XII Le risque

16 février 1999 (Rafael)

Plongé dans la synthèse de mes notes sur la perquisition de hangars à Douvres, je sursaute quand Tonks-Lupin revient en trombe dans notre bureau en claironnant : "On est de renfort sur une opération qui tourne mal. Voilà les coordonnées. Tu ne te perds pas en route."

L'avantage d'être au Ministère est qu'on peut directement transplaner là où on est envoyés. La zone est moldue, je le mesure en arrivant, mais en plein combat magique. A priori entre deux factions que je n'arrive pas à réellement distinguer.

"Lesquels sont nos copains ?", je souffle en m'allongeant à côté de Tonks-Lupin. On est sur un de ces grands toits plats que font les Moldus pour des raisons qui m'échappent, surtout dans un pays comme l'Angleterre : il y a des mares d'eau partout.

"Tonks !", appelle alors une voix masculine derrière nous. On se retourne d'un même mouvement, baguette pointée vers la voix.

"Gawain ?", vérifie ma mentore.

"Rejoignez-nous", invite la voix. "On vous couvre."

"Vas-y le premier", ordonne ma cheffe. Je protesterais bien, mais ce serait sans doute du temps perdu.

Comme je le craignais, Dikkie, l'aspirante de Gawain Robards, est à côté de son propre mentor, derrière un petit bâtiment surmonté de grands pics et matériels moldus, qui occupe un coin du toit. Je me place à leurs côtés le temps que Tonks-Lupin nous rejoigne.

"Bienvenue", l'accueille Robards. Juste après, je sens la barrière anti-transplanage qu'il installe sans attendre sur l'ensemble du bâtiment.

"Tu sais quoi ?", questionne Tonks-Lupin.

"Hawlish et sa petite sont quelque part là-dedans avec deux policiers. Ils étaient venus arrêter des trafiquants, mais ils sont tombés en plein règlement de comptes. L'idéal serait d'arrêter tout le monde. Le minimum est de les sortir de là. Y'a un escalier qui part d'ici... J'ai fait une reconnaissance en t'attendant : on arrive sur une passerelle qui surplombe une sorte de hangar... On pourrait pousser plus loin tous les deux — les gosses en couverture..."

"Ça me va."

Ce n'est pas l'avis de Dikkie et elle le fait savoir. "Rafael, en tir de loin, ce n'est pas une bonne..."

"Eurydice, l'Auror Tonks-Lupin sait...", commence à gronder Robards.

Tonks-Lupin pose une main sur son bras et il la regarde. "Elle a besoin d'avoir confiance. Lance une série de leurres, elle va voir qu'elle se trompe."

"On n'a pas mieux à faire ?!", contre Robards.

"Mieux que d'être une équipe confiante et opérationnelle alors qu'on veut avoir le dessus à quatre ?", questionne Tonks-Lupin en soutenant son regard.

Robards ravale ses protestations et me regarde. J'opine, la bouche sèche, mais en m'interdisant de réfléchir. Instinct. Réaction. Concentration. Ça fait trois semaines que ma mentore me serine ça d'entraînement en entraînement quasi-quotidien. Ça, et le fait que je suis prêt et qu'il faut que j'arrête de me cacher. Son fils puîné qui continue à partager certains de nos exercices dit à peu près la même chose à sa façon.

"À trois", prévient laconiquement Robards avant de lancer une série de cinq cibles d'entraînement tout à fait réglementaires.

J'en explose quatre, je touche la cinquième qui part en latéral et se brise contre le toit.

"Satisfaite, Aspirante Forrest ?", questionne Tonks-Lupin sans me regarder. Dikkie a blêmi.

"Sopo, depuis quand... ?"

"Là, je crois que ça peut attendre. Votre copine Nydia vous remerciera", la coupe Tonks-Lupin avec autorité. Robards a le coup de menton de soutien total en plus.

"Oui, prof... Auror Tonks-Lupin", arrive à réagir Dikkie.

"Vous ne nous laissez pas tomber. On compte sur vous. Et vous restez conscients de ce qui se passe autour de vous. Vous vous protégez. Compris ?", martèle ma cheffe.

Je confirme et Dikkie m'imite avec un temps de retard et des yeux comme des soucoupes.

Tonks-Lupin et Robards ne nous accordent plus aucune attention, mais s'observent mutuellement comme s'ils essayaient de lire leurs esprits respectifs.

"Je ne saurais mieux dire", commente ce dernier au terme de leur échange silencieux. "Je connais un peu les lieux. J'y vais ?"

"Ça paraît une bonne décision", abonde Tonks-Lupin.

Ils entrent l'un après l'autre. On compte les cinq secondes réglementaires et Dikkie me fait signe d'entrer le premier. Il y a une drôle de lueur dans ses yeux. Ou j'imagine. Or l'imagination, c'est un ennemi dans ce genre de situations. C'est un des trucs que répète Jeffita.

Je bloque donc de mon mieux toutes ces pensées parasites et je me concentre sur la porte qui grince, les silhouettes de nos aînés qui ont avancé sur la passerelle. J'identifie un recoin qui me donne une bonne vision sur eux, mais aussi sur la porte par laquelle Dikkie va suivre.

Elle est là avant que j'aie besoin de changer de position. Elle prend ma place et j'avance jusqu'à un entrecroisement de passerelles. En bas, ça barde entre un tireur embusqué derrière un camion dont les vitres ont explosé et deux hommes qui se protègent l'un l'autre. Encore que dos à dos, ce serait mieux, suggère mon cerveau qui a développé de nouveaux avis sur la question ces dernières semaines.

Tonks-Lupin s'est retournée vers nous. Elle nous indique l'escalier et de nous placer en vis-à-vis pour les protéger. On répond par signes qu'on a compris et on s'exécute. Robards et Jeffita attendent qu'on soit en place pour s'engager, dans le même ordre que précédemment, dans l'escalier. Je note leurs gestes fluides et leur concentration totale. Avant, je les aurais enviés. Maintenant, je me dis juste que c'est ce que je dois atteindre. Ils ont le temps d'attendre le palier du dessous avant que les gars en bas, pris dans leurs affrontements, les remarquent.

"T'attends de l'aide, Wilson ?", hurle un des gars. Plutôt grand, mince, agile, basané, je note. Pas très diversifié dans ses sortilèges.

"Fais pas ton innocent, Malhotra !", répond l'embusqué sur le même ton. "Je ferai tout sauter plutôt que de céder ! Dis-leur de reculer !"

"Sont pas avec nous !," indique avec justesse ledit Malhotra, mais il ne semble pas que son opposant - Wilson - le croie.

Dikkie a atteint le haut de l'escalier et elle me regarde. J'acquiesce pour dire que je la couvre, mais Jeffita, du palier, nous fait signe d'attendre. Robards, au même moment, peut-être pour calmer le jeu, assomme le complice de Malhotra qui s'écroule avec un cri de surprise et de douleur qui me glace. Mais Tonks-Lupin fait un nouveau signe, Dikkie s'élance dans la volée de marches métalliques, la baguette en avant. Malhotra la vise et je bloque le sortilège d'un bouclier précis, content de voir qu'une fois de plus mon instinct et ma réactivité prennent le pas sur des pensées parasites.

Dikkie ayant rejoint nos chefs et se tournant vers moi pour me couvrir, je m'approche à mon tour des marches. Au rez-de-chaussée, les combats ont cessé. Je ne vois plus de mouvements là où était l'embusqué. Malhotra secoue son pote allongé et renonce. Il n'hésite qu'un bref instant et sort par une porte. Je suis vite avec eux.

"On l'arrête, non ?", propose Robards.

"Les policiers doivent tenir le périmètre", lui rappelle Tonks-Lupin. "Ta barrière anti-transplanage va le retenir ce qu'il faut." Robards opine et trace des messages sur son jeton, sans doute pour les policiers. "Aucune trace de Hawlish."

"On va à l'aveugle", renchérit Robards.

"Je pense que Wilson est le local de l'étape. C'est lui qu'on doit trouver", estime alors ma mentore, en me jetant un regard d'évaluation que je commence à bien connaître, mais sans faire de commentaire. Je me place en miroir de Dikkie et laisse mes aînés discuter du plan.

"T'as une idée, Dora ?", enquête Robards.

"Infiltration", elle propose et son visage se met à changer. Il prend des traits indiens et masculins. Dikkie inspire bruyamment à côté de moi. Robards, lui, prend un air entendu. "Je peux lui proposer une alliance contre nous — ces inconnus arrivés par les toits..."

"Et moi et les enfants, on fait quoi ?"

"Vous me protégez", elle propose avec une voix qui ressemble à celle qu'on a entendue dans la bouche de Malhotra. Je la savais métamorphomage — parfois dans les entraînements, souvent pour se moquer de moi, elle a joué de son apparence, mais jamais aussi loin.

"La communication va rendre ça difficile", souligne Robards.

Jeffita commence par accepter l'objection d'un coup de menton.

"On se prépare des messages d'urgence absolue sur le jeton et j'ai mon jeton d'évacuation prêt. Je l'active, tu fais tomber la barrière anti-transplanage", elle propose.

Je n'ai pas besoin de regarder Dikkie pour sentir combien elle est, comme moi, sidérée et excitée à la fois de voir des pages entières de manuel et des heures d'entraînement théorique prendre corps.

"Shacklebolt te dirait oui ?", interroge encore Robards.

Sous sa nouvelle apparence, Tonks-Lupin paraît peser la question avec sincérité.

"Il veut qu'on sorte Hawlish et les autres de là", elle affirme de cette voix qui n'est pas la sienne et qui renforce le côté totalement incroyable de la scène.

"Amen", soupire Robards.

La suite me semble aller trop vite. Jeffita, sous sa nouvelle apparence, descend les escaliers quatre à quatre, nous la poursuivons en faisant bien exprès de ne pas la rattraper. Robards pousse le réalisme jusqu'à la sommer de s'arrêter au nom du Ministère et à tirer quelques sortilèges moins bien ajustés que ce que je faisais il y a trois semaines. On la laisse s'enfuir dans le fond du hangar, entre des piles de marchandises couvertes de plastique collant.

"Wilson", on l'entend souffler. "Wilson, ils ont bloqué les transplanages... Wilson ? Fais pas le con ! S'ils m'arrêtent..."

Il y a un mouvement brusque et des bruits étranges. J'ai l'impression qu'elle est happée derrière une pile. Mon premier réflexe est de me précipiter et Robards m'arrête avec autorité.

"Non, petit. C'est dur, mais non." J'opine la mort dans l'âme. "On va y aller ensemble et prudemment", il rajoute. "Formation rapprochée. Je suis au centre. On chuchote."

On avance entre les piles de marchandises, lentement, en prenant soin de se protéger les uns, les autres. Dikkie a l'air stressée, Robards, concentré, et moi, je n'en sais rien. Mon cœur bat à tout rompre et je me dis que s'il arrive quoi que ce soit à Tonks-Lupin... je ne le supporterai pas.

"On cherche quoi, exactement, chef ?", questionne Dikkie alors qu'on arrive dans la zone où Jeffita a disparu.

"Un truc qui nous dirait où ils se cachent", répond Gawain sans la regarder.

Je ne sais pas pourquoi, d'un seul coup, je trouve un morceau du sol à ma droite, juste à l'arrière d'un nouveau camion, différent. Je ne sais pas ce qui attire mon regard. Ni exactement ce que je vois de si différent. Mais je m'arrête. Robards revient sur ses pas, suit mon regard et pose la main sur mon épaule.

"Bien joué, petit. C'est sans doute ça qu'on a entendu. Une trappe qui s'ouvre", il développe. Dikkie nous a rejoints. Robards écrit "trappe" sur son jeton et on attend. Est-ce que Jeffita pourra répondre quoi que ce soit ? Même le code prévu me parait ambitieux. Je me mordille les lèvres jusqu'au moment où s'affiche un nouveau message : "4 otages. 1 complice. Attendre".

Robards a l'air frustré, mais il acquiesce silencieusement, sans doute plus pour nous que pour elle. Les secondes deviennent des minutes pendant lesquelles on regarde la trappe comme si quelque chose allait s'inscrire dessus.

Le jeton s'éclaire alors pour indiquer "2e entrée : soupirail" puis "Revers, ASP. trappe"

"Je vais y aller", confirme Robards. "Je me trouve un policier pour me soutenir. Vous, vous restez ici, ensemble. Vous empêchez toute sortie. Vous entrez quand je vous le dis. Dikkie d'abord. Rien de personnel, Sopo mais t'es quand même là depuis pas longtemps."

On a juste le temps d'articuler "compris" qu'il a disparu en courant.

"On dirait que c'est notre baptême du feu", murmure Dikkie en faisant de son mieux pour avoir l'air en contrôle, mais je sens ses frissons. J'ai les mêmes. Elle se ressemble davantage quand elle rajoute : "Heureusement qu'il semble que Tonks-Lupin ait... C'est juste incroyable, tes progrès !"

"Je suis d'accord", je finis par répondre quand j'ai ravalé l'envie de lui balancer des trucs moins conciliants. "Et content."

"Faudra nous raconter... "

"Beaucoup de travail", je marmonne parce que je ne me vois pas lui dire autre chose. La meilleure défense restant l'attaque, je questionne à mon tour : "Tu veux qu'on s'organise comment ?" Comme elle a l'air surprise, je développe sans arriver à surmonter un peu de joie mauvaise de lui damer le pion sur son registre de bonne élève. "Il a dit que tu entres et que je te couvre, mais on l'ouvre comment cette trappe ? On l'explose ?"

"On peut", elle commence, mais on sent en même temps nos jetons brûler dans nos poches. On les sort chacun de notre côté, d'un geste pas si fluide, pour lire : "On entre dans 5 secondes" puis le décompte se fait et, faute de nouvelle idée, on explose la trappe de concert. Il y a des cris et de la fumée.

Dikkie a un regard vide pour moi avant de sauter. Je me jette sur le bord de l'ouverture pour lancer un bouclier au jugé autour d'elle. Il me semble l'entendre gémir et je ne vois qu'une chose à faire : sauter à mon tour. Une bordée de sortilèges cuisants m'accueille et une main me tire derrière une caisse. Je me retrouve collé à la très belle Dikkie et il y a bien quelques cellules de mon cerveau pour trouver le temps de trouver ça intéressant.

Depuis notre cachette, on voit du côté d'un mur extérieur Robards et deux policiers faire reculer un nouveau type qui n'a pas l'air très à l'aise. Dikkie prend sur elle de sortir à découvert pour se mettre en position de couverture pour Robards qui vient d'allonger le complice de Wilson et commence à l'entraver. Je décide de me tourner vers l'autre côté de la salle où se déroule un autre duel plus équilibré.

"Traître !", crie ledit Wilson à Tonks-Lupin qui laisse tomber son déguisement.

"Mais non, Trésor, Malhotra est juste malin, il est parti quand il a compris qu'on aurait le dessus." Je me projette à ses côtés pour la soutenir. "Il est temps de se rendre, Wilson", affirme ma mentore d'une voix égale.

"Jamais !", hurle le type et, là, il tire Nydia, jusqu'alors assise, entravée contre le mur, par les cheveux pour la placer devant lui.

"N'aggrave pas ton cas en menaçant des membres du Département d'application des lois magiques", commente froidement Tonks-Lupin.

"Laissez-moi partir et elle aura la vie sauve", réplique Wilson, les dents serrées.

Ça va alors très vite. Robards d'un tir précis libère Hawlish qui se jette physiquement sur Wilson. Ce dernier, avec des réflexes impressionnants, se tourne et lui envoie en pleine face un sortilège que je ne reconnais pas. Hawlish s'effondre avec un cri étranglé. Il me semble voir des gouttelettes de sang dans l'air. Nydia, maintenant libérée, titube par réflexe vers Tonks-Lupin, l'empêchant du même coup de tirer. De la main gauche, ma mentore la prend par le bras pour la pousser vers moi et, de la main droite, assomme Wilson.

"Merde", est le commentaire de Robards qui s'est penché sur Hawlish. "Merde !"

24 janvier 2021 (Dora)

Ron détaille le plan qui a pris beaucoup de consistance ces derniers jours devant un jury composé de Maisonclaire, de Zorrillo et de Carley Paulsen. Moi, je suis là en soutien symbolique parce qu'il n'a pas deux secondes besoin de moi. Il a une totale maîtrise des lieux, des équipes et des temporalités. Elisa Cresswell est présente pour la liaison avec nos experts, mais même ces éléments-là sont bien intégrés dans le discours de mon sous-commandant.

Quand Ron décrit les équipes : trois Aurors en Écosse, trois Aurors en Irlande, deux chefs d'équipe habitués à opérer de concert, le lieutenant Finnigan en coordinateur d'éventuels renforts, des policiers de chaque côté pour sécuriser le périmètre et éviter toute fuite, un Tireur pour protéger les arrières des Aurors. Quand il cite le nom de ma fille, les autres me regardent et je ne souris pas. J'ai la vague impression d'être une de ces héroïnes grecques sacrifiant ses enfants pour lever une malédiction, faire tourner des vents ou tomber des murailles. Une magie primitive et sans égale.

Zorrillo discute quelques détails — il demande notamment si un Tireur dans chaque équipe est suffisant, en évitant soigneusement de me regarder. Maisonclaire, elle, exige des assurances sur la confidentialité. Ron joue le jeu des détails, plaide pour des équipes resserrées et mobiles avec des renforts prêts à intervenir. Il demande à Keggs si on peut prévoir des Tireurs dans une réserve confiée à Finnigan. Keggs accepte. Ron termine en répétant qu'il a besoin de toutes les informations disponibles en temps réel. Carley approuve et, quand Philippine me regarde comme si elle avait besoin de mon aide, je souris.

"Dora, nous mesurons combien la situation est compliquée pour toi, mais...", commence Maisonclaire de son ton raisonnable, si agaçant quand on n'est pas de son côté.

"Je t'arrête, Philippine. La situation de mon point de vue n'est pas compliquée. Une intervention est nécessaire et elle est en cours d'organisation, avec des moyens conséquents mis à disposition de notre côté, et il m'a semblé que vous endossiez ce que nous proposons."

"Je ne parle pas de ça."

"Ne me ressers pas le couplet de ma sensiblerie, Philippine. La question est l'ampleur du risque et c'est mon métier. J'ai confiance en mes adjoints. J'ai confiance en l'analyse de mes services. J'ai confiance dans l'équipe choisie par le sous-commandant Weasley. J'ai confiance en l'Auror Lupin-McDermott et en ma fille. Personne n'est là pour de mauvaises raisons. Je sais aussi que j'ai la confiance de mon Département", je martèle. Carley a le signe de tête que j'espérais — trop d'années qu'on joue à ce jeu. "Ce que je ne sais pas, c'est ce que vous ne dites pas. Avez-vous davantage d'analyses sur le rituel ? Que dit votre réseau à l'échelle européenne ? Que dit Madrid ?"

Zorrillo a baissé les yeux et évite le regard de Philippine. Celle-ci fait semblant de regretter que Ron ou Elisa soient là. Personne ne cille. Même Carley.

"Toutes nos analyses coïncident avec les vôtres", elle finit par répondre un ton de voix plus grave que d'habitude. "Nous pouvons sans doute les partager avec vos équipes", elle rajoute toujours sur la défensive.

"Ce serait réellement réconfortant", commente Carley avec un sarcasme que Severus ne renierait pas.

Philippine choisit de ne regarder que moi. Je me dis que notre alliance amicale franco-britannique ne sortira décidément pas indemne de cette histoire. Le pire est que je m'en fiche.

"Madrid reste en alerte, mais pas officiellement. Nous vous avons déjà expliqué la situation."

Carley et moi opinons. Peut-être en resterait-elle là, mais Zorrillo pose sa main sur son bras avec un regard entendu. Philippine hésite, je le vois. Puis se résout. "Reste... un message que nous venons de recevoir... Nous avons alerté notre... infiltré sur une possible intervention... et nous avons reçu... ce message... Plus long que d'habitude. Je ne pense pas qu'il va te plaire, Dora", elle conclut.

Sans attendre la fin de la sortie, Zorrillo a poussé un papier moldu vers moi avec les mêmes caractères d'imprimerie que d'habitude.

LE MOUTON NOIR EST CONTENT DE GOUTER ENCORE AUX PÂTURAGES DES ILES DU NORD A L'HORIZON DÉGAGÉ. LE MATIN IL SE BAIGNE DE LA LUMIÈRE CELTE. LE SOIR, IL SE NOURRIT DE LA LUMIÈRE PICTE. MAIS CES GLORIEUX PÂTURAGES PARAITRONT DIFFÉRENTS SOUS LA LUNE FROIDE. LA TOISON DU MOUTON NOIR NE SERA PAS ASSEZ ÉPAISSE POUR L'AFFRONTER. LE DESTIN EST UN CHEMIN RISQUÉ ET SOLITAIRE.

"On dirait des adieux", estime Zorrillo avec une vraie tension, presque des excuses, dans la voix.

Ron et Carley lisent par-dessus mes épaules. Elisa ronge son frein en attendant son tour. Moi, je secoue la tête :

"La pleine lune est dans six jours. Il faut demander à tous nos experts si la lune peut avoir une influence symbolique ou une importance dans ce rituel", j'estime, et Elisa acquiesce alors qu'elle est en train de lire le message. Personne ne relève ou ne met en doute ma connaissance du calendrier lunaire. "Et il nous dit qu'il comprend bien qu'on ne pourra peut-être pas le sauver, mais il nous dit aussi où il est. Le matin en Irlande. Le soir en Écosse. Ron, faut que tu fasses confirmer ça par Iris et Caradoc."

"Bien sûr, Commandante."

"Tu es certaine... ?"

"Philippine, depuis le début, ce qui t'inquiète, c'est le lien entre Dora et... Il me semble qu'on peut dire son nom à haute voix à ce stade : Rafael Soportújar. Tu as peur qu'on prenne des décisions irrationnelles pour le protéger", la coupe Carley avec son autorité naturelle.

Ça faisait bien longtemps qu'il ne m'avait pas défendue aussi nettement en public. Je sais qu'il ne le fait pas seulement en ami, mais aussi pour montrer la solidité de l'équipe britannique. C'est ce que Philippine, mais d'autres aussi, ne comprend pas sur la nature de notre Entente. Notre ambition commune est de servir effectivement notre communauté, de peser positivement sur son évolution. Le mieux placé pour le faire aura toujours le soutien de l'autre.

"Mais ce lien va peut-être faire qu'on va avoir un pas d'avance sur la Nouvelle-Atlantide. Elle l'a formé, elle sait comment il pense. Il me semble que son interprétation doit être prise en compte."

"Est-ce qu'il ne dit pas aussi que c'est bien en mer d'Irlande, entre l'Écosse et l'Irlande, que le relief va changer ?", intervient Ron, les sourcils froncés, avant que Philippine ait pu décider de comment elle veut continuer la conversation.

Zorrillo se redresse et le regarde.

"On va vérifier ça", décide enfin Philippine. "Vous et nous, c'est l'urgence numéro une."

"Et partager nos conclusions", je souligne quand même.

Tout le monde sourit cette fois autour de la table avec une connivence professionnelle enfin un peu plus consistante. Carley a son clin d'œil furtif pour moi. J'espère qu'il a raison.

oo 25 janvier (Dora)

A la réunion suivante, le lendemain, on a confirmé l'emploi du temps de celui qu'on commence parfois à appeler Sopo. Il a bien été vu les matinées en Irlande et les soirées en Écosse. Jamais vu dans un bateau. Jamais de transplanages ou de portoloins détectés. Les fameux passages directs entre les deux lieux semblent le plus probable.

On a aussi vérifié nous-mêmes que les analyses concordaient. Même sur l'effet de la pleine lune sur le ou les rituels possibles — il y a plusieurs possibilités ou variantes. L'amplification des marées serait ici en cause pour des raisons que j'ai eu du mal à suivre — ou je n'ai pas eu envie.

On a donc collectivement ordonné à Iris et Caradoc de se préparer pour un assaut pour la matinée avant la pleine lune, sans donner cette date à leur troupe néanmoins. Oui, la paranoïa est là, mais pour le coup, je la partage.

En rejoignant mon bureau à la Division, je vois Samuel retourner dans le sien. Il a l'air plongé dans la lecture de parchemins et marche sans regarder devant lui. Ses collègues l'évitent. Puis me voient et hésitent à le prévenir que je le suis. Je leur fais un sourire et ils laissent tomber.

J'entre ainsi dans son bureau sur ses talons. Il le partage avec Thomas Coughlin, qui l'assiste dans l'affaire en cours, et son ancien aspirant, Adrian Boot. Mais aucun des deux n'est là. Je referme la porte derrière nous avec les sortilèges nécessaires pour éviter les interruptions et les fuites intempestives, et il sursaute.

"D... Dora !", il s'exclame. Et, je suis bien contente qu'il n'ait pas eu recours à mon grade.

"Dans cinq jours, à l'aube", je lui annonce en soutenant son regard. Je lis dans ses yeux qu'il comprend très bien ce que je viens de lui révéler. "Tu es la seule personne hors de l'équipe de direction qui sait", je souligne néanmoins. "Même les renforts probables ne le savent pas encore."

"Juste avant la pleine lune", il souffle, ses yeux sont allés vérifier sur le calendrier punaisé au mur sous des dessins des filles et une photo d'Iris. Je note qu'il n'a pas protesté de l'absence persistante de sa femme.

"Le rituel aura commencé, mais ne sera pas assez avancé pour ne pas être arrêtable. D'après les experts."

Il opine de nouveau, incertain.

"C'est pire de savoir ou de ne pas savoir ?", je lui demande avec curiosité.

"De ne pas savoir", il affirme avec conviction.

"Remus ne saura pas", je commente avec un soupir.

J'aurais peut-être développé mes raisons, mais quelqu'un essaie alors d'ouvrir la porte et, comme elle résiste, frappe en criant :"McDermott ? T'es là ?"

Thomas Coughlin, l'adjoint du moment de Sam, je reconnais. On entend aussi dans le couloir quelqu'un dire qu'il m'a vu entrer dans le bureau et la poignée se calme.

"Je vais te laisser tranquille", j'annonce à mon gendre. "Tu sauras quoi leur dire ?"

"Oui, Dora", il sourit avec une indulgence que je ne mérite pas.

"Au fait, le procès ?", je questionne, une fois que j'ai levé les sortilèges. Coughlin entre un peu timidement. Mais, au moins, cette conversation-là est pour toutes les oreilles.

"On aura le jugement après-demain matin", m'indique Samuel d'un air entendu.

"Tiens-moi au courant", je conclus donc et il promet.

ooooo

Vous avez jusqu'à début août pour vous faire toutes les théories qui vous viennent à la fois sur le passé et le présent. J'espère du courrier.