Chapitre 12
Qui suis-je ?
Je me regarde dans le miroir et mes anciens démons refont surface. Le test de paternité est arrivé ce matin mais mon père a attendu que je rentre pour ouvrir l'enveloppe. Plus parce qu'il a peur du résultat que pour le fait que ça nous concerne tous les deux. Je me suis assise en face de lui et je l'ai regardé déchirer l'enveloppe, sortir les papiers et perdre ses couleurs en lisant le résultat.
Je ne suis pas sa fille.
Mon mensonge est devenu réalité, le karma m'a renvoyé mon mensonge dans la gueule et j'ai cette question qui tourne en boucle dans ma tête. La question d'Edward.
Qui es-tu, Bella Swan ?
Mon père s'est littéralement décomposé devant moi, il a pleuré. La dernière fois que je l'ai vu pleurer, c'est quand Renée m'a pris dans ses bras pour m'éloigner de lui tandis qu'il perdait sa fille et l'amour de sa vie.
Maman a trompé papa.
Je n'aurais jamais imaginé. Ça n'a été qu'un mensonge, un mensonge de plus, un mensonge de trop... mais pour une fois... pour une fois, j'avais dit la vérité. Sauf que je ne le savais pas.
Qui suis-je ?
Je n'ai pas su quoi faire. J'étais là, assise sur la chaise à regarder les cheveux de Charlie tressauter alors qu'il pleurait, le visage dans les mains. Alors je me suis levée puis je suis sortie de la cuisine pour monter à l'étage et là, ça fait une heure que je me fixe dans le miroir à contempler mes anciens démons. Je me suis dit qu'il préférerait être seul pour pleurer à loisir mais en fait, j'ai juste voulu fuir. Mais je ne peux pas me fuir.
Qui es-tu, Bella Swan ?
La question d'Edward surgit, encore, dans ma tête. J'ai gardé le silence et il s'est lassé, j'imagine, il a fait demi-tour et j'ai continué mon chemin en m'en foutant complètement de sa question. Je ne l'ai pas revu ensuite. Il a disparu de la circulation depuis deux jours.
Qui suis-je ?
Ma propre question, cette fois. Qui suis-je ? Je n'ai jamais su répondre à cette question. J'en ai assez de fixer mon reflet mais je me force même si c'est une torture, ça l'a toujours été, ça me dérange parce que tout ce que je vois dans ce miroir, c'est un mensonge. Il y a peu, je me suis dit que je ne devais pas être dans le bon corps, je devais être un garçon dans le corps d'une fille – ma crise d'identité – mais j'ai écarté cette hypothèse parce que je suis une fille, je me sens fille et c'est mon corps mais j'ai ce vide, en moi et rien ne semble le combler. Et ce reflet qui ressemble à un mensonge.
Peut-être que Carlisle a raison.
Peut-être que je n'ai pas d'émotions ou je ne les ressens pas, en tout cas. C'est peut-être ça, le vide. Si c'est le cas, je n'en ai jamais eues, alors... parce que je verrais la différence entre en avoir et ne pas en avoir. Je n'ai pas peur, je n'ai pas de regret, pas de remord, pas de joie, pas de tristesse, je ne sais pas quoi faire quand quelqu'un pleure. Me suis-je déjà souciée de qui que ce soit ? Me suis-je même déjà souciée de moi ?
Non.
Je ne peux même pas être triste ou en colère parce que je ne ressens pas ces émotions. Je devrais l'être parce que je viens de découvrir que mon père n'est pas mon père et je ne sais pas qui l'est.
Qui est mon père ?
Je descends les escaliers après m'être regardée dans le miroir pendant presque deux heures. Je réalise qu'il n'y a plus de sanglot ni de reniflement dans la cuisine. À la troisième marche, je m'arrête quand j'entends Charlie parler d'une voix froide :
« Renée, nous devons parler. […] Pas au téléphone, tu dois venir. […] C'est à propos de Bella, c'est important. […] J'attends des nouvelles de ton vol.
Comme il ne parle plus, j'en conclus qu'il a raccroché ou Renée s'est lancée dans une interminable logorrhée. Je descends les trois marches restantes et m'arrête sous l'arche de la cuisine. Charlie est debout, son portable dans la main qu'il fixe avec rancœur. Il réalise que je suis là et lève les yeux pour me regarder.
« Ça ne change rien, m'annonce-t-il d'une voix tremblante qui m'indique plutôt que ça a tout changé.
« Tu es ma fille, clame-t-il avec une voix plus stable.
Je ne suis pas triste, je ne suis pas en colère mais lui, l'est alors je m'avance et le serre contre moi, il me serre lui aussi et nous restons comme ça pendant quelques secondes. Il finit par me relâcher.
« Je n'ai pas faim, fais-toi à manger, je mangerai plus tard.
Il me dépasse et va se réfugier dans le salon, devant la télé.
« Je dois voir quelqu'un, annoncé-je.
Il s'arrête, se tourne et après une seconde, il hoche la tête puis reprend la traversée du hall d'entrée. Je récupère les clés de ma voiture sur le porte clé, je ne prends même pas la peine de mettre ma veste et je sors. Je n'ai aucun moyen de le contacter, je n'ai pas réussi à découvrir où il habite mais je sais où trouver son père si toutefois il travaille aujourd'hui.
Je me dirige vers le comptoir d'accueil de l'hôpital, c'est un homme cette fois. J'attends qu'il aie fini de donner les informations à son correspondant au téléphone. Quand il raccroche, il lève les yeux vers moi et me sourit.
« Que puis-je pour toi ?
« Le docteur Cullen travaille-t-il, ce soir ? Il m'a dit de le contacter ou de venir le voir si j'avais besoin.
L'hôte d'accueil regarde sur son ordinateur.
« Il était de nuit cette semaine, de lundi à jeudi donc il est en congé le reste de la semaine.
« Vous avez un numéro où je peux le contacter ? Une adresse ?
« Désolé, je ne peux pas te fournir ses informations personnelles. Il reprend lundi à 6h30, si tu peux attendre jusque là.
C'est si compliqué d'entrer en contact avec Edward, j'aurais dû lui demander son numéro dès qu'il a accepté d'être mon ami.
« Ok, soufflé-je.
Je n'ai qu'à attendre lundi, peut-être qu'Edward sera de retour au lycée d'ici là. Sur le trajet qui me ramène chez moi, je vois le groupe de Lauren sans Lauren traîner ensemble sur le trottoir. Je m'arrête et vais à leur rencontre.
« Salut Bella, sourit exagérément Jess.
Une odeur alcoolisée émane du groupe, ils ont bu en cachette.
« Salut... dites, vous savez où habitent les Cullen ?
« Pourquoi tu veux savoir ça ? Demande froidement Mike. Tu veux pas rester avec nous ?
« C'est pour le devoir de bio, tu sais ? Celui qu'on doit faire en binôme.
Il fronce les sourcils, ne se rappelant pas de ce devoir – inexistant mais j'espère qu'il est assez bourré pour penser l'avoir oublié.
« Merde, grommelle-t-il. Je l'ai pas fait, c'ui-là.
« On sait pas où ils habitent, déclare Jess. Quelque-part au nord-ouest de la ville, ouest, nord, l'ouest c'est à gauche ou à droite, déjà ?
« Peut-être l'allée, un peu après la sortie de Forks suis la route qui mène à Port Angeles, pas celle de la réserve, propose Ben qui semble être le seul complètement alerte.
« Ok, je vais voir, bye.
Je fais demi-tour sans considérer leurs au-revoir, je monte dans mon monstre et démarre. Quand j'approche du panneau qui annonce la sortie de la ville, je ralentis la camionnette et regarde à gauche et à droite s'il y a la moindre allée. Je la repère à ma gauche et l'emprunte. Au bout de quelques centaines de mètres, je tombe sur une immense villa en bois et en baie vitrée. Il n'y a pas de voiture à l'extérieur et pas de lumière à l'intérieur alors que le ciel est suffisamment assombri. Il n'y a peut-être bien personne, là-dedans. Ou les pièces allumées sont de l'autre côté ? Je coupe le contact, sort du monstre et me dirige vers le perron de la porte d'entrée, près du garage. Je sonne et j'attends.
Je n'entends aucun bruit alentour ni dans la villa donc je pense qu'ils ne sont pas là, je commence à faire demi-tour mais la porte s'ouvre sur Carlisle qui me sourit.
« Bella, bonsoir. Comment vas-tu ?
« Ça va, je voulais voir Edward, est-ce qu'il est là ?
« Non, il est parti.
« Ah. Il revient quand ?
« J'ai bien peur qu'il ne revienne pas, m'annonce-t-il. Il est parti pour l'Alaska vivre avec nos cousins.
« Pourquoi ? Fais-je étonnée.
« Ça fait quelques jours qu'il y pense, il a besoin de s'éloigner.
Je me demande... si c'est à cause de moi... mais je ne lui ai rien fait. Bon, je lui ai menti mais ça, il ne le sait pas. Peut-être que mon refus d'appeler la police l'a tellement agacé qu'il a décide de quitter la ville. Edward est si extrême.
« Je peux te donner son numéro, si tu veux ? Il vient de partir, il peut encore faire demi-tour et prendre un autre vol.
Je hoche la tête et tapote les poches de mon jean pour me rendre compte que je n'ai pas penser à prendre le téléphone que Charlie m'a prêté en remplacement de celui que j'ai perdu. Je l'ai probablement perdu dans les poches du mec qui m'a enlevée.
« Vous pouvez me l'écrire sur un papier ? J'ai laissé mon téléphone chez moi.
« Bien sûr, attends-moi ici.
Comme il a laissé la porte ouverte, je jette un coup d'œil dans le hall parfaitement décoré, ni trop ni pas assez avec un sol en marbre brillant. Je crois que c'est du marbre, du moins. Il y a les escaliers sur la gauche qui monte à l'étage et j'aperçois les jambes de Carlisle avant de le voir entièrement quand il les descend. Il me tend un post-it avec le numéro demandé écrit d'une écriture qui rendrait jaloux n'importe quel calligraphe.
« Merci. Bonne soirée.
« Bonne soirée Bella.
Je retourne à la camionnette et réalise qu'il ne m'a même pas demandé pour le nom de mon psychologue. Peut-être qu'Edward lui a dit que j'avais menti à ce propos ? Ou il ne mélange pas personnel et professionnel.
Dans ma chambre, je récupère le téléphone suranné, il ne fait même pas appareil photo, tout ce que je peux faire avec lui, c'est téléphoner, envoyer des sms en appuyant sur des boutons et jouer à Snake avec des pixels. J'enregistre le numéro d'Edward sur ma nouvelle carte sim puis l'appelle... mais il ne répond pas. Alors je lui envoie un sms.
J'ai besoin de te parler. Tu peux décaler ton vol et revenir ? (c'est Bella)
Je me rends compte que pour l'instant, il ne me doit rien, il peut m'ignorer s'il le souhaite. Techniquement, c'est moi qui lui suis redevable. Je renvoie un autre sms aussitôt :
Stp
Ce ne serait peut-être pas malin de ma part de le faire venir chez moi. Chez moi il y a mon père et Edward pourrait décider de lui parler de mon kidnapping. Alors je lui renvoie un autre sms :
Je t'attendrai sur le parking du lycée, jusqu'à minuit. Au-delà, je supposerai que tu as pris ton vol.
Je redescends, Charlie n'a même pas remarqué que je suis revenue et il ne semble pas remarquer que je repars non plus. Il est concentré sur le match qu'il regarde. Je me gare pas loin de la sortie du parking et sors du monstre pour m'asseoir sur le muret, les pieds dans le vide. Je serre mes bras parce qu'il fait froid et j'ai oublié de prendre ma veste. Je suis seule avec moi-même dans le noir. Enfin, assez d'obscurité pour dire qu'il fait noir mais un réverbère au loin me permet de voir, à peu près, ce qui m'entoure. Au moins, il n'y a pas de miroir. J'ai pris mon téléphone cette fois et le sors de ma poche, je regarde l'heure.
21h08.
Edward ne m'a pas répondu alors je ne sais pas s'il a décidé de décaler son vol ou non. Une ombre bouge au loin, un chat deviné-je à la grâce de ses pas. Je le vois se figer, fixant ma position et détaler comme s'il avait vu un fantôme. C'est la première fois que je fais peur à un chat. D'habitude, ils m'aiment bien. Le temps passe mais je ne m'attends pas à ce qu'Edward arrive si vite, je ne sais pas quand il est parti exactement. Carlisle a dit qu'il venait de partir mais comme il roule comme un fou, il a pu avaler des kilomètres depuis. Il peut aussi ne pas faire demi-tour.
21h23.
Est-ce qu'on est suffisamment amis pour qu'il décide de décaler son vol rien que pour moi ? J'en doute. On venait tout juste de le devenir et à la base, il ne voulait pas. Il a peut-être changé d'avis, à nouveau. Peut-être que quelque-chose que j'ai dit lui a fait reconsidérer sa décision.
21h37.
Je me rends compte à quel point il est facile pour moi de rester immobile, si on enlève les mouvements dus à ma respiration.
21h43
Je doute de plus en plus qu'il viendra. Je me rends compte qu'il s'en va. Qu'il fasse demi-tour ou non, il va en Alaska, au bout du compte. Ma tentative de le manipuler s'arrête donc là, quoiqu'il arrive et lorsque je réfléchis à une autre cible je me rends compte... qu'il est le seul que je veux manipuler. Je ne sais même pas pourquoi. Pourquoi lui ? Pourquoi je l'ai choisi lui, de toute façon ? Ça me semblait facile mais Eric aussi me semblait facile à manipuler.
J'entends un craquement derrière moi, quelqu'un vient de m'arrêter dans mes réflexions, je ne bouge pas, je tends l'oreille pour décider si c'est Edward, un animal ou un autre kidnappeur... ou le même, qui sait ?
« Tu es là ? Demandai-je dans un souffle.
« Oui, répond-il.
Je reconnais sa voix et le silence retombe. Je me demande pourquoi il ne s'est pas garé sur le parking mais peut-être a-t-il voulu me surprendre. Il ne s'approche pas et je ne me tourne pas parce que j'ai besoin de ne pas le voir pour lui dire la vérité. La vraie vérité toute nue à sa question. Mon regard se pose sur le bitume que je vois à peine.
« Je ne sais pas qui je suis, admets-je.
Dire la vérité, ça n'est pas aussi facile qu'on le pense. C'est vraiment difficile, en fait.
« Je ne l'ai jamais vraiment su, à vrai dire. À chaque fois que je me regarde dans le miroir, tout ce que je vois, c'est un mensonge.
Il ne me répond pas et peut-être que c'est mieux, ça me permet de continuer.
« Et je n'ai jamais su quel mensonge c'était. Pendant un moment, j'ai cru que, peut-être, j'étais née dans le mauvais corps mais ce n'est pas ça.
Je laisse un nouveau temps de silence, il est resté derrière moi, je ne l'entends pas, je ne sais même pas s'il est toujours là.
« Mardi soir, Charlie et moi avons fait un test de paternité parce qu'il doutait d'être vraiment mon père. Je ne doutais pas, moi, j'étais sûre qu'il l'était. Il a reçu le test ce matin, il l'a ouvert devant moi et... je ne suis pas sa fille. Je ne sais pas qui je suis.
