2. L'infiltration
12 janvier 1999 (Rafael)
Albus Ogden est assez sympa ou curieux pour m'accompagner par l'entrée officielle du Ministère, attendre qu'on m'ait donné mon sauf-conduit permanent et me conduire jusqu'à la Division de Londres du Bureau des Aurors britanniques.
Une secrétaire souriante enregistre mon arrivée et m'indique que je vais trouver l'Auror Tonks-Lupin dans la salle commune.
"Ma future mentore ?", je vérifie formellement.
"Tu la reconnaîtras facilement, Aspirant", confirme à sa façon la petite femme dynamique derrière son comptoir. "Elle sera la seule personne avec des mèches roses".
Je ne sais pas pourquoi j'ai manqué de relier les informations entre elles hier. L'alcool sans doute. Je réalise brutalement, là, devant la gentille secrétaire, que j'ai déjà rencontré l'Auror Tonks-Lupin. Elle m'a proprement explosé la gueule à l'Académie lors d'un entraînement. Allant jusqu'à me dire que je devrais travailler sur ma tenue de baguette. Heureusement loin des oreilles de cette pimbêche de Dikkie Forrest.
Quand on arrive dans une sorte de salle de repos où il y a du thé et du café, Albus Ogden me glisse inutilement à l'oreille que la personne dont mon destin professionnel va dépendre est devant moi en train de rigoler avec un grand type blond : "Tonks-Lupin est de dos. L'autre, c'est Carley Paulsen - un grand copain à elle et le mari de ma mentore."
Ledit Paulsen nous remarque et il fait un signe de tête entendu à Tonks-Lupin qui se retourne. Elle a bien des mèches roses. Ses yeux sont gris et son visage est en forme de cœur. C'est bien la personne qui est venue s'entraîner et a mis par terre tous ceux qui se sont opposés à elle. Je ne sais pas si elle me reconnaît, Merlin a peut-être pitié, mais elle me sourit et me tend la main.
"Dora Tonks-Lupin, tu es Rafael Soportújar ? Enchantée."
Il me faut une demi-seconde pour me remettre totalement du fait qu'elle ait prononcé mon nom correctement et avec la bonne intonation. Franchement.
"Enchanté et honoré, Auror Tonks-Lupin", j'arrive à articuler. "On m'appelle souvent Sopo." Je ne lui parle pas du Mouton Noir.
"Bien noté. Un café ?", elle me propose. "On a un peu de temps. Je ne suis sur rien d'urgent à part te rencontrer."
J'accepte le café tout en notant qu'elle-même boit un thé. Ogden a disparu et, s'il y a des regards curieux sur moi, on peut dire que tout le monde nous laisse faire connaissance.
"Grenade alors ?", elle tente, plutôt gentiment, il faut bien le dire. "Un endroit où j'aimerais bien aller !"
"Les montagnes au-dessus de Grenade... Je viens d'un village qui porte le même nom que moi... Soportújar", je précise en me demandant si je dois aller aussi loin dans la franchise pour dire qu'aucun sorcier espagnol n'ignorerait que ce nom veut dire que je fais partie des derniers pratiquants des magies maures que l'Inquisition a si bien traqués. Peut-être pas. Même si la femme d'un loup-garou ne peut pas être totalement fermée aux magies non occidentales - si ?
"Presque deux ans loin de chez toi et pas encore dégoûté par la pluie et l'agneau à la menthe ?", elle questionne après, montrant qu'elle en a lu autant dans mon dossier.
"Je ne vais pas renoncer maintenant. C'est... je n'aurai pas deux chances pareilles", je réponds avec pas mal de sincérité.
"Bien", elle approuve avec simplicité. "On va s'y employer alors."
C'est alors qu'un type que je ne connais pas entre dans la pièce. Plus âgé, les tempes grisonnantes et le regard d'acier, il respire l'autorité.
"Dora ? J'ai un truc pour toi", il annonce sans autre introduction.
Ma toute nouvelle mentore pose immédiatement sa tasse sur une étagère et rejoint l'homme qui ouvre la porte de ce qui doit être son bureau. Regard d'acier doit ainsi être le lieutenant Berrycloth si j'en crois la plaque. C'est au moment de s'engager à sa suite qu'elle se retourne vers moi, qui n'ai pas bougé, l'air étonnée.
"Tu attends quoi ?
"Tu ne m'as rien dit, cheffe", je bafouille, conscient des regards ironiques des quelques spectateurs.
"Mettons les choses au clair, Rafael. Sauf contre-ordre, à partir de maintenant, tu es mon ombre. Où je vais, tu suis, et je n'ai pas besoin de te le dire."
Elle a énoncé ça d'une voix plutôt égale, ses yeux gris sur moi, indéchiffrables. Elle tient ostensiblement la porte ouverte jusqu'à ce que j'aie pénétré dans le bureau du lieutenant. J'entends des rires étouffés dans mon dos et j'évite de la regarder. Ça ne doit pas faire une demi-heure que je suis là et je suis déjà le mouton noir dans toute sa splendeur, je m'engueule. Elle laisse la porte se refermer et me désigne une chaise à côté d'elle avant de tourner toute son attention vers le lieutenant, qui a l'air indifférent à notre cirque. Il finit de relire un début de dossier avant de lui tendre.
"Un cambriolage chez cette toute jeune bijoutière chez qui se rue toute la bonne société sorcière", il annonce.
"Jovela Sylfor ?", vérifie Tonks-Lupin en déroulant le rouleau tendu.
"Je me disais que tu connaîtrais. Ma femme et ma fille en sont folles", il se sent obligé de rajouter quand ma mentore lève des yeux fixes sur lui. Pas de connivence. Pas de réaction. "Ce serait bien que tu y ailles pendant que les analystes sont sur place. Les policiers les ont mobilisés quand ils sont arrivés à la conclusion que c'était bien un cambriolage."
"Nous sommes partis, Lieutenant", conclut Tonks-Lupin en se levant. Presque quand nous allons quitter nos sièges, elle rajoute. "Je t'ai présenté Rafael Soportújar ? Il vient de nous rejoindre ce matin. Rafael, voici le lieutenant Berrycloth, le bras droit de notre commandant, Kingsley Shacklebolt."
"Honoré, Lieutenant", je marmonne toujours sous le coup de mon premier faux pas.
"Moi de même... Rafael", me répond le lieutenant. Visiblement, il n'a pas retenu mon patronyme. "Dora va bien s'occuper de toi." Il y a quelque chose d'indéfinissable dans la voix de Berrycloth. Comme de la mélancolie.
Je n'ai pas le temps de mesurer si je suis déjà devenu la risée de toute la Division londonienne. Nous partons à grandes enjambées de la Division puis du Ministère. Je ne sais pas à quel point ma nouvelle cheffe connaît la bijoutière, mais nous y allons sans qu'une fois, elle ne regarde l'adresse. Les policiers en faction la saluent sobrement et ont un regard curieux pour moi quand elle me présente. Le plus gradé des deux - il a un accent que je pense écossais - lui dit qu'elle trouvera l'Analyste Wind au rez-de-chaussée et la propriétaire dans son atelier.
"Dora ?", nous accueille ledit analyste. Je parierais qu'ils sont de la même génération. Cette histoire d'école unique et commune fait qu'ils se connaissent tous, quoi qu'ils fassent après. "C'est toi qui as récupéré le dossier chic de la semaine ?"
"Salut, Aelius. Je vois que j'ai une longueur de retard sur toi, comme souvent. Avant que tu me dises où tu en es, voici mon aspirant, Rafael Soportújar." Elle a détaché les syllabes de mon patronyme et soigné le roulement des r. "S'il te plaît, fais un effort, ce pauvre garçon en est à dire qu'il s'appelle Sopo. Rafael, tu as face à toi, l'Analyste Wind."
"Malin", juge l'analyste avec un signe de tête. Il a une infime inspiration avant d'articuler : "So-por-tu-rar ?"
"Pas mal", je souris. "Enchanté, Analyste Wind."
"Cambriolage ?", questionne Tonks-Lupin pour sa part.
"C'est ce que répète Sylfor. On lui a volé une tiare en diamants d'une grande valeur qu'elle venait juste de terminer. Pas d'effraction évidente néanmoins. On passe le bâtiment au peigne fin. Moi, je pars du bas. Ma collègue part des combles. On cherche toujours le point d'entrée utilisé."
"Des protections ?"
"Globales et basiques, mais solides. Pas utilisées a priori. On ne peut pas dire que quelqu'un les a enlevées et remises. C'est pour ça qu'on fait une recherche systématique."
"Noté", conclut Tonks-Lupin. "On se tient au courant. C'est par où son atelier ?"
Sur les indications de l'Analyste, on se retrouve devant une grande porte vitrée par laquelle on distingue une sorcière d'une trentaine d'années. Très distinguée. Aussi blonde, élancée et fine que je suis trapu et brun. La main sur la poignée, Tonks-Lupin se tourne vers moi : "Rafael, tu vas prendre de belles notes comme tes profs de l'Académie t'ont appris à le faire, OK ?"
"Bien sûr, cheffe", je réponds en cherchant frénétiquement dans mes poches. Elle sort son propre carnet et me le tend avec un bref soupir. "Merci, cheffe."
"De belles notes bien précises, Rafael", elle répète avant de frapper à la porte et de la pousser sans réellement attendre de réponse. Je la suis comme l'ombre que je suis censé devenir.
"Auror Tonks-Lupin". La bijoutière accueille ma mentore avec une certaine approbation dans la voix. Ma mentore est assez connue, je mesure.
"Madame Sylfor. Racontez-nous", propose Tonks-Lupin en prenant place en face d'elle. Entre nous, il y a une grande table solide avec différents outils. Elle regardait les dessins d'une tiare, sans doute le bijou volé, je décide, en nous attendant.
"Je travaillais sur un modèle spécial, non pour une commande, mais pour le Grand concours de la foire des mages bijoutiers de Zurich le mois prochain", elle soupire. "Et c'est ce bijou qu'on me vole."
"Inestimable ?"
"La valeur marchande n'est qu'une dimension, Auror Tonks-Lupin. Je n'ai pas fait cette tiare pour un client, mais pour un concours. Pour moi, pour ma réputation", elle développe, les deux mains sur sa poitrine menue, mais bien formée. Je note. "Au-delà de la valeur des pierres et des métaux employés, au-delà de mon temps, je suis dans l'impossibilité de faire une copie de la tiare avant le concours."
"Des concurrents malveillants ?", questionne Tonks-Lupin sans état d'âme.
"Comment auraient-ils su que la tiare était terminée ?"
"Vous ne l'avez dit à personne ?"
"Non. Je ne savais pas si je me présenterais au concours de Zurich. J'ai déjà une réputation. Y aller sans quelque chose à la hauteur... autant rester chez soi. Je me suis laissé la liberté d'y aller si j'étais prête. J'ai envoyé ma demande de participation au concours avant-hier."
Tonks-Lupin opine et change complètement de sujet : "Où était la tiare ?"
"Dans mon coffre."
"Ici ?"
"Non, au premier. Mon prédécesseur avait mis le coffre dans la partie habitable de la maison. Peut-être que je comprends mieux pourquoi", commente la joaillière avec dépit.
"Pouvez-vous nous conduire ?"
"Bien sûr, je ne voulais pas être dans les pattes de vos collègues analystes", elle explique en se levant.
"Ils sont en haut et en bas, l'appartement est au premier, c'est ça ? Vous ne l'habitez pas ?", questionne Tonks-Lupin en sortant de la pièce à la suite de notre hôte. Je fais de mon mieux pour prendre des notes correctes tout en marchant. Une partie cynique de mon cerveau se demande comment ma mentore ferait si je n'étais pas là. C'est sans doute un test. Un rite de passage de plus sur la voie pleine d'embûches de l'envié statut d'Auror.
"Je l'ai habité à mes débuts... Mais j'ai eu les moyens d'acheter une petite maison à la campagne... La coupure me fait du bien... et puis le lieu... l'appartement ne me plaisait pas tellement pour vivre", explique Sylfor alors qu'on grimpe un escalier de bois ancien qui craque sous notre poids.
Pas un moyen discret de se déplacer, je note dans ma tête. On entre dans une première pièce, vide, genre antichambre, puis dans un salon, où il ne reste que des fauteuils un peu défraîchis face à une grande cheminée. La bijoutière ne s'arrête pas. Nous la suivons jusqu'à une sorte de bureau - en tout cas, il y a un bureau face à la fenêtre fermée. Les volets sont tirés. Dans le mur de droite, une porte blindée grande ouverte découpe un carré profond et sombre.
"Je n'ai touché à rien", elle indique. "Je suis arrivée ce matin, je suis montée, j'ai vu le coffre ouvert, j'ai... su."
"Nous allons rester en dehors de la pièce tant que les analystes n'ont pas fait leur boulot", concourt ma cheffe. Je ne la connais pas, mais j'ai l'impression que son esprit est en train de carburer à plein régime. Elle revient dans le salon à demi abandonné et se plante devant la cheminée. "Vous faites souvent du feu ?"
"Non. Enfin, pas depuis longtemps. Oh, il y a des cendres !"
"La cheminée est-elle reliée au réseau ?", questionne Tonks-Lupin, sa baguette à la main.
La question semble prendre la grande et belle Sylfor par surprise. "Je ne crois pas. Je ne l'ai jamais utilisée... En fait, je préfère les miroirs et les hiboux. "
Tonks-Lupin s'est accroupie devant l'âtre et je me dépêche de la rejoindre. Elle pointe les cendres avec sa baguette, mais sans lancer de sort. Les cendres me semblent froides, mais récentes.
"Va dire à Wind de mettre la priorité sur l'analyse de cette cheminée, Rafael. Propose lui ton aide. Je sais que tu en meurs d'envie et il en aura sans doute besoin. S'il est d'accord, je le suis aussi", elle indique en tendant sa main libre pour récupérer le carnet de notes qu'elle m'avait donné. "Je vais continuer de discuter avec Madame Sylfor pendant ce temps."
oo
Tonks-Lupin s'encastre en toute fin d'après-midi dans l'encadrement de la porte du laboratoire dans lequel j'ai travaillé depuis le matin avec Aelius Wind.
"Tu comptes me rendre mon aspirant un jour, Aelius ?", elle questionne, amusée, je dirais.
"Honnêtement, je ne sais pas. Je pense plutôt le garder comme apprenti", répond Wind du tac au tac. "J'ai des collègues qui sont moins organisés et à l'aise que lui."
"C'est flatteur pour lui", estime Tonks-Lupin en braquant ses yeux gris sur moi. "T'en penses quoi, Aspirant ?" Je me demande tellement si c'est un piège que ça doit se voir. "Si Aelius dit qu'il te garderait, il le ferait", elle rajoute.
"Et si Dora se met en tête que c'est une bonne idée, elle ira jusqu'au Ministre pour que ça ait lieu... ", insinue Wind.
"La Coopération serait mieux indiquée dans son cas", elle corrige avec légèreté.
"Évidemment ! Je suis décidément mauvais à ce jeu-là", se marre l'analyste. Il y a une camaraderie profonde entre eux, c'est clair. "Elle demandera à Dumbledore lui-même de défendre ton cas ! Et il le fera", il m'affirme.
Je reste totalement tétanisé. Si c'est un test, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il veut dire.
"Bon, on l'a fait flipper avec nos conneries", estime alors Tonks-Lupin avec justesse. "Il n'est avec moi que depuis ce matin. Désolé, Rafael, ce n'est sûrement pas très agréable comme situation. Pas très professionnel. Mes excuses."
"Depuis ce matin ?", s'écrie Wind, l'air sincère dans ses regrets. "Désolé ! On est de vieux amis, Tonks et moi... et... on aime bien dire des bêtises ensemble. Mais ma proposition était réelle."
"Et si, un jour, tu te dis 'pourquoi pas', il ne faudra pas hésiter à nous en parler, Rafael", rajoute ma mentore. "Pas de pièges, promis. Mais peut-être que tu serais plus à l'aise si on passait aux résultats... "
Je laisse avec soulagement Wind lui confirmer que oui, la cheminée était reliée au réseau de Cheminette de manière illégale et temporaire. Un charme de Détournement renforcé par une potion de Camouflage assez précise, versée sur les charbons. Il n'en restait pas beaucoup récupérable. Et que je l'isole et l'analyse a impressionné Wind. Il le répète à Tonks-Lupin qui me sourit en guise de commentaire. Moi, je rumine sombrement que je me suis laissé aller à montrer des savoir-faire que j'aurais dû garder pour moi. Des savoir-faire de mouton noir. Ce que je veux, c'est devenir un Auror, pas un Analyste. Je veux que personne n'en doute. Zut, j'ai encore serré les poings et Tonks-Lupin l'a vu.
"Donc, on ne peut pas réellement savoir d'où venait la personne ?", elle enquête pourtant sans relever.
"Tu dois demander une liste des connexions au Ministère", estime Aelius Wind en haussant les épaules comme pour confirmer que ce n'est pas son problème.
"Tu entends ce que tu me proposes ?", elle se marre avec une certaine amertume.
"Tu as un aspirant", il rétorque. "Et j'ai l'horaire du feu... enfin une plage horaire de trois-quart d'heure. Au milieu de la nuit... voilà, entre 3 h 14 et 4 h. Pas le plus haut moment du trafic."
"Ça devient moins délirant comme projet", elle admet. "D'autres choses ?"
"Pas vraiment. Quelqu'un a fait très attention de ne laisser aucune trace et a réussi", regrette Wind.
"Mais il a peut-être choisi un mauvais moment", elle espère à haute voix.
11 janvier 2021 (Iris)
Je ferme, avec précaution, la porte des filles. Même à presque cinq ans, aucune des deux n'a l'endormissement facile. Même en faisant attention à ce qu'elles aient une activité physique journalière, qu'elles mangent tôt, qu'elles aient leur compte de câlins, d'histoires et de jeux calmes, elles ont du mal. Un truc particulièrement compliqué s'ajoutant à leur capacité de métamorphomage quand on doit leur trouver une baby-sitter qui ne soit ni la mère de Sam, ni mes parents, ni Linky ou Kane et sa femme. Heureusement, cette liste est déjà pas mal longue, je sais.
Un moindre bruit peut les mettre en alerte. Comme si elles se sentaient obligées de monter la garde quelque part. Récemment, je me suis demandée si ça avait une relation avec l'accident qui m'est arrivé au début de ma grossesse et à la carapace d'or que j'avais généré pour nous protéger. Je m'en suis ouverte à mes frères et aucun des trois n'a ri. Mais l'œuf d'or, comme ils aiment l'appeler, les intriguent déjà depuis cinq ans. Chacun pour ses propres raisons.
Cyrus ne cesse de chercher dans la littérature ethnomagique mondiale des phénomènes approchants. J'ai interdit qu'il écrive et publie ou mette un de ses étudiants sur mon cas, mais je ne peux pas l'empêcher de rassembler une bibliographie. D'ailleurs, il a trouvé des choses intéressantes et utiles. Des choses qui nous ont aidé, Harry et moi - les briseurs de sorts ont en commun avec les Aurors d'être intéressés par la théorie quand elle débouche sur de l'opérationnel - à m'assurer que j'étais d'abord capable de reproduire cette carapace. Ça a pris des mois, mais j'étais en congé parental et c'était un bon projet. Puis à l'étendre. Aujourd'hui, je peux inclure dans mon œuf Sam et les filles, ou Harry et Kane. Il semble que trois adultes, je n'en sois pas encore capable. Kane, enfin, essaie de mesurer si cette capacité grandissante a un impact sur ma magie ou mon aura, ou ma santé - mais pour lui les trois sont évidemment liés. Et c'est une fois, il y a quelques semaines à peine, qu'il me répétait ça que j'ai eu cette intuition.
"Est-ce que ça pourrait jouer pour les filles ? Est-ce que ça pourrait expliquer leur espèce de crainte au moment de dormir ?"
Il a promis d'y réfléchir et Cyrus et Harry aussi.
"Tu as vaincu", m'accueille Sam quand je le rejoins sur le canapé où il s'adonne au plaisir un peu coupable de lire des polars moldus. Toujours délassant et exotique, malgré la quantité que nous dévorons. Comme un exutoire. Comme une thérapie. À nos collègues qui s'étonnent, nous essayons parfois de prétendre que c'est pour mieux comprendre le système moldu, ses différences et ses similarités. Mais dans le fond, ce qui nous plaît, c'est la différence, la distance, l'exotisme. On en est bien conscients tous les deux.
"Flammèche le dragon m'a bien aidé", je souris.
"J'avais peur qu'un nouveau tome les tienne en haleine", m'avoue Samuel.
"Un peu, mais finalement pas moins que de réciter des dialogues qu'elles connaissent par cœur."
"C'est une bonne nouvelle", il estime. "Je... j'oserais davantage leur acheter de nouveaux livres alors... "
"La mauvaise nouvelle est que nous pensions qu'elles récitaient, mais je pense qu'elles commencent à lire aussi", je soupire. "Nimuë, en tout cas, reconnaît clairement des mots. Pas seulement Flammèche", je précise. "Et Klervie est plus intéressée à nommer les lettres..."
"Chacune son approche", commente Sam avec fatalisme.
Depuis leur naissance, les filles ont semblé cultiver leur différence. Klervie a tout de suite voulu se mouvoir - se retourner, se traîner, se hisser - s'entraînant sans relâche alors que Nimuë paraissait plus prudente physiquement. Mais elle a rattrapé à chaque fois sa sœur sans qu'on l'ait vu venir : directement à s'asseoir, directement à se mettre debout puis à marcher. Il en a été exactement de l'inverse pour le langage. Nimuë babillait beaucoup, répétant tous les sons qu'elle entendait, les chansons aussi. Klervie écoutait et, quand elle a vu Nimuë faire des phrases, il ne lui a fallu que quelques jours pour faire de même.
"Tu rigoleras moins quand elles liront des livres toute la nuit", je prédis, la tête sur son épaule.
"Si elles font ça sans bruit et sans me réveiller..."
"Elles seront épuisées et insupportables le lendemain", je proteste.
"On verra à ce moment-là, mais on ne peut pas espérer qu'elles ne sachent jamais lire, Iris."
"Non", j'admets en me penchant vers la table du salon pour prendre mon propre polar. Contente à l'idée de passer une partie de cette froide nuit de janvier collée à l'homme de ma vie, à laisser d'autres s'épuiser à résoudre des mystères étonnants par des moyens assez marrants, au final. C'est là que mon miroir vibre contre la vitre de la table basse.
"Ta mère", commente Samuel quand je retourne le miroir et qu'il voit l'image par-dessus mon épaule en même temps que moi.
"Mãe ?", je réponds en me répétant que, statistiquement, il y a plus de chance que ce soit ma mère que mon commandant qui appelle à cette heure, alors qu'aucun de nous n'est d'astreinte.
Dans les faits, il y a très peu de cas où la Grande Commandante du Bureau des Aurors britanniques appelle ses subordonnés sur leur miroir. Une des raisons est ma plus grande peur au monde. Mais Samuel est en train de lire un polar moldu sur le canapé, on peut oublier.
"Ça va, je ne tombe pas trop mal ?", s'enquiert poliment ma mère. Mais rien que cette introduction me dit que ce n'est peut-être pas ma mère qui appelle. Ma mère, quand elle n'a pas le boulot en tête, commence toujours par demander des nouvelles des filles. Premier indice inquiétant.
"Eh bien, je n'aurais pas dit ça il y a cinq minutes, mais je suis a priori tout à toi. Et au pire, Sam est là.'
"Je vais commencer par te promettre que j'ai hésité à attendre demain. Pas que ça va te rassurer comme introduction, mais j'ai besoin de le dire", elle continue et je me dis qu'elle n'a pas réellement écouté ma réponse. Deuxième indice concordant.
"J'ai entendu. Dois-je comprendre que j'ai l'honneur de parler à notre Commandante ?", je vérifie.
"Un peu", elle soupire. "Oui, en fait. Mais une commandante... qui n'a pas toujours été commandante... et qui va avoir du mal à dormir cette nuit..."
Troisième indice corroborant. Je connais des juges qui en demandent moins. Mon cœur s'accélère un peu, mais je formule sobrement : "T'as toujours eu le sens du suspense. J'écoute." Samuel a posé son livre.
"Ok. Commençons par le futur", elle reprend après un silence pensif. "Demain, normalement, Ron va te dire de venir à une réunion avec une délégation de Bruxelles. Je lui laisse le privilège de le faire. Ce n'est pas pour te donner la primeur de cette information ou pour contourner mes adjoints que je t'appelle."
"Ok."
"Il est possible que cette réunion aboutisse à enterrer ta toute nouvelle enquête", elle reprend en secouant la tête. J'ouvre la bouche pour protester, mais elle enchaîne. "Elle est un peu trop maligne ton enquête, en fait, Iris. Elle a mis à découvert les activités d'un groupe que surveille Bruxelles à l'initiative du Bureau des Aurors espagnol."
Cette fois, je ne dis rien parce que je suis stupéfaite de ce que j'entends. Dans le peu que j'ai enquêté à Glasgow, rien n'a pointé vers l'Espagne ou même vers le continent.
"J'ai plaidé pour qu'on en sache officiellement plus, d'où leur déplacement. Demain, je vais plaider pour qu'ils envisagent qu'on intègre le dispositif de surveillance. Tu aurais des raisons d'en faire partie... "
"Tu m'appelles pour ça ?", je commence, mais le fait que ma mère ait parlé de ne pas dormir de la nuit m'arrête.
"Pas vraiment non plus. D'abord parce que rien n'est moins sûr et que je ne veux pas te faire miroiter des trucs incertains sur lesquels j'ai peu ou pas de pouvoir", elle confirme. "Ensuite, même si Maisonclaire a accepté de venir et de partager au moins une partie de ses infos, elle... La raison pour laquelle je t'appelle est que je ne veux pas que tu tombes totalement des nues demain. Tu m'en voudrais avec raison. D'ailleurs, il va peut-être falloir que je laisse d'autres décider. Je risque de ne pas être objective."
"À cause de moi ?", je m'étonne. Peut-on dire que ma mère manque d'objectivité envers moi ? Pas un manque d'objectivité qui mène à la complaisance, en tout cas.
Mãe secoue d'ailleurs la tête.
"Non. À un moment de la conversation demain, j'imagine, ils vont répéter qu'on doit se tenir en retrait parce que, sinon, on met en péril, à un moment a priori crucial, leur infiltration de ce groupe qui écume actuellement nos bibliothèques magiques privées - pour des raisons que je préfère les laisser expliquer. Je suis sincèrement curieuse de voir leurs preuves... " Comme je n'ai pas de questions, elle reprend. "Je ne sais pas grand-chose sur cette infiltration à part l'identité de la personne... Un gars qui au fond aura toujours été un infiltré où qu'il soit..." Il y a un fugace sourire sur son visage à ce stade. "Tu te souviens peut-être de lui. Un petit gars, noueux et brun, des yeux dorés... qui a été mon aspirant... vous l'adoriez, Kane et toi... "
"Sopo ?", je souffle, le nom revenant dans mon esprit presque à mon insu.
"Rafael Soportújar", elle confirme avec sa prononciation espagnole soignée.
ooo
Notes personnages (Par ordre d'apparition et avec des précisions temporelles)
Rafael Eolo Soportujar : Aspirant Auror d'origine andalouse sous la responsabilité de Dora Tonks-Lupin, Rang Trois, juste revenue à la Division, en 1999.
Albus Ogden : Jeune Auror Rang 5, habite dans la même colocation que Rafael en 1999. Son père est juge.
Carley Paulsen : Auror Rang Trois en 1999, ami de Dora, a été le mentor d'Albus Ogden.
Jovela Sylfor : Bijoutière qui s'est fait voler une tiare
Lieutenant Berrycloth : bras droit de Kingsley Shacklebolt en 1999. Proche de Scrimgeour
Kingsley Shacklebolt : Commandant en 1999 ancien mentor de Dora
Dikkie Forrest, Aspirante de Gawain Robards en 1999.
Aonghus Giles, Aspirant de Andrea Williamson en 1999.
Nydia Lytton, Aspirante de Herman Hawlish en 1999.
Aelius Wind, ancien petit ami de Dora, analyste en 1999
Iris Lupin McDermott, R3 dans l'équipe mixte Aurors/Brigade sous les ordres du sous-commandant Ron Weasley en 2021
Samuel McDermott, R2 dans l'équipe centrale d'enquête en 2021, époux de Iris Lupin
Nimuë et Klervie McDermott, filles jumelles de Iris et Sam, 5 ans en 2021
