IX La tentation
23 janvier 1999 (Rafael)
Une fois que je l'ai trouvé - il a pris une chambre sur le Chemin de Traverse, je n'ai pas tellement de difficultés à convaincre Don Curro de venir rencontrer "celle qui t'a mis ça en tête". Avec cette superbe qui m'a toujours intimidé, il ignore toutes les étrangetés de l'immeuble moldu, où je ne suis moi-même jamais venu. J'ai la sale impression d'être plus nerveux que lui quand je frappe à la porte. Tonks-Lupin nous ouvre immédiatement et nous fait entrer avec un geste qui dit bien de ne pas traîner sur le palier.
"Nos voisins sont habitués à ce que nous recevions des personnes étranges selon leurs critères, mais ce n'est pas une raison", elle commente en nous guidant vers un salon cossu et moldu. Pas un objet magique à l'horizon. Même les jouets réunis dans une caisse dans un coin de la pièce ne dégagent aucune magie.
"Auror Tonks-Lupin, ma mentore", je me lance dans les présentations. "Don Curro de Piedra Fuerte..." Là, j'ai un tel doute que je ne sais que rajouter : "l'ami de ma grand-mère."
"Encantada", affirme Tonks-Lupin en lui tendant la main.
Don Curro est surpris de cette affirmation dans sa langue - moi, un peu aussi, mais moins : son accent devait bien venir de quelque part - et cherche un instant ses mots.
"Merci de ne pas m'exclure de... de la décision que vous poussez Rafael à prendre", est sa réponse dans la même langue - sans doute pour vérifier combien elle est à l'aise.
"Je te pousse à prendre une décision, Rafael ?", vérifie Tonks-Lupin sans le quitter des yeux. Pas de doute, ce n'est pas seulement l'effet d'un sortilège de traduction. Mais c'est la première fois qu'elle me parle directement dans ma langue. Ça m'émeut sans que je sache bien pourquoi.
"Je dirais que tu m'accompagnes, Jeffita", j'ose. Je détourne tout de suite les yeux parce qu'affronter Don Curro est toujours difficile et parce que je viens de lâcher mon nouveau surnom pour elle devant quelqu'un qui va certainement en comprendre toute la portée. Et elle s'inquiétait de la hiérarchie de Londres !
"Dit comme ça, tu ne rassures certainement pas Don Curro", s'esclaffe Tonks-Lupin avec cette légèreté toujours étonnante. "Mais en effet, j'essaie de l'accompagner dans une décision compliquée, forte en symboles, possiblement risquée. Il serait sans doute plus simple d'acheter une nouvelle baguette. Sauf que ça ne serait pas la même chose. Je suis certaine que vous m'accorderez ce point, Don Curro."
"Acheter une nouvelle baguette ?", questionne Don Curro en échouant à nous cacher son alarme à l'idée.
"Vous voyez bien que vous me suivez", conclut Tonks-Lupin en lui faisant signe de s'asseoir sur l'un des canapés en cuir. Elle se place face à lui. J'hésite puis je prends place sur le bord de l'assise d'un des fauteuils. Mais aucun des deux ne fait attention à la place que je prends. "Est-ce que vous nous raconteriez toute l'histoire, Don Curro ?"
Mon enseignant historique, le dernier lien avec le monde de ma grand-mère, me jette un regard lourd que j'essaie de supporter en silence. Je vais craquer quand Tonks-Lupin reprend :
"Rafael et moi sommes Aurors et nous avons aussi accès à des ressources spécialisées. Ça nous prendra sans doute du temps, mais nous pouvons mener l'enquête et finir par découvrir au moins l'essentiel de la vérité. Est-ce que vous préférez ça, Don Curro ?"
"Vous faites comme si cette histoire m'appartenait", formule lentement l'ami de ma grand-mère
"Elle appartient aussi, en tout cas en partie, à Rafael", insiste Tonks-Lupin avec une claire aisance dans la pression oratoire. Elle a dit que nous étions tous les deux Aurors, mais il me paraît évident que l'un de nous l'est davantage que l'autre !
"Je ne sais pas jusqu'à où vous voulez remonter... "
"Nous savons que ces baguettes sont anciennes. XVIe siècle pour les plus anciennes, dont celle de Rafael", répond Tonks-Lupin. "Ce n'est pas si totalement prodigieux. J'ai déjà vu une baguette qui appartenait à des sorcières égyptiennes de l'ère des pharaons, mais c'est néanmoins rare. Un de nos experts fait l'hypothèse que le sortilège de limitation est là depuis la mise en circulation de cette baguette, tirant sa force de l'utilisation du sang d'un ancêtre de Rafael, mais aussi protégeant la baguette de génération en génération de toute ... usure. Vous confirmez ?"
"Un vrai expert", confirme Don Curro du bout des lèvres, mais avec une lueur nouvelle dans le regard parce que ce vieux lettré a toujours respecté la connaissance et la déduction.
"Il bénéficie d'une bonne réputation. Il était prêt à mener ses recherches à Istanbul ou au Maroc, mais il s'est abstenu pour l'instant à la demande de Rafael qui avait peur de vous mettre en danger, Don Curro..."
Tonks-Lupin laisse ensuite le silence s'installer comme si elle estimait qu'elle avait fait preuve de suffisamment de bonne volonté. Don Curro essaie d'abord l'impassibilité, puis il me regarde, mais deux semaines d'aspiranat m'ont certainement appris à ne pas briser un silence imposé par ma mentore. Je me contente donc d'observer les photos de ceux que je sais être les enfants Lupin. Les jumeaux plus jeunes, bébés pour tout dire. Cyrus, jeune adolescent rigolant avec un garçon aux cheveux noirs ébouriffés et des lunettes de travers que j'imagine être le fameux Harry. Des photos moldues. Immobiles, mais rayonnantes de joie.
"Je ne sais que ce qu'on... a bien voulu me raconter", soupire Don Curro en se détournant de moi. Tonks-Lupin lui sourit comme on encourage un enfant. "Il... On parle d'une femme... une femme qui s'était échappée de Grenade et avait trouvé refuge dans les montagnes. Une femme qui savait emprisonner la volonté des hommes et sauver les enfants... Cette femme a élevé des enfants et sa petite fille aurait été aussi savante qu'elle et aussi belle que la nuit..."
Malgré sa prudence manifeste, Don Curro retrouve une emphase et une cadence de récit que je ne peux que reconnaître. Elles ont bercé les meilleurs moments de mon enfance et de mon adolescence.
"La beauté et les compétences de cette femme - Bahiyya... - attiraient des sorciers de toute la péninsule... pas seulement des Andalous", précise Don Curro avec un soupir comme s'il regrettait ce fait. "Un jeune homme... Asturien, si l'histoire est exacte, s'est entichée d'elle... au point de lui faire croire qu'elle pourrait avoir sa place hors des Alpujarras... Il était suffisamment de bonne famille pour... oser penser qu'il réussirait. Il l'a emmenée à Cordoue, il a voulu l'épouser et sa famille s'est opposée, mais il a tenu bon. Quand ils ont été fiancés, il a voulu qu'elle ait une baguette et la bataille a alors dépassé la seule famille Altamira pour devenir une bataille politique."
Le nom des Altamira ne m'est pas inconnu - qui peut l'ignorer dans la péninsule ibérique ? - et Tonks-Lupin le voit. D'un signe de tête, elle me propose de laisser Don Curro continuer et j'obéis.
"Le jeune Amaro - il a bien existé un Amaro Altamira, j'ai vérifié", précise Don Curro, "aurait obtenu d'un faiseur de baguette de la péninsule - et là, les noms varient selon les sources - que la belle Bahiyya ait une baguette... mais malgré l'or, abondant, le faiseur aurait exigé que la baguette soit..."
"Maudite", je lâche comme un jeune étourdi émotif que je suis.
"Bridée", corrige Don Curro. Il y a un silence tendu qu'il brise, ayant sans doute passé le point où il pense avoir encore quoi que ce soit à nous cacher. "C'était une bonne concession, Rafael. Je suis certain que Bahiyya l'a pensé et Amaro aussi. Ils ont eu des enfants ; leur nombre varie selon les sources. Parfois, on ne décompte que les garçons... or... c'est une branche féminine qui t'a légué cette baguette."
L'évocation - nouvelle - de ces ancêtres me laisse sans voix. Une Maure andalouse et un Asturien - deux origines que toutes mes expériences opposent sans merci. Cette Bahiyya n'a toujours pas de patronyme. Elle n'en a sans doute jamais eu. Je mesure combien elle a pu inspirer ma propre mère, Azahara, au point de rêver de rencontrer son propre Amaro. Et le silence têtu de ma grand-mère prend presque du sens.
"Que s'est-il passé ?", questionne doucement Tonks-Lupin. Elle s'est penchée vers lui, image même de l'écoute bienveillante.
"Amaro a dû donner des gages à son camp, accepter des missions, des ambassades. L'une d'elle a conduit à sa ... triste disparition... de l'autre côté de l'Atlantique... Les sources disent parfois que Bahiyya s'est donnée la mort de chagrin. D'autres que cette mort n'avait rien de volontaire, mais j'estime plus cohérentes celles qui avancent qu'elle a disparu - avec certains de ses enfants... les autres ayant été pris par la famille... Qu'elle est retournée dans les montagnes... J'imagine que votre expert pourrait confirmer tout cela si ça avait le moindre intérêt."
"Aucun intérêt ?", je m'étrangle, brisant de nouveau ma promesse à moi-même de silence.
"C'est une histoire intéressante", me concède Don Curro. "Mais elle s'est déroulée au XVIe siècle, Rafael !"
"Don Curro, vous êtes celui qui veut que je garde la malédiction posée à cette date sur ma baguette", je relève. "Si ça n'avait aucune importance, pourquoi donc devrais-je accepter tant de limitation ?"
"Tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu penses que tu peux juste faire lever cette malédiction et reprendre ta vie comme si de rien n'était ? Tu ne vois pas qu'il ne s'agit pas seulement d'un sortilège et de son contre-sortilège ?"
"De quoi s'agit-il, alors !?", je m'agace.
C'est brutal, mais d'un seul coup, Don Curro n'a plus l'air de cet hidalgo fier, mais d'un homme âgé et inquiet.
"Ta mère aussi, Rafael, a pensé que la malédiction pouvait être contournée..."
"Elle a levé la malédiction de sa baguette ?", je questionne, le cœur stupidement battant.
"Elle a pensé qu'elle pouvait oublier son héritage, le modeler à son choix." Le regret est patent dans sa voix. Son regard est presque lointain. Il y a une émotion qu'il n'affiche pas si souvent et que je voudrais questionner. Mais je n'en ai pas le loisir.
"C'est insuffisamment spécifique", estime alors Tonks-Lupin en se redressant. "Vous jouez avec ce jeune homme, ses sentiments, ses peurs et ses désirs. Vous le connaissez bien et vous avez un ascendant sur lui qui rend ça très facile. Mais avoir un ascendant est une responsabilité : que proposez-vous à Rafael au final ? De refuser sa carrière d'Auror ? De prendre le risque d'être tué parce qu'il ne serait pas assez puissant pour se défendre efficacement ? Quelle est l'alternative ?"
"Il ne devait pas devenir Auror", murmure alors Don Curro, et cette affirmation nouvelle et tranquille est comme une gifle pour moi.
"Vous parlez comme si sa destinée ne lui appartenait pas", souligne Tonks-Lupin, l'air sincèrement perplexe.
"Ceux qui ont cherché... à... qui ont provoqué le sort... ont tous connu une fin abrupte..."
"Est-ce que ma grand-mère a cherché à sortir de cette fameuse destinée ?", je questionne.
"Non", admet Don Curro comme à regret. "Mais ça n'a pas suffi..."
"Alors si ça ne change rien. Si ceux qui pensent que ma famille devrait être anéantie... ne sont pas arrêtés par la soumission... autant choisir mon destin", je proclame en me levant. Mes deux aînés me jaugent chacun depuis leur siège respectif et je me sens ridicule.
"Vous lui avez mis ces idées en tête", reproche Don Curro à ma mentore.
"Je n'ai sans doute rien fait pour les contrer", admet Tonks-Lupin avec calme. "Et j'avoue que sauf si vous trouvez le moyen de me convaincre que le risque est insurmontable... je le soutiens."
"Certaines personnes ne peuvent pas aller contre leur destin", essaie encore Don Curro.
"Savez-vous qui je suis, Don Curro ?", questionne ma mentore en se levant à son tour. "Je veux dire à part l'Auror chargée de la formation de votre... ancien élève ?" Elle n'attend pas qu'il se risque à une réponse pour continuer. "Je suis aussi la femme du premier lycanthrope directeur de l'école de Poudlard - un homme qui n'aurait jamais dû se marier ou faire des études s'il avait écouté son destin", elle souligne. En parlant, elle a rejoint l'étagère où s'alignent les cadres des enfants Lupin. "Je suis la fille d'une héritière d'une des plus vieilles familles sang-pur d'Angleterre qui a choisi d'épouser l'homme qu'elle aimait, même au prix d'être déshéritée." Après un moment d'hésitation, elle saisit un portrait d'un Harry qui doit avoir quinze ans. "Je suis également la mère adoptive de ce jeune homme - qu'une prophétie voyait mourir ou écraser, seul, dans un combat singulier, le pire mage noir de son temps..." Don Curro n'ose pas faire un geste. Moi non plus. "Nous avons collectivement fait mentir cette prophétie et il étudie aujourd'hui pour devenir briseur de sorts. Ne me parlez pas de destin, Don Curro, je ne crois qu'à celui qu'on se forge."
oo 23 janvier 1999
Tonks-Lupin ne lâche pas Don Curro après sa petite harangue. Elle nous accompagne à l'auberge du chemin de Traverse pour qu'il prenne ses affaires et nous allons tous les trois directement à Poudlard. Comme elle me demande si quelqu'un va s'inquiéter de ce que je deviens, je préviens mes colocataires que je serai absent tout le week-end. Pour une fois, je suis assez content de ne pas avoir de miroir. S'ils veulent me répondre, il leur faudra un hibou. Je parie qu'ils auront la flemme. D'ailleurs, je parie que dans très peu de temps, personne ou presque n'enverra de hibou. Il n'y a qu'à voir combien ma cheffe utilise son miroir pour ses conversations privées. Elle en est à son troisième appel à son époux depuis qu'on a quitté l'appartement. Enfin, cette fois, alors que Don Curro ferme sa valise et la réduit, c'est ce dernier qui a appelé.
"On va gérer", est sa réponse cryptique quand il a fini le long exposé dont je n'ai pas entendu le contenu parce qu'elle a mis une bulle autour d'elle pour répondre.
Quand Don Curro règle sa chambre, elle me souffle : "Mon fils Cyrus sera là. À toi de décider ce que tu veux qu'il sache." Je ne sais pas ce qu'elle lit dans mon regard, mais elle a cette affirmation étrange : "Ton histoire t'appartient. Crois-moi, Cyrus comprendra si tu lui dis ça."
Je n'ai aucune idée de la réponse à cette question quand nous montons les marches de Poudlard en début de soirée. Un concierge obséquieux aidé d'elfes nous libère de nos capes de voyages. Tonks-Lupin nous mène ensuite droit vers une salle immense où des dizaines d'adolescents dînent et discutent jusqu'à notre apparition. Dans le silence qui accompagne nos pas sur le dallage, j'entends des "professeur Tonks", plus ou moins timides. Je sens sur ma peau des regards plus que curieux nous accompagner jusqu'à une estrade sur laquelle dine ce qui doit être le corps professoral de Poudlard au grand complet. Cyrus est assis à la droite d'un homme aux coûteuses robes de soie noire. Il y a une place, sans doute pour moi, à sa gauche. Don Curro, lui, se retrouve entre le professeur Lupin, qui s'est levé pour l'accueillir, et ma mentore. Je ne dirais pas que quoi que ce soit ait été laissé au hasard dans cette répartition.
"Ton précepteur ?", questionne Cyrus quand je suis installé.
"Ta mère a eu la gentillesse de l'inviter", je confirme. "Don Curro de Piedra Fuerte".
Il attend sans doute que je développe, mais je décide de m'occuper résolument de mon assiette qui s'est remplie magiquement. C'est un truc dont je n'avais entendu parler que dans les livres. Et ça a l'air délicieux.
"Tu connais déjà Severus ? Severus Rogue, l'adjoint de mon père et professeur de défense actuel de cette école. Rafael Soportújar est l'aspirant de Mãe", se lance Cyrus avec une aisance sociale qui me semble tellement fluide que ça devrait être interdit.
"J'ai entendu parler de lui", commente l'homme aux yeux d'obsidienne sombre avant que j'aie trouvé une contenance. Ça sonne bizarrement comme une menace qu'il sache quoi que ce soit de moi. Surtout que je ne peux pas en dire autant.
"Ginny est partie en voyage avec son équipe en Nouvelle-Zélande", embraye Cyrus, toujours scandaleusement à l'aise dans cette situation - autant qu'il avait l'air de l'être pour proposer des potions illicites à une soirée étudiante. "Du coup, je me suis dit que j'allais venir passer le week-end en famille. Il paraît que je ne rends pas assez visite. Et toi, tu n'en avais pas assez de ta semaine d'aspirant ? Tu en redemandes ?"
"C'est... ta mère m'aide sur un projet personnel... ", je formule piteusement.
"Pas un truc dont tu as envie de me parler", il estime.
Je cherche, mais je ne trouve pas mieux à répliquer que ce que ma mentore a prétendu.
"Il paraît que je peux choisir ce que je veux bien te raconter... de mon histoire."
"Évidemment" est sa réponse cryptique, juste après une infime inspiration de surprise suivie d'une crispation fugace de ses traits de patricien britannique. Un message secret reçu avec une impassibilité presque totale. Mais le presque est important, je me dis. Plus intéressant encore, l'homme aux yeux d'obsidienne qui n'en a pas perdu une miette a l'air de penser que j'ai fait la bonne réponse.
14 janvier 2021 (Iris)
Eolynn Camden me prend le bras et manque de me faire renverser mon café quand mon miroir vibre avec l'image de Ron qui s'affiche.
"Ça va aller, Camden", je commente par réflexe. Je ne suis pas certaine d'être convaincue. "Oui, chef ?", je réponds en posant mon café à l'abri.
"T'es assise, la môme ?" J'opine, la gorge immédiatement serrée. Ce n'est pas parce qu'il utilise mon vieux surnom que le ton de Ron est léger. "Zorrillo et Maisonclaire deviennent presque bavards. Sans doute parce que les choses semblent s'accélérer. D'après leurs informations, le projet pourrait être entré dans sa phase finale."
"La création de l'île ?", je vérifie. J'entends la toute petite inspiration d'air que prend Camden en écho.
Ron, lui, a un geste évasif. "Plusieurs de nos petits commanditaires se sont mis en mouvement. Ce qu'on veut savoir c'est si certains arrivent dans une de nos zones de surveillance. L'idée est que vous soyez invisibles et que vous n'empêchiez surtout rien."
"J'entends, chef", j'arrive à lui assurer. Mon cœur a accéléré. Ma raison essaie de prétendre que ça peut être une fausse alerte, mais mes tripes, elles, pensent qu'on y est. Et elles se trompent rarement.
"Je suis sorti spécialement de la réunion dans le bureau de notre grand Ministre pour te dire ça", insiste Ron avec un air entendu. Priorité maximum. Concentration et professionnalisme.
"On est invisibles", je répète donc.
"Mais alertes", il rajoute. "Invisibles, mais pas en vacances."
"Évidemment, chef", je promets.
"Tu le sens ou y a un os ? Autant que tu me le dises."
"On va suspendre nos projets d'enquête de voisinage", je précise en regardant Eolynn Camden qui n'a rien perdu de la conversation. Ses yeux de porcelaine sont fixés sur moi. "Je vais revoir les postes de surveillance ici et en Écosse."
"Tu fais ça et tu me fais un rapport. T'es jamais loin de ton miroir. On peut t'appeler à tout moment. J'y retourne."
"Bien chef", j'ai sans doute une hésitation qu'il ne peut pas manquer. Ses yeux me disent de ne pas tourner autour du chaudron. "Ça se passe... politiquement... bien ?"
Son regard a la flamme amusée qui ne m'humilie plus.
"Tes rapports ont porté leurs fruits. Shacklebolt est là."
J'aimerais en savoir davantage, mais je sais que ce n'est pas le moment. Le simple fait qu'il m'ait répondu dit qu'il sait que je m'inquiète pour ma mère et qu'elle a agi. Si Kingsley ne la soutenait pas, Ron aurait trouvé une autre formulation.
"L'identification ?", je me risque encore, les yeux rivés sur la photo de l'homme au bonnet.
"Si tu me laisses y retourner, je serai peut-être en position de te répondre !", s'agace Ron, cette fois. "Si je peux le faire."
"Tu vas certainement prendre ma place si les choses se précisent", je commente plus pour moi-même que pour lui.
"Occupe-toi de ton équipe, Iris", il soupire.
Et, cette fois, je ne fais pas ma maligne. Mais j'ai visiblement posé un mauvais exemple à ma collègue Eolynn.
"Quelle dimension politique ? Quelle identification ?" veut savoir cette dernière quand j'ai posé mon miroir. Presque, elle trépigne.
"Eolynn, je ne peux pas te répondre à ce stade", j'essaie.
"C'est notre Division, notre territoire", elle essaie avec une main sur sa poitrine pour faire bonne mesure et ses nombreux bijoux d'argent forgés par son mari tintent en réponse à ce geste. "On doit savoir ce qui se trame. Tu ne peux pas arriver là et, parce que tu es..."
"Ne finis pas cette phrase, s'il te plaît", je la coupe en affrontant son regard. "Tu sais que toute ma Division pense que je paie les pots cassés par mon ancien aspirant, non ? Alors, arrête d'imaginer que je suis venue facilement et sur commande vous voler une affaire que vous n'aviez absolument pas vu venir. Ni que j'aie toutes les cartes en main et que je vous les cache."
"Mais tu ne dis pas tout."
Je note qu'elle ne recule pas. L'Eolynn que je connaissais aurait reculé. Comme je n'ai aucune envie de l'écraser d'un poids hiérarchique qui ne ferait que nourrir son ressentiment, je tente une nouvelle médiation.
"La priorité est d'exécuter nos ordres. Est-ce que je peux compter sur toi ?"
"Tu sais ce que je pense ?", elle questionne en retour avec cette trépidation Gryffondor que mon héritage familial m'a appris à reconnaître. Je préfère ne rien dire, elle prend ça pour une invite. "Qu'on pourrait tenter une infiltration en prenant la place des femmes de ménage... "
"Je n'ai rien entendu", je réponds en détournant les yeux parce qu'une toute petite voix intérieure a suggéré que c'était une plutôt bonne idée et que je ne veux pas qu'elle le sache.
"Qui regarde les femmes de ménage moldues ?", elle argumente avec pertinence, mais autant d'excitation. Sam serait atterré, je décide, et ça l'emporte sur la tentation de prendre trop d'initiatives.
"Camden... ", je commence.
Eolynn lève immédiatement les deux mains, comme si elle acceptait avec légèreté sa défaite : "Oui, tu peux me faire confiance, Iris. Je vais surveiller les gars sur le terrain et relayer les ordres pendant que tu as la même conversation avec Wang... Mais si tu changes d'avis, tu sais où me trouver."
En la regardant se replonger dans son rapport, je me demande combien de mes chefs sont encore tentés par des idées contraires au Manuel ou aux ordres reçus, qu'elles viennent d'eux-mêmes ou de leurs subordonnées. Aucun ? Tous ? Certains ? Aucune réponse me rassurerait vraiment.
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Merci au sept reviewers de la semaine dernière. N'hésitez pas à me partager vos idées, vos théories, vos envies et vos regrets.
Le prochain s'appelle la réparation. Oui, ça parle d'une certaine baguette.
Il me semble qu'on n'a pas besoin de notes. Si vous avez des questions, je suis là.
