Chapitre 9
Ce n'est pas Edward.
C'est un mec que je ne connais pas, la vingtaine, grand max. Il prend soin de verrouiller la porte derrière lui puis se tourne à nouveau vers moi. Ses yeux verts me regardent furieusement comme si j'avais égorgé toute sa famille. Il n'en veut pas à ma vertu, il me déteste. Il veut me tuer.
« Je t'ai trouvée, tu vois, grogne-t-il.
Il me prend sans doute pour une autre. Une fille qui aurait égorgé sa famille, peut-être ? Sa main se dirige lentement dans son dos, il récupère un truc. Une arme ? Quand sa main revient à hauteur de sa cuisse, il tient fermement un couteau.
« Je t'aimais, putain ! Hurle-t-il.
La fille lui a brisé le cœur, donc.
« Je suis désolée.
Je dis ce que je pense qu'il veut entendre. Je détourne mon regard de ses yeux flamboyants et fixe mon reflet. C'est une fille qui ressemble à ça qui l'a quitté ou qui l'a éconduit, je n'en sais foutrement rien. Elle l'a mis suffisamment en colère pour qu'il veuille la tuer... mais c'est moi qu'il a trouvée. Il ne me croira pas si je lui dis que ce n'est pas moi, il pensera que je mens pour m'en sortir. Mon reflet me fixe mais je n'ai pas l'impression que je me regarde vraiment comme ça, le coin de ses lèvres se lève légèrement.
– Laisse-moi le tuer, demande-t-elle.
Elle, mon reflet. Je fronce les sourcils. Sa voix est rêche, rugueuse et je ne l'ai entendu que dans ma tête mais mon reflet a prononcé ces mêmes mots. Je comprends qu'il ne s'agit que d'hallucinations, ça n'a pas lieu, c'est juste... à cause de la drogue. Ça... où je deviens schizophrène.
« Tu es désolée ? Répète froidement le type, s'accaparant à nouveau mon attention. Tu as ruiné ma vie, putain !
C'est peut-être plus qu'une rupture, en fin de compte. J'ai besoin qu'il parle, je dois savoir ce que je suis supposée lui avoir fait. Je sais mentir, j'ai passé ma vie à manipuler mes proches sans même m'en rendre compte et je suis en train d'apprendre à le faire mieux.
Je peux m'en sortir.
« Dis-le, lui intimé-je. Dis-moi ce que je t'ai fait.
« Tu t'es joué de moi, gronde-t-il, les mâchoires contractées.
La main qui tient le couteau me pointe accusatrice.
« J'étais amoureux de toi ! Tu m'as fait tomber amoureux de toi.
Il appuie le mot "tu".
« Puis tu m'as fait faire tous ces trucs... tu as demandé tous mes proches, mon employeur et mes collègues en ami sur MySpace et tu as posté les vidéos sur ton mur en me tagguant pour être bien certaine que tout le monde les voit.
Cette fille a élevé la manipulation et la malveillance à son paroxysme. Ce n'est pas quelque-chose que j'aurais pensé faire, un jour. J'admets être manipulatrice, peut-être machiavélique mais je ne suis pas malveillante.
J'ai besoin de réfléchir, de trouver un plan pour m'en sortir ou faire en sorte qu'il ne me fasse pas trop souffrir en me tuant. Je fixe mon reflet en cherchant un plan. Je pourrais lui dire que je suis vraiment amoureuse de lui, que je voulais éloigner les autres de nous parce qu'ils allaient nous éloigner. Je pourrais lui dire que je préparais les choses pour qu'on disparaisse tous les deux, pour vivre notre histoire d'amour. Il me croira parce qu'il voudra y croire, parce que derrière sa colère, ses sentiments sont toujours là.
– Laisse-moi le tuer, grogne mon reflet dans ma tête.
Je l'ignore parce qu'elle n'existe pas, parce que je ne veux pas admettre ma schizophrénie naissante. J'espère que ça se dissipera quand la drogue ne sera plus dans mon organisme. Je fixe le type, prête à lui sortir mon discours.
Son visage se tord de terreur avant que je n'ouvre la bouche, sa main relâche le couteau qui tombe bruyamment au sol, il recule en me fixant comme si j'étais devenue un monstre. Collé au mur, il réalise qu'il ne peut pas s'éloigner plus. Je me lève et fronce les sourcils en regardant l'homme tétanisé devant moi. C'est moi qui fait ça ? Il a tellement peur que je le vois se pisser dessus. Le problème, c'est qu'il a verrouillé la porte en entrant et que la clé se trouve dans sa poche, juste à côté de la marre de pisse sur son jean, je n'ai pas envie de mettre les mains là-dedans.
Je sursaute quand quelqu'un ouvre brusquement la porte. La serrure a cédé juste comme ça, si j'avais su que ce serait si facile, je n'aurais pas tergiversé pour récupérer la clé. Edward se tient sous l'embrasure et regarde mon agresseur, la poignée grince sous sa poigne. J'ai l'impression qu'il va le tuer, il a le regard si noir. Ce n'est pas seulement métaphorique, ses yeux dorés sont devenus noirs.
« Edward ?
Il ne réagit pas, j'entends comme un moteur vrombir mais ça ne peut pas être à l'extérieur de la maison. Je m'approche un peu plus et l'appelle à nouveau. Son regard se tourne enfin vers moi et glisse le long de mon corps, il vérifie que je ne suis pas blessée. Il fait le dernier pas qui nous sépare, s'empare du lien de serrage entre ses mains, force un peu et finit par le déchirer.
« Il faut sortir d'ici, clame-t-il.
Je me tourne vers le type, la sueur est abondante sur son visage et son t-shirt en est trempé en haut du torse et au niveau des aisselles. Il gémit de terreur bien qu'il ne me regarde plus.
« Maintenant, me hâte Edward la gorge serrée.
Il se décale pour me laisser passer, je m'avance puis me retourne dans le salon quand je vois qu'il ne me suit pas. Il est immobile à l'instar d'une statue, fixant mon agresseur d'un regard meurtrier.
« Edward ? L'appelé-je.
Son regard se porte sur moi et j'ai l'impression que c'est moi qu'il veut tuer maintenant mais son visage se détend rapidement et il me fait un geste vers la sortie. Je découvre Jasper à l'extérieur qui nous attendait entre la Volvo et la porte d'entrée.
« Tu n'étais pas dans l'autre voiture, toi ?
J'entends hurler à l'intérieur de la maison, un cri de terreur qui pourrait glacer mes os.
« On a rejoint Edward, après avoir fait le plein.
« Tu vas bien ? Demande Edward avec empressement, sa main posée par dessus ma veste.
Je fixe Edward qui s'inquiète.
« Ça va mais...
« Mais ?
« Je crois que j'ai un pouvoir. J'ai... terrifié ce type sans rien faire de particulier.
Edward et Jasper se regardent, la commissure des lèvres de Jasper se relèvent un peu. Ça y est, ils me croient folle. Il vaut mieux éviter de leur parler de mon reflet et de la voix, sinon, ils vont vraiment penser que je le suis.
« J'ai été droguée, je crois mais ça va.
Peut-être le produit chimique ou quelque-chose qu'il m'a injectée pendant que j'étais inconsciente.
« Ne restons pas là, déclare Edward.
Nous montons dans la Volvo, Edward conduit, Jasper me laisse la place à l'avant, il s'installe derrière Edward. Le ciel commence à s'assombrir, je suis restée un petit moment inconsciente, apparemment. Charlie va me tuer.
« Je suis garée pas loin de la zone industrielle, informé-je Edward en voyant qu'il nous dirige vers Forks et non Port Angeles.
« Tu ne vas pas conduire maintenant. On te ramènera ton pick-up plus tard. Passe-moi tes clés.
« Ok.
Je lui passe mes clés et regarde par la fenêtre puis le tableau de bord. C'est une voiture qui m'aurait plu, plus que mon monstre, en tout cas. Les mains d'Edward sont maladivement contractées autour du volant, je me rends compte qu'il est crispé et qu'un simple toucher le ferait bondir comme un ressort. Je lance un regard vers Jasper qui semble concentrer sur le paysage.
« Ça va, Edward ? Demandé-je.
Il grimace, d'une façon crispée.
« C'est à toi qu'il faut demander ça.
« Je vais bien.
Il fronce les sourcils et secoue la tête.
« Tu es dans le déni, tu ne sembles pas réaliser ce qu'il allait faire.
« Ses intentions étaient limpides, contredis-je.
Edward quitte la route du regard et me fixe, dans l'incompréhension.
« J'étais en face de lui... mais toi ? Comment tu le sais ?
« C'était plutôt évident, il y avait un couteau au milieu de la pièce et tu avais les mains attachées. Il ne t'a pas enlevée pour t'offrir un bon repas.
« Comment t'as su que j'ai été enlevée ? Comment t'as su où me trouver ?
« Je t'ai suivie.
« Non, c'est faux.
Il me lance un regard de travers.
« Tu serais intervenu, tu l'aurais empêché de m'emmener jusque chez lui et tu ne lui aurais pas laissé le temps de me faire quoi que ce soit. Il aurait pu s'en prendre à moi pendant que j'étais dans les vapes ou juste après mon réveil. Si tu m'as suivie, ça veut dire que tu as attendu, que tu lui as laissé le temps de me tuer et vu l'état dans lequel tu te trouvais quand tu nous as découvert, tu ne lui aurais pas laissé une seule occasion.
« Fais chier, marmonne-t-il.
« Tu devrais lui dire, intervient Jasper derrière lui.
Edward ne répond pas, il se passe un certain temps avant qu'il se décide à parler :
« Je ne suis pas sûr qu'on puisse lui faire confiance.
Bien sûr qu'il ne peut pas. Le moindre secret que j'apprendrais sera retourné contre lui si j'en ai besoin mais ça, il ne peut pas le savoir. À moins, bien sûr, qu'il possède lui aussi un secret contre moi mais ce n'est pas le cas.
« Qui la croira ? Elle se fera enfermée à l'HP si elle en parle.
Il peut totalement me faire confiance, dans ce cas. Edward soupire et semble réfléchir. Au moins, ça le distrait, ses mains ne sont plus aussi serrées autour du volant.
« Tu n'as rien fait à ce type, c'est Jasper qui l'a fait. Il est empathe, il peut sentir et modifier les émotions des autres.
« Je n'ai pas de pouvoir, alors ?
« Non, tu n'en as pas.
« Vous m'avez retrouvé grâce à mes émotions ?
« Non, je suis télépathe.
J'écarquille les yeux.
« Tu lis dans les pensées ?
« Je reçois les pensées de tout le monde, du moment que ce monde se trouve à moins de 100m de moi mais les plus éloignées ne sont pas claires si je ne me concentre pas.
« Alors... depuis le début, tu lis dans ma tête ?
Manipuler Edward est donc... vain. Ça l'a toujours été. Je comprends pourquoi il me déteste, il connaît mes intentions depuis le début. Tout ça est inutile et je n'ai plus aucun intérêt à me rapprocher de lui. Il sait tout d'avance, dès que je le pense.
« Pas les tiennes, avoue-t-il.
Merci ma bonne fée ! Je me souviens maintenant qu'il m'a dit ne pas réussir à me cerner, contrairement à tous les autres. Ça prend tout son sens, maintenant. Un sourire s'affiche sur mon visage alors que ma quête n'est finalement pas perdue. Le regard d'Edward se pose à nouveau sur moi, descend sur mon sourire avant de revenir à la route.
« Tu fais quelque-chose, Jasper ? Sur elle, je veux dire ?
« Non, je ne capte toujours pas ses émotions, il semble qu'elle me bloque.
« Peut-être que je suis insensible à vos pouvoirs, théorisé-je. Pourquoi pensais-tu que Jasper faisait quelque-chose ?
« En fait, on appelle ça des dons. Tu viens de te faire agressée, tu as failli être tuée... tu devrais avoir peur, être traumatisée mais tu sembles... parfaitement sereine.
« Je savais que j'allais m'en sortir. Tu m'as trouvée grâce aux pensées du type ?
« Et Alice... elle a vu ce qu'il allait faire.
« Elle a vu ?
« Elle voit l'avenir par rapport aux décisions prises. Elle ne te voit pas clairement parce que tu ne fais pas partie de notre entourage proche, elle n'a vu ça que parce que cet événement allait finir par toucher l'un de nous... d'une manière ou d'une autre.
Je ne vois pas le rapport entre cet événement et la famille Cullen. Peut-être que j'aurais fini par parler de cette agression à Edward, pour avancer ma quête. Je tourne la tête vers la vitre et regarde le paysage défiler.
« Pourquoi tu me détestes ? Demandé-je sans quitter l'extérieur du regard.
« Je ne te déteste pas.
« Alors, fais-je en tournant la tête vers lui. Pourquoi tu ne veux pas être mon ami ?
« Je te l'ai déjà dit.
« Tu ne me fais toujours pas peur, lancé-je sur un ton qui ressemble plus à une menace. On a des points communs, assez pour être amis et je suis persuadée que tu ne peux pas me faire de mal.
Un bref rire désabusé s'échappe de ses lèvres.
« Qu'a-t-on en commun, Bella ?
« On aime lire tous les deux, on aime les romans classiques, en plus de ça. Forks est notre enfer personnel, on arrive tous les deux à cerner les gens même si tu triches avec ta télépathie et il y en a sûrement d'autres... par exemple, je sais pas moi... t'aimes quoi comme musique ? Moi j'aime assez la musique classique.
Un sourire s'affiche sur ses lèvres.
« J'aime le classique aussi. Tu as raison... ça fait beaucoup. Autant de points en commun... ce n'est pas banal. C'est peut-être le début de quelque-chose.
« Ou le destin, lancé-je.
« Le destin ? Souffle-t-il.
« Arrête de lutter contre le destin, Edward Cullen, lancé-je solennellement.
Il sourit en émettant un souffle amusé par le nez.
« Très bien, Bella Swan, soyons amis.
« Pas trop tôt, maugrée Jasper derrière nous.
Je souris amusée et me tourne vers la vitre. Mon reflet me lance un regard complice avec un léger sourire machiavélique alors que moi, je souris à peine. J'espère que la drogue se dissipera bientôt.
