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Chapitre 11 : Son cœur au creux du poing
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Harry n'avait jamais osé franchir la porte de la chambre de Drago. Porter son corps inanimé lui donna cette excuse.
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D'un coup de pied bien placé, il avait ouvert la porte fermée avant de déposer Drago sur le lit. Son regard avait parcouru le corps du blond un long moment. D'un doigt il avait doucement relevé le bas du pull de Drago, dévoilant son ventre nu couvert de cicatrices. Une moue dubitative s'était inscrite sur le visage d'Harry, mais il s'était abstenu de tout commentaire.
Enfin, il s'était attelé à soigner les blessures à l'aide de plusieurs sorts.
Une fois assuré que toutes les plaies avaient été traitées correctement, il avait tiré une chaise à côté du lit et s'était assis, observant longuement son hôte endormi.
La lumière tamisée de la chambre révélait les traits du visage du blond, accentuant la pâleur de sa peau. Ses cheveux, d'un blond cendré, encadraient son visage fin et Harry ne put s'empêcher de remarquer à quel point Drago paraissait vulnérable dans son sommeil.
« Va falloir qu'on parle, toi et moi… » murmura Harry dans le silence de la chambre.
Son regard se promena dans la pièce : de lourdes tentures de velours émeraude ornaient les murs de nuances sombres. Le mobilier était à l'image de Drago, élégant mais austère : il remarqua une étagère qui contenait quelques livres usés et une penderie, dans un coin.
C'était tout.
Il fut presque déçu.
Comme le reste de la maison, la pièce était étonnamment fonctionnelle et dépourvue de tout ce qu'il aurait pu s'attendre à trouver dans la chambre d'un Malfoy.
Ses pensées dérivèrent vers certains souvenirs liés à Poudlard. Il se remémora tous ces moments où il avait considéré Drago comme un pleutre, comme une menace. Pendant tout un pan de sa scolarité, il avait même été... obsédé par lui (il le reconnaissait maintenant), le suivant comme son ombre et traquant ses moindres gestes. Aujourd'hui, les raisons de ce comportement devenaient floues pour lui.
« Drago n'a jamais dû avoir une haute opinion de moi non plus. » pensa Harry, se remémorant les regards méprisants et les insultes qu'ils s'étaient échangés.
Il se rappela leur rencontre, lors de sa première année à Poudlard, qui avait façonné le cours de leur relation.
Harry se demanda ce qui se serait passé s'il avait serré la main de Drago, ce jour-là, mettant de côté les rancœurs et les différences.
Ou s'il avait accepté l'invitation à rejoindre la Maison Serpentard.
La réflexion sur ces "et si" laissa une étrange sensation dans l'esprit d'Harry. Il réalisa que, pas un seul instant de leur vie, ces deux là ne s'étaient compris. Drago avait toujours été un mystère agaçant à ses yeux. Quelque chose dont il voulait se débarrasser, mais qui restait collé à sa peau comme une manie un peu malsaine.
Il avait eu l'impression de le connaitre, mais il se rendait compte aujourd'hui qu'il n'avait probablement jamais su qui était réellement Drago Malfoy.
Tellement de questions se bousculaient dans sa tête et la seule personne capable d'y répondre gisait, sans connaissance, dans le lit.
Harry soupira et s'appuya lourdement contre le dossier de sa chaise. Depuis sa rencontre avec Drago, quelque chose en lui avait changé.
Quelque chose qu'il pensait mort depuis longtemps.
Comme un faible battement de cœur.
Ces derniers jours de quiétude chez quelqu'un qu'il aurait dû détester lui avaient plus apporté que ses 8 dernières résurrections.
Quelques pauvres petits jours avaient supplanté plus de deux-cent années d'errance.
C'était dur à avaler.
Son regard se perdit à nouveau sur le visage de Drago.
« Petit con prétentieux. » murmura-t-il.
Et cela sonna presque affectueusement.
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Drago se réveilla avec une étrange sensation d'engourdissement, mais à sa grande surprise, aucune douleur ne persistait. Ses paupières lourdes s'ouvrirent lentement et il jeta un œil distrait à ses bras : les plaies qui avaient couvert sa peau semblaient avoir disparu. Il eut l'impression que son corps, étonnamment léger, venait de sortir d'un long sommeil réparateur.
Il vit ensuite Harry Potter, endormi sur une chaise à ses côtés, et l'incongruité de la scène le frappa.
Il lui jeta un regard scrutateur, observant chaque détail de son visage. Harry, endormi, ressemblait à n'importe quel être humain. Son visage était détendu, ses lunettes avaient légèrement glissé sur son nez et ses cheveux, ébouriffés, donnaient l'impression qu'il s'était laissé aller à une rare quiétude.
Mais quelque chose clochait.
Drago le sentait au plus profond de lui.
C'était comme si Harry était là physiquement, mais que son essence profonde avait disparu, ne laissant derrière elle qu'une coquille vide.
Bien sûr, Harry se pliait sans rechigner aux normes sociales : il parlait, riait, souriait... mais tout cela sonnait faux. Quoi qu'il fasse, ses yeux restaient vides. C'était comme si l'homme en face de lui n'était plus qu'un pantin tiré par des fils invisibles.
Il n'y avait aucune sincérité en lui.
Quand Drago l'avait frappé, il était resté immobile, presque insensible à ses coups. Il ne s'était pas plaint. N'avait pas riposté. Ne s'était pas rebellé. Non. Il s'était laissé faire comme si c'était l'ordre naturel des choses. Comme si le simple fait de réagir était trop épuisant pour lui.
« Potter... » murmura-t-il, presque incertain de savoir s'il s'adressait à l'homme endormi ou à lui-même.
Drago se leva avec précaution, s'agenouillant à côté du fauteuil où reposait Harry, plongé dans un sommeil sans rêve.
« Potter. » répéta-t-il, cette fois-ci d'une voix plus assurée.
Aucune réaction.
Ses doigts se posèrent délicatement sur la monture des lunettes d'Harry, les retirant avec précaution. Un frisson traversa son échine alors qu'il observait, captivé, le visage endormi de l'homme qui avait été son rival et ennemi.
Il se pencha en avant, scrutant chaque détail du visage détendu du dormeur. D'une main, il repoussa les mèches rebelles de ses cheveux noirs qui cachaient son front, dévoilant la cicatrice qu'il parcourut d'un doigt léger.
Pour la première fois, Drago le contemplait sans l'ombre de la rivalité ou du mépris qui avaient marqué tant d'années de leur existence à Poudlard.
Il se remémora leurs premières années, ce moment où il avait si naïvement envisagé une amitié avec le fameux Harry Potter, dans un désir sincère d'échapper à la pression de son nom de famille et à l'image préconçue que beaucoup avaient de lui.
Mais Harry avait résisté à ses avances amicales.
L'avait envoyé balader.
Et Drago avait ressenti cela comme un affront, une déclaration de guerre, une barrière insurmontable. Ce « Non » résonnait encore dans sa mémoire. Il avait signé leur rupture et apporté la confirmation qu'Harry Potter resterait pour toujours hors de sa portée.
La contradiction était cruelle : alors qu'Harry l'avait repoussé avec force à l'époque, c'était vers lui qu'il se tournait désormais.
Drago se souvint de sa première réaction, quand il avait aperçu le jeune homme arpenter le village : celle de le renvoyer sans ménagement. Il ne voulait plus de complications, plus de souffrances. Il aspirait à un retour à la normale, un monde où Harry Potter demeurait une icône inaccessible.
Cependant, celui qui était apparu devant lui n'avait plus rien du héros tant adulé et Drago s'était laissé amadouer.
Il ne voulait pas le montrer, bien sûr, mais il avait toujours été faible quand il s'agissait de Potter. Le simple fait de le savoir proche déchaînait en lui une tempête d'émotions incontrôlables : de la colère, de l'envie, de la frustration et parfois même un peu de honte.
Oui.
Drago avait parfois honte de n'être que Drago. Pas un survivant. Pas un sauveur. Pas un élu. Juste un Malfoy, avec tout ce que ça entraînait. Bien entendu, son nom n'était pas un déshonneur. Il le portait avec fierté. Mais il se demandait parfois ce que cela lui aurait apporté de plus si… il avait pu être un autre.
Bref, Drago haïssait Potter tout autant qu'il aurait pu l'adorer. Une part de lui était persuadée que, si Harry Potter était devenu son ami, alors il lui aurait offert tout ce qu'il possédait.
Le monde entier.
Mais Harry avait repoussé la main tendue et il n'était plus resté à Drago que de l'amertume et de l'aigreur.
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Toujours agenouillé, il releva son regard vers le visage d'Harry. Deux émeraudes le fixaient intensément ; le dormeur s'était réveillé et Drago ignorait depuis combien de temps.
Il se redressa soudainement et fit mine de réarranger quelques livres sur son étagère.
Harry ne fit aucun commentaire.
Drago revint vers lui et lui tendit brusquement ses lunettes : « Elles étaient tombées par terre. » déclara-t-il d'un ton détaché.
Harry s'en empara doucement et les remit sur son nez, souriant légèrement. « Comment te sens-tu ? »
Il ne reçut qu'un regard hautain en réponse, mais persévéra : « Tes bras ne te font plus souffrir ? »
« Je me sentirais mieux si je n'avais pas constamment à veiller sur toi. »
Un rire léger échappa à Harry : « Eh bien, je ne t'ai pas demandé de le faire. »
Drago sentit une vague d'exaspération monter en lui : « Tu es entré dans ma vie sans y être invité, Potter. Et maintenant, te voilà dans ma chambre. Alors excuse-moi de m'intéresser un peu à tes faits et gestes. »
Harry haussa les épaules, l'air décontracté : « On ne choisit pas toujours les endroits où l'on atterrit, n'est-ce pas ? »
Un silence glacial emplit la pièce et Harry toussota pour reprendre contenance : « Pourquoi… pourquoi y-a-t-il une réserve naturelle sous ta maison ? »
L'expression de Drago s'assombrit et son ton se durcit : « Potter, pourquoi je dirais quoi que ce soit à quelqu'un comme toi ? Tu passes ton temps à mentir, à jouer un rôle qui ne te ressemble pas. Il n'y a aucune once de sincérité en toi. La seule odeur que tu dégages, c'est celle de la mort. Et tu viens vers moi, la bouche en cœur, me demander de te raconter ma vie ? Mais mon pauvre, tu dérailles totalement. »
Le visage d'Harry perdit subitement toute trace de sourire, son expression devenant impassible, presque factice. Il observa Drago sans dire un mot. Un silence pesant s'installa, seulement brisé par la respiration calme et mesurée des deux hommes. Drago, quant à lui, soutint le regard d'Harry avec une détermination farouche.
Finalement, Harry rompit le silence d'une voix posée : « Si tu crois que je suis venu ici pour jouer un rôle, tu te trompes, Malfoy. Les masques, je les ai laissés derrière moi il y a bien longtemps. Et pour l'odeur de la mort, peut-être que tu as raison. Mais je ne pense pas non plus que cela te regarde. »
Drago ne montra aucun signe de fléchissement. Au contraire, plus Harry parlait, plus son mépris semblait s'intensifier : « Oh, Potter, tu es peut-être doué pour les discours, mais la réalité te dépasse toujours. Il n'y a plus aucune volonté en toi. Tu joues constamment avec ta vie comme si elle ne valait rien. Et crois-moi, je n'ai aucune estime pour les gens comme toi. »
Les yeux émeraude transpercèrent Drago : « Tu penses vraiment que j'ai besoin de l'estime d'un couard dans ton genre, Malfoy ? Je n'en ai jamais eu besoin et n'en aurais jamais besoin. »
La mâchoire de Drago se serra violemment et une grimace haineuse traversa son visage. Il se dirigea soudainement vers la porte, rompant la conversation : « J'ai faim. Je vais me faire à manger. »
Harry se retrouva seul.
Merde.
Merde, merde, merde.
Il se serait giflé.
Quel con.
Il se leva de la chaise et se dirigea à son tour vers la cuisine où Drago préparait quelque chose. Évidemment qu'il avait raison, mais le reconnaître officiellement était une autre paire de manche. La vérité ? Harry avait horreur qu'on lise aussi facilement en lui.
L'atmosphère était glaciale.
Harry s'assit, hésitant un moment avant de briser le silence : « Excuse-moi », murmura-t-il, mais Drago l'ignora ostensiblement.
Harry insista : « Tu n'es pas un couard. Je suis allé trop loin. »
Le blond demeura impassible.
« Tu m'as soigné, tu m'as nourri, tu m'as hébergé, tu as même sauvé ma vie et je ne t'ai pas remercié. »
Silence.
« Alors... merci. Merci Drago » lança-t-il, percevant un léger frisson chez le blond. Convaincu d'avoir été entendu, Harry poursuivit, révélant une part de vérité qu'il n'avait pas prévu de partager : « Pour tout te dire, quand Severus m'a donné cette adresse, je ne pensais pas tomber sur toi. »
Drago fit mine de couper des légumes et Harry su que la seule carte qu'il pouvait jouer à ce moment précis était celle de la sincérité : « Tu avais raison. Si je suis venu ici, c'est pour mourir. »
À ces mots, Drago se retourna brusquement, fixant Harry d'un regard dur. Il sembla sur le point de dire quelque chose mais se ravisa et croisa les bras.
Ok, maintenant Harry avait toute son attention.
« Je suis… fatigué. Tu n'imagines même pas à quel point. La seule raison pour laquelle je suis toujours là, c'est parce que tu as éveillé quelque chose en moi... je ne sais pas… de la curiosité ? Ou alors, j'ai peut-être simplement senti que tu n'attendais rien de moi. »
Il marqua une pause.
Drago détourna le regard vers ses légumes coupés avant de revenir sur Harry, ses yeux gris le perçant comme des flèches.
Harry hésita un instant avant de poursuivre, ses mots sortant comme un murmure : « Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça. C'est comme si... comme si quelque chose en moi voulait que tu comprennes. »
Drago ne répondit pas immédiatement, mais son expression sembla se détendre légèrement, la froideur de son regard s'adoucissant imperceptiblement. « Ça n'explique rien, Potter. »
Harry leva les yeux pour rencontrer son regard : « Peut-être. » admit-il.
Drago reprit la préparation de son plat : « Alors sois plus précis. »
Harry observa un long moment le dos de Drago. Sa silhouette élancée était légèrement penchée au-dessus du plan de travail et il pouvait deviner ses muscles qui se dessinaient subtilement sous la fine étoffe de sa chemise, ainsi que la fine ligne de sa colonne vertébrale qui s'étirait avec une grâce presque irréelle.
Chacun de ses gestes était empreint d'une précision et d'une élégance mesurée, révélant une assurance naturelle qui transparaissait même dans les mouvements les plus simples.
Une étrange vision s'insinua dans son esprit : il ne put s'empêcher de comparer Drago à une panthère, agile et dangereuse, évoluant avec une puissance tranquille.
Pour la première fois de sa vie, Harry pensa que son hôte pouvait être séduisant, à sa façon.
Il prit une profonde inspiration : « Je suis déjà mort neuf fois. »
La main de Drago se suspendit un instant dans les airs, avant de retourner à son travail : « Je vois. »
Harry arqua un sourcil : « C'est tout ? Juste « Je vois » ? Tu ne trouves pas ça totalement fou ? Impossible ? Tu ne penses pas que je suis complètement cinglé ? »
Drago se retourna lentement, semblant réfléchir à ses propos : « Et bien… tu ne serais pas Harry Potter, j'aurai probablement bien rigolé. Mais venant de toi, plus rien ne me paraît vraiment impossible. »
Une boule bloqua la gorge d'Harry et il eut stupidement envie de pleurer. Il préféra opter pour un rire désillusionné. Drago, Drago Malfoy le croyait. Il n'avait même pas remis en question une seule seconde ses propos. C'était la meilleure et la pire nouvelle de sa vie. Il se sentait reconnaissant, mais c'était aussi comme si un poignard lui lacérait le cœur.
Drago continua : « Pour tout dire, j'ai énormément de questions qui me viennent en tête. Mais je suppose que trop d'empressement ne mène à rien. »
Et Harry raconta.
Il raconta tout à la seule personne qui n'avait jamais remis en doute sa parole.
Il parla de Tom, du maléfice, des trahisons…
Il déroula l'histoire complète de ses précédentes vies sans omettre aucun détail, sans chercher à se justifier ou à excuser ses actions passées. Sans minimiser ce qu'il avait pu faire, le bien comme le mal.
Drago écouta.
Religieusement.
Sans l'interrompre une seule fois.
Sans remettre en cause ses choix ou ses propos.
Quand il eut fini, un long silence s'abattit sur la maison. Perdus dans leurs pensées, aucun des deux n'eut l'idée de le briser.
C'était un silence confortable. Comme s'ils avaient enfin franchi une étape, celle d'une compréhension mutuelle.
Quelque chose les unissait. Quelque chose de fort.
Et Harry eut le sentiment de naître à nouveau.
Ils restèrent ainsi un long moment.
Puis Drago se redressa et fit signe à Harry de le suivre : « À mon tour, maintenant. » dit-il en l'entraînant de nouveau à travers le passage du couloir.
