Chapitre 10
Edward ne prend pas la ruelle à l'entrée de la ville, celle qui mène à ma maison, entre autres. Je ne lui ai pas donné mon adresse mais je pense que tout le monde sait où habite le chef Swan. Je me demande s'il m'emmène chez lui.
« Tu m'emmènes où ?
« Voir mon père.
« Hum, tu sais quand je te disais de ne plus lutter contre le destin, je voulais dire... enfin, la présentation aux parents est peut-être un peu précipitée.
Il se mord la lèvre pour s'empêcher de rire.
« Mon père est médecin, Bella. Il est de garde, en ce moment.
J'aperçois le panneau indiquant la direction de l'hôpital en regardant face à moi. Bien sûr...
« Je n'ai pas besoin d'aller à l'hôpital, je vais bien.
« Peut-être que moralement, ça va mais c'est pour ta santé que tu devrais t'inquiéter. Tu as dit que le type t'avais droguée, il y a peut-être des effets néfastes, peut-être même sur ta santé mentale.
« Je ne suis pas folle, Edward.
« Ce n'est pas ce que je voulais dire. Tu veux qu'on soit amis, non ?
« Ouais.
« Alors laisse-moi vérifier que tu vas bien, ok ?
Je tourne à peine le visage pour le regarder en coin.
« Ok, cédé-je. On vérifie juste que je vais bien et ensuite, tu me ramènes chez moi.
Il hoche la tête et coupe le contact. Nous sortons tous les trois mais Jasper nous quitte pour rentrer chez eux à pied. Nous entrons dans le hall et commençons à le traverser quand l'hôtesse d'accueil nous interpelle. Nous modifions notre trajectoire et nous arrêtons devant le comptoir, l'hôtesse semble à mi-chemin entre l'appréhension et la fascination. Je pouffe, il semble qu'elle soit sous le charme de mon nouvel ami.
« Bonsoir, je suis désolée mais les heures de visites sont dépassées. Vous devez revenir demain.
« Bonsoir, je suis le fils de Carlisle Cullen, je sais qu'il est de garde en ce moment, j'aimerais le voir, c'est important.
« Oh, d'accord, je vais l'appeler et lui dire...
« Inutile, il sait que nous arrivons et je connais le chemin.
Edward lui sourit d'un sourire enjôleur.
« Oh, d'accord, se répète-t-elle en raccrochant le téléphone qu'elle venait de décrocher.
« Je vous remercie, susurre-t-il.
Elle semble avoir perdu sa voix puisqu'elle se contente de hocher la tête, la lèvre inférieure lâche et les yeux brillants. Edward est peut-être asocial mais il sait y faire avec les dames. Je suis Edward et quand nous sommes suffisamment loin des oreilles de l'hôtesse, je lui demande :
« Elle te plaît ?
« L'hôtesse ? Elle a deux fois mon âge, Bella.
« Tu l'as draguée.
« Je ne l'ai pas draguée, réfute-t-il.
« Si, tu l'as fait.
Il s'arrête devant l'ascenseur et appuie sur le bouton en me regardant sans rater le bouton pour autant.
« Je l'ai charmée.
« C'est la même chose.
« Pas vraiment, souffle-t-il.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, nous entrons à l'intérieur, Edward appuie sur le premier bouton. Au premier étage, Edward me guide jusqu'au bureau du médecin dont la porte est restée ouverte. À l'intérieur, se trouve un médecin qui ressemble à un mec de 25 ans, à la limite il approche des 30 ans mais pas plus. Carlisle Cullen, donc. Je me rappelle qu'il n'est que le père adoptif d'Edward et sa fratrie, ce qui veut dire que non, il n'a pas eu Edward entre 8 et 13 ans. Est-ce légal d'adopter des ados avant 30 ans ?
« Edward, fait Carlisle, son regard se pose ensuite sur moi. Bonsoir.
Je lui souris. J'aiguise mon plan d'épouser un médecin, je vais épouser le père adoptif d'Edward. Assez jeune, plutôt mignon, riche, c'est parfait. Edward me semble un peu tendu, tout à coup, je me demande s'il n'a pas une relation conflictuelle avec son père adoptif, c'est courant, j'imagine. Ou alors, c'est juste l'effet de l'hôpital, y a toujours une odeur bizarre, là-dedans.
« C'est Bella, elle vient de se faire enlever, elle a perdu connaissance, le type voulait la tuer mais il n'a pas pu essayer et elle pense avoir été droguée.
Il se passe un petit temps où il ne se passe rien puis Carlisle me sourit de façon bienveillante.
« Je suis désolé pour ce qu'il t'es arrivé, je vais demander à l'hôtesse de faire prévenir tes parents. Si tu veux bien me suivre, je vais t'ausculter. Nous reviendrons ici ensuite, pour parler.
« Je vais bien mais Edward a besoin d'être sûr alors, ok mais ne faites pas appeler mes parents, c'est pas la peine.
Je suis le docteur Cullen, Edward ne nous suit pas, probablement pour une question d'intimité. Carlisle me dégotte un lit isolé par des rideaux, il me demande de retirer ma veste et de m'installer pendant qu'il va chercher ce dont il a besoin.
« Ça ne te pose pas de problème que je t'ausculte moi-même ? Je peux appeler une collègue, autrement.
« Nan, c'est bon.
Il hoche la tête avec un sourire bienveillant, toujours puis s'en retourne pendant que je retire mon vêtement que je pose sur la chaise. Je m'assois en travers du lit, mes pieds se balancent dans le vide. Carlisle revient vite avec un stéthoscope, un gobelet, un kit de prise de sang et des gants en latex déjà sur ses mains, il commence par écouter mon cœur.
« Ton rythme cardiaque est normal, ça élimine certaines drogues. Tu peux remonter l'une des manches de ton pull ? Je vais te faire une prise de sang.
Il entoure mon bras d'un garrot et tapote ma peau au-dessus de mes veines, à l'intérieur de mon avant-bras. Ses doigts sont froids à travers ses gants.
« Désolé, j'ai les mains froides, problème de circulation sanguine, explique-t-il.
« Vous aussi, vous lisez dans les pensées ?
Il me regarde puis finit par me sourire.
« Edward t'a dit ce qu'il était capable de faire ?
« Ouais.
« Je vois. Pour te répondre, non, je ne lis pas dans les pensées.
« Je pensais, vous sembliez avoir entendu ce que je pensais.
« Non, rit-il. J'ai vu la petite grimace de gêne quand tu as senti la froideur de ma peau. Tu sais combien de temps tu as été inconsciente ?
« Peut-être une heure, plus ou moins.
« Penses-tu qu'il y aie un risque qu'il aie profité de ton inconscience pour abuser de toi ?
« Il ne m'a pas déshabillée, j'avais même encore ma veste et je pense que j'aurais un inconfort ou une douleur vu que ça aurait été ma première fois. Il n'était pas intéressé par ça, il voulait juste me tuer.
« Pas d'examen gynéco, alors mais si tu as le moindre doute, n'hésite pas à en demander un, d'accord ?
Je hoche la tête. Il me donne le gobelet, il est vide et fermé par un couvercle opaque.
« C'est pour l'analyse d'urine, il va falloir que tu remplisses ce gobelet, je vais te montrer les toilettes, suis-moi.
Quand j'ai terminé, je lui tends le gobelet. Nous retournons dans son bureau, Edward me sourit doucement.
« Attends-moi avec Edward, je vais donner tout ça au labo d'analyses et je reviens.
« Ça va ? S'enquiert Edward quand Carlisle disparaît.
« C'est au moins la troisième fois que tu me demandes, je vais bien et ton père va te le dire, très bientôt, aussi.
« Tu voulais qu'on soit amis alors j'ai le droit de m'inquiéter pour toi.
L'arrogance de son expression faciale est remarquable. Il semble qu'il aie oublié à quel point il essayait de me faire croire qu'il pouvait être dangereux. Il m'a sauvée, il s'inquiète de mon état, ce n'est pas vraiment l'image qu'il a essayé de me dépeindre de lui. Peut-être qu'il est sous le choc et qu'il a oublié de jouer au mec un peu sombre ? Peut-être que si je le lui rappelle, il n'aura plus le temps de s'inquiéter ?
« Tu ne ressembles pas à quelqu'un qui est capable de me faire du mal, répliqué-je en arquant un sourcil.
« Eh bien, j'ai décidé de m'efforcer d'être un bon ami, sourit-il.
Il a réponse à tout, le p'tit malin. Je laisse tomber et marche dans la pièce pour m'occuper. Maintenant que j'ai dépassé la première phase de mon plan, je ne peux pas m'arrêter en si bon chemin. Je ne peux pas agir comme je l'ai toujours fait avec mes amis parce qu'il faut que je sois spéciale pour lui et je n'ai jamais été spéciale pour qui que ce soit. D'habitude, je me contente d'être là, de mentir, de répondre au bon moment et de lancer des rumeurs.
« Tu penses que les rumeurs sont vraies, à propos de Mike ?
« Pour la drogue ?
Je m'accule au bureau et fixe Edward.
« J'ai entendu qu'il en prenait mais je ne pense pas qu'il en vende, expliqué-je. Il n'a pas l'air de se droguer, alors je pense que ce ne sont que des rumeurs.
Je manie l'art et la manière d'alimenter les rumeurs sans faire penser que j'en suis à l'origine. Edward jette un coup d'œil sur le sol derrière lui et se recule pour s'adosser contre le mur.
« Je ne pense pas qu'il se drogue non plus. À mon avis, quelqu'un, qui se croit malin, s'est amusé à répandre cette rumeur. Ça arrive souvent.
« Ouais, la vie au lycée, c'est pas facile. Ce sera sans doute mieux quand on sera adulte. Moins de gamineries.
« Sans doute, oui.
Carlisle réapparaît. Edward se décolle, ils ont un échange de regards et Carlisle tape gentiment l'épaule de son fils pendant qu'il sort du bureau. Carlisle referme la porte, je retire mes fesses de son bureau et m'assois sur l'une des chaises qui se trouve devant.
« Comment te sens-tu, maintenant que les émotions sont retombées ? Me demande-t-il après s'être installé face à moi.
« Très bien.
« Vraiment ? Tu n'es pas obligée de faire semblant d'aller bien, tu sais ? Il n'est jamais très bon de refouler ses émotions.
« Non mais ça va vraiment. Pas la peine d'en faire toute une histoire.
Les yeux de Carlisle se plissent un court instant, il croise ses mains sur son bureau devant lui.
« Bella, tu as été enlevée, tu as peut-être été droguée, l'homme t'a fait perdre conscience et il a essayé de te tuer. Il est normal de te sentir mal, apeurée, traumatisée ou d'avoir le sentiment d'avoir perdu le contrôle. Même s'il n'a pas eu le temps de s'en prendre physiquement à toi, le fait est que tu as vécu une agression. J'ai l'impression que tu es dans le déni et il n'est pas bon d'y rester trop longtemps.
« Je sais mais ça va... pas de déni, j'avais un plan.
« D'accord, d'accord. Tu as l'air lucide et alerte donc ce n'est pas une drogue forte, si tu as bien été droguée. Tu peux me dire quels effets tu as ressentis ?
Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Imagine, ils ne trouvent aucune trace de drogue... ça voudrait dire que je suis bel et bien en train de devenir schizophrène et je ne veux pas être enfermée.
« Des nausées ? Des hallucinations ?
« Hum, hésité-je. Non, juste... je me sentais bizarre.
Carlisle me fixe.
« Tu ne dois pas me mentir, c'est pour ta santé que je te demande ça. Ça nous aidera à savoir quelle drogue chercher, elles n'ont pas toutes les mêmes effets et certaines ont besoin qu'on recherche une molécule spécifique. Sans quoi, on ne pourra pas la trouver et te donner le traitement adéquat pour contrer les effets sur ton corps ou au moins, les prévoir.
« Des hallucinations, soupiré-je. J'ai eu des hallucinations. Deux ou trois.
« Visuelles ou auditives ?
« Les deux.
« D'accord, je vais prévenir le labo.
Il décroche le téléphone et demande de chercher la présence de deux drogues qu'il suspecte en priorité. Il raccroche puis me regarde un moment.
« Nous n'avons pas de psychologue ou de psychiatre ici mais je peux prendre rendez-vous pour toi à l'hôpital de Port Angeles.
J'ouvre la bouche mais il me devance :
« Je sais ce que tu vas me dire, tu n'en as pas besoin mais crois-même, même quand on pense que c'est inutile, ça aide toujours.
« J'irai voir un psy si Edward en voit un, aussi.
Ça a le mérite de l'amuser.
« Sans doute que ça lui ferait du bien mais ce n'est pas comme ça que ça marche, tu ne peux pas négocier. Je ne peux pas t'y obliger mais...
« Je plaisantais, le coupé-je. En fait, je vois déjà un psy.
« Bon, très bien, pas de rendez-vous, alors.
Je lui souris, ravie que ça aie marché et qu'il laisse tomber. Un bruit surgit derrière lui, il se retourne pour récupérer la feuille qu'on vient de lui faxer. Il lit rapidement.
« Pas de trace de drogue dans ton sang ni dans tes analyses d'urines.
« Mais les hallucinations, contré-je.
« Peut-être une réaction à la peur.
« Je n'ai... ouais, sans doute, me rattrapé-je.
Ses yeux deviennent questionneurs. Si j'ai eu ces hallucinations sans aucune raison, il va penser que je deviens folle ou schizophrène ou que je développe une maladie mentale quelconque. Carlisle semble réfléchir puis il prend la feuille de mes résultats, la fixant en réfléchissant.
« Tes résultats ont décelé autre chose, je ne sais pas comment te le dire mais... tu es malade.
Oh putain. Ma toute récente maladie mentale a été repérée dans mon sang ou dans mon urine. C'est possible, ça ?
« Ton sang regorge de cellules cancéreuses, ça veut dire que tu en es à un stade plus qu'avancé. Si j'en crois tes analyses, il ne te reste qu'un ou deux mois à vivre. C'est trop tard pour une chimio.
Si je pouvais m'y attendre.
« Pourquoi vous ne l'avez pas dit plus tôt ?
« Tu viens déjà de subir une épreuve éreintante, je voulais m'assurer que tu pouvais l'entendre.
« Ok.
Ça ruine tous mes plans. Un mois ou deux, ce n'est pas suffisant pour qu'Edward me mange dans la main.
« Ok ? Répète Carlisle. Tu n'as pas peur ? Tu n'es pas triste ?
Ah, ouais. Je suis peut-être supposée être l'un ou l'autre... ou les deux.
« Je n'ai pas encore réalisé, je crois.
« Dis-moi, qu'est-ce que tu ressens, maintenant ?
« Je vous ai dit que j'avais déjà un psy ? Répliqué-je. J'pense que c'est lui qui est censé gérer mes émotions, tout ça. Je n'aime pas parler de mes émotions.
« Mais tu en ressens, n'est-ce pas ?
« Bien sûr, comme tout le monde. Je n'aime juste pas en parler, surtout avec un inconnu.
Bien sûr que je ressens des émotions, j'en ai toujours ressenties. Je crois. Ok, je n'ai peut-être jamais eu peur dans ma vie mais... j'aime mes parents, par exemple.
« Tu as peur de quoi, dis-moi ? Des araignées, des serpents ? Tu avais peur de quoi, quand tu étais petite ?
« Des clowns, j'ai toujours eu peur des clowns. Ils ont toujours... des sourires dessinés autour de leur bouche ou alors, une grimace triste... tu ne sais jamais ce qu'ils pensent, du coup.
Je suis obligée d'inventer.
« D'accord. C'était faux. Tu n'as pas de cancer, les analyses ne montrent rien d'autre que l'absence de drogue.
Je fronce les sourcils en tordant ma bouche. Je pensais que les médecins étaient toujours tenus de dire la vérité à cause du serment d'Hippocrate.
« Vous m'avez menti ?
« J'avais besoin de vérifier quelque-chose, s'explique-t-il. Tu es en colère ?
« Non.
Il me sourit – toujours de façon bienveillante.
« Parce que vous aviez une bonne raison, ajouté-je rapidement.
Parce que peut-être que je devrais l'être.
« C'est un peu immoral de mentir, d'ailleurs, terminé-je.
« Bien sûr, sourit-il. Je suis désolé de t'avoir menti, je t'assure que ça avait un but purement médical.
« Pas de soucis. Est-ce qu'on a fini ? Parce que je vais bien et mon père va se demander où je suis.
« Bien sûr mais avant de partir, peux-tu me donner le nom de ton psychologue ?
Fait chier.
« Je ne me souviens pas, j'ai sa carte à la maison, je la donnerai à Edward qui vous la donnera.
« D'accord. N'hésite pas à appeler ton médecin traitant si tu as le moindre soucis ou venir aux urgences si besoin. Je t'invite à porter plainte le plus tôt possible contre l'homme qui a tenté de te tuer et, bien sûr, d'en parler à tes parents.
