une pochette surprise ? »
« Il y a des modules facultatifs d'accompagnement aux victimes pendant la dernière année de formation. » répondit-elle calmement.
« Victimes. » cracha-t-il.
« Lily aussi t'a abandonné. » ajouta-t-elle, sans relever, mais avec une nervosité visible. « Et c'est le nœud du problème, hein ? Je peux me tromper, parce que tu ne parles jamais d'elle, mais tu m'as dit qu'elle était la seule chose de bien dans ta vie quand tu étais jeune et… C'est ta référence. Je me trompes ? S'il y a un truc qu'elle n'aurait pas toléré de toi, tu décides que je vais te le reprocher, moi. »
« Ce n'est pas… » protesta-t-il, la colère laissant place à la panique parce que si elle décidait qu'il avait toujours des sentiments pour Lily ou… « Je ne te compare pas à elle. Tu n'es pas… Tu… » À court de mots, il plaça la main sur son genou. « Serait-elle vivante que… »
Si elle avait été vivante, le monde aurait été différent et ils ne seraient probablement pas là tous les deux à partager ce moment.
« Je ne t'accuse de rien. » soupira-t-elle. « Je dis juste… Severus, toutes les relations importantes que tu as eues se sont terminées par un abandon et... D'une certaine manière, c'est normal que tu ais peur de ça mais… Il faut que tu prennes conscience que c'est dans ta tête et que tu arrêtes de projeter ça sur moi. Je sais ce que je veux, je sais qui tu es et je n'ai aucune intention de prendre la place de ta conscience ou de te demander de changer. On est ensemble, on est… On est des partenaires. Je ne te juge pas. Tu ne me juges pas. On avance ensemble, pas l'un contre l'autre. Et si, à un moment, on décide que ça ne fonctionne plus ou qu'on est trop différents… On se souviendra que Remus se comportait comme un connard et qu'on trouvait ça ridicule et on essayera de ne pas faire la même chose. Et même dans ce cas là, ça ne veut pas dire qu'on doit se déchirer ou ne plus jamais avoir de contacts, ça ne veut pas dire que je ne serai pas là quand tu auras besoin de moi ou inversement. D'accord ? »
Lorsqu'il croisa son regard, il était persuadé que toutes ses émotions étaient à nues sur son visage.
Une part de lui était en colère qu'elle ait remué le passé, une autre angoissait qu'elle en sache autant, d'être aussi vulnérable devant elle, et le reste… Le reste était tellement, tellement reconnaissant de l'avoir trouvée.
Il avait été parfaitement conscient des sentiments qu'il n'osait pas tout à fait nommer mais à cet instant… Ce n'était pas si différent de la sensation de chute vide lorsque Nox s'élançait d'un endroit surélevé.
La certitude absolue se cimenta en lui.
Et si elle le terrifiait un peu, elle le remplissait aussi de… joie.
Devant son silence soutenu, elle détourna la tête. « Tu veux savoir ce qui me fait le plus peur, à moi ? J'ai peur que tu rendes compte que je suis très ordinaire et que tu pourrais trouver quelqu'un de plus sophistiqué ou… »
« Ordinaire ? » l'interrompit-il, en fronçant les sourcils. « Tu n'as rien d'ordinaire. »
« Pourquoi ? Parce que je peux changer d'apparence comme je veux ? » lança-t-elle, sans croiser son regard. « Ce n'est pas forcément un atout dans une relation, tu sais. Le nombre de fois où on m'a dit 'oh, tu ne veux pas devenir blonde' ou 'oh, jouons à un jeu, pourquoi tu ne prends pas l'apparence de truc ou machin'… » Elle haussa les épaules. « Il y a eu un moment dans ma vie où j'avais peur de ne plus me souvenir de mon vrai visage. Quand on peut corriger ce qu'on veut, ressembler à ce qu'on veut… C'est dur, des fois, de se rappeler de qui on est au lieu de qui les gens veulent qu'on soit. C'est pour ça que c'est important pour moi de savoir qui je suis. C'est pour ça que ça m'effraye tellement d'avoir autant changé dernièrement. »
« Tu n'as pas changé, Nymphadora. » contra-t-il. « Tu as mûri. »
« Peut-être. » répliqua-t-elle. « Mais il n'y a pas que ça. Remus m'a tellement… J'essaye vraiment de ne pas laisser ses remarques m'affecter mais, parfois, je n'y peux rien. Je sais que ce n'est pas juste mais je me dis que tu vas décider que je suis trop jeune ou immature pour toi. Ou que tu vas me trouver trop arrogante parce que je pense pouvoir m'attaquer à Bellatrix ou Greyback ou… Ou que tu vas te rendre compte que je ne suis pas si intéressante que ça. Tu es brillant, tu sais ? Je ne dis pas ça comme ça. Tu es vraiment très intelligent, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Et moi… Je ne suis pas idiote, je le sais très bien, mais on n'est pas au même niveau de… »
Il referma les bras sur sa taille et l'attira sur lui parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre. Il voulait juste la faire taire, mettre un terme à ce flots d'insécurité qui l'offensait presque parce qu'il détestait entendre ce flot de reproches envers elle-même… Qu'elle puisse seulement en penser un quart…
« Faut-il que je liste tes qualités pour te convaincre que tu es… » Il s'interrompit brièvement, hésita… « Parfaite. Tu es parfaite. Avec tous tes défauts et tes imperfections, pour moi tu es parfaite telle que tu es. » Elle enfouit le visage dans son cou mais pas assez vite pour qu'il n'aperçoive pas les larmes qui brillaient dans ses yeux. « Ce ne sont pas tes pouvoirs qui te rendent extraordinaires… C'est toi… C'est toi. » Il déposa un baiser sur ses cheveux. « Tu n'as rien d'ordinaire, mon amour, rien du tout. »
« Et je ne vais pas t'abandonner à la première difficulté. » répondit-elle, en relevant la tête, quêtant son regard. « Ou à la deuxième. Ou à la troisième. C'est l'avantage d'être avec une Poufsouffle… On prend la loyauté très au sérieux. »
« Tout comme les Serpentards, contrairement à la rumeur. » déclara-t-il.
« Alors, on arrête de laisser le passé nous faire peur, d'accord ? » hésita-t-elle. « C'est toi et moi, Severus, c'est notre histoire, on peut l'écrire comme on veut. La prochaine fois que tu penses que je vais te larguer sans même te donner l'opportunité de t'expliquer, rappelle-toi de ce moment. »
« Uniquement si tu me promets de cesser de penser que je pourrais sérieusement m'intéresser à quelqu'un d'autre. » négocia-t-il. « Tu es la seule femme en plus de quinze ans qui m'ait donné envie de… » Sa voix se tut mais il se força à poursuivre après s'être raclé la gorge. « Tu m'as dit avoir besoin de moi. C'est mutuel. »
Elle scella cet échange de promesses d'un baiser.
Et le froid reflua définitivement.
