Vous aimez bien les cliffhangers et ça faisait longtemps, rappelez-vous ;)

Anecdote: à la seconde où j'ai entendu Graham Norton dire ça, j'ai su que ce serait la citation de ce chapitre précis.

Enjoy & Review!


Blood and glitter, two things that are very hard to get out of a carpet.
Graham Norton – Eurovision 2023

Du sang et des paillettes, deux choses qui sont très difficiles à ôter d'un tapis.
Graham Norton – Eurovision 2023


Chapitre 74 : Blood And Glitter


Les cibles explosaient les unes après les autres, impitoyablement, les fixes comme celles qui se déplaçaient dans les airs.

Sirius était censé tester un nouvel exercice mais, la vérité, c'était qu'il avait besoin d'un défouloir. Depuis sa discussion avec Remus, trois jours plus tôt, il ne décolérait pas. Nyssa avait jugé son humeur exécrable et l'avait banni de ses appartements jusqu'à ce qu'il soit mieux disposé. Narcissa faisait celle qui ne voulait rien dire tout en sous-entendant fortement qu'il avait été très bête de s'attendre à autre chose de la part d'un loup-garou. Tonks était cloîtrée dans les cachots où elle faisait semblant de se reposer, tout en travaillant sur les horcruxes. Et il évitait lui-même Severus comme la peste parce qu'il ne savait pas quoi lui dire.

Au lieu d'affronter ses démons ou de régler ses problèmes, Sirius lançait des sorts explosifs.

Si ses groupes de volontaires avaient de la chance, il ne les lançait pas sur eux mais ils n'en avaient pas toujours eu, ces derniers jours. Une cible capable de répliquer était bien plus intéressante que les disques qui volaient à travers la Salle sur Demande.

« La rumeur veut que tu boudes. »

« Putain ! » s'exclama-t-il, en sursautant. Il se tourna automatiquement en direction de la voix, baguette levée, un sort défensif aux lèvres.

Peu impressionné, Severus leva un sourcil. Il se tenait là depuis un moment, semblait-il, parce que sa canne était appuyée au mur, près de l'entrée, et il avait les bras croisés.

Sirius ne l'avait pas entendu arriver.

« J'espère que tu enseignes à tes troupes à être plus vigilantes. » ironisa le Maître des Potions.

Plaçant une main sur son cœur pour en calmer les battements anarchiques, Sirius baissa sa baguette et le foudroya du regard. « Tu as failli me faire avoir une attaque. »

« Je n'étais pas particulièrement discret. » rétorqua Severus. « Toi, en revanche, tu es distrait. Sais-tu à quel point il est facile de se glisser derrière un combattant distrait pour lui trancher la gorge ? »

L'Animagus leva les yeux au ciel. « Quoi ? Tu t'inquiètes pour moi ? »

Fut un temps où l'ancien Mangemort aurait répondu d'une boutade ou d'un demi-mensonge sur le bien-être d'Harry. Là, il se contenta de plisser un peu les lèvres. « Je ne suis pas le seul à être inquiet, Sirius. »

Il se sentit immédiatement coupable. « Harry ? »

Severus agita la main, comme si l'explication coulait de source. « Tu n'es pas passé à la maison, ces derniers jours. Tu ne l'as pas réinvité à participer aux entraînements. Tu n'as pas cherché à le contacter. Il pense que tu lui en veux de t'avoir révéler les écarts de Lupin. »

Sirius grimaça et rangea sa baguette dans sa manche pour aller s'affaler sur un des bancs qui longeaient les murs. Severus suivit mais ne s'assit pas. Il resta debout devant lui, à le toiser… À une époque, l'ancien fugitif n'aurait jamais pu le supporter, ne lui aurait jamais fait assez confiance pour lui laisser ainsi l'avantage physique… Le corps lourd d'une fatigue qui n'était pas que physique, il baissa la tête et se pencha un peu en avant, appuyant ses bras sur ses cuisses, dans une posture qu'il savait un peu défaitiste.

« Sirius. » soupira Severus. « J'ai un million de choses à faire, aujourd'hui. Veux-tu bien partager ta crise existentielle afin que nous la réglions et que je puisse retourner à mes occupations ? »

« Personne ne t'oblige à t'inquiéter pour moi. » grommela-t-il.

« N'est-ce pas ce que font les amis ? » rétorqua le Maître des Potions, avec juste assez de brusquerie pour trahir sa gêne. Severus détestait les excès de sensibleries.

Ça le fit sourire.

« C'est rien. » marmonna-t-il. « Je m'en remettrai. »

« Black. » gronda l'homme.

Agacé, Sirius se frotta la nuque. « Très bien. J'ai parlé à Remus et je me sens comme une merde depuis. Voilà, tu es content ? »

Il releva les yeux à temps pour voir l'expression de son ami durcir avant de redevenir d'une neutralité absolue. Lorsqu'il parla sa voix était calme et Sirius devina qu'il occludait.

« Un jour, je tuerai ce loup. » déclara Severus.

L'Animagus leva les yeux au ciel, se releva d'un bond irrité et retourna faire face à ses cibles. « Ça n'aide pas. »

« Je suis sérieux. » siffla le Maître des Potions, en lui emboîtant le pas. « Il persiste à s'en prendre à mes proches et je commence sérieusement à perdre patience. »

« Je ne dirais pas qu'il s'en est pris à moi. » nuança-t-il, choisissant de ne pas relever ce qu'il venait de sous-entendre. Severus n'apprécierait pas, même si c'était une petite victoire personnelle de lui en faire admettre autant. « C'est plutôt moi qui m'en suis pris à lui. Mais il a dit des trucs que… » Il fit exploser trois cibles en séries, cherchant à évacuer cette colère qui n'avait pas diminué. « C'est juste… Je ne le reconnais plus. J'ai l'impression de ne jamais l'avoir connu alors que je sais que c'est faux. C'est frustrant. »

« Autant que de passer tes nerfs sur des cibles inanimées, j'en suis certain. » répliqua son ancien rival, en sortant sa baguette pour ranger toutes les cibles d'un geste. « Tu iras mieux une fois que je t'aurais fait mordre la poussière. »

Le ton était docte mais la plaisanterie hésitante était évidente dessous et Sirius lança un premier sortilège sans attendre, connaissant trop bien ses tendances Serpentard pour ne pas se méfier. Ils échangèrent quelques passes paresseuses pour se mettre en jambes puis Severus sembla se décider à cesser de jouer et le duel gagna en intensité.

L'ancien Mangemort peinait toujours à moduler la puissance de ses sorts, particulièrement les plus agressifs, mais ce n'était pas aussi terrible que cela ne l'avait été. Contrairement à leurs premiers entraînements, Sirius n'était pas obligé de simplement les esquiver, il pouvait les bloquer ou les parer sans craindre que leur puissance ne réduise ses boucliers à néant.

C'était tout de même éreintant.

Et pile ce dont il avait besoin.

Lorsqu'un des sortilèges de Severus brisa ses trois couches de boucliers et l'envoya voler, il resta allongé sur le dos, haletant, à fixer le plafond.

« Très bien. Tu gagnes. » capitula-t-il.

« Cela fait neuf à deux, si je ne me trompe. » commenta l'ancien Mangemort, d'un ton absolument trop arrogant, en approchant. Il n'y avait que lui pour compter les points de tous les duels de ces dernières semaines.

Sirius fut heureux de constater qu'il boitait bas. Au moins, cela tendait à prouver qu'il l'avait mis en difficultés.

Severus lui tendit la main pour l'aider à se relever mais l'Animagus l'ignora, préférant garder les yeux rivés sur le plafond. Après quelques secondes, le Maître des Potions soupira, marmonnant entre ses dents qu'ils n'avaient plus quinze ans, mais finit par s'asseoir par terre à côté de lui.

« Les choses étaient tellement plus simples, avant. » lâcha Sirius.

« D'une certaine manière, sans doute. » offrit son ancien rival, sans lui demander ce qu'il voulait dire. Sans doute, entre tous, était-il le mieux placé pour comprendre ce dont l'Animagus parlait. Lui aussi, après tout, s'était retrouvé avec une famille sur les bras de manière un peu inattendue alors qu'il avait été seul la majeure partie de sa vie. « Cela ne signifie pas qu'elles ne sont pas simples, à présent, malgré leur complexité apparente. »

Sirius remua cette phrase dans sa tête plusieurs fois, avant de lever les yeux au ciel. « Je ne suis pas assez intelligent pour te suivre dans tes explorations philosophiques, Servilus. »

Severus lui jeta un regard irrité, comme s'il ne faisait aucun effort. « Il est, certes, plus simple d'être seul, de ne se reposer sur personne ou presque et de pouvoir se concentrer pleinement sur ses objectifs. » Le Maître des Potions marqua une pause, comme s'il cherchait ses mots. « Avoir une famille, une personne avec qui l'on partage sa vie, des gens qui dépendent de nous… Ce sont des complications que j'aurais pensé insurmontables. Toutefois, malgré les difficultés que cela présente… Il m'arrive de trouver le tout d'une simplicité agréable. Il n'y a pas de coups de poignard dans le dos, il n'y a pas besoin d'être sur ses gardes en permanence, il ne s'agit pas de transactions voilées d'affection hypocrite… C'est… rafraîchissant. »

Sirius l'observa un moment puis émit un bruit railleur. « Tu l'as tellement dans la peau que ce n'est même plus drôle de se moquer de toi… »

L'ancien espion ne semblait pas ravi mais ne nia pas. « C'était plus simple avant mais ce n'était pas mieux. Pas pour moi, du moins. »

L'Animagus poussa un long soupir. « Pour moi non plus. Avant… » Il déglutit péniblement. « Avant… J'avais Harry mais c'était abstrait. Je ne crois pas que je le connaissais vraiment. Je voyais ce que je voulais voir. Je l'ai toujours aimé, hein… Ne te méprends pas. Du moment où James me l'a mis dans les bras, ce gosse, je l'ai aimé. Mais ce n'est que ces derniers mois que… » Il laissa sa phrase en suspens. Ces derniers mois, il avait appris à connaître Harry bien plus profondément que lors de ses années de cavales. Ses qualités, ses défauts… Harry était et resterait le fils de Severus mais il était quand même un peu à lui aussi désormais. Plus que simplement parce qu'il était son parrain. « Et il y a Nyssa. Je ne cherchais rien de sérieux mais ça m'est tombé dessus. »

« Oui, cela a tendance à arriver. » ironisa Severus, avec un sarcasme palpable.

Il l'ignora. « Je suis heureux d'avoir renoué avec Tonks et Andy, aussi. D'avoir appris à connaître Draco. D'avoir retrouvé Cissy. Et ce bébé qui arrive, ce sera une bénédiction, je sais. »

« Mais ? » l'encouragea le Maître des Potions.

« Mais… » répéta-t-il, en arrachant son regard à la contemplation du plafond pour tourner la tête vers lui. « J'ai l'impression que ça m'a coûté Remus. J'aurais dû… J'aurais dû l'entourer davantage. L'aider. J'aurais dû voir… »

« J'en ai assez d'entendre son comportement excusé en permanence par la malédiction. » l'interrompit Severus, d'un ton sec. « Certes, cela joue. Certes. Mais s'il le souhaitait, il pourrait se contrôler. Ses sursauts de conscience, de temps en temps, le prouvent. Non, Sirius, le problème de Lupin c'est qu'il est prisonnier d'un délire égocentrique où il se plaît à se penser le sauveur des lycanthropes et a besoin d'être un martyre pour ce faire. Tu n'aurais pas pu l'aider davantage que Nymphadora n'aurait pu le garder sur le droit chemin si elle s'était aventurée à essayer. Il est douloureusement évident qu'il pense avoir raison sur toute la ligne et est incapable de reconnaître ses erreurs. »

« Son obsession pour cette histoire de meute… » insista Sirius.

« N'empêche pas les autres loups-garous de vivre normalement. » rétorqua le Maître des Potions. « Flemmings accorde une certaine importance à la meute et pourtant elle est complètement adaptée à la société. » L'homme secoua la tête. « J'ignore pourquoi, j'ignore si la potion Révèle-Loup a joué un rôle, j'ignore s'il était trop tard… Toujours est-il que Lupin s'est perdu en route, à un moment donné, et que ce n'est pas faute d'avoir tenté de le ramener à la raison. Toi, Nymphadora, Harry… Même Albus a essayé. Il ne veut pas entendre qu'il a tort. »

Lentement, Sirius se redressa jusqu'à s'asseoir et cala les avant-bras sur les genoux.

« Il m'a accusé de jouer les Lords Black. » avoua-t-il.

Severus leva les yeux au ciel. « Tu es Lord Black. »

« J'ai toujours détesté ce titre. » cracha-t-il. « J'ai toujours détesté tout ce que cela représente et j'ai toujours dit… »

« Tu étais un gamin. » l'interrompit son ami. « Tu étais un gamin et un gamin peut se permettre de cracher sur son héritage parce qu'il estime que papa et maman sont méchants avec lui. Un adulte fait ce qu'il a à faire pour sa famille. Cela ne veut pas dire que tu doives renoncer à tes principes mais, peut-être, que continuer à vivre selon ceux que tu t'imaginais être les bons dans l'adolescence n'est pas non plus le plus malin, n'en déplaise à Lupin. Prends-le de quelqu'un qui rêvait de rejoindre les Mangemorts à quinze ans. »

« Je sais tout ça. » admit-il. Mais il y avait une frontière entre savoir et accepter. « Je hais l'idée de devenir mon père. »

« Prendre le titre ne veut pas dire que tu vas devenir ton père. » contra Severus, un peu impatiemment. « Et tu n'as pas eu de scrupules à prendre l'argent, il me semble. »

« C'est différent. » marmonna-t-il.

« C'est différent, en effet. C'est de l'hypocrisie. » décréta le Maître des Potions. « Tu as rejeté les aspects contraignants de ton héritage mais gardé ceux qui te facilitaient la vie. »

Sirius pointa un doigt accusateur vers lui. « Tu vois, Remus aurait enrobé ça de diplomatie. »

« Je ne suis pas Lupin. » rétorqua Severus. « Et si tu veux tenter de le sauver de lui-même, je ne t'en empêcherais pas mais je crains que tu ne sois déçu. »

L'Animagus haussa les épaules, sans cacher sa tristesse. Parce que c'était ça qui nourrissait la colère : un chagrin sourd qui était presque similaire à celui du deuil. « C'est trop tard pour ça. » Il se frotta le visage. « C'était le dernier meilleur ami que j'avais, tu sais. Le dernier… C'était ma famille. Pendant longtemps, c'était ma famille. »

« Ce n'est pas le dernier meilleur ami que tu ais. » soupira son ancien rival, d'un ton empli de souffrance, comme si seulement sous-entendre la chose était douloureux.

Sirius apprécia suffisamment l'effort pour esquisser un sourire. « Je sais mais ce que je voulais dire… »

« Je sais ce que tu voulais dire. » admit Severus. « Mais je n'ai pas de conseil pertinent. J'ignore comment t'aider. »

« Tu ne peux pas m'aider. » déclara l'Animagus. « C'est… C'est comme une rupture, il faut juste digérer. »

Les lèvres du Professeur tressautèrent. « Ta vampire sait que tu as ce genre de penchants ? »

Sirius leva les yeux au ciel. « Sérieusement ? Je t'ouvre mon cœur et tu vas te moquer ? »

« Impitoyablement. » commenta joyeusement son ancien rival.

Il se laissa retomber au sol et leva les yeux au ciel, mais un sourire jouait sur ses lèvres. « J'ai très mauvais goût en matière d'amis. Et je retire ce que j'ai dit. Tu n'es pas mon meilleur ami, tu es le pire. »

« Être le pire signifie toujours être le meilleur mais dans l'autre sens. » décréta Severus.

Sirius ne résista pas à l'envie de lui jeter un maléfice.

Et si cela relança un duel et que, à la fin, ils riaient tous les deux plus qu'ils ne s'entraînaient, eh bien…

En plein milieu d'une guerre, il fallait savoir profiter des bons moments.

°O°O°O°O°

« Je ne sais pas quoi faire. » admit Ron, dans un soupir, en croisant le regard de son frère aîné.

Lorsqu'il avait relayé sa mère, plus tôt, il avait eu le plaisir de trouver Charlie debout et habillé – pas avec les pyjamas rayés de l'infirmerie mais avec un jean et un tee-shirt. Le dragonnier faisait des efforts depuis quelques jours et Ron refusait d'écouter Ginny lorsqu'elle le mettait en garde sur le fait que ça n'allait peut-être pas durer.

Il avait toujours dit que Charlie allait se remettre et c'était exactement ce qui était en train de se passer.

Il croyait dur comme fer qu'il n'y avait rien que Charlie ne puisse faire.

Charlie avait toujours été son héros.

Raison pour laquelle, lorsque son frère lui avait demandé, avec un intérêt à peine forcé, ce qu'il y avait de nouveau dans sa vie, ces temps-ci, Ron s'était retrouvé à s'épancher sur Lavande. Parce qu'il était complètement dépassé et qu'Harry et Draco n'étaient pas des meilleurs conseils. Harry avait trop de mal à se détacher de ses propres problèmes et n'avait jamais eu de véritable petite-amie. Quant à Draco, il était bien trop occupé à roucouler avec Hermione et disait que Ron cherchait les problèmes là où il n'y en avait pas.

Ce qui était bien possible.

Calé contre ses oreillers, les jambes repliées pendant à moitié du lit pour lui faire de la place, Charlie l'observait, sourcils froncés. « Donc le problème, c'est que… »

Il laissa la question en suspens.

Assis en tailleurs au bout du lit, Ron tira sur un fil qui dépassait de la couverture blanche. « Ben… Avant, elle me reprochait tout le temps de ne vouloir faire que s'embrasser et… tout ça. Tu vois. »

« Oh, je vois. » confirma son frère, sans sembler savoir s'il était amusé ou horrifié. « Je pensais que tu étais encore un peu trop jeune pour tout ça mais c'est ma faute. Après tout, je n'étais pas beaucoup plus vieux quand… » Charlie s'interrompit et l'encouragea d'un geste à continuer. « Tu disais. »

« Oui, donc… Voilà… » s'empêtra-t-il dans ses explications. « Elle voulait des sentiments et que je lui dise des choses romantiques et depuis qu'on a… Enfin… » Il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. « Tu ne vas pas le dire à maman, hein ? »

Son frère aîné planta son regard dans le sien. S'il avait dû faire un effort visible pour se concentrer au début de sa visite, Charlie était désormais totalement investi dans la conversation.

« La dernière chose dont je veux parler avec maman, c'est de ce genre de trucs. » lâcha le dragonnier, avec un sourire amusé. « Mais, juste pour être sûr que j'ai bien compris, quand tu dis que vous avez… Vous avez ? Je veux dire… La totale ? »

Ron ricana bêtement, un peu gêné mais fier à la fois, rouge comme une tomate, et baissa les yeux sur le fil qui dépassait de la couverture. « La totale. Plusieurs fois. »

« D'accord. » commenta Charlie, avant de se racler la gorge. « Est-ce que tu avais eu une discussion avec Papa, à propos de… »

« Oui. » le coupa-t-il rapidement.

« Oh, très bien… » soupira son frère de soulagement. « Et tu t'es souvenu d'utiliser le sort de contraception ? Parce que… »

« Oui, oui. » répondit-il, soudain plus si impatient de continuer la conversation.

« Désolé, je sais que c'est gênant. » admit Charlie. « Mais c'est important. Maman veut peut-être des petits-enfants mais probablement pas maintenant et pas de toi. » La plaisanterie eut l'avantage de le détendre un peu et il ricana à nouveau, sans trop savoir pourquoi. Son frère l'observait toujours. « Ça va sembler bizarre comme question mais… c'était bien ? Ça t'a plu ? Parce qu'il n'y a pas de mal si tu ne veux pas recommencer, Ron. »

« Non, non, c'était… C'est… » À court de mots, il trouva le courage de relever les yeux pour croiser ceux de son frère. La peau de son visage le brûlait. « C'est le meilleur truc du monde. Mieux que voler sur un balai de course. »

Il était évident que Charlie faisait de son mieux pour ne pas sourire. « Alors où est le problème ? »

« Le problème c'est que depuis la pleine lune, elle veut des câlins et… plus, mais c'est plus physique et moins… » Il soupira. « Je sais que c'est bête parce que je trouvais ça stupide et agaçant, avant, mais, au fond, j'aimais bien quand elle insistait pour les trucs romantiques. Tu vois. »

« Je vois. » Charlie hocha la tête. « Tu en as discuté avec elle ? »

Ron haussa les épaules.

Discuter avec Lavande, dernièrement, était parfois un peu compliqué et il y avait des tensions parce que…

« Harry m'a dit ce que Remus a fait à Tonks. » avoua-t-il. « Et elle vénère Remus. Elle l'appelle Alpha et elle ne supporte pas d'entendre parler mal de lui. Elle dit qu'Harry ment. »

Le regard de son frère s'était fait plus dur. « Qu'est-ce qu'il a fait précisément ? Parce que je n'ai entendu que des bribes. »

Ron grimaça. « Tu ne peux pas le répéter. Il y a eu un gros, gros scandale dans le hall d'entrée et, depuis, il y a pleins de rumeurs… Tonks est furieuse, il paraît. »

« Tonks n'est pas venue me voir depuis quelques jours. » remarqua Charlie.

« Elle est blessée. » expliqua-t-il, en fronçant les sourcils. « Personne te l'a dit ? »

« Personne ne veut me bouleverser. » ironisa son frère. « Blessée ? Gravement ? »

Il s'empressa de secouer la tête. « Non, je l'ai vue, hier, lorsque je suis allé voir Harry. Juste son bras mais elle est assignée à résidence, comme elle dit. Snape et sa mère ne rigolent pas sur les blessures… Elle devrait reprendre le travail demain, je crois. Elle viendra te voir, sans doute. »

Charlie émit un bruit contrarié. « D'accord. Explique-moi ce qu'il s'est passé avec Remus. »

Un peu hésitant, il lui résuma ce qu'Harry lui avait confié et le regretta un peu lorsqu'il vit à quel point son frère était en colère. Toutefois, le dragonnier ne fit aucun commentaire, s'enfermant dans un mutisme un peu trop familier.

Ron se racla la gorge. « Donc, tu vois, c'est compliqué parce que Lavande ne veut rien savoir et je ne veux pas me disputer avec elle mais ça m'inquiète qu'elle s'entête à penser que Remus est fiable. Et plus j'insiste, plus elle est distante mais, en même temps, elle veut toujours… faire des trucs. Et au final, on n'arrive jamais à avoir de vraies discussions parce que… Ben… »

Le regard de Charlie s'était reposé sur lui, non moins furieux. Il était évident, pourtant, que ce n'était pas après lui que son frère en avait et qu'il faisait un effort pour se concentrer sur lui.

« Je ne sais pas trop quoi te dire. » avoua le dragonnier.

Soudain, Ron se rendit compte à quel point la conversation pouvait être déplacée. Il avait eu l'impression d'avoir retrouvé le Charlie d'avant tout ça, mais…

« Je suis désolé. » s'excusa-t-il. « Je ne devrais pas t'embêter avec mes histoires. »

« Pourquoi ? » se moqua gentiment son frère. « Parce que mon fiancé s'est révélé être un psychopathe ? » Charlie secoua la tête, sans véritable humour. « Ce n'est pas pour ça que tu ne peux pas me parler. Non, je ne sais pas quoi te dire parce que, les filles, ce n'est pas vraiment mon rayon. Tu as demandé conseil à Bill ? »

Ron baissa à nouveau les yeux. « Bill est… Tu sais, Bill, ça ne va pas très bien non plus. »

« Il a l'air crevé. » admit Charlie.

« Ben… » hésita-t-il mais son frère l'encouragea à parler d'un geste et c'était trop bon de pouvoir enfin se confier à quelqu'un. « Il y a son travail et il s'inquiète pour le Terrier… Ça ne va pas trop avec Fleur parce qu'il n'a pas de temps pour elle et que maman préfère prendre le thé avec Audrey plutôt que de faire des efforts avec elle… Sérieusement. Elle est plus sympa avec Mrs Malfoy qu'avec Fleur… » Il secoua la tête. « Et puis, il y a toi et… » Il s'empourpra à nouveau. « Enfin, ce n'est pas ce que je veux dire… C'est juste qu'il s'inquiète pour toi. On s'inquiète tous pour toi. Après Percy… »

Le nom resta suspendu dans les airs quelques secondes.

Sans prévenir, sans signe avant-coureur, sa gorge se mit à le piquer et il sentit des larmes lui monter aux yeux. Il essaya de ciller, il essaya de les chasser, de se convaincre qu'il avait assez pleuré…

« Percy… » répéta Charlie, la même douleur dans la voix que celle qui vrillait le cœur de Ron. « Je n'ai même pas… Je… Qu'est-ce que vous avez fait du corps ? Est-ce que vous l'avez brûlé ou… »

« Il n'y avait pas de corps. » murmura-t-il, la voix trop rauque. « Il y a eu une cérémonie… Son nom était sur la liste. C'était tout ce qu'il restait de lui. Juste un nom sur une liste… »

Il perdit la bataille contre les larmes qui coulèrent silencieusement sur ses joues.

« Hey… Hey… » lâcha Charlie, en se rapprochant pour l'attirer contre lui. Ron se laissa aller à l'étreinte réconfortante de son frère. « Je suis désolé. Je suis désolé d'être… Je suis désolé. Je vais faire mieux, d'accord ? Je suis là, maintenant. »

Ron aurait voulu lui dire que ce n'était pas sa faute et qu'il comprenait, que ce n'était pas grave, qu'il pouvait prendre tout le temps dont il avait besoin… Les mots restèrent égoïstement coincés dans sa gorge.

Il s'accrocha à son frère, comme il avait eu tendance à le faire quand il était beaucoup plus jeune et que les jumeaux l'embêtaient, et le laissa lui promettre que tout allait s'arranger, qu'il allait tout arranger.

°O°O°O°O°

Severus étendit sa mauvaise jambe sous le bureau, grimaçant un peu. Le muscle de sa cuisse était noué en boule, après les quelques duels auxquels Sirius et lui s'étaient livrés. C'était pour la bonne cause, cela dit. Lorsqu'ils s'étaient quittés, l'ancien fugitif avait eu l'air un peu moins déprimé et avait promis de rendre visite à Harry. Quant à lui, s'il n'était toujours pas entièrement confiant lorsqu'il tirait sa baguette, il parvenait un peu mieux à maîtriser sa magie.

Les coups frappés à la porte le tirèrent de l'étude des parchemins étalés sur son bureau. Un mot d'Albus l'informait qu'il était entré en contact avec Lovegood et que ce dernier était vivant et hors des griffes des Mangemorts, ce qu'il était bon de savoir, vu que le journaliste avait refusé de quitter le Fidelitas pour s'adresser à leurs Aurors. D'autres rapports directement en provenance du bureau de Kingsley étaient plus préoccupants.

« Entrez. » ordonna-t-il.

L'espace d'une seconde, alors que les jumeaux Weasley pénétraient dans le bureau du même pas, Severus fut projeté quelques années en arrière, lors des très nombreuses fois où il s'était vu contraint de les convoquer pour mieux leur rappeler les règles élémentaires de prudence dans les expérimentations de Potions – à savoir : pas dans son laboratoire et rien qui puisse potentiellement détruire l'école. Il ne les avait jamais ouvertement encouragés mais il n'avait jamais tenté de s'opposer à leurs expériences non plus.

Les jumeaux avaient un certain talent, bien qu'il se serait mordu la langue plutôt que d'en admettre autant, à l'époque.

« Vous vouliez nous voir ? » hésita le jumeau de gauche.

Ce n'était plus des adolescents gringalets qu'il avait devant lui, cependant, mais deux jeunes hommes. L'absence d'uniformes et la présence des robes de sorcier à la coupe simple ne faisaient que renforcer cet effet.

Comme souvent lorsqu'il croisait d'anciens élèves, maintenant adultes, à qui il avait enseigné depuis leur entrée à Poudlard, il fit de son mieux pour ne pas éprouver un coup de vieux. Rationnellement, il savait qu'il n'était pas si vieux que ça. Mais il enseignait depuis tellement longtemps que…

« Asseyez-vous. » ordonna-t-il, occludant ces sentiments inutiles. Se lamenter sur le temps perdu n'aiderait personne et sûrement pas cette guerre.

Après avoir échangé un regard, les deux Weasley prirent place dans les fauteuils qui faisaient face à son bureau. Combien de fois s'étaient-ils retrouvés dans cette position au cours de leur scolarité ?

« Le Professeur Black a décidé que vous n'aviez plus votre place dans son groupe de formation. » déclara-t-il, tout de go.

« Vous allez nous assigner à une unité ? » demanda le jumeau de droite avec espoir.

« J'ai des responsabilités un peu plus importantes que de superviser la composition de ces unités, Mr Weasley. » railla-t-il, en entrelaçant ses doigts sur le bureau, dans une attitude sévère. Ça eut le mérite d'empêcher sa main droite de trembler de manière visible. « Par ailleurs, votre frère aîné est opposé à ce que vous rejoigniez les Aurors. »

Il s'attendait à l'éclat de colère et il ne fut pas déçu. Il fut surpris, en revanche, qu'ils se maîtrisent assez pour ne pas faire de caprice. Les jumeaux échangèrent un regard, puis celui de gauche reprit.

« Professeur, c'est injuste. » déclara celui qu'il soupçonnait être George. « Nous sommes prêts. »

« Et nous voulons nous battre. » insista l'autre.

« Tous nos amis veulent se battre. » enchaîna le premier.

« Ce serait un passe-droit de nous en empêcher. » ajouta le second. « Un déshonneur pour la famille. »

« Si Bill ne comprend pas ça, nous si. » conclut celui de gauche.

Severus laissa passer quelques secondes. « C'est un passe-droit, en effet, parce que vous ne rejoindrez pas les unités de première ligne. » Face à leurs protestations, il leva la main. « Votre famille a déjà beaucoup donné à cette guerre, il y a pas de déshonneur là-dedans. De plus, il y a plus d'une seule manière de se battre. »

« Sauf votre respect… » s'agaça celui de droite.

« Arrêtez-vous là avant de dire quelque chose qui ne sauvera pas mon respect et laissez-moi terminer. » le coupa-t-il, caustique. « Nous mettons en place des unités volantes. Ce sera à peine moins dangereux mais étant donné le lourd tribut payé par les Weasley jusque ici, cela me semble un bon compromis. »

Les jumeaux échangèrent un autre regard qui contenait une conversation entière puis se tournèrent vers lui et hochèrent la tête avec un synchronisme effrayant.

« Cela étant dit… » continua Severus. « J'aimerais proposer une alternative. Elle n'implique aucun héroïsme, du moins pas le genre que préfèrent les Gryffondors, mais elle pourrait s'avérer capitale. » Il fouilla dans la pile de parchemins qui s'entassaient à sa droite, tous ou presque des mémos en provenance du bureau provisoire établi par Sinistra pour le budget… « Je veux créer un nouveau Département. Je n'ai pas de talent pour les noms, alors libre à vous d'en inventer un ridicule et à rallonge. » Il trouva le parchemin en question et le glissa sur le bureau jusqu'à l'autre côté. « Le budget disponible. »

À nouveau, les jumeaux se regardèrent puis l'un d'eux attrapa le parchemin et le parcourut, avant de déglutir à la somme gribouillée tout en bas. Ce n'était pas si élevé que ça mais, pour eux, cela représentait sans doute une fortune.

« Je ne comprends pas. » admit le jumeau de gauche. « Qu'est-ce que… »

« Vos inventions. » lâcha Severus, l'interrompant. « Elles sont brillantes. Peut-être pas à mon goût personnel, mais brillantes. Je veux que vous tourniez votre créativité vers la guerre. Je veux que vous aidiez nos combattants à prendre l'avantage sur les Mangemorts. Tout ce que vous pourriez inventer, tout ce qui nous donne une longueur d'avance, est bon à prendre. S'il vous faut des idées, commencez par trouver un moyen pour nos Aurors de communiquer à distance, sans avoir à recourir à des Patronus ou des sonorus. Une variation de vos oreilles à rallonge, peut-être ? »

Les yeux de ses anciens élèves s'étaient mis à briller face aux possibilités.

« On peut faire ça. » confirma le jumeau de gauche.

« On travaille sur une formule de poudre. » offrit celui de droite. « Il y a une poudre péruvienne qui crée une obscurité instantanée… On voudrait la modifier… »

« Pour qu'elle soit impénétrable. » termina le jumeau de gauche.

« Et nous avons tout un tas d'idée pour renforcer les vêtements. » enchaîna l'autre. « Et… »

« On travaille aussi sur une panoplie de leurres… » continua le second.

À nouveau, Severus leva les mains pour les interrompre. « Ce que je veux en priorité, c'est un moyen de communiquer à distance. Pour le reste, vous avez carte blanche. »

Il espérait simplement ne pas avoir à le regretter.

L'idée lui trottait dans la tête depuis un moment et Bill était si désespéré à l'idée de perdre un autre frère au front que ça lui semblait l'option idéale. De plus, cela était également une précaution au cas où son deuxième rendez-vous de la journée se passerait mal.

« Ce Département, je préférerais qu'il ne comporte qu'un nombre de gens restreint. » déclara-t-il. « Prenez un assistant, deux s'il le faut vraiment, mais assurez-vous que rien ne puisse sortir des locaux où vous vous installerez. Est-ce clair ? » Deux hochements de tête déterminés. Severus les dévisagea longuement tour à tour. « Vous travaillez pour moi. Vous ne rendez des comptes qu'à moi. Vous êtes tenus au secret. Est-ce compris ? »

« Oui, Monsieur. » répondirent-ils en chœur, comme les bons élèves qu'ils n'avaient jamais été.

« Que se passe-t-il si votre frère aîné vous demande où vous en êtes de vos inventions ? » s'enquit-il.

« On botte en touche. » répondit directement le jumeau de droite. « On ne dit rien. »

« Et si Kingsley Shacklebolt vous interroge ? » insista-t-il. « S'il vous fait remarquer qu'il est le numéro trois du gouvernement et qu'il a le droit de savoir ? »

Un brin d'hésitation passa sur le visage des deux jeunes adultes.

« C'est le Chef des Aurors… » remarqua celui de droite.

« Et je suis le Chef de l'Ordre du Phoenix. » rétorqua-t-il. « Je ne rends compte qu'au Ministre. Donc si je vous dis que vous ne répondez qu'à moi… »

« On dit à Shacklebolt de voir avec vous. » décréta le jumeau de gauche.

« Précisément. » lâcha-t-il.

« Ça vaut aussi pour Tonks ou… » voulut plaisanter celui qu'il soupçonnait être Fred.

Il fut récompensé par un regard noir qui lui fit baisser les yeux rapidement.

« Êtes-vous capable d'assumer le rôle ? » asséna-t-il. « Parce que je pourrais tout à fait confier le Département à quelqu'un avec plus d'expérience et vous y rattacher, vous faire jurer le secret sous serment inviolable.. »

« On peut le faire. » contra celui de droite. « Et on peut être discrets. »

Severus les observa un moment de plus, laissant la gravité de l'instant peser sur eux. « Très bien. C'est entendu, dans ce cas. Voyez avec le Professeur McGonagall où vous pouvez vous installer. Si je peux faire une suggestion, les cachots sont encore l'endroit le plus sûr et le moins surpeuplé. »

Comprenant qu'ils étaient congédiés, les jumeaux se levèrent d'un même mouvement. Pourtant, Fred – si c'était bien Fred – ralentit au lieu d'emboîter le pas à son frère et se retourna vers lui.

« On doit se méfier de Kingsley ? » demanda le jeune homme, d'un ton trop sérieux.

« Nous sommes en guerre, Mr Weasley, je n'oserais trop vous conseiller de vous méfier de tout le monde. » rétorqua-t-il.

« Vous nous proposez un Département, un budget énorme, et vous voulez qu'on ne parle à personne de ce qu'on y fait mis à part à vous… Même pas aux autres responsables du gouvernement. » riposta ce dernier. « Ça, ça pousse un peu à la méfiance. »

« En effet. » commenta-t-il, placide. « Pensez-vous que je vais passer nos armes secrètes à l'ennemi ? »

« Non. » répondit le jumeau qui était le plus près de la porte. George, il en était quasiment sûr. « Vous êtes probablement la personne la moins susceptible de retourner votre veste après Dumbledore. »

« Précisément. » Il désigna la porte d'un geste. « Je veux des mémos réguliers avec vos progrès. Confiez les à votre frère ou à Kreattur et à personne d'autre. Nous calerons une réunion par semaine hebdomadaire là où je le pourrais. »

« Kreattur ? » releva un des jumeaux, en fronçant les sourcils.

« Petit, vieux et teigneux. » lui rappela-t-il, non sans ironie. « Vous n'avez quand même pas déjà oublié ce charmant elfe ? »

Apparemment, l'idée qu'il puisse avoir débauché Kreattur aux Black était inconcevable.

« Vous êtes sûr… » hésita George après avoir échangé un énième regard avec son frère.

« Absolument certain. » l'interrompit-il. « Si vous voulez bien m'excuser, j'ai d'autres rendez-vous. »

Et, comme pour mieux souligner ce fait, de nouveaux coups furent frappés à la porte que Bill ouvrit sur son invitation.

« Aidan est là. » annonça-t-il. « Si vous avez terminé… »

« Oui. » soupira Severus. « Faites-le rentrer. »

Cette conversation-ci ne serait pas aussi simple et sûrement pas aussi satisfaisante.

Les jumeaux laissèrent la place au Langue-de-Plomb qui, après l'avoir salué d'un signe de tête, prit place dans un des deux fauteuils vacants sans y être invité et avec une assurance nonchalante. Un brin frondeuse, presque.

Severus n'avait jamais supporté les fanfarons.

« Abbot. » lâcha-t-il, en guise d'ouverture.

« Professeur Snape. » répondit le sorcier, d'un ton joyeux qu'il coupla à un sourire charmeur.

L'espace d'une seconde, le jeune homme manqua de parvenir à l'impossible et à le déstabiliser. Si Severus avait l'habitude de faire face à diverses formes de manipulation, le charme n'en faisait pas souvent partie. Depuis qu'il avait changé de casquette, cependant, troqué celle de l'espion pour celle du héros, certains avaient tendance à y recourir comme s'il aurait pu y être soudain plus sensible.

« Ceci n'est pas une visite de courtoisie. » déclara-t-il, tout de go, en le foudroyant du regard.

Abbot s'assit un peu plus droit mais ne perdit pas sa bonne humeur apparente. « Je l'avais compris, je vous l'avoue. »

Le Maître des Potions se retrancha légèrement derrière ses boucliers pour mieux contrôler la situation. Avec ses robes blanches de grand couturier brodées d'oiseaux exotiques, Abbot aurait dû avoir l'air d'un idiot. Pourtant, un peu comme le Directeur, le jeune homme avait le don d'assumer ses tenues flamboyantes. Et, comme le Directeur, il avait également un don certain pour avoir l'air serein en toute situation.

Ce qui vexait terriblement Severus, c'est d'avoir manqué son potentiel lorsqu'il était dans sa classe.

Il ne gardait de lui que le vague souvenir d'un bon élève assidu mais qui ne s'était pas particulièrement démarqué : un Poufsouffle comme il y en avait des tas, dont il avait oublié jusqu'au nom avant qu'on le lui rappelle. Ce qui lui faisait dire qu'Abbot savait cacher son jeu, ce qui était l'apanage des meilleurs espions en devenir.

Quelqu'un d'autre n'avait pas fait la même erreur qu'Albus et lui.

Quelqu'un d'autre, au Ministère, avait su le repérer.

« Allons droit au but. » déclara-t-il, songeant qu'une attaque frontale le déstabiliserait davantage que les jeux de subtilités qu'il affectionnait d'ordinaire. « Nos deux Aurors principaux se portent garant de vous, le Ministre a tendance à penser que vous n'êtes pas à la solde du Seigneur des Ténèbres et j'aurais tendance à dire que vous avez fait vos preuves… Néanmoins nous savons tous les deux que vous n'êtes pas pour autant entièrement à notre service. »

Abbot ne cilla même pas.

Albus l'avait averti de ne pas se risquer à la Legilimencie. D'une part parce qu'il se doutait que le jeune homme était initié à l'Occlumencie, de par son métier, mais également parce qu'il ne voulait pas risquer de le braquer.

Ne pas le braquer était la consigne numéro un d'Albus pour cette entrevue.

Severus lui avait fait remarquer que s'il souhaitait tant user de diplomatie, il n'avait qu'à s'en charger lui-même.

« Si mon travail ne vous a pas donné satisfaction, vous m'en voyez désolé, Professeur. » répondit le Langue-de-Plomb.

« Oh, cessez avec vos Professeurs ! » siffla-t-il, irrité. « Nous ne sommes pas ici pour discuter d'un devoir de Potions. Vous savez très bien de quoi je veux parler. »

À aucun moment, Abbot ne perdit son air de tranquillité placide ou son petit sourire plaisant. « Je crains de l'ignorer, au contraire. »

« Les Langues-de-Plomb. » lâcha Severus.

Le jeune homme leva les deux mains en signe d'impuissance. « Comme je l'ai dit au Professeur Dumbledore… »

« Comme vous l'avez dit au Professeur Dumbledore, ils étaient réticents à nous rejoindre car ils ignoraient si le Ministère était capable de tenir. » le coupa-t-il. « C'était il y a des semaines. Je pense que nous avons amplement prouvé que nous pouvons tenir. »

Abbot l'observa un moment, s'appuyant un peu plus contre le dossier de son fauteuil. « Si je devais m'avancer, mais notez que ça n'engage que mon opinion, ce que ces dernières semaines ont surtout prouvé, c'est que vous feriez un meilleur Ministre que notre Ministre. »

Severus plissa les yeux. « La flatterie… »

« Ce n'est pas de la flatterie, c'est un simple constat. » l'interrompit Abbot, le ton moins léger. « Ou, si vous préférez le formuler ainsi, que, sans vous, ce Ministère foncerait droit dans le mur. Quelqu'un observant à distance pourrait penser que vous tenez toutes les cartes en main, Professeur Snape, et que le Professeur Dumbledore se repose énormément sur vous. Excusez-moi, vous ne souhaitez pas que je vous appelle Professeur… Avez-vous un titre officiel ou bien est-ce aussi flou que le reste de ce gouvernement ne l'était avant que vous ne sortiez du coma ? »

Distraitement, il pianota sur le bord du bureau. « Vous jouez un jeu dangereux. »

« Je ne joue pas. » nia le jeune homme. « Je constate. »

« Albus Dumbledore n'est pas homme à être manipulé par personne. » rétorqua-t-il. « Et certainement pas par moi. »

« Discutable. » décréta calmement Abbot, sur le ton de la conversation. « Comme ses liens avec Gellert Grindelwald. »

Severus n'était pas un amateur. Il ne se figea pas, n'eut aucune réaction autre qu'un froncement de sourcils curieux. « Que voulez-vous dire ? »

Si possible, le sourire d'Abbot s'étira un peu, se faisant plus sincèrement amusé. « Vous êtes excellent pour quelqu'un qui n'a suivi aucune formation. »

Il ne releva pas cette référence oblique à ses activités d'espion. « Ce n'est pas le propos… »

« C'est entièrement le propos, au contraire. » soupira le jeune homme. « À distance, et encore une fois, ce n'est que mon interprétation personnelle, un groupe de personnes ayant à cœur de préserver la communauté magique et ses valeurs pourrait penser que ce gouvernement repose très, très largement sur vos épaules. »

« Ce qui est faux. » contra Severus.

« Vraiment ? » s'enquit Abbot, comme si c'était une véritable question, avant de poursuivre sans attendre de réponse. « Vous êtes devenu célèbre, désormais. Un véritable héros de guerre dont la réputation le précède. Celui qui a affronté Vous-savez-qui deux fois, au moins, et a survécu. »

« Si vous voulez tenir les comptes, je l'ai affronté beaucoup plus que deux fois. » cracha-t-il. Il l'avait affronté à chaque fois qu'il était retourné auprès de lui, en prétendant être toujours loyal. Et, de manière plus terre à terre, il lui avait fait face et tenu tête trois fois. Au moins.

« C'est une jolie histoire. » commenta le Langue-de-Plomb. « Une que, personnellement, j'aurais tendance à croire, si je dois être honnête. Ne serait-ce que parce que je ne pense que qui que ce soit puisse être aussi bon acteur et que même le plus grand fanatique aurait du mal à en sacrifier autant pour sa cause. » Le regard qu'il jeta à ses mains puis à la canne appuyée contre le bord du bureau était explicite. « Néanmoins, à distance, et notez que je n'ai aucun moyen de savoir si mon interprétation est juste, ce n'est qu'une supposition, ce même groupe de personnes qui pensent que ce gouvernement repose sur vous pourraient s'inquiéter de vos véritables allégeances. L'espion devenu héros est une très belle fable, très patriotique, très bon pour le moral des troupes… À condition que l'espion en question soit du bon côté de la ligne. »

Le visage de Severus ne trahit rien mais dans sa tête, cela se bousculait. S'il interprétait correctement ce que Abbot essayait de lui dire…

« Vous comprenez, Professeur. » reprit le jeune homme, visiblement un peu gêné. « Le Professeur Dumbledore vous mange dans la main, vous avez une relation intime avec la numéro deux de notre armée et, comme si cela n'était pas suffisant, voilà soudain Harry Potter qui clame partout que vous êtes son père adoptif. Vous avez dans la poche les Maisons Black, Malfoy et Weasley qui capitalisent à elles trois un poids politique non négligeable, des puristes aux modernistes. Si vous tentiez un coup d'état après le déjeuner, vous le réussiriez sans une goutte de sueur et probablement sans même avoir à lever votre baguette. Et, après ça, s'il vous prenait l'envie de livrer ce château à Vous-savez-qui, eh bien… »

Le Langue-de-Plomb eut un geste fataliste.

« Êtes-vous en train de me dire que les Langues-de-Plomb refusent de se joindre à nous parce qu'ils pensent que je suis un agent triple ? » lâcha-t-il. « Parce qu'ils me craignent ? »

Son ancien élève l'étudia un moment avant de prendre appui sur les accoudoirs pour quitter son fauteuil et marcher jusqu'à la fenêtre où il s'appuya pour regarder à l'extérieur. C'était une tactique qu'employait souvent Albus pour éviter d'avoir à le regarder en face lorsqu'il avait des choses déplaisantes à dire.

Severus détestait lorsque le vieux sorcier faisait ça.

Il découvrit que cela était d'autant plus agaçant chez quelqu'un de plus jeune que lui.

« Je ne vous dis rien, je fais des suppositions. » corrigea finalement Abbot, en gardant résolument le dos tourné.

Le Maître des Potions leva les yeux au ciel. « Bien entendu. »

« Si je devais faire des suppositions, je dirais qu'il n'y a pas que vous qui les retient, bien que ce soit un facteur. » reprit le Langue-de-Plomb. « Le Professeur Dumbledore ne brille pas exactement par ses capacités de dirigeant. Le Code du Secret est davantage en péril qu'il ne l'a jamais été et il y a le problème des nations étrangères… Nous avons peut-être redressé la barre mais nous peinons à contenir les attaques de Vous-savez-qui et, soyons honnêtes, nous savons tous les deux que s'il voulait vraiment nous écraser, il l'aurait déjà fait. En l'état, il ne fait que s'amuser avec nous comme la personne dérangée qu'il est. Que nous ayons noué des liens étroits avec le Ministère Moldu ne doit sans doute pas plaire à tout le monde non plus. »

« Est-ce là votre analyse ? » s'enquit-il.

« Mon analyse, c'est que Vous-savez-qui veut pousser la Confédération Internationale du Secret à trancher officiellement en sa faveur pour protéger le secret de la magie. » répondit Abbot. « Et, dans ce cas, ne serait-il pas bon qu'il y ait une autre alternative, prête à s'opposer à lui, avec un poids politique indéniable et indépendante du Ministère de Dumbledore ? »

« Nous avons besoin des Langues-de-Plomb. » martela Severus. « Nous ne gagneront pas sans eux. S'ils étaient prêts à ouvrir un dialogue… »

« Les Langues-de-Plomb ne sont pas connus pour leurs talents en matière de conversation. » rétorqua le jeune homme, en se retournant finalement, cet irritant sourire qui se voulait charmeur retrouvant le chemin de ses lèvres. « Je suis l'exception qui confirme la règle. »

« Convainquez-les de faire une exception. » exigea-t-il.

Abbot haussa les épaules avec une expression faussement ennuyée. « Je ne cesse de vous le répéter… Je n'ai aucun contact avec eux. »

Severus avait terminé d'être aimable. « C'est un ordre, Abbot. Soit vous êtes avec nous, soit vous pouvez aller tenter votre chance ailleurs, sans oublier d'emmener votre cousine avec vous. Je suis certain qu'elle tiendra au moins une demi-journée hors des murs de Poudlard. »

L'expression du jeune homme se durcit. « Ne menacez pas Hannah, si vous ne souhaitez pas me froisser, Professeur. »

« Je n'ai que faire de vous froisser. » rétorqua-t-il. « Obtenez-moi ce que je veux ou disparaissez. Deux espions dans ce château, c'est un de trop. »

« Oh, je doute qu'il n'y ait que nous. » se moqua Abbot, avec un petit rire amusé, comme si le Maître des Potions venait de faire une plaisanterie extrêmement drôle.

« Ma patience a des limites. » avertit-il. « Tâchez d'avoir des résultats rapidement. »

Abbot ne promit rien.

Une fois certain qu'il fut parti, Severus laissa libre court à sa frustration en se dirigeant vers le bureau que Bill s'était attribué, martelant la pierre de sa canne. Il prit à peine la peine de frapper avant de pénétrer dans la pièce.

Le Briseur-de-Sorts releva la tête du grimoire qu'il étudiait, surpris et un peu inquiet. « Tout va bien ? »

« Non. » cracha-t-il. « Vous souvenez-vous de lorsque je vous ai encouragé à accepter l'offre d'Abbot de devenir Langue-de-Plomb ? J'ai changé d'avis. C'est un crétin. Ce Département entier est un Département de crétins. Vous valez mieux que ça. »

Plus amusé qu'autre chose, Bill ravala un sourire. « Ça ne s'est pas bien passé, donc ? »

Severus soupira, referma la porte derrière lui d'une torsion négligente du poignet et vint s'affaler dans un des fauteuils qui faisaient face au bureau de Bill. « Nous verrons si vos frères peuvent tenir leur langue… S'ils parviennent à ne pas vendre les secrets qu'ils développent à vous ou Kingsley dans le mois qui vient, malgré les tentations que je compte mettre en place… J'envisage d'en faire les nouveaux Langues-de-Plomb de notre Ministère. »

C'était surtout pour ça qu'il avait exigé leur loyauté absolue, pour les tester. Il ne se méfiait pas de Kingsley, pas plus qu'il ne se méfiait de Bill, de Nymphadora ou d'Albus… Mais chacun d'eux allait leur mettre la pression, plus ou moins agressivement, dans les semaines qui viendraient. Si les jumeaux parlaient, Severus mettrait un terme à cette idée. S'ils gardaient leurs secrets…

« Mais, ça, vous ne le leur avez pas dit. » devina son ancien élève.

« Pas tant qu'ils n'ont pas fait leurs preuves. » concéda-t-il. « Toutefois, si la situation devait perdurer… Ils pourraient très bien remplir le rôle des Langues-de-Plomb… Et vous pourriez tout à fait les rejoindre, voire les diriger. Ils peuvent très bien s'occuper de la branche des innovations et, vous, devenir notre expert des mystères magiques. »

« Un Département de Langues-de-Plomb entièrement constitué de Weasley ? » plaisanta Bill. « Vous jouez avec le feu. »

« Au moins il n'y aura aucun crétin dans ce Département là. » décréta-t-il.

Bill ne retint pas son rire plus longtemps mais il l'observait aussi avec compassion. « Vous voulez du thé ? Vous avez l'air de quelqu'un qui a besoin d'une tasse de thé. »

Il n'aurait pas refusé mais son carnet se mit à brûler dans sa poche intérieure et il l'en sortit en grimaçant un peu sous la force du sort. Il devait trouver cinq minutes pour en moduler la puissance, à présent qu'il se contrôlait un peu mieux.

Rentre déjeuner.

Il leva un sourcil.

Ce n'était pas une question mais un ordre non déguisé.

« Un problème ? » demanda Bill, avec curiosité.

À nouveau, Severus soupira. « J'espère bien que non. »

Il ne pensait pas avoir fait quoi que ce soit pour s'être attiré les foudres de la femme qui partageait ses appartements. Certes, elle était un peu grognon parce qu'en convalescence forcée mais cela se terminerait ce soir-là et elle n'avait pas parue trop agacée lorsqu'il était parti, plus tôt. Au contraire, elle avait mis à profit ces deux derniers jours pour se replonger dans ses recherches sur Tom Jedusor.

Peut-être avait-elle trouvé quelque chose…

Ils discutèrent quelques minutes de plus mais Severus ne tarda pas à s'excuser pour entamer la longue marche jusqu'aux cachots. Il aurait pu emprunter la cheminée mais les gens appréciaient d'apercevoir les membres clefs du gouvernement dans les couloirs – du moins c'était ce que prétendait Minerva et comme elle servait toujours plus ou moins de porte-parole officiel entre eux et les civils, à son corps défendant… Il était sage de ne pas trop la contrarier.

C'était pour ça, décida Severus, alors qu'il poussait la porte de ses appartements, qu'il serait content d'abandonner la politique dès la fin de la guerre : c'était excessivement pénible de devoir ménager les susceptibilités des uns et des autres.

Il y avait du bruit dans la cuisine mais ses pas le portèrent vers le salon. Il posa les mains sur le dossier du canapé et leva un sourcil en direction de la jeune femme qui y était vautrée et de l'énorme tigre qui la recouvrait presque entièrement.

« Tu sembles avoir un problème de chat. » se moqua-t-il.

Nymphadora, qui caressait le tigre de sa main libre, leva les yeux au ciel. « Harry et moi sommes en désaccord sur ce que je peux faire ou pas. Il pense que je suis infirme et ne peux pas mettre la table ou faire quoi que ce soit, même si mon bras est guéri. »

« Il te reste une après-midi de repos. » remarqua-t-il, en se penchant légèrement pour gratter la tête du tigre qui était calé sur son sternum. « Et il se peut que je lui ai spécifiquement demandé de ne pas te laisser trop en faire avant d'avoir l'aval d'un Médicomage qualifié. »

Ce genre de félins ne ronronnaient pas mais Harry appréciait très visiblement les caresses parce qu'il exposa un peu plus de son cou, l'encourageant à gratter un endroit précis.

« Il ne voulait pas non plus me laisser préparer à manger. » contra-t-elle, avec plus d'amusement que de contrariété. « Comme tu vois, il a gagné la bataille. »

« Ah… Donc je suis convoqué pour le déjeuner, mais c'est à moi de le préparer. » conclut-il, sans pourtant s'en irriter. Cuisiner le dérangeait rarement, surtout pour eux. Certes, il n'avait pas vraiment de temps à perdre avec ça mais… Il pouvait prendre une heure pour eux. Après tout, Albus ne cessait de lui répéter qu'il travaillait trop.

« Je t'aime ? » répondit-elle, en guise d'excuses.

« Oui, je vois comment cela fonctionne… » ironisa-t-il, en donnant une légère pichenette sur l'oreille du tigre. Les bruits dans la cuisine étaient impossibles à ignorer, cependant. « Et qui sont nos invités ? »

Il avait bien senti que Nymphadora manipulait leurs protections plus tôt dans la matinée mais il n'y avait pas prêté attention. Granger et Weasley étaient désormais des visiteurs réguliers, tout comme Sirius. Severus n'avait pas toujours l'énergie de surveiller qui allait et venait, surtout s'il savait qu'Harry n'était pas seul dans les cachots.

« Mes parents. » admit-elle, soudain bien plus hésitante. « Ils ont apporté à manger, en fait. Pas besoin de cuisiner. Je plaisantais. »

Le tigre glissa soudain de ses jambes vers le sol et, le temps que les pattes touchent le tapis, un garçon se tenait là. « Et ça sent drôlement bon. » Il pointa du pouce vers la porte. « Je vais les aider, du coup, puisque la prisonnière ne risque plus de s'échapper. »

Nymphadora lui lança un coussin à la figure du bras gauche avec une précision admirable. Harry le lui renvoya immédiatement et partit en ricanant, de bien meilleure humeur que ce matin-là.

« Sirius est passé, ça lui a fait plaisir. » offrit-elle, en guise d'explication, en passant sur les genoux. Severus était toujours debout, derrière le dossier, elle dut se redresser presque complètement pour passer son bras non retenu en écharpe autour de son cou. « Ça ne te dérange pas que mes parents soient là, si ? »

La question était trop hésitante.

Et la réponse peut-être un peu trop évidente.

« Tu es chez toi. » déclara-t-il.

Elle grimaça. « Ils ont débarqué sans prévenir. Je… »

« Nymphadora. » la coupa-t-il, en se penchant un peu pour l'embrasser. « Tu es chez toi. »

Et si le fait que ses appartements soient régulièrement envahis lui donnait envie de feuler comme un animal sauvage, c'était son problème. Il s'était parfois passé une année entière sans qu'il ne reçoive personne chez lui. Et les quelques fois où il avait eu des invités, c'était Minerva, Albus ou un autre de ses collègues qui l'avait pris en embuscade pour une raison ou une autre.

Il avait entièrement conscience que la plupart des gens ne vivaient pas comme des ermites. Harry était heureux de pouvoir recevoir ses amis et il n'allait certainement pas reprocher à Nymphadora d'en faire de même avec sa famille.

« Est-ce pour ça que tu m'as demandé de venir ? » s'enquit-il, en écoutant distraitement les bruits de conversations qui venaient de la cuisine. « Besoin de renforts ? »

À première vue, elle ne mentait pas lorsqu'elle disait que la visite avait été à l'improviste. Sur la table basse, il y avait plusieurs dossiers marrons dont les titres écrits à la plume restaient flous – l'œuvre d'un sort. Le carton dans lequel elle conservait la somme de ses recherches sur Jedusor avait été poussé dans un coin de la pièce, hors de vue et à moitié dissimulé par une couverture jetée là négligemment…

« De renforts ? Non… » Elle leva les yeux au ciel. « Je peux gérer mes parents, tu sais. »

« La dernière fois, ta mère… » hésita-t-il, sans terminer sa phrase. Il ne voulait pas se retrouver dans une situation inconfortable mais il ne voulait pas non plus balayer sous le tapis une scène qui l'avait dérangé. Andromeda avait fortement sous-entendu qu'elle était responsable du comportement de Lupin et ça

« Elle s'est excusée. » soupira-t-elle. « On est réconciliées. » Severus émit un bruit dubitatif et, peut-être, un peu contrarié. Son sourire était amusé et elle lui vola un léger baiser. « Si tu restes fâché à vie avec tous les gens qui me contrarient à un moment ou à un autre, ta vie sociale va en prendre un coup. »

Il leva des sourcils qui en disaient long et elle éclata de rire. Il dévora ce rire directement à la source, juste parce qu'il le pouvait.

Elle était trop belle pour qu'il tente de résister.

Il se demanda brièvement si c'était normal d'éprouver une telle attirance alors qu'elle ne portait qu'un bas de pyjama en flanelle trop grand et un tee-shirt fané de Pink Floyd. Peut-être était-ce le fait que le tee-shirt était un de ceux qu'elle avait volés dans sa vieille malle… Peut-être était-ce l'idée que lorsqu'il avait traîné ce tee-shirt, adolescent, il n'aurait jamais pu imaginer que quelqu'un comme elle le porterait un jour. Peut-être était-ce le contraste entre les cheveux roses et le noir passé du tissu. Peut-être était-ce juste que Sirius avait raison et qu'il l'avait dans la peau.

« Comment ça s'est passé, ce matin ? » demanda-t-elle, une fois qu'ils eurent réussi à cesser de s'embrasser – c'était parfois plus difficile qu'il n'y paraissait.

« Suffisamment frustrant pour me donner la migraine. » marmonna-t-il, en la relâchant.

Elle caressa son front du bout des doigts. « C'est pour ça que je voulais que tu viennes déjeuner. Tu ne prends jamais de pause si on ne te force pas. Et tu sautes trop de repas. Les sandwichs ne comptent pas. »

« Cette hypocrisie. » commenta-t-il, avec une pointe d'humour. « Rappelle-moi qui se nourrit uniquement de chips ou de croissants lorsqu'elle est concentrée sur ses rapports ? »

Elle lui fit une grimace, vola un dernier baiser puis s'extirpa du canapé. Il n'eut d'autre choix que de la suivre à la cuisine et d'échanger des bonjours avec ses parents. La présence de Ted ne le dérangeait pas tant que ça. Il soupçonnait qu'il pourrait en venir facilement à apprécier le Botaniste, particulièrement parce que l'homme avait un rapport facile avec Harry et parvenait à le sortir du mutisme dans lequel le garçon s'enfermait souvent dernièrement. La tension entre lui et Andromeda, en revanche, était palpable. Elle faisait très visiblement un effort pour être cordiale mais Severus ne pouvait s'empêcher d'être glacial, même lorsque la main de Nymphadora atterrit sur sa cuisse, sous la table. Autant un avertissement qu'une supplique.

Sa petite cuisine semblait étroite avec autant de gens rassemblés autour de la table mais ce n'était pas aussi oppressant qu'il l'avait craint. Assis là, à regarder Nymphadora discuter avec sa mère en mangeant un yaourt et Harry parler à Ted, un peu timidement, de ses problèmes en Botanique, Severus se demanda si la scène était une fenêtre ouverte sur l'avenir.

Dans un monde en paix, il pouvait facilement imaginer une routine où ils partageraient un repas tous les dimanches. Quelque chose de banal, quelque chose de tellement commun que ça en aurait presque été risible, pour lui, de s'imaginer y prendre part. Il décida que cela ne le dérangerait pas si c'était le cas. Il décida que c'était une idée qui le séduisait.

Rien que parce que cela faisait plaisir à Nymphadora et qu'Harry paraissait apprécier le temps passé avec Ted.

Le temps que le dessert se conclue, Ted avait convaincu Harry d'aller aux serres avec lui pour qu'il puisse lui montrer quelques astuces qui devraient l'aider en Botanique. Le garçon paraissait plus enthousiaste que pour les cours de Chourave.

Nymphadora, pour sa part, semblait impatiente de les mettre tous dehors.

Severus fut le dernier à passer la porte et il lui jeta un regard inquisiteur auquel elle répondit par un murmure.

« Je sais que je tiens un truc, je ne sais juste pas encore quoi. » lui dit-elle. « J'ai besoin de calme pour réfléchir. »

Elle l'embrassa et lui claqua pratiquement la porte au nez.

Amusé, il secoua la tête et emboîta le pas aux autres. Harry et Ted marchaient devant, il se retrouva donc à avancer à côté d'Andromeda, ce qui n'était pas des plus plaisant.

Du moins, jusqu'à ce qu'ils se séparent des deux autres dans le Hall et qu'ils ne continuent tous les deux vers les étages. Severus avait ralenti le pas à dessein mais elle ne semblait pas comprendre le sous-entendu et persistait à l'attendre.

Ils étaient sur le palier du premier étage lorsqu'elle se décida à briser le silence.

« Écoutez, je ne voulais pas sous-entendre que nous désapprouvions votre relation, l'autre jour. » lâcha-t-elle, n'y tenant visiblement plus.

« Votre opinion de moi m'importe peu. Ce n'est vraiment pas le problème. » rétorqua-t-il, sans prétendre ne pas savoir de quoi elle parlait.

Elle cessa d'avancer et attrapa son bras pour le forcer, lui aussi, à s'arrêter. Par réflexe, il jeta un regard aux alentours, notant les quelques passants qui s'attardaient et leur jetaient des regards curieux. Severus était devenu une célébrité, lui aussi, et il comprenait sincèrement pourquoi Harry évitait autant que possible de se montrer en public.

« Severus. » déclara-t-elle fermement. « Nous allons devoir composer l'un avec l'autre pour le reste de nos vies. Du moins, le reste de la mienne. Je suis plus vieille, après tout. Je pense qu'il est dans l'intérêt de tout le monde que nous apprenions à nous entendre. »

« Vous lui avez reproché la stupidité de Lupin. » l'accusa-t-il franchement. « Pardonnez-moi d'avoir du mal à le digérer. Vous n'avez aucune idée de ce qu'il… » Il s'interrompit avant de trop en dire mais ne cacha pas un mouvement d'humeur. « Vous êtes sa mère, elle vous aime, et, en conséquence, elle vous pardonne tout, ce que je peux respecter. Mais ne me demandez pas d'en faire autant aussi facilement lorsque vous la blessez aussi profondément. »

Andromeda ne semblait pas savoir si elle était offensée ou contrite. Au final, elle pressa son bras, qu'elle n'avait toujours pas lâché.

« J'apprécie que vous l'aimiez autant. » déclara-t-elle, sans rien ajouter d'autre.

Il émit un bruit agacé et un brin gêné puis détourna la tête.

À nouveau, elle serra son bras.

« Pour ce que cela vaut, je regrette. » insista-t-elle. « Et ce n'était pas ce que je voulais dire. Évidemment, qu'elle n'est pas responsable des actes de Remus. J'étais juste… inquiète et en colère. Vous avez un adolescent à la maison. N'avez-vous jamais rien dit que vous avez instantanément regretté sous le coup de la colère ? »

Il aurait aimé se draper dans sa mauvaise foi et pouvoir affirmer qu'il n'avait jamais rien dit d'aussi horrible. Néanmoins, il ne se souvenait que trop bien de la manière dont il s'en était pris à son fils pour avoir fumé une cigarette. Entre autres épisodes désagréables.

Agacé de devoir en admettre autant, il soupira.

Andromeda le lâcha avec un sourire entendu, bien qu'un peu triste. « Être parent ne veut pas dire être parfait. On veut toujours les protéger, même lorsqu'ils ont quitté le nid, même lorsqu'ils sont adultes et ont très visiblement créé leur propre nid avec quelqu'un d'autre. » Elle haussa les épaules. « C'est mon bébé, Severus, et je l'aimerai jusqu'à mon dernier souffle. Maladroitement, parfois, peut-être… Mais ne doutez jamais que je l'aime autant que vous, si ce n'est plus. Vous avez Harry, vous savez ce que je veux dire. »

Il savait.

Mais il était irrité de sentir sa colère fléchir devant cet argument.

« Je ne supporte pas qu'on s'en prenne à elle. Même vous. » l'avertit-il, grommelant entre ses dents. « Elle peut se défendre mais il n'empêche que je ne suis pas obligé d'être aussi tolérant qu'elle. »

Le sourire de la Médicomage se fit plus doux et il fut surprit d'y retrouver l'ombre de celui de Nymphadora. « Et c'est bien pour ça que vous m'avez convaincue que cette histoire n'est pas la pire erreur qu'elle pourrait faire. Vous serez heureux ensemble, Severus. Pas seulement parce que vous vous aimez mais parce que vous vous respectez. »

Il leva les yeux au ciel, trop conscient qu'ils étaient dans un couloir et que n'importe qui pouvait surprendre ou même espionner leur conversation. Il n'y avait rien de secret mais… C'était gênant.

« La famille, c'est parfois compliqué. » conclut-elle, en lui tapotant le bras. « Mais nous finirons bien par nous adopter. »

Elle le laissa planté là, sur cette annonce qui tenait presque de la menace.

Severus la regarda partir, secoua la tête, et prit la direction opposée pour rejoindre le bureau d'Albus.

« Merlin me préserve des Black. » marmonna-t-il.

°O°O°O°O°

Harry aimait beaucoup passer du temps avec Ted, décida-t-il, alors qu'il se glissait hors de la serre où il venait de passer plus d'une heure. Le sorcier était tellement calme, tellement apaisant qu'il avait le don de vous pousser à la confidence sans rien vous demander. Il s'était retrouvé à parler de la mort de Flitwick entre deux rempotages, alors qu'il n'avait même pas eu conscience que ça l'avait touché.

Enfin, bien sûr que ça l'avait touché, songea-t-il, en s'arrêtant au coin des serres pour vérifier que la voie n'était pas trop encombrée de réfugiés autant que pour respirer l'air qui sentait bon l'été, mais il s'était passé tellement de choses plus choquantes ou qui l'avaient touché de plus près que… Il avait apprécié Flitwick. C'était un des Professeurs les plus gentils qu'ils avaient, que ce soit ici ou en soixante-quinze.

Se rendre compte qu'il avait presque oublié la mort du Professeur de Sortilège l'avait poussé à se demander quels autres désastres il avait occulté parce que ses problèmes étaient trop importants. Peut-être y avait-il une limite à la souffrance que l'on pouvait ressentir. Peut-être était-ce pour ça qu'il s'était un peu coupé des Weasley. À cause de Percy et de Charlie. Parce qu'il ne savait pas…

Harry soupira.

Il n'était pas un très bon ami, en ce moment.

Il l'avait avoué à Ted.

Ted avait froncé les sourcils et lui avait dit qu'on ne pouvait pas être un bon ami pour les autres quand on n'était pas d'abord un bon ami pour soi-même. Sur le coup, ça lui avait semblé un peu stupide comme remarque. Un peu trop plein de bons sentiments. Quelque chose de très Poufsouffle.

Mais plus il y pensait…

Le parc était bondé.

Ce n'était pas étonnant.

Il faisait chaud, beaucoup de réfugiés n'avaient pas d'occupations officielles, certains Aurors étaient en repos et tout ce que le château comptait d'élèves semblait être dehors, agglutiné autour du lac ou à chercher à la fraîcheur sous les arbres du parc.

Il hésita un peu. Une seconde… Deux… Puis, après une profonde inspiration, se fondit dans sa peau animale.

Plus tôt, lorsque Dora avait voulu aider ses parents avec le déjeuner et qu'Andromeda lui avait ordonné, à lui, en riant, de faire tout ce qu'il pouvait pour l'empêcher de bouger, devenir un tigre avait été un réflexe. Parce que la brève lutte qui les avait opposés avait été un jeu. Parce que cela aurait été trop bizarre pour un adolescent de son âge de s'amuser comme ça avec…

Qu'était-elle exactement ? Sa belle-mère ?

Dans tous les cas, cela aurait été trop bizarre.

Sous sa forme de tigre… Sous sa forme de tigre, c'était différent. Il pouvait se vautrer sur elle et elle pouvait prodiguer de l'affection sans que ce soit gênant. Et la part de lui qui avait toujours désiré les étreintes de Tante Pétunia et qui s'attardait toujours beaucoup trop longtemps dans celle de Severus aimait ça : ces gestes d'affection simples.

Néanmoins, c'était la première fois qu'il redevenait sciemment un tigre en dehors des petits entraînements avec Sirius et Nyssa. Simplement pour jouer. Simplement pour…

Le monde était si différent sous cette forme.

Le bruit des voix dans le lointain plus clair, l'omniprésence des gens encore plus insupportable… Mais les détails étaient aussi nettement plus en relief, l'instinct de l'animal était extrêmement fort et ses idées noires, la mélancolie qui le rongeait quotidiennement, n'étaient plus aussi écrasantes.

Le tigre s'élança, goûtant au plaisir simple de courir aussi vite qu'il le pouvait, atteignant la zone boisée en un temps record et sans que personne ne le repère. Il fusa en haut d'un tronc, plantant ses griffes juste assez longtemps pour se propulser vers le haut…

Pendant un moment, il sauta de tronc en tronc, testant ses réflexes et ses capacités. Une fois, une seule, il dérapa parce que l'arbre était encore trop jeune, ses branches trop fragiles et il chuta dans le vide uniquement pour se rétablir d'une torsion du dos et retomber sur ses pattes. Ça ne l'arrêta pas et il remonta dans l'arbre le plus proche pour recommencer, s'ordonnant d'aller plus vite encore, de se pousser au maximum, cherchant ses limites…

Mais jouer tout seul n'était pas très drôle.

Il aurait aimé chasser.

Après presque trois jours de silence, Sirius était revenu à la maison, ce matin-là, pour s'excuser de sa distance. Rien à voir avec Harry, avait-il promis, rien à voir avec ce qu'il s'était passé avec Remus… Cette partie était un mensonge, sans doute, mais le garçon ne pensait pas qu'il avait menti sur le reste. Ils avaient passé un moment à jouer aux échecs, pendant que Tonks lisait ses dossiers…

Peut-être que si Nyssa était disponible, son parrain et elle voudraient bien organiser un petit entraînement ce soir-là. Il voulait courir. Préférablement après quelque chose capable de le distancer pendant un moment. Préférablement après quelque chose capable de se défendre au cas où il perdrait le contrôle et…

Sans vraiment le vouloir, il repéra une piste familière et la suivit jusqu'à pouvoir isoler des voix connues dans la cacophonie ambiante. D'arbre en arbre, il finit par trouver le petit coin où les arbres donnaient à pic vers le lac.

Ironiquement, c'était à cet endroit précis qu'il avait failli se noyer en soixante-quinze.

Mais les algues et la vase ne paraissaient pas gêner les adolescents qui chahutaient dans l'eau en riant. Il faisait trop chaud, sans doute, et…

Ron et Lavande s'embrassaient avidement sous les frondaisons, roulant un peu dans l'herbe. Draco et Hermione avaient un peu plus de décorum mais à peine, la main du Serpentard était très clairement sous son tee-shirt. Susan et Hannah pataugeaient dans l'eau avec Astoria, Luna, Neville et Seamus, s'éclaboussant et riant… Et, un peu plus loin, là où ils avaient de l'eau jusqu'à la taille et où il savait que les algues risquaient à tout moment de s'emmêler dans leurs jambes, Dean et Ginny semblaient très occupés à essayer de se couler l'un l'autre.

Harry allait sauter au sol et reprendre forme humaine, juste pour les avertir de faire attention.

Il était sur le point de le faire.

Sauf que Dean attrapa Ginny à bras le corps, la coinça contre son torse, les laissant couler tous les deux… Lorsqu'ils refirent surface, ils riaient. Ginny se retourna, beaucoup, beaucoup trop proche de l'autre garçon… Leurs rires s'éteignirent…

Harry sauta au sol et détala en courant, avant que quiconque ne le repère ou qu'il puisse voir quelque chose qui le pousserait à faire du mal à quelqu'un. Il ne faisait pas assez confiance à son tigre pour…

Il n'était pas Remus, cependant.

Il n'était pas un animal.

Il n'allait pas…

Il n'allait pas.

Tout ce qu'il voulait, c'était que Ginny soit heureuse.

Et c'était mieux ainsi, vraiment. C'était…

Sa course folle le laissa aux abords de la Forêt Interdite.

L'espace d'une seconde, il eut l'idée idiote qu'il pourrait continuer, s'y enfoncer, se mesurer aux monstres qui la peuplaient ou même les laisser gagner. Les laisser gagner était tentant. De toute manière…

Mais c'était exactement le genre de pensées qu'il avait promis à son père de ne pas avoir.

Et qui pouvait savoir si une Acromentule aurait raison de l'horcruxe de toute manière ?

Profitant des larges touffes d'herbes folles, il longea la forêt, s'amusant à sauter ou courir pour rester hors de vue, tâchant de ne pas penser à Ginny ou…

Il repéra Hagrid parce qu'Hagrid était difficile à rater.

Le demi-géant sortit de sa Cabane en courant, Crockdur sur les talons, criant à quelque chose de… revenir ?

Harry avait une excellente vue et de très bons réflexes mais la chose que poursuivait son ami était minuscule et assez rapide.

Bien moins rapide qu'un tigre, cependant.

Il s'élança, lui coupant la route…

Et réceptionna entre ses mains bien humaines la boule de fourrure qui se débattit quelques secondes avant de sembler se résigner à son sort. Harry sentait son minuscule cœur battre à tout rompre sous son pouce. Il desserra sa prise, contemplant avec émerveillement le tout petit niffleur entre ses paumes. La créature ne chercha pas à s'enfuir, à moitié couchée sur le dos, elle sembla plonger ses petits yeux noirs dans ceux du garçon et…

Il ressentit la même chose que lorsqu'il avait vu Hedwige pour la première fois.

« Ah, Harry ! » s'exclama Hagrid, en parvenant à leur hauteur, à bout de souffle. « Tu l'as attrapé ! »

Harry se sentit immédiatement un peu coupable. Depuis son retour, il n'avait pas passé beaucoup de temps avec le demi-géant et il était évident que lui non plus n'avait pas extrêmement bien vécu la bataille. Une partie de sa barbe était brûlée, ses vêtements avaient des accrocs partout et il paraissait exténué.

« Tout va bien ? » demanda-t-il, inquiet. « Vous allez bien ? »

« Moi ? » s'étonna Hagrid. « Oh, oui, oui… Ce sont mes pensionnaires qui… » Le demi-géant avait esquissé un geste tout doux pour le débarrasser du bébé niffleur mais ce dernier recommença à se débattre… Et se calma dès qu'Hagrid retira ses mains. « Il t'a adopté, on dirait. »

Instinctivement, Harry ramena la petite boule duveteuse contre sa poitrine. En moins d'une seconde, elle avait pivoté sur son ventre et reniflait le doigt où il portait l'anneau des Prince. Un instant plus tard, il sentit une petite patte tirer comme pour tester la résistance. Une seule petite patte. Parce que l'autre…

La patte avant droite n'était qu'un moignon qui se perdait dans la fourrure grise, presque bleutée.

« Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? » demanda-t-il, un peu tristement. Le niffleur continuait à tirer mais n'avait aucune chance de parvenir à faire bouger la lourde bague.

« La bataille. » soupira Hagrid. « Son terrier a été détruit, sa mère et le reste de la portée avec. Il n'est pas le seul, ma cabane est pleine d'animaux blessés… Tu peux venir voir, si tu veux. »

Il n'était pas certain qu'une cabane remplie d'animaux blessés allait beaucoup lui remonter le moral mais il emboîta le pas à son ami. « Vous avez besoin d'aide ? »

« Je ne dirais pas non, si Ron, Hermione et toi cherchez de quoi vous occuper. » hésita le demi-géant. « Mais ce sont vos vacances… Je ne veux pas… »

« Non, non… On peut aider. » décida-t-il, sachant qu'il ne lui faudrait pas beaucoup d'efforts pour convaincre ses meilleurs amis – ainsi que les autres.

Le niffleur avait renoncé à déloger le sceau des Prince et reniflait désormais son tee-shirt. Lorsqu'il entreprit de grimper, Harry le laissa faire, laissant les mains sous lui au cas où il devrait le rattraper. Mais, pour un bébé à trois pattes, la créature était agile. Elle ne tarda pas à atteindre son épaule, arrachant un bruit amusé au garçon lorsqu'elle renifla son cou. Ça chatouillait.

Hagrid observait le manège avec tendresse. « C'est drôle. Il ne réagit pas du tout comme ça avec moi… Mais il déteste être dans la cabane… »

« Ce ne sont pas des animaux d'intérieur, non ? » hésita-t-il, en levant une main prudente pour caresser la petite boule de fourrure qui semblait s'être nichée contre son cou, accrochée à son tee-shirt, et ne semblait pas pressée d'en descendre.

« Non, mais il ne peut plus vivre dehors. » expliqua Hagrid. « Il est trop petit et il ne se nourrit pas encore tout seul. Et puis sa patte… Les autres niffleurs le rejettent. C'est juste qu'il déteste être enfermé avec les autres créatures. Il a peur. »

Et, de fait, alors qu'ils approchaient de la cabane, le niffleur commença à s'agiter. Lorsque Harry l'attrapa pour l'empêcher de s'enfuir à nouveau, il se mit à couiner de détresse et cela lui brisa le cœur. Cela dit, il n'y avait pas que l'intérieur qui était plein. Le jardin et les alentours pullulaient de créatures plus ou moins imposantes.

Il pila avant d'entrer.

« Je ne crois pas qu'il veuille retourner dedans. » grimaça-t-il, en reculant de quelques pas.

Hagrid poussa un profond soupir et se gratta la tête. « Je sais. En temps normal, la cabane serait vide et ce ne serait pas un problème… Ou je le confierais à quelqu'un de confiance mais avec la guerre… »

Harry baissa les yeux vers la petite boule de poils, plongea à nouveau dans son regard et se sentit fondre.

« Tiens, essaye de voir si tu peux le faire manger… » exigea le garde-chasse, en disparaissant à l'intérieur juste assez longtemps pour revenir avec un biberon qui ressemblait à un biberon de poupée. « Il refuse une fois sur deux avec moi. Je sens trop les autres créatures. Il n'aime pas les prédateurs, il sait qu'il n'aurait aucune chance. »

Le garçon prit le biberon mais cilla. « Vous savez que je suis un tigre, maintenant ? »

Même sous forme humaine, il était persuadé que les autres animaux pouvaient le sentir. Certains, comme Masque ou Hedwige, ne semblaient pas s'en soucier du tout, mais il avait remarqué que d'autres le fuyaient comme la peste.

« Ça n'a pas l'air de le déranger. » remarqua Hagrid, les yeux brillants. « Mais j'aimerais beaucoup voir, un jour, si tu veux bien me montrer. »

« Oui, bien sûr. » accepta-t-il immédiatement. Mais trois petites pattes exigeantes le rappelèrent à l'ordre et, après s'être légèrement éloigné de la cabane pour aller s'asseoir sur un rondin, il orienta maladroitement le biberon jusqu'à ce que… Le niffleur savait très visiblement quoi faire. Il engloutit le lait à une vitesse record. « On dirait qu'il avait faim. »

Et le lait semblait lui avoir redonné de l'énergie dont il n'avait pas besoin, il se tortilla jusqu'à pouvoir explorer ses cuisses, reniflant le jean avec intérêt. Une fois qu'il eut fait le tour, il en revint au sceau des Prince et recommença à tenter de tirer dessus avec sa petite patte. Il avait une démarche un peu étrange, une sorte de soubresaut tous les deux pas.

Il était tellement… mignon.

Le demi-géant sortit un gallion de sa poche et le lança vers lui. L'adolescent le rattrapa au vol et le tendit au niffleur qui s'empressa de l'attraper avec ses pattes et de le mordiller… La pièce était à peine moins grosse que lui et refusait de rentrer dans la minuscule poche ventrale où il voulait la faire disparaître.

« Est-ce qu'il a un nom ? » demanda-t-il, complètement sous le charme.

« Pas vraiment. » admit Hagrid, de là où il s'était appuyé à la clôture pour mieux les regarder. « Tu peux lui en donner un, si tu veux. »

Harry y réfléchit très sérieusement, considéra plusieurs options, puis, après avoir passé les doigts dans la fourrure grise bleuté, il prit sa décision. « Paillette. »

« Paillette. » répéta Hagrid, avec un sourire. « Ça lui va bien. Pose-le par terre, pour voir. »

« Il ne va pas se sauver ? » s'inquiéta-t-il.

Il pouvait le rattraper, ce n'était pas le problème, mais il y avait au moins deux hippogriffes plus loin et un petit groupe de sombrals à la lisière de la Forêt et ces deux espèces se nourrissaient de petits animaux. Un furet ou un niffleur… Quelle différence ? Et il ne voulait pas avoir à attaquer un hippogriffe ou un sombral. Le tigre gagnerait probablement mais il ne voulait pas les blesser.

« Juste pour voir. » insista Hagrid.

Réticent mais faisant confiance à son ami, Harry s'exécuta et posa le niffleur à ses pieds. La créature continua à jouer avec son gallion, sans chercher à s'enfuir.

Le garde-chasse eut l'air satisfait. « Alors, ce tigre ? Je peux le voir ? »

Il aurait préféré s'abstenir pour ne pas effrayer Paillette. S'il avait peur des autres créatures, alors un tigre… Mais il ne voulait pas non plus dire non au tout premier ami qu'il avait jamais eu alors il se leva et s'éloigna un peu, notant que le niffleur se désintéressa soudain du gallion pour suivre son manège des yeux.

La transformation était fluide, à présent. Davantage que celle de Severus bien que moins instantanée que celle de Sirius. Une poignée de secondes et il avait retrouvé sa forme féline.

Il écouta à peine les compliments d'Hagrid parce qu'il observait Paillette qui avait lâché la pièce pour repasser sur ses trois pattes et qui le regardait avec méfiance. Si le niffleur partait en courant… Mais le niffleur approcha de sa démarche bancale et légèrement bondissante, renifla prudemment le bout de la queue du tigre…

Harry l'agita.

C'était un réflexe, il n'y pouvait rien.

Elle passa devant le niffleur deux fois, trois fois… À la quatrième, Paillette se jeta dessus de manière éperdue, s'accrocha avec ses minuscules griffes et entreprit de gravir l'Everest qu'était son train arrière. Harry le laissa renifler sa fourrure rouille et noire tout son saoul au passage.

Hagrid avait l'air étrangement satisfait et disparut dans la cabane quelques minutes. Sous sa forme de tigre, les odeurs étaient démultipliées et il ne pouvait pas blâmer ce pauvre Paillette de ne pas vouloir retourner là-dedans. Trop d'odeurs différentes s'y mêlaient, certaines plus agressives que d'autres.

Lorsque le demi-géant revint, le niffleur était retourné à son gallion mais n'avait pas tenté de se sauver. Harry était redevenu humain et jouait avec lui en déplaçant la pièce pour le faire courir.

« Tu sais, il ne causerait pas beaucoup d'ennuis à l'intérieur d'une maison… » remarqua Hagrid. « Il est trop petit et avec sa patte… Et puis, lorsqu'il sera suffisamment grand pour se débrouiller tout seul, il sera déjà domestiqué… Enfin, on pourrait toujours essayer de le sevrer et de le réintroduire dans la nature mais personne ne lui a appris à se débrouiller ou à se défendre, alors… »

Instinctivement, Harry ramassa le bébé niffleur et le ramena contre son torse. Le relâcher ? Dans la nature ? Une si petite chose à qui il manquait une patte ? Tout seul ?

« C'est juste qu'il ne veut pas rester dans la cabane avec les autres, alors… » continua le garde-chasse.

« Je peux m'en occuper, moi. » déclara-t-il, avant de vraiment y réfléchir. « Vous pouvez m'expliquer ce qu'il faut faire. Il ne sera pas malheureux dans les cachots, si ? »

« Pas si tu le sors de temps en temps pour le laisser jouer dehors. » répondit Hagrid, avec un soulagement évident. « Ce ne sont pas vraiment des animaux de compagnie communs mais ça peut être très loyal. Et, comme je te disais, il est trop petit pour créer beaucoup d'ennuis… Si tu gardes les objets précieux sous clefs… »

« Et… Et quand il sera plus grand ? » s'enquit-il. Il s'était déjà attaché en quelques minutes. S'il devait, plus tard, le relâcher…

« Il est si jeune… » hésita Hagrid. « Je ne suis pas sûr qu'il apprendrait jamais à vivre dans la nature mais si tu avais un jardin ou un bout de terrain, il ne serait pas malheureux. Et puis, il restera sûrement chétif. »

« D'accord. » accepta-t-il.

« Tu es sûr ? » insista le garde-chasse. « C'est une responsabilité, tu sais. Ça vit longtemps, ces créatures. Je sais que tu ne t'engages jamais à la légère mais… »

« Je suis sûr. » insista-t-il, en hochant la tête.

Et ça devait être le plan de son ami depuis qu'il s'était transformé en tigre parce que le baluchon de Paillette avec les biberons, le lait et une petite réserve d'or de Farfadet était déjà prêt.

Harry repartit vers le château, un niffleur sur l'épaule, et se convainquit presque qu'il ne pensait déjà plus à Ginny et Dean.

Ce ne fut qu'arrivé devant la porte de la maison qu'il lui vint à l'esprit un léger détail qu'il avait oublié : il ne vivait plus seul. Techniquement, il n'avait jamais vécu seul, c'était vrai, mais les Dursley comptaient à peine. Aurait-il pu leur cacher un bébé niffleur ? Probablement. Avec un peu de créativité. Dans les dortoirs, cela n'aurait pas été si difficile non plus. Mais à la maison ?

Il fit quelques allers et retours devant la porte, réfléchissant à la meilleure manière d'aborder la situation.

Il pouvait, supposait-il, tenter de dissimuler la présence de Paillette. Après tout, l'animal tenait dans sa poche. Néanmoins, Severus le démasquerait probablement en cinq minutes et c'était sans compter sur l'Auror extrêmement douée dans son domaine qui vivait désormais avec eux… Non, mieux valait jouer cartes sur table. Enfin… Cartes sur tables mais à la Serpentard.

Il poussa la porte de la maison et laissa le baluchon dans l'entrée, caressant distraitement le niffleur niché contre son cou… Et oublia tout plan machiavélique ou subtilité lorsqu'il vit l'état du salon. Il y avait des parchemins étalés sur toutes les surfaces, un paquet de chips éventré sur la table basse, un tableau noir sur roulettes avait été récupéré dans une salle de classe et était couvert de l'écriture de Tonks…

« Ouah. » lâcha-t-il, la mâchoire un peu pendante.

Jamais encore il n'avait vu la pièce aussi en désordre et Severus et lui n'étaient pourtant pas les plus ordonnés qu'il soit. La jeune femme en question était avachie sur un fauteuil, les jambes passées par-dessus l'accoudoir, et feuilletait une liasse de parchemins.

« Je sais, je sais… » marmonna-t-elle, sans lever les yeux. « J'ai besoin de visualiser quand je travaille. Je vais ranger. »

Harry approcha du tableau, attentif à ne pas marcher sur les parchemins étalés au sol selon un ordre qui lui échappait, tentant de déchiffrer ce qu'elle avait écrit à la hâte et de la mauvaise main… Il y avait une flèche qui traversait la longueur du tableau. Elle était parsemée de la liste d'horcruxes – avérés comme soupçonnés – et en dessous de chaque objet il y avait un condensé de son histoire, et des noms de Mangemorts sous quelques uns. D'autres avaient des points d'interrogation.

Il n'était pas certain de ce que cela voulait dire mais…

« Harry ? » appela soudain Tonks, beaucoup moins distraite et beaucoup plus amusée. « Il y a quelque chose sur ton épaule. »

Revenant à la réalité, il se tourna vers elle et, s'efforçant d'oublier les horcruxes et la chose qui était tapie dans son âme, il souleva le niffleur avec précaution et le posa sur les genoux de la jeune femme.

« Je te présente Paillette. » annonça-t-il.

Bien sûr, cela aurait pu mieux se passer. Par exemple, si Paillette n'avait pas lâché un couinement et foncé sur ses boucles d'oreilles. Heureusement, il était trop petit pour les lui arracher ou lui faire bien mal. Dora le captura sans difficultés, le soulevant dans une main prudente pour mieux l'observer. Elle n'ôta pas ses jambes de l'accoudoir et ne tenta pas de s'asseoir de manière plus convenable.

« Et pourquoi est-ce que Paillette nous rend visite ? » demanda-t-elle, d'un ton qu'elle voulait probablement sérieux mais qui cachait mal son amusement.

Harry récupéra le niffleur et, après un moment d'hésitation, le posa par terre pour le laisser explorer. Rapidement, et après avoir compris son erreur, il relocalisa quelques objets des étagères les plus basses aux plus hautes. De toute manière, il était beaucoup trop petit pour voler quoi que ce soit.

« Je pensais… » hésita-t-il. « Enfin… Il a besoin d'une maison parce qu'Hagrid est surchargé. Provisoirement. »

« Provisoirement. » répéta Dora. « De quel genre de provisoirement on parle exactement ? »

« Le genre qui peut durer plusieurs années ? » grimaça-t-il, en se tournant vers elle. Il ramassa Paillette et le lui tendit. « Mais regarde-le… Tu aurais vraiment le cœur de le laisser dehors tout seul ? Il ne tiendrait pas dix minutes… Regarde, il lui manque une patte… »

Tonks paraissait lutter contre un fou rire mais parvint à se contenir et gratta la tête du niffleur qui était plus intéressé par les bagues qu'elle avait aux doigts. C'était de l'argent un peu terne, cela dit, et ça ne semblait pas briller assez pour lui. Il ne tarda pas à retourner ses efforts vers le sceau des Prince.

« C'est la tactique que tu comptes employer avec ton père ? » plaisanta-t-elle. « Regarde, il est si mignon et sans défense, on peut le garder ? »

Harry haussa les épaules et osa un sourire frondeur. « Ça a marché avec moi et il m'a gardé, au final. D'accord, il a fallu le convaincre un peu, d'abord, mais la méthode a fait ses preuves… »

Elle perdit la bataille contre son rire, ce qu'elle dut regretter un peu parce qu'elle se massa l'épaule toujours maintenue en place par l'attelle. « Harry… Il est très mignon mais un niffleur dans une maison, c'est un désastre ambulant assuré. »

Lentement, le garçon tourna sur lui-même, laissant son regard tomber sur chaque feuille de parchemin…

Elle leva les yeux au ciel, comprenant parfaitement le sous-entendu. « D'accord, très bien, je mets le désordre aussi bien qu'un niffleur. » Elle soupira. « Garde-le loin de mes affaires. Je n'ai pratiquement que du toc mais je tiens aux quelques vrais bijoux que j'ai. »

Le cœur battant, Harry fouilla son regard, incapable de ne pas sourire comme un idiot. « Ça veut dire que je peux le garder ? »

« Ça veut dire : demande à ton père. » botta-t-elle en touche.

« Mais, toi, tu veux bien ? » insista-t-il.

Parce qu'il devinait que ça allait être l'argument numéro un de Severus contre lui.

Dora l'observa quelques secondes, étudia la petite boule de poils qui faisait de son mieux pour avoir l'air angélique, et leva à nouveau les yeux au ciel. Mais elle souriait. « Moi, ça m'est égal. Je ne suis pas contre. Tant qu'il reste loin de mes bijoux. » Elle bascula les jambes hors de l'accoudoir et se leva souplement. « Par contre, tu pourrais m'aider à ranger, en échange, parce que… »

Elle ne s'attendait probablement pas à être attaquée par un boulet de canon. Harry garda l'étreinte brève malgré sa brutalité. Il s'écarta rapidement, reposa Paillette pour qu'il puisse explorer tranquillement, et l'aida à ramasser les parchemins.

Il lui demanda si elle avait trouvé quelque chose, pendant qu'ils travaillaient, mais elle resta vague et il n'insista pas.

Dernièrement, moins il entendait parler des horcruxes, mieux il se portait.

Il savait que c'était égoïste, que plus ils tardaient à les détruire, plus Voldemort gagnait en puissance mais… Il savait aussi que les horcruxes étaient le compte-à-rebours vers son trépas.

Il préféra se laisser distraire par Paillette, l'emmenant dans sa chambre où il se fit un plaisir de renverser tout ce qu'il trouva, s'appropria plus d'un objet qui brillait à la lumière uniquement pour le lâcher et tenter d'en attraper un autre… Masque, qui était vautré sur son oreiller, observa ce manège avec dédain et repoussa le niffleur d'un coup de patte lorsque ce dernier fit mine de trop s'intéresser à lui.

« Sois gentil. » le rabroua-t-il. « C'est notre nouvel ami. »

Le regard du chat en disait long sur ce qu'il pensait de ce nouvel ami. Déjà que lui et Hedwige avaient eu une cohabitation difficile dans les dortoirs…

Pour un bébé à trois pattes, Paillette était extrêmement rapide.

Harry finit par lui donner un gallion pour qu'il s'amuse avec.

Pas un faux des farfadets mais un vrai.

Ce niffleur n'aurait que ce qu'il y avait de mieux à partir de maintenant.

°O°O°O°O°

Draco avait perdu le compte des baisers enfiévrés qu'ils avaient échangés, ce jour-là. Elle le rendait fou. Complètement, indéniablement fou.

Et s'enfermer dans sa chambre pour faire des recherches sur les horcruxes n'avait pas été sa meilleure idée parce que les livres empruntés au Manoir étaient abandonnés sur le lit, quelque part derrière la tête de Granger, et qu'il aurait été incapable d'en résumer une ligne.

À bien y repenser, peut-être était-ce sa plus brillante idée, au contraire.

Les doigts de la jeune fille étaient emmêlés dans ses cheveux, mettant en désordre ce qu'il passait beaucoup trop de temps à peigner le matin. Il grogna contre sa bouche lorsqu'elle glissa l'autre main dans son dos, sous sa chemise, l'attirant un peu plus contre elle. La sensation de sa paume courant sur sa peau était…

« Je ne comprends pas à quoi elle joue. » soupira Granger, en reculant légèrement pour mettre un terme au baiser.

Draco recommença immédiatement à l'embrasser, incapable d'aucune forme de pensée cohérente. Pas à ce moment-là. Pas lorsqu'il était à moitié couché sur elle et que ses mains allaient et venaient au creux de ses reins et…

« Je veux dire… » enchaîna-t-elle, alors qu'ils reprenaient tous deux leur respiration après un baiser particulièrement brûlant. « Ce n'est pas comme s'il l'intéressait vraiment. Non ? »

N'ayant aucune idée de ce dont elle était en train de parler, il laissa dériver sa bouche le long de sa mâchoire, embrassant et mordillant tour à tour la chair tendre sous son oreille. Elle laissa échapper un bruit qui l'encouragea à continuer son exploration, sachant que s'il utilisait ses dents juste au creux de sa gorge…

« Enfin, on sait bien que c'est d'Harry qu'elle est amoureuse. » insista Granger.

Draco soupira contre sa peau et leva la tête. « N'a-t-on pas une règle à propos du Balafré et de ce genre de moments ? »

Le surnom peu aimable qu'il n'employait pratiquement plus lui valut une claque sur le bras.

« Sois sérieux. » le gronda-t-elle, sans trop d'hostilité.

« Je suis sérieux. » protesta-t-il, en s'appliquant de nouveau à embrasser sa gorge. « Je suis très sérieusement en train de te séduire et toi tu penses à Potter. »

« Je ne pense pas à Harry, je pense à Ginny et à Dean et à leur manège. » riposta-t-elle.

Avec un nouveau soupir – théâtral, celui-ci – il roula sur le dos et passa un bras sur ses yeux, tâchant de se réciter les statistiques des derniers matchs de Quidditch. Non pas que la vie amoureuse de Potter ne soit pas assez pour tuer sa libido mais…

« C'est vrai, non ? » insista-t-elle, en se tournant sur le côté pour l'observer. Distraitement, elle se mit à jouer avec un bouton de sa chemise à moitié déboutonnée et il perdit le compte de ses statistiques… « Qu'est-ce que tu en penses ? »

« Suis-je véritablement forcé d'avoir une opinion ? » s'enquit-il.

Le bouton sauta.

Et elle se mit à dessiner des runes sur son torse.

Il savait que c'était des runes parce qu'elle savait que son intellect avait tendance à lui faire de l'effet.

Granger était d'une cruauté sans nom.

« Tu as une opinion sur tout. » remarqua-t-elle, avec un amusement certain.

Il leva les yeux au ciel. « Je pense… qu'elle veut se changer les idées et que nous ne devrions pas nous en mêler. »

« Mais elle n'aime pas Dean. » pressa Granger, en soufflant d'irritation. « Alors que Harry… »

« Crois-tu vraiment que Thomas ne soit pas parfaitement au fait de la chose ? S'il veut tenter quand même, c'est son problème. » la coupa-t-il. « Et puis… Hermione… Peut-être qu'elle est amoureuse de Potter et peut-être qu'il l'aime aussi… »

« Je sais qu'il l'aime aussi. » lâcha-t-elle.

« Mais l'amour ne fait pas tout. » conclut-il.

Il venait de dire une grosse bêtise et il s'en rendit compte à la seconde où elle s'assit brusquement pour le dévisager avec une méfiance mêlée d'appréhension. « Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Rien. » répondit-il immédiatement, en s'asseyant lui aussi. « Je ne parlais pas pour nous, bien évidemment. » Le terrain était glissant et il s'efforça de procéder avec prudence. L'avantage, c'est qu'il n'avait plus besoin de recourir au stratagème des statistiques de Quidditch. Le regard de sa petite-amie avait douché ses ardeurs. « Mais dans le cas de Potter… Tu sais qu'il a d'autres préoccupations. Et Ginny a bien le droit de faire ce qu'elle veut. Ce n'est pas comme si elle n'avait pas ses propres problèmes. »

« Harry souffre assez comme ça. » rétorqua Granger. « Si elle se remet avec Dean… »

« Elle aussi, elle souffre. » remarqua-t-il, un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.

Il pouvait admettre que lui et Potter avaient développé un rapport touchant à l'amitié mais Ginny, en revanche, était bel et bien son amie et il se sentait obligé de défendre ses intérêts à elle avant ceux du Survivant.

Les épaules de la jeune fille s'affaissèrent un peu et elle baissa la tête, ses boucles sauvages voilant un instant son visage. « Je sais. Je sais… Je suis injuste. C'est juste qu'Harry va si mal… »

« Sa souffrance à lui n'éclipse pas celle des autres. » commenta-t-il, toujours du même ton prudent. « Aucun de nous ne va bien, Hermione. »

Ils ne parlaient pas de Lucius ou de Blaise et Daphné. Draco refusait la conversation à chaque fois qu'elle tentait de la lancer. C'était une chose de l'évoquer lors des groupes de parole, une autre de le faire avec elle. Cela rendait les choses plus concrètes, plus…

Même cette allusion voilée le laissa le cœur battant et avec l'impression qu'il allait être malade.

Il détourna la tête.

« Je sais. » murmura-t-elle. « Ce n'est pas ce que je dis. »

Rationnellement, il était parfaitement conscient que ce n'était pas ce qu'elle sous-entendait. Elle tenait à Potter comme elle tenait à Weasley – comme lui avait tenu à Blaise et, d'une certaine manière, à Pansy. C'était au-delà de l'amitié. Certaines relations qui prenaient racines dans l'enfance dépassaient toutes les autres, à de rares exceptions près.

Il n'était pas jaloux, plus à présent, mais…

Les malheurs de Potter, parce qu'ils étaient énormes et plus sérieux que ceux du commun des mortels – évidemment que Potter ne pouvait rien faire comme tout le monde – prenaient énormément de place dans leurs vies. Parfois, Draco se demandait si elle ne se souciait pas autant de son meilleur ami pour mieux ignorer ses propres problèmes. Parce que c'était plus simple de se préoccuper de Potter que d'affronter ses propres démons.

Elle non plus n'avait pas parlé de la bataille ou de quoi que ce soit d'autre. Elle persistait à affirmer qu'elle allait bien, qu'elle était habituée que les quatre dernières années d'aventures avec Potter et Weasley l'avaient préparée à ce genre de choses… Il n'était pas particulièrement convaincu que cela soit vrai. Il était même certain qu'elle se voilait la face.

Elle effleura sa main avec hésitation. « Draco… »

Il entrelaça leurs doigts. « Je ne veux pas m'en mêler et je ne crois pas que tu devrais le faire non plus. Ginny aussi est ton amie. »

Elle hocha la tête en signe d'approbation puis haussa les épaules. « C'est juste que… Si Harry ne veut pas se battre pour elle… J'ai l'impression qu'il renonce, tu comprends ? »

Potter avait déjà renoncé mais, ça, ils semblaient tous incapable de le comprendre.

L'un dans l'autre, ce fut probablement une bonne chose que Luna hurle à ce moment-là. Cette conversation n'était jamais productive. Granger refusait d'entendre que Potter avait des raisons légitimes de vouloir abandonner et lui ne voulait pas tout à fait prétendre aller dans son sens, au cas très probable où ils devraient réellement affronter la réalité de la situation bientôt.

« Draco ! »

Il bondit du lit et se précipita hors de sa chambre, suivant le son de sa voix jusqu'à celle de sa mère. Luna tenait la main de Narcissa qui, couchée sur le côté, avait le visage crispé de douleur et sa main libre sur son abdomen. Elle avait déjà eu des contractions par le passé mais ça n'avait jamais eu l'air aussi…

Il le sentit dans ses tripes : cette fois, c'était différent.

Cette fois…

Draco paniqua immédiatement. « Oh, Merlin… Oh, Merlin… »

« Il faut prévenir Mrs Tonks. » ordonna Luna.

Granger venait d'arriver. Elle, contrairement à lui, avait pris le temps de rajuster ses vêtements. Elle jeta un seul coup d'œil par-dessus son épaule et repartit en direction de la cheminée.

Narcissa souffla lentement puis leva vers lui un regard courroucé. « J'espère fortement que tu n'étais pas seul dans ta chambre avec Hermione. Ne t'ai-je pas déjà rappelé plusieurs fois les règles de la bienséance ? »

« Est-ce vraiment important ? » lâcha-t-il, sonné. « Je crois que vous êtes en train d'accoucher, Mère. »

« Absolument pas. » rétorqua sa mère. « Tu es débraillé. Miss Granger, pourquoi mon fils est-il débraillé ? »

Sa petite-amie venait à peine de remettre un pied dans la pièce et elle se figea. « Euh… »

« Ce n'est pas vraiment important, pour l'instant. » décréta Luna, en tapotant la main de la Sang-Pure. « Tout va bien se passer. »

« Évidemment que tout va bien se passer parce que je ne suis pas en train d'accoucher. » décréta Lady Malfoy, du ton qui faisait trembler tout le gratin de la société magique.

Draco croisa le regard de Luna qui paraissait convaincue du contraire.

« Doit-on… Doit-on faire chauffer de l'eau et… Et des serviettes ? » demanda-t-il, en jetant un regard horrifié à sa mère. « Ce n'est pas moi qui réceptionnerais le bébé ! Granger… »

« Tu veux te calmer, oui ? » se moqua la lionne. « Ce n'est pas le Moyen-âge. Et ça peut prendre des heures, tu sais. »

« Je ne vais pas accoucher aujourd'hui. » persista Narcissa.

Aucun d'eux ne lui prêta attention.

« Comment suis-je censé savoir comment cela se passe ? » riposta-t-il. « Je n'ai jamais accouché personne, moi ! Kreattur ! »

L'elfe apparut dans un craquement à son hurlement paniqué, commença à s'incliner puis remarqua la douleur qui revenait sur le visage de Narcissa et agita ses oreilles de chauve-souris avec détresse. « Maîtresse Cissy va avoir le bébé. »

« Voulez-vous tous cesser, à la fin ! » s'énerva Narcissa. « Je ne vais pas… »

Mais sa phrase se termina dans un sifflement de douleur.

Était-ce son imagination ou les draps étaient-ils mouillés ?

« Granger… » murmura-t-il, complètement sonné. Il avait l'impression d'entendre des cloches mais les cloches ne sonnaient plus à Poudlard depuis la bataille… « Je ne me sens pas bien. »

« Tu es tout pâle. » s'inquiéta la jeune fille.

Sa tante Andromeda chargea dans la chambre sur ces paroles sages mais ne lui jeta pas un coup d'œil. Elle rejeta les draps, ignorant les protestations de sa mère…

Kreattur fit sortir tous les adolescents de la pièce, sans leur laisser le choix.

Pour être honnête, Draco n'était pas mécontent de cette excuse et fut le premier à s'évader. Il se laissa tomber dans un des fauteuils du salon et se courba en deux, dans l'espoir de juguler la nausée qui l'avait pris aux tripes.

Merlin mais il avait l'impression qu'on lui avait coupé les jambes…

Quelqu'un lui frottait gentiment le dos…

Granger, pensait-il.

« C'est trop tôt. » dit la jeune fille, à voix basse.

Pour Luna, sans doute.

En espérant qu'il n'entendrait pas.

Mais il avait entendu.

Et elle avait raison.

Sa mère était loin du terme.

Elle…

Oh Merlin.

Oh Merlin.

Si cela se passait mal…

S'il y avait des complications…

Père, supplia-t-il en pensées, Père, protégez-les.

°O°O°O°O°

Severus avait toujours trouvé que certaines journées dans l'enseignement pouvaient être très longues. Celles où il était forcé de tenir des heures de permanence dans son bureau, de superviser des retenues ou celles où il avait été désigné d'office pour les rondes tardives parce qu'il avait irrité ses collègues, par exemple. Pourtant, ce n'était rien en comparaison de ces journées interminables où il lui semblait être enfoui sous des parchemins et où, s'il devait être honnête, il n'avait pas l'impression de faire grand-chose tout en se tuant à la tâche toute la journée.

Albus n'appréciait pas davantage le poste de Ministre mais, parce qu'il s'occupait des corvées, Albus avait au moins le loisir de ne se concentrer que sur la guerre.

Plus tôt, lorsqu'il s'en était plaint à Minerva, elle lui avait ri au nez.

Il était tard mais pas trop tard, pour une fois, lorsqu'il poussa la porte de ses appartements, aspirant à une soirée tranquille. Il devrait travailler quelques heures sur la potion Éclat-de-Lune. Il avait promis à Horace de terminer les nouveaux calculs pour trouver un meilleur équilibre à la formule et espérer stabiliser la transformation pour qu'elle dure dans le temps. Toutefois, il comptait bien grappiller une heure ou deux de calme avant cela.

Il était en train de déboutonner ses lourdes robes pour les pendre à la patère de l'entrée lorsque Nymphadora sortit de la chambre, tirant soigneusement la porte derrière elle pour bien la fermer, ce qu'elle ne faisait pas toujours. Elle avait troqué son pantalon de pyjama contre un jean. Le tee-shirt était le même, désormais rentré à l'intérieur du pantalon, ce qui lui donnait meilleur aspect. Elle était également en train de lutter pour attacher son étui à baguette à l'avant-bras gauche, de sa main entravée.

Ses doigts n'étant pas d'une dextérité folle, ce jour-là, il n'offrit pas de l'aider.

« Tu sors ? » s'enquit-il, en cessant de lutter contre ses boutons. Il cacha mal la fatigue dans sa voix.

« J'ai rendez-vous à l'infirmerie. » lui rappela-t-elle. Il commença à reboutonner ses robes… Mais elle franchit la distance entre eux et posa sa main libre sur la sienne, son fourreau pendant lamentablement par une boucle trop lâche. « Tu n'es pas obligé de venir avec moi. Je suis une grande fille et c'est juste un contrôle de routine. »

Il voulait aller avec elle.

Il était censé aller avec elle.

Il…

Elle l'embrassa. Un baiser léger, furtif presque. Il eut à peine le temps de fermer les yeux que c'était terminé.

« Je préfère que tu te reposes. » insista-t-elle.

Il n'avait pas la force de protester, pas après la journée atrocement frustrante qu'il avait eue. Il avait toujours du mal à digérer les propos d'Aidan Abbot. Albus n'avait eu l'air ni très surpris, ni très contrarié mais Severus savait que, lui aussi, était agacé par les actions des Langues-de-Plomb.

Il finit de lutter contre ses boutons pendant qu'elle se battait avec les sangles de son fourreau. Il gagna la bataille le premier et, lorsqu'il se dirigea vers le salon, elle suivit, comme par réflexe.

« Salut, papa. » lança Harry, du canapé où il était allongé, sa couverture jetée sur ses jambes. Il lisait un roman mais tout dans la scène sonnait faux.

Severus se tendit légèrement. « Qu'as-tu fait ? »

Le garçon écarquilla les yeux, avant qu'un air un peu trop blessé ne s'installe sur son visage. « Je n'ai rien fait du tout. »

Il émit un bruit moqueur. « Tu as ton expression des grands jours. »

« Quelle expression ? » protesta son fils. « Je n'ai pas d'expression. »

« L'expression J'ai fait une bêtise grosse comme moi mais je pense encore pouvoir cacher des choses à mon père. » railla-t-il« Cette expression. »

Une expression qu'il avait appris à redouter.

Nymphadora était visiblement au fait de la bêtise en question parce que, si elle gardait la tête baissée pour se concentrer sur le fourreau, un sourire amusé jouait sur ses lèvres. Elle avait appuyé une hanche au dossier du canapé. Étant donné qu'elle ne paraissait pas plus alarmée que ça, il supposait que ce n'était pas le genre de décisions stupides où Harry avait risqué sa vie. Pour une fois.

« Je ne sais pas du tout de quoi tu parles. » se défendit Harry, avec un peu trop d'outrage pour que ce soit honnête. « Mais c'est insultant. » La jeune femme lâcha un bruit qui aurait pu, en d'autres circonstances, être considéré comme un avertissement. Ça devait en être un parce que le garçon sembla changer de plan d'attaque. « Tu as passé une bonne journée ? »

Harry ne demandait jamais s'il avait passé une bonne journée.

« Oh, Merlin… Qu'as-tu fait ? » soupira-t-il, en parcourant la pièce du regard à la recherche d'un indice. Son regard fut attiré par le tableau noir couvert de l'écriture à peine déchiffrable de Nymphadora poussé dans le coin du salon et s'y attarda, principalement parce que cela semblait être une frise chronologique de la création des horcruxes, mais il doutait que ça ait un rapport avec l'attitude du garçon.

Le salon n'était plus vraiment son salon. Entre l'aménagement de la jeune femme et Harry qui avait également placé quelques unes de ses affaires sur les étagères… Il lui fallut plusieurs secondes pour remarquer que des bibelots avaient été déplacés.

Il allait poser la question lorsqu'il perçut le mouvement sur sa table de travail du coin de l'œil. C'était presque indétectable parce que la chose était petite, suffisamment petite pour qu'il ne l'ait pas remarquée avant.

« Harry… » lâcha-t-il, en se pinçant l'arrête du nez. « Pourquoi y a-t-il un niffleur en train de voler mon Ordre de Merlin ? »

Le niffleur en question se figea, comme s'il savait pertinemment qu'on parlait de lui. Ses chances d'obtenir la médaille étaient inexistantes, la vitre du présentoir ne basculerait pas facilement et certainement pas sous la maigre force d'une chose qui tenait certainement dans le creux de sa paume.

Il reporta son attention sur son fils, sentant plus qu'il ne vit Nymphadora passer un bras autour de sa taille et se coller à son dos. Sans doute le baiser qu'elle pressa à l'arrière de son épaule était-il un avertissement. Sans doute avait-il été plus sec qu'il ne l'avait voulu.

Mais il était fatigué et la dernière chose qu'il voulait faire ce soir-là était de se disputer avec son fils. Or…

« Dora a dit que je pouvais le garder ! » lança le garçon, en se levant, luttant contre la couverture dans laquelle il s'était entortillé, le ton un peu paniqué.

« Dora… » répéta fermement la jeune femme, tout en lâchant Severus pour venir se tenir à côté de lui. « … a dit demande à ton père. »

« Oui mais s'il est d'accord, tu es d'accord. » insista Harry, comme si c'était un argument de poids.

Ça n'en était pas un.

Ce dont il dut bien se rendre compte parce qu'il tourna vers lui des yeux suppliants. « Écoute-moi, au moins. »

Severus, pour sa part, jeta un regard partiellement irrité à Nymphadora. N'avaient-ils pas eu une discussion – plus d'une, en vérité – sur le fait qu'elle ne pouvait pas être l'amie d'Harry ? N'avaient-ils pas établi que si elle emménageait, si elle s'impliquait, elle devrait parfois user d'autorité parce qu'il était injuste de le faire passer perpétuellement pour l'adulte rabat-joie ?

« Je n'ai pas dit oui. » déclara-t-elle, ayant correctement interprété son agacement. « J'ai juste dit que ça m'était égal et que tu trancherais. » Ce n'était pas mieux. Et son expression devait en dire long sur son opinion parce qu'elle soupira. « Je vais être en retard. »

Elle planta un baiser sur sa bouche et s'en alla, le laissant seul pour affronter le regard mi-suppliant mi-buté du garçon.

Fantastique.

L'espace d'une seconde, il lui vint à l'esprit qu'il aurait pu appeler Sirius pour l'épauler puis rejeta immédiatement cette idée. Sirius ne savait pas dire non.

« Harry… » commença-t-il fermement, une fois qu'il eut entendu la porte se refermer.

« Il a perdu une patte dans la bataille. » l'interrompit son fils, en allant récupérer la bestiole qui était retournée à sa tentative de cambriolage. Il approcha suffisamment près pour la lui montrer. « Ce n'est qu'un bébé, papa… Et il n'a plus de famille, son terrier a été détruit… Les autres niffleurs ne veulent pas de lui et… »

Severus détestait, détestait l'émotion dans la voix du garçon parce qu'il la savait sincère. Le désespoir, la colère rentrée, la compassion bien trop intime… Le parallèle entre la situation du niffleur et la sienne n'était pas compliqué à faire.

Intérieurement, il lâcha une traînée de jurons extrêmement vulgaires. La mauvaise influence de Sirius et de Nymphadora, sans doute.

« Harry… » répéta-t-il, en tâchant de ne pas trop regarder la petite boule de poils que le garçon lui montrait. Ce niffleur maîtrisait visiblement très bien la technique du regard de bébé niffleur battu. Toutefois, Severus n'était pas homme à s'émouvoir devant une créature considérée comme mignonne. Il était Maître des Potions. Nombre de créatures mignonnes étaient passées dans un chaudron – ou, du moins, certains de leurs membres ou organes.

« Il va se faire tuer dehors. » insista le garçon, en ramenant le niffleur contre son torse, dans un geste protecteur. « Il ne se nourrit même pas tout seul. Il faut lui donner le biberon. »

« Ce qui me semble être une énorme responsabilité. » rétorqua-t-il. La créature paraissait bien chétive. Que se passerait-il si elle mourrait ? Harry avait déjà beaucoup trop perdu et…

« Mais je peux le faire. » contra Harry. « Paillette sera en sécurité avec moi. »

« Paillette. » répéta-t-il, luttant brusquement contre une envie de rire qui serait sans doute très mal interprétée. « Laisse-moi deviner… Tu es allé rendre visite à Hagrid, aujourd'hui. »

« C'est moi qui lui ai trouvé son nom. » grommela son fils, en frottant affectueusement le menton contre le haut de la petite tête du niffleur. « Mais, oui, c'est Hagrid qui me l'a confié. Il est débordé et Paillette ne veut pas rester dans la cabane avec les autres… »

« Évidemment. » commenta-t-il, se promettant d'avoir des mots avec le garde-chasse. « C'est un animal sauvage, pas un animal de compagnie. »

« Mais il est trop fragile pour vivre dehors. » contra Harry. « Et Hagrid a dit qu'il ne causera pas de problèmes… Il est trop petit. Il suffit de mettre les choses brillantes hors de portée ou de les enfermer. »

« Il ne restera pas petit. » remarqua Severus. « Il va grandir et voler tout ce qui lui passera sous la patte… »

« Mais il ne grandira pas beaucoup. » riposta le garçon. « Et Hagrid a dit qu'on pouvait le domestiquer… Il faut juste le sortir tous les jours et le laisser jouer dehors… Je m'occuperai de lui, tu ne t'apercevras même pas qu'il est là. »

Severus ouvrit la bouche pour asséner son argument imparable : à savoir qu'un niffleur condamné à vivre à l'intérieur risquait d'être malheureux, parce que contrer la nature profonde d'un animal n'était jamais sage, mais il la referma sans avoir rien dit.

Quelle était l'espérance de vie d'un niffleur ? Même d'un niffleur aussi mal en point que celui-ci ? Une dizaine d'années ? Plus peut-être…

« Nous avons déjà un chat, une chouette et un chien à temps partiel. » rétorqua-t-il, plus calmement.

La plaisanterie sur son parrain fit sourire un peu le garçon qui ne se départit pas pour autant de son air inquiet.

« S'il te plaît, papa… » supplia franchement son fils. « Je ne t'ai jamais rien demandé avant, si ? Et je ne demanderai plus jamais rien d'autre. Et c'est mon anniversaire bientôt ! » Les yeux verts se plantèrent dans les siens, tout aussi maîtres du regard de niffleur battu que la boule qu'il avait entre les mains. « Je ne veux pas le rendre à Hagrid… Il va se sauver et se faire manger par un prédateur. »

Il doutait fortement qu'Harry ne lui demande plus jamais rien d'autre à l'avenir.

En soit, cependant, c'était déjà un gros progrès qu'il lui demande quoi que ce soit. À cause des Dursley, le garçon ne demandait jamais rien, déjà trop reconnaissant de miettes que Severus remarquait à peine. C'était effectivement la première fois que son fils osait exiger quelque chose de frivole. Il aurait préféré que cela implique un nouveau balai de course davantage qu'un animal mais… Refuser le mettait dans une position délicate qui n'encourageait pas l'adolescent à renouveler l'expérience.

« Si je dis oui, que les choses soient claires, tu en es responsable. » décréta-t-il. « Tout ce qu'il casse, égare ou vole, ce sera à toi de le remplacer. Tu nettoieras après lui, tu le sortiras autant de fois que nécessaire et tous ses soins sont à ta charge. Tu as mentionné un biberon ? »

« Ça veut dire que tu es d'accord ? » pressa le garçon. « On peut le garder ? »

C'était une idée désastreuse.

« S'il t'arrivait quelque chose, je le remettrais dehors. » avertit-il. « Sa survie dépend donc de la tienne. Nous comprenons-nous ? »

La joie de l'adolescent parut flancher une seconde puis il se reprit et se jeta sur lui pour l'étreindre. Severus referma ses bras sur lui, pas assez naïf pour croire que son avertissement serait suffisant pour lui faire changer d'avis sur ses chances de s'en sortir. Mais peut-être… Peut-être qu'être responsable d'un être autrement sans défense serait la motivation nécessaire pour le forcer à se battre un peu plus.

« Il est très gentil. » annonça Harry, en lui fourrant le niffleur entre les mains, bien que Severus n'ait rien demandé. « Et Masque n'a même pas essayé de l'attaquer. J'irais le présenter à Hedwige demain… »

Il n'aurait plus manqué que ça. Que leurs multiples animaux de compagnie essayent de se dévorer l'un l'autre.

Paillette – un nom que Severus refusait d'utiliser à voix haute autre que sarcastiquement – ne paraissait pas en mener large entre ses mains. Pire, il semblait faire le mort.

« Es-tu un niffleur ou un opossum ? » murmura-t-il, en appuyant délicatement sur son flanc. La créature ouvrit un œil qu'il referma aussi vite.

« Il est malin, hein ? » demanda son fils, fier comme un paon.

« Très. » répondit-il, caustique. « Suffisamment, en tout cas, pour passer du camping rustique chez Hagrid au confort quatre étoiles chez nous. »

Il profita d'avoir le niffleur entre les mains pour l'examiner. Il n'était pas Médicomage, encore moins Magizoologiste, mais il s'y connaissait en créatures magiques et cela n'aurait pas été la première fois qu'il aidait Hagrid à rafistoler une bestiole.

Le niffleur ne devait pas avoir beaucoup plus d'un mois ou deux. C'était un miracle qu'il ait survécu à la bataille si son terrier avait été détruit et c'était encore plus impressionnant qu'il n'ait pas péri juste après. Il fallait reconnaître à Hagrid de savoir s'occuper des animaux. Mais, supposait-il, la créature était également une battante et c'était sans doute ce qui attirait Harry qui s'était reconnu en lui.

La patte sectionnée avait guéri aussi proprement que possible. Il n'y aurait probablement pas de complications de ce côté-là. La poche ventrale était légèrement déchirée sur la gauche. C'était dur à dire parce qu'il était tout petit mais bien que ce soit cicatrisé, Severus devina qu'ils n'auraient pas vraiment de problèmes de vols en grandissant. Il ne pourrait pas y stocker grand-chose.

Sa taille était également en dessous de la norme, du moins le pensait-il.

« Je vais te donner une potion nutritive. » décréta-t-il. « Une goutte dans le biberon matin et soir devrait l'aider à reprendre des forces. »

Harry lui souriait, heureux comme il ne l'avait pas vu depuis des semaines, et le cœur de Severus se serra.

Lorsque le garçon s'éclipsa brièvement pour aller chercher le baluchon que lui avait confié Hagrid, afin de lui détailler ce qu'il était censé faire, Severus leva Paillette devant son visage et planta son regard dans les petites billes noires qui lui servaient d'yeux.

« Toi, tu n'as pas intérêt à lui briser le cœur. » décréta-t-il. « Et si tu peux le convaincre de rester en vie, je te donnerais peut-être mon Ordre de Merlin pour ta collection. »

Le niffleur cilla.

Severus choisit de l'interpréter comme un assentiment.

°O°O°O°O°

La douleur lancinante allait et venait à intervalles trop réguliers.

Narcissa se souvenait de ces sensations. Elle les avait oubliées dans l'euphorie de la naissance de Draco mais la mémoire venait de lui revenir comme un boomerang. C'était bien plus fort que les contractions qui l'avaient clouée au lit ces dernières semaines.

Bien plus terrifiant également.

Trop rapide.

Pas normal.

Andromeda allait et venait autour du lit, lançant sort sur sort. Kreattur se tenait dans un coin, tirant nerveusement sur ses oreilles mais se dépêchant d'obéir aux ordres de sa sœur dès qu'elle en donnait un.

Narcissa avait l'impression d'être entièrement détachée de la scène, comme si elle était séparée d'eux par un mur invisible. La panique la gagnait malgré ses tentatives les plus désespérées pour l'occluder. Elle avait envie de hurler et de pleurer et de…

« Cissy. »

Elle sursauta, agrippant par réflexe la main que sa sœur avait posée sur la sienne.

« Ce ne sont que des contractions passagères. » s'entendit-elle dire, d'une voix blanche. « Ce n'est pas... »

« Cissy. » la coupa Andromeda, en serrant ses doigts. « Ce ne sont pas que des contractions et aucun sort ne va plus arrêter le processus à ce stade. »

Narcissa secoua la tête. « Non, non, non… C'est trop tôt. C'est… »

« Écoute-moi. » l'interrompit à nouveau sa sœur, d'un ton calme qui l'horripila immédiatement et la rassura tout à la fois. « Les signes vitaux du bébé sont bons, ses poumons sont formés. Oui, c'est tôt, mais il y a des sorts qui l'aideront à finir de grandir et le protégeront le temps qu'il faudra. Nous avons discuté de tout ça. C'est plus risqué qu'un accouchement à terme mais ce n'est pas non plus catastrophique. »

En avaient-elles discuté ? Oui, sans doute. Mais Narcissa ne pouvait plus réfléchir de manière cohérente. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle avait eu trop de fausses couches. Tout ce qu'elle savait c'est que si elle perdait cet enfant…

« S'il te plaît… S'il te plaît… » supplia-t-elle Andy. « C'est trop tôt. Tu dois… Tu dois faire quelque chose… Tu dois… »

« Je vais faire quelque chose, Cissy. » répondit Andromeda, en lui caressant les cheveux. « Je vais t'aider à mettre ce bébé au monde et tout se passera bien. On va juste accélérer un peu les choses, d'accord ? Parce que je n'aime pas tes constantes et je ne veux pas que ça s'éternise. Mais même comme ça, il y en a pour un petit moment. Ce n'est pas une course, tu te souviens ? »

Elle n'était sans doute pas censée entendre sa sœur marmonner qu'elle espérait que ce ne serait pas une course.

La tête lui tournait.

Était-ce normal ?

Elle ne s'en souvenait pas.

Elle…

« Qui est-ce que tu veux avec toi ? » demanda Andy, de ce même ton calme et doux. « Je ne peux pas t'accoucher et te tenir la main. »

« Lucius. » répondit-elle, sans hésitation. « Je veux… »

Mais Lucius ne viendrait pas, se souvint-elle brusquement.

Lucius ne viendrait pas parce que…

D'un coup, ce fut comme si le barrage qu'elle avait érigé en elle céda sous l'avalanche d'émotions bien trop fortes pour être réprimées plus longtemps. À ce moment, tout devint très concret.

Lucius ne serait pas là pour lui tenir la main, lui éponger le front ou hocher la tête d'un air contrit lorsqu'elle lui promettrait qu'elle ne le laisserait plus jamais le toucher. Parce qu'il était mort.

Mort.

Elle se mit à pleurer.

Elle se mit à pleurer comme elle n'avait jamais pleuré de sa vie.

« Cissy. » la gronda Andy gentiment. « Cissy, ce n'est vraiment pas le moment. »

« Je suis fatiguée. » lâcha-t-elle, entre deux sanglots. « Je suis… »

Au lieu de la rabrouer et de lui dire qu'elles n'avaient même pas commencé, Andromeda jeta un énième sort de diagnostic. Il était évident qu'elle n'apprécia pas le résultat.

Sa sœur lui caressa les cheveux. « Ça va aller, Narcissa. Je te jure que ça va aller. »

Narcissa fit un effort pour se reprendre mais le chagrin était si énorme, la panique était si grande…

« Sirius. » lâcha-t-elle. « Je veux Sirius. »

C'était le plan, se dit-elle. Sirius avait promis d'être là pour elle. Il avait promis.

« Et Molly. » rajouta-t-elle, après coup. « Juste au cas où Sirius… Molly a dit qu'elle viendrait. »

Kreattur disparut dans un craquement et revint dans la seconde avec un Sirius à l'air hébété qui la fixa quelques instants avec effroi avant de sembler se reprendre. Il demanda à Andy ce qu'il pouvait faire. Sur ses instructions, il attrapa sa main et offrit des encouragements maladroits.

Ce n'était pas comme ça que c'était censé se passer, songea Narcissa.

Lucius…

Lucius

°O°O°O°O°

Nymphadora était sur le point de quitter l'infirmerie en sifflotant, heureuse d'être débarrassée de l'attelle qui avait maintenu son bras en place. Son épaule la gênait encore un peu mais retrouver sa liberté de mouvements et s'entendre confirmer qu'elle ne garderait pas de séquelles était un soulagement.

« Miss Tonks. » la héla Pomfresh, de son bureau.

La jeune Auror fit demi-tour pour aller se planter sur le seuil, les mains levées. « J'ai vu un Médicomage et je ne suis plus obligée de porter ce truc. »

Le ton défensif fit lever un sourcil amusé à la sorcière. « Voulez-vous des points pour Poufsouffle pour vous être servie de votre sens commun ? »

Nymphadora lui fit un grand sourire. « Parfois, je me dis que c'est auprès de vous que Severus a appris le sarcasme. »

« Croyez-moi, il n'avait pas besoin de moi. » répondit Pomfresh, légèrement amusée. « Mr Weasley a demandé à vous voir si jamais vous passiez par là. »

« Lequel ? » demanda-t-elle. Ce n'était jamais une question idiote, surtout de leurs jours où il y avait pas moins de quatre Mr Weasley, en comptant les jumeaux. Il y en aurait eu cinq si Percy…

Elle faisait de son mieux pour ne pas penser à Percy.

Sinon, le souvenir d'un petit garçon en culottes courtes courant après elle et Charlie au Terrier et les suppliant de l'emmener avec eux pour jouer la hantait.

« Charlie. » offrit l'infirmière, son expression s'adoucissant. « Le pire est passé, dirait-on. Il semble davantage lui-même. »

Le cœur battant, heureuse d'entendre ça, elle remercia l'infirmière et se dirigea vers la chambre de Charlie à grandes enjambées. Ce fut Bill qui répondit aux coups frappés à la porte et elle eut droit à une brève étreinte avant qu'il ne lui glisse revenir dans une vingtaine de minutes. Si Bill était suffisamment de bonne humeur pour l'étreindre, Charlie devait aller beaucoup mieux…

De fait, son meilleur ami avait troqué les pyjamas à rayures pour un jean et un tee-shirt et il était assis dans un fauteuil qui n'avait pas été là auparavant, au lieu de recroquevillé dans son lit… Elle ne réfléchit même pas avant de se précipiter sur lui, sautilla presque comme une gamine, et aurait pu pleurer de joie lorsqu'il se leva pour la réceptionner dans ses bras. Elle le percuta avec tant de force qu'ils manquèrent basculer en arrière dans le fauteuil mais il parvint à les rétablir, riant un peu à sa bêtise.

« Contente de me voir, ma nymphe ? » plaisanta-t-il.

« Habillé, douché et rasé ? » rétorqua-t-elle, en reculant juste assez pour passer une main sur sa mâchoire. « C'est presque un miracle. »

« Ha. Ha. » ironisa-t-il, mais un sourire hésitant jouait sur ses lèvres et ses yeux étaient inquiets. « On m'a dit que tu étais blessée… »

« Rien de grave. » promit-elle, en le laissant se rasseoir dans le fauteuil pour mieux aller se percher sur le bout du lit. Elle fit jouer son épaule. Il y avait un léger pincement mais le Médicomage avait promis que ça disparaitrait dans les jours qui suivraient, pour peu qu'elle n'aille pas se blesser à nouveau. « Mauvaise rencontre avec ma chère Tante Bella. »

L'inquiétude ne disparut pas des yeux de Charlie. « On m'a aussi raconté que Remus t'avait agressée. »

Elle poussa un bruit agacé et se laissa tomber en arrière sur le matelas, détaillant les pierres qui composaient le plafond. Ce n'était pas la vue la plus excitante du monde.

« Je n'en peux plus d'entendre parler de Remus. » cracha-t-elle. « Ma vie ne se résume pas à Remus. Putain, Remus est sorti de ma vie, il y a bien longtemps, et c'est tout ce dont on me parle en permanence. Remus par-ci, Remus par-là… »

« Ron m'a raconté la version d'Harry. » insista-t-il.

Elle soupira mais ne se redressa pas. « Charlie, je veux passer à autre chose. Je peux gérer Remus. »

« Tu ne devrais pas avoir à le gérer. » gronda-t-il.

« Oui, c'est ce qu'a dit Severus avant de lui planter une lame dans le pied et de lui promettre de le tuer s'il recommençait. » ironisa-t-elle. « Je ne sais pas si ça été plus ou moins efficace que ma mère menaçant de le castrer ou que Sirius jurant qu'il ferait pleuvoir la colère des Black sur lui s'il essayait de m'approcher à nouveau. » Elle leva la tête juste assez pour lever un sourcil. « Toi aussi, tu veux aller lui expliquer les dangers de s'en prendre à moi ? »

« Je sais où trouver des dragons et un accident est très vite arrivé. » déclara Charlie, mais il perdit vite de son amusement. Probablement parce qu'il était encore trop tôt pour plaisanter sur le fait de tuer des gens. Il se racla la gorge. « Sérieusement… Tu vas bien ? »

Elle se rassit, repliant ses jambes en tailleur. « Est-ce que quelqu'un va vraiment bien, en ce moment ? » Son meilleur ami lui jeta un regard et elle leva les yeux au ciel. « Mis à part la guerre et ce qui va avec… Oui, je vais bien. J'ai Severus et j'ai Harry. Mes parents sont en sécurité. J'ai des projets d'avenir. Si j'étais certaine que tu vas bien, je m'estimerais parfaitement heureuse. »

« J'en parlais avec Bill… » hésita-t-il. « J'aimerais sortir d'ici. »

« C'est une excellente idée. » déclara-t-elle immédiatement. « Cette chambre est déprimante. »

« Bill n'est pas contre le fait que je rentre à la maison. » acquiesça-t-il. « Si ta mère dit que c'est bon. » Il s'humecta les lèvres. « Enfin, la maison… » Il haussa les épaules. « Ce ne sera pas le Terrier, je sais, mais… J'ai parlé avec Ron, ce matin, et les autres aussi, ces derniers jours… Tu avais raison. J'étais… Je ne me rendais pas compte. Ils ne vont pas bien non plus, aucun d'eux. Et j'en rajoute alors que… »

« Charlie. » le coupa-t-elle, alarmée. « Personne ne te blâme de ne pas aller bien. Tu n'es pas obligé d'aller mieux juste pour leur faire plaisir. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Et ils ne voudraient pas que tu fasses semblant pour… »

« Non, non… » la tranquillisa-t-il, en levant la main. « Je… Je veux sortir. J'ai besoin de sortir. Aller de l'avant. Faire autre chose. » Il émit un bruit amer. « Encore que je ne sais pas quoi. Je ne peux pas m'éloigner ou… »

« On peut le déplacer. » promit-elle. « Si tu quittes l'infirmerie, on peut le déplacer dans les geôles. Je préférerais, à vrai dire. Ce serait plus sûr. Ça te donnerait l'accès au parc, non ? Tu pourrais aider Hagrid ou patrouiller… »

« Peut-être… » hésita-t-il. « Il était dans le hall quand j'étais dans la Tour d'Astronomie. C'était douloureux, on a tiré sur ce que le sort autorise… Mais ça ne nous a pas tués, non plus… J'aimerais assez tester ça. Pousser un peu. »

« Je ne veux pas que tu te mettes en danger. » le supplia-t-elle. « C'est… »

« J'en parlerai avec Bill. » décida-t-il, avant de forcer un sourire qui ressemblait plus à une grimace. « Je ne ferai rien d'inconsidéré, je te jure. »

Apaisée par cette promesse, elle se détendit un peu.

Uniquement pour se figer lorsqu'il reprit la parole.

« J'aimerais le voir. »

Les mots planèrent entre eux, un moment.

Leurs regards s'accrochèrent, ne se lâchèrent plus…

Elle le connaissait mieux que quiconque.

Mais ça…

« Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. » répondit-elle.

« J'ai besoin de le voir. » reformula-t-il. « J'ai besoin de… J'ai besoin de ça pour tourner la page. Pour… Pour avancer. Je veux comprendre… Je… »

Elle se pencha un peu en avant, appuyant ses coudes sur ses genoux. « Charlie… Il n'est plus… Il ne se ressemble plus. La dernière fois que je lui ai parlé, il était à peine cohérent. Il est prisonnier de son délire. »

« J'en ai besoin. » insista-t-il.

Elle n'était pas convaincue que ce soit une bonne idée et elle savait pertinemment ce qu'en dirait Severus, Kingsley ou Dumbledore. Techniquement, elle n'avait besoin de l'autorisation d'aucun d'entre eux mais…

« Laisse-moi y réfléchir. » soupira-t-elle. « Et… Je veux l'avis de maman, d'accord ? »

Charlie hocha la tête. « D'accord. »

Elle changea de sujet, prenant un ton un peu trop enjoué pour lui raconter qu'Harry avait ramené un niffleur à la maison… Elle était persuadée qu'il feignait de s'intéresser à ses histoires un peu trop domestiques mais il fit un effort pour lui faire la conversation, fit un effort pour plaisanter, fit un effort pour rester présent

Elle était tellement optimiste lorsque Bill revint la relayer et demanda à lui parler quelques secondes à l'extérieur de la pièce, qu'elle l'enlaça brièvement à son tour. L'aîné des Weasley laissa échapper un petit rire.

« Il va mieux, n'est-ce pas ? Toi aussi, tu trouves ? » s'enquit Bill, en la lâchant. « Et ce n'est pas… Il ne fait pas semblant pour… Il va vraiment mieux ? »

Elle hocha la tête, souriant à s'en faire mal. « Je crois que oui. »

Le Briseur de Sorts poussa un long soupir soulagé, puis lui jeta un coup d'œil un peu coupable. « Je sais qu'on doit rester prudent… Qu'il ne faut pas s'emballer et rester attentif, mais… »

« Mais c'est positif, Bill. » termina-t-elle. « On a le droit d'être content qu'il aille mieux même si on garde un œil sur lui. Il faut profiter des bonnes nouvelles. »

Et c'était une bonne nouvelle.

Elle s'attarda un peu plus longtemps, discutant de tout et de rien avec les deux frères, ravivant des souvenirs heureux d'étés au Terrier, tout en évitant au maximum d'évoquer Arthur ou Percy…

Elle était de si bonne humeur que ses cheveux étaient d'un rose bonbon lorsqu'elle revint dans leurs appartements. La porte de la chambre d'Harry était restée ouverte et elle s'arrêta juste assez longtemps pour lui faire un clin d'œil. Assis sur son lit, le garçon était très occupé à nourrir son nouveau protégé au biberon. Il lui rendit un sourire heureux.

Elle trouva Severus à sa table de travail, dans le salon, en train de plancher sur des calculs qui avaient l'air pénibles. Elle approcha jusqu'à pouvoir s'appuyer contre le bureau, peu surprise lorsqu'il passa une main derrière sa jambe, la laissant au dos de sa cuisse, sans même lever la tête. Ça la fit sourire davantage encore.

« Je vois que la bestiole est restée… » remarqua-t-elle, prenant soin de garder la voix basse parce que les appartements étaient silencieux et les portes ouvertes. Les bruits portaient.

Severus soupira, posa son stylo et leva les yeux vers elle. À l'arrière de sa cuisse, son pouce traçait des sillons paresseux. Lui aussi parla doucement, pour ne pas que le garçon entende.

« Si ça pouvait lui donner envie de se battre et de vivre plus longtemps, je transformerais ces appartements en zoo. » admit-il.

« Et c'est pour ça que je n'ai pas dit non. » murmura-t-elle, en glissant les doigts dans ses cheveux noirs pour dégager son visage. Il pencha un peu la tête en arrière, s'abandonnant à ses caresses. « Il semblait tellement heureux… Je ne l'avais pas vu sourire comme ça depuis avant la bataille. » Il émit un bruit mi-dubitatif, mi-fatigué mais ses yeux noirs l'observaient avec un peu trop de sagacité et elle soupira. « Très bien, d'accord… Je ne voulais pas dire non, non plus. Mais, c'est compliqué, aussi… Il faut que je trouve ma place, là-dedans. »

Après tout, elle n'était pas vraiment sa mère et elle n'était pas tout à fait certaine d'où commençait et s'arrêtait le rôle de belle-mère. Elle ne voulait pas outrepasser l'autorité de Severus ou prendre des décisions importantes sans le consulter.

Il allait falloir un peu de temps pour trouver un équilibre.

« Ton épaule ? » demanda-t-il, changeant le sujet.

« Guérie ou presque. » déclara-t-elle. « Je peux retourner travailler demain mais pas de terrain avant au moins quatre jours de plus et je dois voir un Médicomage avant. » Elle grimaça. « Pour être franche, c'est probablement pour le mieux. J'ai encore un tout petit peu mal. »

« Ce qui veut dire que je vais devoir continuer à appliquer ce baume, tous les soirs… » remarqua-t-il, presque distraitement.

Vu la manière dont sa main avait lentement dérivé vers le haut, ce n'était probablement pas si distrait que ça.

« Oh, non… Quelle horreur… » se moqua-t-elle. « Je sais que ça t'ennuie terriblement… »

« Caresser toute cette peau nue est un vrai calvaire. » confirma-t-il, en hochant lentement la tête.

« Tant d'abnégation. » remarqua-t-elle.

Il recula un peu sa chaise, pressa légèrement l'arrière de sa jambe…

« J'espère que tu apprécies mon sacrifice. » riposta-t-il, ses lèvres tressautant légèrement parce qu'il luttait contre un sourire.

Elle ne jeta qu'un regard en arrière pour vérifier qu'ils étaient toujours seuls, avant de s'asseoir sur lui et de passer les bras autour de son cou, incapable de réfréner son propre sourire.

« Je suppose que ce sacrifice mérite une récompense. » murmura-t-elle à son oreille.

« Si tu insistes… » répondit-il, avec amusement. Mais il ne chercha pas à commencer quoi que ce soit, probablement trop conscient que les portes étaient ouvertes et son fils dans la pièce à côté. Toute récompense devrait attendre un peu. Il ne la chassa pas de ses genoux, cependant, même si son ton se fit un peu plus sérieux. « As-tu trouvé quelque chose sur le Seigneur des Ténèbres ? J'ai jeté un œil à ton tableau mais j'admets ne rien avoir vu de neuf. »

« J'ai une théorie qui nous permettrait peut-être de localiser les horcruxes, oui. » confirma-t-elle. « Mais je veux vérifier deux ou trois détails avant d'en parler… On devrait tous se voir pour en discuter. Demain soir, peut-être ? »

« Je préviendrai les autres. » acquiesça-t-il. « J'aimerais assez que nous reparlions du rituel, de toute manière. »

Ça, c'était son domaine. Elle était raisonnablement certaine de pouvoir les retrouver mais les détruire, c'était une autre paire de manches.

Elle allait se pencher pour l'embrasser, et peut-être tenter de le convaincre d'aller se coucher tôt, lorsque son estomac se mit à grogner d'une manière qui était tout sauf sexy.

Ça lui arracha un ricanement amusé.

« Il y a une assiette de ragoût sous sort de stase, dans la cuisine. » offrit-il. « Elle doit toujours être chaude. Nous ne t'avons pas attendue pour dîner, je regrette. Harry avait faim et tu ne revenais pas… »

Elle grimaça, jetant un coup d'œil à la pendule. « J'ai mis du temps, désolée. »

« Ce n'est pas un problème. » Il balaya ses excuses d'un geste négligeant. « Je pensais que tu avais été réquisitionnée, pour être franc. Je ne t'attendais pas avant un moment. »

« Je me suis arrêtée voir Charlie. » expliqua-t-elle, en fronçant les sourcils. « Réquisitionnée ? Réquisitionnée pour quoi ? » Elle se tendit. « Tu as eu un message de Kingsley ? Ils ont besoin de moi au… »

« Non. Sur ce front là, tout est tranquille. » l'interrompit-il. « Ton père te cherchait, en revanche. Il semble que Narcissa soit sur le point d'accoucher. »

« Oh… » lâcha-t-elle. « Mais c'est trop tôt, non ? »

« Ce n'est certainement pas idéal. » dit-il, dans un haussement d'épaules. « J'ai cru comprendre qu'elle était toujours dans les appartements de Sirius. »

« Je devrais y aller. » décida-t-elle, après quelques secondes. « Draco… Je devrais y aller. »

Severus lui vola un baiser. « Comme je te le disais, je ne t'attendais pas de si tôt. »

Elle l'embrassa à son tour et se leva un peu à regret, promettant d'avaler quelque chose lorsqu'il insista pour qu'elle pense à se nourrir.

Une traversée de cheminée plus tard, elle débarqua dans le salon de Sirius, où régnait un silence de plomb. Son père était assis dans un fauteuil, sa pipe éteinte à la bouche. Hermione était accroupie à côté d'un autre fauteuil sur lequel Draco semblait au bord du désespoir. Il était penché en avant et avait pris sa tête dans ses mains… Luna, elle, était assise sur le canapé, complètement sereine, concentrée sur son tricot…

Elle lança un regard inquisiteur à son père qui y répondit d'une grimace discrète.

Ce n'était donc pas extrêmement bon.

Elle avança droit sur son cousin et se percha sur l'accoudoir, secouant gentiment son épaule.

« Allons, Draco, ça pourrait être pire… » plaisanta-t-elle. « Tu pourrais être dans la pièce à côté. »

Draco ne sembla pas goûter à la blague.

« C'est trop tôt. » paniqua-t-il, d'une voix blanche. « Et si elle meurt ? Et si ils meurent tous les deux ? Et si… »

« Draco, ça n'aide pas de penser comme ça. » le gronda gentiment Hermione, en lui frottant la jambe.

« Elle a raison. » offrit Ted. « Je suis certain que tout va bien se passer. Je suis peut-être un peu biaisé mais Andy est la meilleure Médicomage du pays. »

« Un peu ? » releva Nymphadora, avec un sourire. Mais elle reporta rapidement son attention sur son cousin. « Personne ne va mourir. Tout va très bien se passer. »

L'adolescent fit un effort visible pour se redresser, pour la regarder en face, et le désespoir sur son visage, la terreur dans son regard…

« Je n'ai plus personne… » murmura-t-il. « Si elle meurt… Je… »

« Elle ne va pas mourir. » le coupa-t-elle. « Tatie Cissy est bien trop têtue pour ça. » Le surnom que Narcissa n'apprécierait certainement pas arracha un bruit un peu amusé à son cousin mais c'était faible et pas très convaincu. « Draco, regarde-moi. »

Il fallut un moment avant qu'il ne croise son regard. Il était toujours tellement maître de lui-même, tellement adulte, surtout dernièrement qu'elle fut presque choquée de ce qu'elle lut dans ses yeux. À cet instant, Draco faisait son âge. Pas tout à fait un enfant mais pas tout à fait un adulte non plus. Hésitant, effrayé et ayant déjà beaucoup trop perdu en trop peu de temps.

Elle posa sa main sur son épaule et serra fort.

« Tout va bien se passer. » répéta-t-elle. « Et si ça ne se passe pas bien, tu sais que tu ne seras jamais seul. Je suis là, moi. Il y a mes parents. Il y a Sirius. En aucun cas, tu ne seras seul. Compris ? »

Lentement, Draco hocha la tête.

« Mais on n'a pas besoin de parler de ça, parce que ça va très bien se passer. » insista-t-elle. « Avant d'avoir pu dire ouf, on aura un nouveau Malfoy de plus. »

Elle soutint son regard jusqu'à ce que sa respiration se fasse moins hachée, un peu plus régulière. Une fois certaine qu'il avait maîtrisé sa panique, elle laissa la place à Hermione qui se blottit contre lui dans le fauteuil. Il la serrait fort, peut-être un peu trop, mais, au moins, il n'avait plus l'air au bord du malaise.

Nymphadora s'installa sur le canapé à côté de Luna dont les aiguilles cliquetaient dans un bruit régulier, presque berçant…

Elle échangea un nouveau regard avec son père qui, malgré son attitude tranquille, cachait mal une certaine nervosité pour qui le connaissait.

Ravalant un soupir, elle se prépara à une longue attente.

Et espéra que la nuit n'apporterait pas un désastre de plus.

°O°O°O°O°

Sirius avait l'impression de vivre une expérience hors du corps.

Le temps s'étirait comme un élastique. Il était là, son corps était là, il bougeait, agissait, obéissait aux ordres d'Andy et de Molly, mais son esprit flottait loin, loin au-dessus de la scène. Il avait vaguement souvenir que la Médicomage avait menacé de le tuer s'il s'avisait de s'évanouir ou de vomir.

Pendant des heures, il lui avait semblé que rien ne se passait vraiment. Il avait tenu la main de Narcissa, épongé son front, avait tenté maladroitement de la réconforter alors qu'elle réclamait Lucius, prisonnière d'un semi-délire…

Et puis, d'un coup, tout s'était accéléré.

Il avait obéi à Andy lorsqu'elle lui avait dit de grimper sur le lit derrière sa cousine et, à présent, elle était calée entre ses jambes pour qu'il puisse la soutenir, ses doigts entrelacés aux siens qui serraient de moins en moins fort… Il voyait nettement plus de Cissy qu'il n'avait jamais voulu en voir et il en cauchemarderait probablement pendant des années. Il y avait un gros potentiel traumatique là-dessous et il ne savait pas comment il allait faire face à Nyssa après ça.

Mais, surtout, il y avait tellement de sang.

Ce n'était certainement pas normal qu'il y ait autant de sang.

Andromeda paraissait plus inquiète du manque de réaction de Narcissa que du sang.

Mais le sang.

Du sang partout.

Tellement, tellement de sang…

Les oreilles de Sirius sifflaient.

Il n'était pas sensible à la vue du sang.

Il n'était pas…

Mais il y avait tellement de sang.

Et un bout de crâne qui pointait et, vraiment, ça ne semblait pas fait pour ça et…

« Lucius… » souffla Cissy.

Sa tête roula sur son épaule sans prévenir et Sirius sembla revenir tout d'un coup dans son corps alors que celui de sa cousine se faisait tout mou.

« Hé ! » s'inquiéta-t-il. « Hé, hé ! Cissy ! »

« Narcissa ? » appela soudain Molly, en lui tapotant la joue. « Narcissa ? »

Andy jurait. Une litanie de jurons qui aurait fait pâlir sa mère d'horreur.

Sirius serra les mains de Narcissa à s'en faire mal, terrifié à la perspective de la perdre.

Pas juste après l'avoir retrouvée.

Il ne pouvait pas.

Il ne pouvait pas.

« Cissy. » supplia-t-il, en appuyant sa tête contre la sienne. Il était coincé sous elle, il ne pouvait rien faire d'autre que la maintenir dans sa position. « Cissy ! »

Mais Narcissa ne réagit pas.

Pas même sous l'effet de l'enervate que lui jeta Molly.

Le flot de sang, lui, continuait.

Sirius aurait voulu hurler.

Il ne put rien faire d'autre que rester là, à regarder le désastre se jouer devant lui.