XI L'implicite

23 janvier 1999 (Rafael)

Je passe le reste de mon samedi à tirer sur des cibles. Je découvre que c'est, finalement, un bon exutoire quand on les touche assez régulièrement, même si elles sont de plus en plus petites et lointaines, même si elles deviennent mouvantes. Je me dis que cette pimbêche de Dikkie ne pourrait pas persifler de mes résultats. C'est plus facile que de reconnaître que je m'épate à chaque seconde que le ciel ne se soit pas effondré, Poudlard avec ; ou que le sol ne se soit pas ouvert pour m'engloutir — Poudlard avec.

Le professeur Lupin a éloigné Fonsfata, Weasley et Don Curro une fois les remerciements d'usage consommés. Comme si rien d'hallucinant ne venait de se passer. Quand ils sortaient de la salle d'entraînement, Weasley parlait de Cordoue à Don Curro. Je ne pense pas que ce dernier aura été chaleureux quand il aura compris que le jeune briseur de sorts était celui qui avait été chercher les baguettes. Mais je peux après tout me tromper. J'ai bien cru que je ne saurais jamais tenir une baguette à pleine paume et être précis dans mes tirs. Oui, je crois que je suis assez euphorique.

"On va s'arrêter là", décide brutalement Tonks-Lupin.

"Là, maintenant ? Mais on n'a pas... Je n'ai fait que tirer sur des cibles..."

"Laissons la nuit faire son œuvre. Fais autre chose. Prends une douche, va te promener... Tu peux sauver Cyrus de ses petits frère et sœur, je suis certaine qu'il sera ravi", elle propose. "Sauf si tu n'as pas envie, bien sûr." Je hausse les épaules. "Il est très intrigué par toi", elle indique.

"Pas autant que moi", je souris et, bizarrement, elle se fige presque à cette boutade. "Je veux dire... que c'est un sacré personnage... Il a l'air tellement à l'aise, tellement... flamboyant... et puis, il passe ses week-ends à faire des cabanes ici avec Kane et Iris... ou il s'inquiète que je m'entraîne trop..."

"On aurait certainement tort de prendre son aisance sociale pour une aspiration", elle formule lentement. Je n'arrive pas à cacher ma surprise, je pense. Elle secoue la tête. "Je pense que je vais utiliser le même argument que je t'ai donné face à lui : son histoire lui appartient. Si votre relation se développe, tu te feras ta propre idée, mais je répète, ce qui est le plus important pour lui n'est pas d'être la coqueluche de sa promotion."

J'ai ça en tête quand je retourne dans ma chambre, mais je décide de prendre une douche, et l'eau chaude dissout toutes mes pensées et me fait me rendre compte de combien je suis fatigué, physiquement, moralement, émotionnellement. Je m'allonge sur le grand lit à baldaquin qui me paraîtrait partout bizarre, mais pas dans ce château incroyable, et je m'endors jusqu'au dîner.

C'est une nouvelle fois un événement social, même si la nouveauté de notre présence est un peu retombée, comme si Poudlard et ses habitants, même ses fantômes, s'étaient habitués à nous. Don Curro, avec qui je n'ai eu aucune interaction directe, m'observe, mais de loin - cette fois : il s'est directement installé auprès du maître des potions aux yeux d'obsidienne. Ce dernier est d'ailleurs accompagné d'une femme qu'on me présente comme son épouse qui s'est de fait placée entre le professeur Rogue et moi.

Qu'un vampire pareil puisse avoir une femme Médicomage, solaire et intelligente, m'épate sincèrement. C'est comme s'il y avait dans ce château un charme qui permettait à un loup-garou d'avoir une femme Auror, à un vampire d'avoir une femme Médicomage... un charme qui aurait été bien utile peut-être à mon Azahara de mère quand elle tentait de s'unir à des sorciers de bonne famille. Au moins un. Cet Allodia qu'elle fréquentait au moment de son décès, mais qui n'est même pas venu à son enterrement. Enfin, c'est ce que ma grand-mère a bien voulu me raconter. J'avais deux ans quand Azahara est morte. Je ne suis pas loin d'avoir l'âge qu'elle avait quand je suis né... et mes rêves sont tout autres.

Cyrus qui s'est assis à côté de moi d'autorité me sort de ces pensées circulaires.

"Parece que lo has hecho bien. Mi madre parece tranquilizada", il souffle sans doute convaincu que peu de personnes vont comprendre. Mes yeux vont vers Tonks-Lupin qui rit en effet avec une sorcière plus âgée assise à sa droite. Est-elle réellement rassurée, comme le dit son fils ? "On sort après ?"

"Je nous croyais au milieu de nulle part !"

"Mais il y a un village avec deux ou trois pubs... rien de comparable à Londres, mais ça te ferait du bien. Elle dira oui", il rajoute.

Je vais lâcher quelque chose qui prétendrait que je suis libre et adulte, mais je me ravise parce que, dans les yeux gris de Cyrus, il y a la réponse. Il sait très bien que je n'irai pas si elle était contre. Et non seulement il sait, mais il comprend.

"Je suis vanné, mais pourquoi pas", je réponds simplement.

Je m'emploie ensuite à expliquer à ma voisine de gauche ce qui fait une bonne paella.

Après le dîner, Don Curro s'approche de moi pour me demander si j'ai des projets avec une retenue assez historique. Je suis content de ne pas céder à la culpabilité et de lui affirmer que oui, je vais aller dans un pub avec Cyrus. Tonks-Lupin l'entend, me regarde, puis reprend sa conversation avec le petit professeur de sortilèges d'hier soir. Je prends ça pour un assentiment.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve donc à traverser le parc dans la nuit avec Cyrus. C'est hautement exotique pour moi — j'imagine que c'est tout le contraire pour lui.

"Vous alliez souvent au bar quand tu étais élève ?", je demande quand nous nous engageons dans la grande allée qui mène au portail. Il m'a proposé qu'on prenne un carrosse, mais j'ai eu envie de marcher.

"Te fais pas des idées. On allait exceptionnellement boire une Bièraubeurre quand, un dimanche par mois, il y avait une sortie l'après-midi à Pré-au-lard", il précise en levant les yeux au ciel.

"D'accord", je ponctue. J'ai tant de mal à imaginer ce que peut être étudier à plusieurs centaines de jeunes sorciers pendant sept ans... Tout le contraire de mon expérience.

"Bon, je te mentirai si je ne disais pas qu'on sortait parfois se faire peur dans le forêt... ou piquer des trucs dans les cuisines mais... même ça... c'était précieux et chic parce que c'était rare. Mãe a dit que tu avais eu que des précepteurs ?"

"Essentiellement ma grand-mère et Don Curro", j'admets. "J'ai grandi dans la montagne… près d'un village qui porte le même nom que moi, mais même pas dans le village... L'Académie à Londres, c'est... l'endroit où j'ai pour la première fois fréquenté autant de gens de mon âge..."

"Je ne sais pas si j'aurais aimé" est son commentaire diplomate. Il sort brusquement sa main de sa cape, il tient son miroir à la main qui vibre. Je note malgré moi, et avec jalousie, qu'il détient un de ces objets de prix qui me semble inaccessible. On y voit un garçon de son âge que je ne connais pas. Cyrus ne répond pas et replace le miroir dans sa poche.

"Un vieux copain avec qui j'ai fait quelques belles conneries ici", il explique. "Je le rappellerai plus tard. J'attends un appel de ma fiancée... décalage horaire et ambiance d'équipe, autant te dire que j'arrive bas dans ses priorités."

"Jaloux ?", je m'enquiers — ma curiosité l'emportant sur toute réserve, tact ou prudence.

"Pas là" est sa réponse étonnamment sincère selon moi. "Parfois, mais pas là. Et toi, tu as une copine ?"

"Pas l'ombre d'une copine", je me marre. Comme s'il y avait dans ma vie de petit mouton noir une place pour une vie amoureuse !

"Même pas un petit flirt ou une petite douce pensée ?", il questionne avec un regard suggestif en décalage avec le ton poli. Merlin, que j'aimerais avoir sa décontraction !

"Même pas", je confirme sobrement. Il y a pourtant des jolies filles à l'Académie ou parmi les aspirants. Mais est-ce qu'une fille comme Dikkie ou Nydia s'intéresserait à un Mouton noir ?

"Tu préfères les garçons ?", il enquête alors avec son inimitable désinvolture.

"Pas que je sache", je réponds d'une voix plus contrainte que je l'aurais voulu. "Comme je te l'ai dit, je n'ai pas grandi entouré de gens de mon âge. Je n'ai ni frère ni sœur. Ni cousins. Je n'ai pas fréquenté d'école ou d'endroit où on... joue à ce genre de jeux !", je m'emporte.

Il lève les deux mains en signe d'excuse ou d'apaisement. Ou de surprise. On est arrivés au portail. Derrière, on pourra transplaner jusqu'au village, je le sais.

"Je dois te paraitre ridicule", je lâche.

"Rafael, je ne te demande rien. Mais j'espère que tu vas atteindre le but que tu t'es fixé et que tu vas t'autoriser à vivre", il ponctue en refermant le portail.

"Tu parles sans savoir", je réponds sans doute trop sèchement

"Je parle en sachant plus que tu ne croies... "

"Tu as une grande famille, des parents influents et... attentifs... des amis, une amoureuse..." je liste, et chaque élément me fait mal.

Cyrus ramène sa longue mèche de garçon cool derrière son oreille pour m'affirmer.

"Je sais ça. Je mesure ce que ça vaut, Rafael... Je comprends que tu ne me croies pas, mais je sais." Je ne sais pas quoi répondre à ça. Son ton convaincu m'intimide, je réalise. Il pose sa main sur mon épaule. "Tu sais où est le village ? On se retrouve là-bas et on essaie de se détendre un peu ?"

oo

"Je vois qu'on a bien rigolé hier soir", commente Tonks-Lupin quand j'émerge, un peu contraint et forcé. Elle a frappé à ma porte.

"Je suis désolé", je marmonne en priant pour que le café posé devant moi fasse son effet.

"C'est un grand manque de respect pour nos hôtes, pour ta mentore", assène Don Curro.

"C'est surtout injuste. Il n'a pas rigolé tout seul", estime alors le professeur Lupin, l'air amusé — il est bien le seul. Il se penche alors vers les jumeaux et leur murmure quelque chose à l'oreille. Les deux se lèvent et s'enfuient en courant vers les profondeurs de l'appartement. Il y a des cris de guerre et des bruits de porte.

"Tu es vache", commente ma mentore sur un ton affectueux.

"Équitable", la corrige son époux, l'air content de lui.

Cyrus apparaît juste après, tiré par les jumeaux.

"Si tu crois que je vais aller courir avec toi, c'est mort", est son commentaire presque agressif pour sa mère adoptive quand il est assis.

"J'ai d'autres projets et tu te trompes de cible", rétorque celle-ci sans s'agacer.

"Et le baby-sitting... ", commence alors Cyrus en regardant son père.

"Tu pourrais plutôt t'entraîner avec eux. On ne revoit jamais assez ses bases et ce serait justice", estime ce dernier avec un coup de menton vers ma mentore et moi.

"Oh... si vous voulez bien de moi... ça, pourquoi pas", est la réponse de Cyrus en se servant un café avec un nouvel entrain. "Je sais que je vais me faire exploser, mais... je suis partant."

"Est-ce bien sage alors ?", s'enquiert Don Curro.

"Cyrus est plus capable qu'il ne veut bien l'admettre", estime ma mentore. "Et pourquoi pas... Vous voulez vous joindre à nous, Don Curro, voir ce que sait faire... maintenant... votre... ancien élève ?" Je dois m'être statufié, mais ça n'arrête rien. "Vous nous laissez une heure et vous venez ?", continue Tonks-Lupin.

Je me rends compte avec horreur que son invitation inclut son époux quand ce dernier répond : "Avec plaisir."

"Je crois que ça ne l'amuse pas que je sois là ou que Papa et Don Curro viennent", estime de son devoir de souligner Cyrus quand on est arrivés en silence dans la salle où on s'entraîne.

"Un mal nécessaire", répond Tonks-Lupin avec son ton de commandement qui ne fait rien pour me rassurer. Est-ce que je paie ma sortie d'hier soir ?

Cyrus ne semble pas s'y tromper plus que moi. Mais, sa désinvolture en bouclier, il pousse néanmoins : "Tu ne développes pas ? Je t'ai connue meilleure pédagogue, Mãe !"

"Demain, il va se retrouver en opération avec tous nos petits collègues, tous ses anciens petits copains de l'Académie, alors... Remus et Don Curro... je crois que c'est un mal nécessaire." À la fin de sa tirade, elle me regarde droit dans les yeux.

"Ok", j'arrive à articuler quand j'ai surmonté les implications de ce qu'elle vient de dire. La panique est tellement proche qu'elle en est palpable.

"Cyrus t'attaque. Tu bloques", elle annonce en se laissant tomber dans un fauteuil.

Une heure plus tard, on est essoufflés, mais bien réveillés quand elle nous octroie une pause, accompagnée de café et de gâteaux alors que le professeur Lupin et Don Curro arrivent. On a alterné l'exercice et j'ai pu mesurer que Cyrus ne serait pas mal à l'aise à l'Académie. Il a des réflexes, de la précision et un sens joyeux du combat. Mais aussi que quand j'ai cessé de me statufier - "comme un imbécile" dixit Tonks-Lupin -, j'ai fait plus qu'honorablement face. Peut-être avec plus de hargne que de joie de mon côté.

"No pasa nada, no te preocupes", me souffle Cyrus."Eres un verdadero Auror, no lo dudes."

"Ça aussi, tu le 'sais' ?", je ne peux m'empêcher de grincer, agacé qu'il se croit capable de juger si je suis ou non un vrai Auror.

Il me répond par un clin d'œil et un sourire ineffable qui semblent dire oui. Le truc vraiment bizarre, c'est que, contre toute logique, une partie de moi le croit.

20 janvier 2021 (Iris)

"Les filles veulent te souhaiter bonne journée avant de partir pour l'école", m'annonce Samuel avec, dans les yeux, l'éclat qui dit qu'il sait que je suis peut-être en chemin pour aller me coucher une demi-heure avec une potion reconstituante.

"Bien sûr", je réponds parce que ces instants sont plus précieux pour moi que le sommeil — et le sommeil m'est en ce moment sacrément précieux. Un jour, les filles ne seront sans doute plus dupes de notre apparente solidité, mais je n'ai pas envie d'y penser.

Prenant la place de leur père devant le miroir, Nimuë et Klervie m'abreuvent immédiatement d'un flot d'informations vitales, allant de la naissance de chatons chez nos voisins moldus et de leur envie d'en adopter un, au projet de la maîtresse de les emmener au zoo, en passant par les dessins qu'elles ont commencés pour l'anniversaire d'une de leurs copines, le week-end prochain.

Je commente, je souris, je dis pourquoi pas au chaton. Je me nourris de leur entrain de vie comme je me rappelle très nettement que ma mère le faisait. Je sais que ma belle-mère doit attendre la fin de la conversation pour les emmener à cette fameuse garderie, pour laquelle elle professait la plus grande méfiance initialement et qu'elle tient aujourd'hui pour un progrès social total. Un retournement complet.

J'ai le temps de redire que j'embrasse tout le monde et que j'ignore encore quand je vais revenir. Nimuë dit qu'elle va demander à Avo, et ma belle-mère dit qu'il ne faut pas déranger ma mère avec ça. Klervie soutient sa sœur, mais la conversation s'éloigne déjà, rappelant la réelle distance entre moi et ma famille. J'ai un énorme sentiment de vide.

"Tu as encore cinq minutes ?", souffle Sam qui remplit de nouveau tout le miroir.

"J'ai le temps qu'il me faut pour atteindre notre QG à pied. Un peu plus que cinq minutes."

"T'as fait le tour de tes espions", il sourit.

"Une fois par jour et pas au même moment", je confirme. Et, il sait que la pratique vient de lui.

"Ici... on chuchote... un possible assaut..."

"On se prépare à l'éventualité", j'abonde. Mon petit tour auprès des troupes avait d'ailleurs différents objectifs à ce titre, mais je ne vais pas parler de ça par miroir et il ne va pas demander. "Une option parmi d'autres."

"Tu sais ?" Je suis interloquée qu'il insiste et, quand il le voit, il secoue la tête : "Non, je veux dire... Ron a demandé officiellement ta promotion... Je veux dire, tout le monde le sait, c'était officiellement sur le bureau de... notre commandante... et c'est signé..."

L'implicite, qui est que je pourrais être la responsable — ou une des responsables — d'un assaut de cette importance stratégique, me fait m'arrêter en plein vent glacial et salé. Juste après, je bloque sur le fait que ma mère a signé. Je sais que Ron n'aurait jamais demandé s'il n'avait pas été certain de son accord.

"Maintenant, tu sais", me relance Sam, sans doute conscient de l'impact de tout ça sur moi.

"Finnigan...", je commence.

"Je sais juste ça. Pas ce qui se négocie", soupire Sam. On est silencieux, lui et moi, puis il rajoute : "Félicitations, tu le mérites totalement et je suis fier de toi."

"Tu flippes", je suppose, laissant de côté les implications dans la politique du Bureau des Aurors pour me concentrer sur mon couple.

"Mais je te fais confiance", il affirme. "Et je ne semble pas être le seul", il souligne.

Quand je pousse la porte de la maison de pêcheurs qui nous sert de QG, la tête encore pleine de toutes les implications de ce que Sam vient de m'apprendre, je trouve Seamus Finnigan en conversation avec Eolynn. Je ne pense pas un instant qu'il est là par hasard.

"Iris, toujours sur le front" est son accueil direct.

"Ça fait du bien de sortir et de prendre l'air", je prétends. "Café ?"

"Avec plaisir", il répond et nous nous installons à la petite table qui est plus ou moins mon bureau. Eolynn n'hésite pas longtemps. Elle marmonne une excuse que je n'écoute pas et sors.

"Tu lui as dit ?", je questionne parce que je sais que Finnigan est du genre qui prend les problèmes de front.

"Oui", il admet d'ailleurs sans attendre. "Elle m'a demandé si je venais prendre le commandement et je lui ai dit que c'était toi qui l'avais entièrement, avec la promotion nécessaire pour."

Les mots emplissent l'espace entre nous, prennent en consistance et en conséquence.

"Tu restes avec raison plus gradé que moi, Seamus", je rappelle. "Je me souviens de tout ce que tu m'as appris... Et je n'ai rien demandé."

"Tu n'as rien besoin de demander, Iris. Tu es là où tu dois être."

Je cherche et je ne trouve rien d'autre à répondre que "Merci."

Seamus a un bref sourire avant de rajouter toujours direct : "La division de Dublin est contente de te soutenir et de répondre à tes besoins pour cette mission importante... et sans doute assez pourrie aussi, Iris. Dis-moi ce dont tu as besoin."

"Tu sais... je n'ai pas encore eu le briefing officiel avec Londres", je lui avoue. "Juste... J'ai juste eu Samuel, qui m'a annoncé ma promotion, mais... rien n'est officiel !"

"Alors, je suis celui qui t'aura annoncé ta nouvelle mission", il sourit plus largement, comme si ça pouvait lui apporter un certain réconfort. "Eh bien, l'étape logique suivante est d'appeler Ron, non ?"

"Faisons ça", j'acquiesce.

Le fait que Ron soit déjà au bureau et nous demande une demi-heure pour être prêt est révélateur en soi. En attendant son appel, je montre à Seamus mon rapport en cours et nous discutons des points de surveillance que j'ai installés et de leur importance stratégique. Des collègues, dont Eolynn, vont et viennent. Certains me donnent des rapports écrits. Ils sont tous curieux de la présence de Finnigan mais pas au point de demander.

Finalement, la cheminée signale l'appel de Londres et j'avoue que je me tourne avec une certaine anticipation vers mon chef direct.

"Iris, Seamus", il nous salue. Il n'est pas seul. Loin de là. Mon vieux pote Darnell, qui est venu renforcer l'équipe depuis que je suis en Irlande, est à ses côtés. Il y a Elisa Cresswell, devenue la sous-commandante chargée de tout ce qui est expertise. Et puis, il y a ma mère. Notre Commandante à tous.

"Nous allons commencer dans les règles. Auror Lupin-McDermott", annonce Ron sur un ton officiel. "J'ai l'honneur de t'annoncer que tu as été promue au Rang Deux du Corps des Aurors, avec tous les avantages, attributions et responsabilités attachés à ce statut. Ce Rang est effectif depuis ce matin. Félicitations."

Je manque d'exploser d'un rire nerveux, qui ne me vient pas souvent. Elisa, ma mère puis Caradoc et Seamus applaudissent et ils ont l'air sincère. Ça me calme mieux qu'une douche froide. J'ai un mal fou à refouler les larmes qui me viennent aux yeux.

"Ne nous dis pas que la rumeur n'était pas venue jusqu'à toi", sourit Ron.

"Si", j'admets en essayant de calmer mes émotions. "Mais je ne m'attendais pas... à ce que vous me fassiez le coup de la... nomination formelle..."

"C'est utile parfois", intervient ma mère de sa voix officielle. "Surtout quand il s'agit de la nomination de quelqu'un qui a attendu sans doute trop longtemps pour un avancement mérité. Il est alors très utile que la hiérarchie exprime formellement sa reconnaissance pour le travail accompli et sa confiance pour l'avenir. Ce n'est pas juste parce que nous avons égoïstement besoin que tu aies ce statut", elle rajoute avec un clin d'œil. J'imagine qu'elle veut m'inviter à dédramatiser. J'aimerais.

"Le dispositif est donc que Caradoc et toi - lui en Écosse qu'il va rejoindre après cette réunion et toi en Irlande — meniez un assaut coordonné. Le moment de cet assaut est encore à valider et nous allons essayer de nous mettre d'accord avec nos collègues européens sur ce point. Mais, selon tous les experts, le début du rituel serait sans doute un bon moment", précise Ron, factuel.

"Ce ne sera pas trop tard ?", s'enquiert Finnigan avec plus de pertinence que moi, qui regarde Caradoc — contente que ce soit lui, contente pour lui, mais en me demandant comment Dikkie, elle, va le prendre.

"C'est un rituel heureusement très long. On parle de plusieurs jours entiers", répond Elisa. "Ça devrait les mobiliser et vous donner plus de liberté d'action. C'est notre évaluation."

"Iris", reprend alors ma mère. "C'est une mission qui te revient de droit, mais qui n'aura rien... d'une promenade de santé... Et, je ne dis pas ça parce que je pense à toi comme ma fille", elle rajoute précipitamment.

Je ne sais tellement pas quoi dire que j'en suis mortifiée.

"Bon, voilà, vous aimeriez tous que ça soit simple pour nous deux mais ça ne l'est pas", constate ma mère — mon commandant, avec une simplicité qui force mon respect. "Essayons autrement. Caradoc, Iris, ce dossier, il va falloir le bosser comme aucun auparavant. Cette opération comporte tous les éléments qui déplaisent à un chef. On ne sait pas où on va. On ne sait pas exactement les forces en présence et le temps dont on dispose. Si on vous désigne en duo, c'est qu'on compte sur votre relation personnelle pour avoir une coordination exemplaire et une adaptabilité hors du commun, et susciter l'adhésion de vos troupes. Rien que ça."

"C'est un honneur, Commandante", commente Caradoc avec plus d'aplomb que je ne sais en réunir.

"Mais pas un cadeau, Caradoc", insiste notre commandante en plantant ses yeux gris dans ceux de mon ami d'enfance qui est aussi le fils d'amis très proches. C'est ce regard qui me fait me rendre compte à quel point elle doit effectivement avoir confiance en nous pour nous envoyer, lui et moi, dans une mission qui la fait autant flipper.

"On a toutes les raisons de ramener tout le monde à la maison", je décide de commenter.

Elle acquiesce en fermant les yeux, en guise de confirmation implicite.