XV L'attaque

Août 1999 (Rafael)

L'été arrive plus vite que je ne l'avais pensé. De missions en arrestations, de gardes en filatures, de succès dont on est fiers en échecs acceptables, d'entraînements en sessions au Magenmagot où je témoigne plusieurs fois, j'ose me dire que je prends confiance en moi, que je ne suis pas totalement une imposture. Ma baguette ne s'est pas désintégrée ; mon contrôle et ma précision ne font qu'augmenter ; rien de catastrophique n'est arrivé à Don Curro ; ou à quiconque que je connais.

Et le fait d'avoir Nydia Lytton dans mes bras de plus en plus ouvertement me rend sacrément optimiste. Presque à mon insu. L'annonce officielle du non-retour de Hawlish a été un coup dur pour Nydia, mais peut-être pas autant que je le craignais. Comme Shacklebolt semblait l'avoir parié, ma petite amie quasi-officielle semble avoir retrouvé un semblant de sérénité dans l'exigence bienveillante de Tonks-Lupin, qui n'a jamais remis en cause l'arrangement de départ, que je sache. Je ne dis pas que je l'aurais obligatoirement su, mais je n'ai jamais eu même l'impression qu'elle y songeait. Mois après mois, les rumeurs désobligeantes sur le compte de Nydia ont d'ailleurs quasiment cessé devant ses résultats.

Tout ça contribue à me faire prendre une décision inouïe : je propose à Zoya et Albus, qui viennent de recevoir leur athamé qui fait d'eux des Aurors officiels, de nous accompagner, Nydia et moi, en Andalousie pour deux semaines de vacances au soleil. C'est une expérience suffisamment nouvelle pour que je ne sois même pas jaloux de la famille Tonks-Lupin, qui part au Japon en visite de cet aîné, Harry, que je n'ai toujours pas eu la chance de rencontrer. Et, des plages de Malaga à mes montagnes natales, ces vacances dépassent tout ce que je pouvais même rêver : des amis qui rient de mes blagues, suivent mes conseils, font des efforts pour apprendre quelques mots de ma langue natale et trouvent mes montagnes charmantes avec un air sincère confondant ; une camaraderie qui permet à la fois de sauter dans des rivières glacées comme de danser dans des boîtes de nuit dans les villes balnéaires ; une petite amie attentive dans mon lit et prenant ma main dans les ruelles blanches de Cordoue et m'embrassant dans la Cour des Lions de l'Alhambra ; comme si, la malédiction de ma baguette évaporée, mon destin de mouton noir pouvait disparaître.

On peut dire que je suis donc sauvé par des réflexes plus profonds que mon nouvel optimisme, par mon entraînement peut-être, par une vigilance que je ne savais même pas posséder. On peut dire aussi que je suis sauvé par le fait que mes amis sont autour de moi quand ça arrive. Derrière moi, plus exactement. Les filles ont voulu retourner sur cette place en hauteur où on voit si bien l'Alhambra. Pourtant, il est tard, même pour l'Andalousie. On n'a même pas croisé un chat alors qu'on retourne lentement vers nos lits. Je suis devant ; les filles sont vingt mètres derrière, discourant de choses que je n'entends pas, et Albus est plus loin encore — il a appelé quelqu'un sur ce miroir flambant neuf qu'il vient de se payer. Les trois gars me tombent dessus physiquement et magiquement — deux par la gauche, un par la droite. Et, ce sont mes réflexes qui font que je titube, mais me redresse, que je suis surpris, mais prêt à riposter alors même que les filles accourent à mon secours. Les trois types reculent devant ma réaction, mais ne lâchent pas.

J'ai cette impression étonnante qu'ils sont désespérés de réussir plus que compétents. Mais quand on est quatre, à se couvrir mutuellement, ils mesurent qu'ils ont raté leur coup. Ils pourraient fuir, mais ils prennent une autre décision : ils s'en prennent aux bâtiments autour de nous, au mobilier urbain moldu comme on dit dans les rapports, et nous balancent tout ce qu'ils trouvent dans la gueule. Des tuiles pleuvent. Des volets se transforment en flèches. Des bancs en catapultes. Des pots de fleurs explosent avec une pluie de terre et de feuillage. La ruelle blanche et coquette se transforme en peu de temps en scène de guerre. Nous essayons de calmer le jeu en ne répliquant pas, mais ça s'avère rapidement vain. Il est clair qu'ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils auront une once de magie dans leur corps à utiliser contre nous.

"Faut les arrêter", estime Albus d'une voix crispée.

Comme il a raison, on tente une manœuvre d'encerclement utilisant l'épais mur d'une chapelle pour les coincer. Ils reculent assez pour qu'on croie qu'on a une chance de réussir. Pour que j'aie le temps de me dire que ce sont trois jeunes gens du même âge que nous et même que je remarque que l'un des trois tient sa baguette comme je le faisais il y a encore quelques mois.

Au moment où je vais tenter une médiation, avec cette énergie désespérée, mais créative, dont ils font preuve depuis le début, ils trouvent une sorte d'issue : deux d'entre eux lévitent le troisième jusqu'à un toit d'où il peut sans risque nous canarder. Pris entre deux feux, bridés par notre entraînement à protéger les civils et à toujours chercher la désescalade, et sans aîné expérimenté pour nous guider, on se laisse déborder.

Un de nos agresseurs décide alors de passer en force entre Zoya et moi ; j'essaie de le bloquer physiquement, mais le gars sur le toit me lance une pluie de tuiles dont je dois me protéger. L'air est saturé de poussières diverses et suffocantes. Une autre ombre me fait penser que le troisième a passé mes camarades. Je me jette au jugé et je ne suis pas loin de le plaquer au sol. Le type me repousse et sort un couteau. Nydia hurle mon nom. Zoya crie des sommations en anglais. Un sortilège éclaire un instant l'air surchargé en particules et j'entends le glapissement du type qui roule au sol. Le deuxième le ramasse et s'enfuit avec lui. Albus se rue à leur poursuite et je suis sur ses talons. Au loin, de plus en plus près, des sirènes indiquent que nos débordements ne sont pas passés inaperçus des forces de police moldues.

On arrive sur une rue plus moderne et les trois gars se jettent dans un véhicule qui visiblement les attendait. Il démarre dans un crissement de pneus qui me fait penser au cri des troupeaux de Sombrals en rut. On tire tous les quatre au jugé — les filles nous ont rejoints, et la voiture zigzague, manque de rentrer dans un mur, mais disparaît au coin de la rue. On va la poursuivre quand se matérialise devant nous un groupe sombre et intimidant dont je reconnais immédiatement le blason brodé d'une grenade palpitante sur l'uniforme.

"Des Aurors", je préviens mes amis en anglais avant d'essayer d'expliquer la situation en espagnol. Dois-je dire qu'ils n'écoutent pas grand-chose et nous arrêtent sur le champ ?

On est séparés, mais pas spécialement questionnés au-delà de nos identités respectives. Passé le moment d'incrédulité — quatre Aspirants britanniques, dont un de nationalité espagnole ? —, on devient clairement un problème dépassant même les Aurors expérimentés qui sont venus nous arrêter. On est placés en cellule sans réelle indication de ce qui va suivre. Le gars qui me pousse dans la cellule a juste assez pitié de moi pour me conseiller de dormir et prendre des forces. Je me laisse tomber sur la mince couchette en me demandant si j'ai déjà dit ça à quelqu'un que j'ai arrêté. Je n'arrive pas à retrouver un moment où j'ai eu autant de compassion pour l'un d'entre eux. Mon cerveau se bloque sur cette incohérence et je dois m'endormir sans m'en rendre compte.

Dans le bureau où l'on me traîne le lendemain, on devine un soleil extérieur ardent, bien tempéré par des volets intérieurs. L'Auror en face de moi est clairement plus gradé que tous ceux que j'ai pu voir la veille. Il se présente comme le lieutenant Amilcar, et me fait répéter mon identité comme si elle n'était pas crédible. Ou c'est mon nom sulfureux qui l'interpelle. Allez savoir.

J'aimerais dire qu'Amilcar me laisse une chance de donner ma version des événements, mais ce n'est pas réellement le cas. J'aimerais dire que je lui fais confiance, mais c'est aussi peu vrai. Il veut bien savoir qui sont les "autres protagonistes" — sa formulation — mais je n'ai pas la réponse cohérente à cette question. Pas de preuves, pas d'accusation, m'a-t-on répété lors de ma formation à Londres. Il me demande aussi si j'ai une idée du montant des dégâts que nous avons occasionnés. Je me contente de secouer la tête. Il soupire et dit aux gardes de me reconduire dans ma cellule.

Je mange le maigre repas qui s'y trouve et je fais une sieste parce que je suis absolument trop assommé pour envisager autre chose. C'est la porte qui s'ouvre sur un inconnu qui me réveille.

"Lieutenant Alcides Fervi, Division centrale", il se présente martialement, me dévisageant de sa haute stature et de ses yeux bleus limpides.

Je me redresse, en ruminant qu'il a bien la tête, la stature et le comportement d'un sang pur castillan. Sans parler de son prénom grec. Même ses robes officielles d'Auror, avec le Taureau brodé de la Division centrale, semblent mieux coupées que celles de ses collègues — de mes potentiels collègues. Et, sans doute, le sont-elles. Il a également une bonne dizaine d'années de plus que moi tout en étant plus jeune qu'Amilcar. Un gars qui est vite monté dans la hiérarchie, je décide. Mon animosité constitutionnelle intacte, je garde le silence. Il décide de s'asseoir en face de moi.

"Je suis certain que tu as compris que l'attaque était contre toi, Rafael. Tu es tout ce qu'ils détestent", il continue après avoir lui-même gardé un temps la bouche close. "Des pauvres gars qui n'avaient rien à perdre, contre toi... qui était plus solide qu'ils ne le croyaient, et mieux accompagné aussi. Mais même s'ils ne t'ont pas tué... ils t'ont eu..."

"Vous ne savez rien de moi, lieutenant", je lâche, sans doute plus bravache que convaincant. J'ai noté le "ils" comme si, à la fois, ce Fervi partageait mes soupçons intimes — ceux que je n'ai pas osé formuler à haute voix — et ne savait comment les nommer. Comme Don Curro ferait, je sais. Mais on ne m'achète pas si facilement, je me promets.

"Rafael Éolo Soportújar, fils de Azahara et d'un père réputé inconnu", il récite, allant jusqu'à fermer les yeux comme pour mieux se concentrer. "Élevé par sa grand-mère, Nuria, maître des potions réputé, et éduqué, en partie, par son grand-père Curro de Piedra Fuerte, maître de potions lui aussi..."

"Pardon ?!"

Alcides Fervi ouvre alors ses yeux pour les planter dans les miens avec sa prochaine banderille : "Un nom plus facile à porter que Soportújar, tu ne trouves pas ?"

Je ravale mes questions à grand-peine, mais elles sont là, et il a la finesse de ne pas triompher.

"Ce ne sont pas des choses qui sont dans ton dossier", il insinue.

"D'où alors ?"

"As-tu déjà entendu parler de la Hermandad ?" il souffle alors, notoirement plus prudent.

J'ai aussi noté la majuscule muette qu'il a mise à un des mots espagnols qui désigne ce que vous appelleriez une "confrérie" — un mot qui souligne la fraternité attendue entre ses membres.

"De magos unidos ?", je vérifie quand même, sur le même ton que lui. Ce n'est pas un nom qu'on évoque haut et fort. Don Curro était inflexible sur la question. Alcides Fervi a l'air content de ma réaction, mais mon esprit surchauffé est arrivé à une objection nouvelle : "Que feraient les Fervi dans une confrérie qui lutte contre la suprématie du sang ou l'unification autoritaire des pratiques magiques ?"

"Je pense que j'en sais davantage sur toi que tu n'en sais sur les Fervi, Rafael", il m'oppose presque gentil. Gentiment supérieur.

"Des serviteurs du gouvernement magique castillans d'aussi loin que remonte la mémoire des hommes", je cite encore Don Curro et c'est moins douloureux que je l'aurais pensé. Quelque part, qu'il ait été mon peu courageux grand-père me paraît presque expliquer tout ce qui m'a toujours intrigué dans sa présence et sa relation avec ma grand-mère.

"Notre point commun est de servir", admet Fervi. "Mais la forme de ce service peut varier selon les époques et les choix personnels."

"Qui me prouve que vous n'êtes pas de mèche avec ceux qui ont voulu m'intimider ?", je presse, retenant à grand-peine le "Don Alcides" servile qui m'est venu.

"Je t'ai donné le nom de ton grand-père. Je ne peux pas promettre que seule la Hermandad le connaît mais... si c'était différent... Don Curro... aurait été une cible facile... plus facile que toi... Et, je répète qu'ils espéraient sans doute faire mieux que t'intimider, Rafael."

Ma sécurité est le dernier de mes soucis actuels. Totalement supplantée par des choses comme la tentation de le questionner sur l'identité de mon père — une tentation gigantesque, visqueuse et éblouissante en même temps. J'invoque Jeffita et son calme détaché et empathique, qui m'inspirent depuis des mois, pour essayer de trouver une approche moins directe.

"Que me proposez-vous exactement ?"

"Cette après-midi, des Aurors britanniques doivent venir essayer de trouver un accord avec la Division de Cordoue et nous — je parle du Bureau espagnol dans son ensemble, pas de la Division andalouse", il m'explique en se redressant. "Ils ont envoyé vos dossiers et ils ont l'air de t'avoir davantage à la bonne qu'on le pensait. Un point pour toi. Mais vont-ils tout faire pour te sauver ou penser que tu peux servir de monnaie d'échange pour les trois autres ?"

La vérité est que je n'en sais rien et que je ne sais pas le cacher. Si Jeffita avait été de la partie, peut-être aurais-je osé espérer, mais elle doit profiter de sa famille au pays des cerisiers en fleurs — si c'est la saison. Ce n'est pas parce que ses enfants montent maintenant sur mes genoux quand ils passent à la Division de Londres ou que son fils Cyrus estime que le clan m'a adopté et pense parfois à m'inviter boire des bières que je dois penser qu'elle va tout laisser tomber pour moi. Sera-t-elle même prévenue ?

"Parce que les dommages matériels sont importants, sans parler de la violation du Secret. Pas des trucs qui vont faire chics dans vos dossiers de jeunes Aurors jusque-là élogieux. À quel point seront-ils prêts à négocier, tu crois ?", insiste Fervi.

"On a été attaqués !", je rappelle avec colère.

"Tes petits copains sont assez prompts à dire que tu as été attaqué et qu'ils sont venus à ton aide. Loyaux néanmoins. Cette fille, qui n'est même pas ta petite amie, reconnaît qu'elle est celle qui a dû blesser Fermin Garnati... Elle a de la chance qu'on l'ait retrouvé mort égorgé depuis... — se débarrasser d'un petit mouton noir comme lui n'a pas dû embarrasser bien longtemps les commanditaires... Mais, tout cela fait désordre."

"Vous voulez quoi ?", je demande avec humilité cette fois. Je n'ai manqué aucun des sous-entendus. Le gars que Zoya a blessé était d'ascendance maure, comme son nom Garnati, de Grenade en arabe, le laisse clairement entendre aux oreilles de Fervi comme aux miennes. On l'a égorgé comme un mouton et, là encore, la méthode est connue. Est-ce qu'un de mes camarades a laissé échapper qu'on me surnomme the black sheep ? Je ne veux même pas le savoir.

"La vraie question est ce que tu veux, toi, Rafael", m'oppose Fervi avec son ton de grand-frère protecteur que je fais de mon mieux pour ne pas prendre pour argent comptant. "Parce que si tu refuses la protection de la Hermandad, j'espère que tes amis anglais seront loyaux au point de te trouver une place pérenne dans leurs rangs."

"Je n'ai pas fini mon aspiranat", je réponds un peu au hasard. Est-ce que Don Curro n'a pas déjà dit que même en Angleterre, je ne serais pas à l'abri de ceux qui se seront offusqués que j'ai un accès complet à la puissance de ma baguette ?

"Dans le meilleur des cas, tu as donc quelques mois devant toi pour y réfléchir. Mais si tu comptais revenir ici et travailler à une application... fraternelle de la justice magique... tu as besoin d'une famille, Rafael..." est la conclusion de Fervi avant de se lever et de quitter ma cellule. Il a laissé une orange sur la chaise qu'il a occupée.

30 janvier 2021 Iris

La tenue validée pour quitter le bateau et aborder l'île est une combinaison de plongée moldue, de longues palmes censées assurer une propulsion maximum et un charme de Têtenbulle. On passe une partie du voyage sur la révision collective de la transformation de nos vêtements — la qualité du matériau obtenu sera déterminante pour résister au froid hivernal — et la constance de notre charme. Bruce Wind, notre expert Commando, rajoute des informations sur l'utilisation des palmes. Le reste du temps, on revoit tout ce qu'on sait sur la topographie de l'île et l'identité des principaux acteurs attendus.

Quand on arrive au point prévu, l'équipage nous regarde nous préparer. Quatre duo : Bruce Wind avec Shannen Sherburne — autant dire que cette paire-là va être redoutable et que je vais compter sur eux deux pour nous ouvrir la voie. Eolynn et le partenaire que je l'ai laissé choisir — Oscar Tuggle. Il était avec elle à Gryffondor, sans doute est-ce une bonne idée. Je lui ai aussi assigné le rôle de communication avec Finnigan et de coordination avec l'autre équipe, l'idée étant que je puisse rester libre d'intervenir. Ça veut aussi dire que je vais partager mes décisions avec elle et, à sa réaction, quand j'ai précisé, elle a apprécié.

Mark a sagement attendu que je décide de le mettre avec Andrew Bellchant ou mon vieux pote, plus expérimenté, Aidan Logan, et ça m'a demandé un peu de réflexion. J'espère qu'Andrew comme Mark verront dans leur duo la reconnaissance que je pense qu'ils ont grandi tous les deux au-delà de leur compétition historique initiale. De fait, ils ont eu l'air contents. Aidan Logan a souri quand je lui ai dit qu'il serait avec moi et personne n'a osé dire qu'il l'aurait parié. Disons avec optimisme que cette équipe devrait tenir la route et que je peux lui faire confiance.

"On est prêts", j'annonce donc et le capitaine du bateau fait ouvrir un portillon dans le bastingage. Il nous reste à sauter dans l'eau noire et à nager jusqu'au bord en utilisant le moins de magie possible. Wind me regarde et j'acquiesce. Lui et Shannen sautent. Les autres suivent par paire. Aidan et moi fermons la marche.

On a tous un jeton dans la poche et des Chuchoteurs dans le col de nos vêtements, même si on sait qu'on va sans doute s'enfoncer bien trop profondément dans la terre pour qu'ils fonctionnent bien longtemps. Ils peuvent néanmoins être utiles sur l'île. On a des lampes sous-marines moldues dont le faible halo nous fait parfois distinguer un banc de poissons, éclairs d'argent sur un fond noir. Et, la propulsion par palmes est efficace. On est assez vite en vue de la petite île et on prend pied sur la plage repérée à l'avance. Sans tarder, on se débarrasse de notre équipement nautique et on retransforme nos vêtements. Shannen et Bruce sont les derniers à le faire, puisqu'ils assurent notre sécurité.

Quand ils sont prêts, ils se placent au centre comme nous l'avons décidé avant. Je prends le flanc droit avec Aidan. Eolynn et Oscar, le flanc gauche. Mark et Andrew prennent l'arrière garde qui est aussi une position de soutien à tous les autres groupes.

Très vite, la plage se heurte à une suite de grandes dalles inclinées - pas des falaises, mais pas non plus des pelouses plates. Dès qu'on doit utiliser la magie pour nous propulser en toute sécurité, les défenses de l'île se déclenchent comme nous l'avions anticipé. L'obscurité se perce en l'occurrence de flèches de feu qui nous visent avec efficacité.

On applique en retour la procédure prévue par l'Académie - une procédure souvent attribuée à ma mère, d'autres à Carley Paulsen, voire aux deux ; certains de nos formateurs la désignant sous le terme obscur de "Bouclier espagnol". Il s'agit d'un travail d'équipe : un bouclier renforcé d'un charme de refroidissement renouvelé en permanence. Sous cette protection, on peut avancer et repérer les capteurs de mouvements et de magie qui déclenchent généralement ce type de défense.

En l'appliquant, je fais pour la première fois le lien avec Sopo - Espagnol et Aspirant de ma mère. Il ne faut pas un effort d'imagination surdimensionné pour même imaginer une opération où Carley aurait été là. Sopo est-il la cause du nom de cette procédure ? Ce serait élogieux même si sa contribution a été perdue dans la passation. Je me dis que je lui demanderai quand je l'aurai sorti de cette nasse dans laquelle il est allé se fourrer ; ça, et de me raconter ma mère en mentore.

Aidan, qui tient le bouclier, repère un capteur et me le désigne. Je transforme mon charme de refroidissement en flèches glacées pour le détruire. Eolynn et Oscar font de même sur le flanc gauche. Mark et Andrew détruisent le troisième et les dernières flèches de feu vont finir dans le sable. On peut progresser plus vite jusqu'à la maison.

On doit réappliquer la procédure espagnole afin de mettre à mal les défenses de celles-ci. Cette fois, il y a cinq capteurs.

"Nous ralentir, pas nous empêcher", remarque Eolynn avec pertinence.

"Vigilance maximum", j'acquiesce tout en faisant signe à Wind et Shannen d'ouvrir la porte. "Mark et Andrew, en soutien. Eolynn, fais un rapport à Finnigan. Oscar, couvre-la."

Les deux équipes se coordonnent et ouvrent la porte dans un grand fracas qui est suivi par le silence le plus complet. Nous jetons une série de sorts de tests, qui ne détecte aucune présence humaine ou magique, aucune défense.

"Seamus dit que la situation est comparable en Écosse", vient me rapporter Camden. "Il nous envoie également une position possible de la salle dans laquelle a lieu le rituel. Sous la mer... plus près d'ici que de l'Écosse, mais quand même... à pied, on n'est pas arrivés", elle développe en me montrant un plan et des calculs qui ont été envoyés sur son miroir. "Ils sont entrés en Écosse. Il nous tient au courant s'il a des nouvelles."

"C'est assez pourri", je décide de reconnaître à haute voix.

Il y a des chefs qui préfèrent faire comme s'ils savaient, comme s'ils n'avaient jamais peur, comme si rien ne les ébranlait. Je n'en fais pas partie. Ron n'est pas comme ça pour commencer. Ma mère non plus, je crois - j'ai toujours tant de mal à être objective la concernant. Tous attendent patiemment que je prenne quand même une décision.

"Fouillons déjà ce bâtiment. Deux équipes. Eolynn et Bruce, vous entrez avec vos soutiens, on vous suit avec Mark. On cherche des plans. On cherche des effets personnels. On cherche un passage. Pas de prise de risques, pas d'initiative. Communication minimum. Par Chuchoteur, voire jeton. Il peut y avoir des défenses activées à la voix."

Ça nous prend un grand quart d'heure pour trouver le passage. Pas un truc laissé béant pour nous - on se rassure comme on peut. Il est dans ce qui a dû être la chambre principale. Sous un lit qu'on a pris soin de reposer.

"Ils ne pensaient pas ressortir par là" est l'hypothèse de Mark, alors qu'on contemple la trappe qui s'est ouverte sans un grincement et sans une riposte. Aidan éclaire un escalier de pierre qui semble partir profond dans la terre.

"Rapport à Finnigan, Iris ?", questionne Eolynn.

"Oui. Envoie-lui une image. Des fois que ça ressemble à ce qu'ils ont en Écosse."

La confirmation ne prend que quelques secondes. Seamus nous informe également que les autres sont déjà entrés, une fois de plus.

"Sont toujours en avance", regrette Oscar Tuggle, comme si c'était une course.

"On pourrait surtout nous tenir un peu plus au courant", je soupire. Eolynn a l'air inquiète que ce soit un reproche ou une mission pourrie, et je la rassure. "Je ne te demande pas de râler à ma place." J'hésite à sortir de la pièce pour passer l'appel puis je décide que rester avec mon équipe m'aidera à ne pas me perdre dans des récriminations inutiles. "Seamus, c'est Iris. Tu es encore en contact avec eux ? Ils rencontrent une opposition ?"

"Pas que je sache" est la réponse tendue de Seamus. "J'aurais aimé qu'ils attendent et se coordonnent avec vous, mais j'ai eu juste un message enregistré. Je n'arrive pas à les joindre sauf par jeton. Ils ne rapportent pas de combat. Je viens de leur redemander un rapport plus détaillé..."

"On va y aller nous aussi. Je note qu'il faut s'attendre à ce qu'on perde le contact", je commente sobrement.

"Les jetons semblent encore passer", insiste Seamus.

"On te tient au courant, chef", je promets. Quand j'ai mis fin à l'appel, toute mon équipe me regarde. "On va y aller. Wind et Sherburne, ouvrez-nous la voie", j'ordonne. "Gardez vos jetons à portée de main."

Dès qu'ils ont disparu, je me tourne vers Eolynn : "Envoie donc un message à Dikkie et Caradoc en leur disant qu'on entre de notre côté et qu'on espère de leurs nouvelles. Rajoute Winnie, des fois que ce ne soit pas eux qui s'occupent de la communication."

Je n'ai pas beaucoup d'expérience d'opérations avec Dikkie Forrest. Dois-je y voir une forme de rivalité avec moi ? Sans être totalement contraire aux procédures, c'est un peu cavalier, voire imprudent. Dans tous les cas, que Caradoc fonce comme ça, sans partager avec moi, me laisse un drôle de goût en bouche. Pourquoi courent-ils comme ça ? Parce que sur le plan, ils sont les plus loin du lieu du rituel ? Mon esprit est en ébullition alors que j'ai bien d'autres choses à régler.

"Envoyé, cheffe" est l'information donnée à voix basse par Eolynn.

Il doit se passer moins de cinq minutes quand on entend la voix de Wind, dans nos Chuchoteurs. "Cheffe, on est sur un palier assez large. Aucun danger identifiable. Vous pouvez nous rejoindre si tu le souhaites."

Je fais signe à Eolynn et Oskar, son partenaire, puis à Mark et Andrew, Aidan et moi fermons la marche. On tient difficilement tous sur le palier comme je le fais remarquer à Wind.

"Continuez donc", je conclus en priant très fort pour ne pas les envoyer au casse-pipe.

Comme si elle imaginait bien le cours de mes pensées, Eolynn prend sur elle de m'indiquer que seul Finnigan a répondu à son rapport — pas de nouvelles des autres.

On descend comme cela une bonne dizaine d'étages. Dès le troisième, on n'arrive plus à joindre Finnigan par miroir, mais Eolynn continue à l'informer par jeton. Elle estime aussi notre progression par rapport à la carte fournie par le Département des Mystères. Selon elle, quand on arrive dans une sorte de salle voûtée d'où part une série de couloirs, on a atteint un plateau sous-marin — soit l'essentiel de la descente prévue.

"Les murs suintent", souligne Mark en éclairant autour de nous. La plus grande partie du réseau de couloirs que nous parcourrons me paraît taillée dans le plateau rocheux, mais il y a de loin en loin des éléments de maçonnerie.

"Demande à Seamus si les autres en Écosse ont parlé d'un endroit comparable", je lance à Eolynn tout en observant l'entrée des différents corridors. "Pose-leur aussi la question directement", je rajoute en espérant que l'exemple leur donnera envie de communiquer.

"Ils ont creusé tous ces passages et les ont renforcés quand ?", s'interroge Wind. "Ça peut demander des années un réseau pareil !"

"On leur demandera quand on les aura sous la main", lui répond Aidan, ce qui fait marrer son collègue Oskar.

"Seamus dit que oui. Qu'ils disent avoir pris à chaque fois la direction la plus directe vers le point désigné par le Département des Mystères", indique alors Eolynn. "Ça serait ce corridor-là", elle continue en désignant celui à ma droite.

Finnigan, mais ni Dikkie, ni Caradoc, je note mentalement. Ne pas faire un blocage. Mais quand même.

"Faisons donc comme eux", je me range néanmoins, en contrant l'impression désagréable que cette opération m'échappe petit à petit.

Les couloirs s'enfoncent lentement plus profondément encore sous la terre, ou sous l'océan pour être précis. On progresse prudemment, mais constamment, et on sait par Finnigan que l'équipe écossaise fait de même. Mais c'est tout.

Peut-être qu'on est en train de tomber dans le plus gros piège possible. Voilà ce que je me dis de loin en loin. Je me force cependant à garder mes doutes pour moi parce que je sens bien que tous autour de moi se posent les mêmes questions.

De loin en loin, il y a des débuts de corridors — comme s'ils avaient commencé à creuser, mais avaient finalement renoncé. Certains forment de petites salles. Parfois, il n'y a rien. Parfois, des caisses de matériel divers sont entreposées. Nous les explorons à chaque fois avec systématisme. Aidan ravale son impatience d'aller plus vite de l'avant, je le sens, pour faire les mesures que je demande. Il y a des traces de magie partout.

"Je dirais qu'ils ont creusé celle-là aussi avec des moyens magiques", se risque Aidan dans une énième salle.

"Je dirais comme toi", j'abonde, ma main sur son épaule gauche, invitation au calme.

"Et tu en déduis quoi ?", il presse avec plus de curiosité que d'animosité.

"Qu'ils ont passé moins de temps à les creuser qu'on pourrait le croire. Et, plus directement, que ce n'est pas obligatoirement fait pour durer", je réponds sans détours. Je sens les autres se tourner vers nous - en particulier les policiers, encouragés par le comportement d'Aidan, je le sais. "On a dix heures, d'après le Département des Mystères", je rappelle à tous, "avant que le rituel ne soit plus réversible. Je ne pense pas qu'on perde du temps quand on mesure mieux où on met les pieds. On continue."

Le principe de cette exploration se répète pendant une bonne heure. Je vais inviter chacun à boire alors qu'on découvre une nouvelle salle sur le côté droit du couloir qu'on suit. Mais, dans la lumière de nos baguettes, il y a en son centre une espèce de cage de verre et, dans cette cage, un homme assis. Il lève la tête quand il perçoit notre présence et ses yeux s'écarquillent. Des yeux dorés.

"Iris", souffle Mark, reconnaissant comme moi l'homme au bonnet rouge sans doute.

"Pas de conclusions hâtives, Wang", je le mets en garde.

Le type se lève lentement et nous observe avec un mélange de curiosité et de méfiance, je dirais. Comme s'il n'osait pas espérer. Puis ses yeux tombent sur moi, et il articule clairement mon prénom. Plus exactement le surnom que me donne ma famille : Irisinha. Ce n'est pas parce qu'on ne l'entend pas qu'on ne peut pas lire sur ses lèvres. Enfin sans doute quand on veut lire ou qu'on connaît le surnom.

"Il dit quoi ?", questionne Wind, les sourcils froncés. Je dirais que sa baguette le démange.

"Je transmets, Cheffe ?", veut savoir Eolynn, le jeton à la main.

"Oui. Dis à Finnigan, qu'on a peut-être... un des infiltrés probables... mais qu'il est dans une cage de verre et qu'on ne sait pas encore ce qu'on peut faire", je réponds.

"Forrest et Darnell aussi ?"

"Non", je décide en soutenant son regard le temps qu'elle acquiesce. "Wind, avec moi, les autres, vigilants et prêts à tout."

On étudie le dispositif avec Wind sous les yeux attentifs de nos camarades et ceux un peu fous de celui qui pourrait être Sopo. Pas le jeune homme gentil et un peu timide dont je me souviens. Mais un homme adulte, expérimenté et tendu. Un gars qui n'a peut-être rien à perdre. Un type dont la situation pourrait être un piège, une mise en scène, volontaire ou involontaire.

"Je dirais qu'à part faire exploser cette cage, on n'a pas tellement d'options rapides", estime Bruce avec un regard interrogatif pour moi.

"Je dirais comme toi", je décide. "Tu penses que ça va imploser ou qu'on peut essayer de protéger la personne ?"

"Il faut ?", vérifie le Tireur Wind.

"Je voudrais l'interroger", j'indique sobrement.

Wind prend encore plusieurs minutes d'observation avant de me répondre.

"Si on se coordonne pour exploser le haut... au deux tiers, je dirais qu'on peut limiter les risques de blessures. Il faut qu'on soit quatre, un par côté."

"Mark, Andrew, Shannen, avec lui", j'ordonne. "Aidan, Eolynn, Oscar, on les couvre."