« Allez, l'immature, debout ! Suis-moi ! »
L'ordre du gardien les tira tous du sommeil.

Clignant des yeux, un peu inquiet, Zen'kan regarda son ami partir. Qu'est-ce qu'on lui voulait ?
Rorkalym le rassura d'une pensée. Sans doute allait-il être examiné. La veille, il avait particulièrement morflé pendant l'entraînement, et de son propre aveu soupçonnait quelques côtes cassées. Inquiétude qu'il avait exprimée tout haut, lui attirant les railleries de leurs surveillants. Mais ces derniers s'étaient sans doute rappelés que lui ne régénérait pas encore...

Pas vraiment rassuré, mais impuissant, Zen'kan se rallongea. Faire un esclandre ne lui servirait à rien d'autre qu'à se faire battre comme plâtre. Mais il ne se rendormit pas, incapable de lâcher télépathiquement son ami.

Il ne pouvait le protéger avec ses griffes, mais il pouvait au moins le soutenir moralement !

.

« Père. »

Ni une exclamation, ni une question, une simple reconnaissance.

Selk'ym opina.

« Fils. »

Le silence retomba, lourd de l'atmosphère humide de la ruche.

« Comment vas-tu ? » s'enquit l'hybride.

« Je suis vivant. » fut tout ce que Rory trouva à répondre.

Il ne pouvait certainement pas dire que ça allait. Mais se plaindre aurait été indigne.

Un grondement neutre lui répondit. C'est avec un pincement au cœur que Rory l'accueillit.

Une part de lui aurait voulu que son père manifeste de l'inquiétude à son égard, ou au moins s'enquiert du minimalisme de sa réponse. Mais il ne faisait aucun doute que Selk'ym n'ignorait rien de ses actuelles conditions de vie. Il était aussi passé par là, et percevait cela comme un mal nécessaire pour espérer qu'un jour il se fasse une place parmi les Ouman'shiis.
Le gardien qui l'escortait gronda son impatience et, d'un geste du menton, son père lui fit signe de se remettre en route, lui emboîtant le pas.

Rory brûlait de savoir où on l'emmenait, alors qu'ils marchaient dans les longs couloirs si semblables de la ruche, mais n'osa pas demander. Finalement, il lui fut ordonné d'un geste d'attendre devant une humble porte jouxtant un haut portail double gardé par deux guerriers.

Après quelques minutes, son père vint le chercher et il put entrer, découvrant un grand bureau, rendu étriqué par la quantité d'écrans et de consoles rongeant les murs, et de tablettes et documents encombrant la demi-douzaine de tables entassées là pour les recueillir.

Derrière le moins encombré des bureaux, un wraith élégant dont les longues mèches étaient ornées d'innombrables perles argentées l'observa, son regard perçant l'examinant avec intensité.

Baissant les yeux, Rorkalym attendit patiemment. A son tatouage facial, il s'agissait d'un commandant – ou en tout cas de quelqu'un de très gradé.

« Mmmh. Quel âge as-tu, larve ? » s'enquit le mâle.

« Vingt-et-un, bientôt vingt-deux ans... terrestres... environ huit mille jours, monsieur. » bafouilla-t-il, convertissant rapidement les unités en quelque chose qu'il espérait plus compréhensible pour ce dernier.

« Et tu n'es pas encore mature, c'est exact ? »
Il opina.

« Mmmh. On m'a dit que tu étais intelligent. Il faut refaire le stock de munitions d'une frégate. Dans ses soutes, tu peux embarquer soit quatre capaciteurs de canons orbitaux, soit deux mille cellules énergétiques pour les tourelles auxiliaires. Que prends-tu ? »
« Heu... Cela dépend de la mission du vaisseau et de quel type d'ennemi elle peut s'attendre à rencontrer. Mais dans le doute, je ferais probablement moitié, moitié, si c'est possible. » répondit-il après quelques instants.

« Mmmh. Deux guerriers viennent te voir. Ils prétendent chacun que l'humaine qu'ils ont amenée est leur servante marquée. Comment gère-tu le conflit ? » poursuivit-il, toujours impénétrable.
« Je demande à l'humaine qui est son... maître ? »
Un instant, le mâle le fixa avec surprise, pris de cours, puis il sourit.

« Disons que l'humaine en question est muette. »
« Je lui demande de me montrer du doigt qui est le bon guerrier ? »
La façade insondable de l'officier se fissura alors qu'il découvrait quelques dents bleutées dans un rictus agacé.
« Tsssh ! Elle est inconsciente. Tu ne peux pas l'interroger ! Comment fais-tu ? »
Voilà qui compliquait les choses. Un instant, Rory envisagea de proposer une variante du jugement de Salomon. Mais dans ce scénario, on parlait de
wraiths, pas de jeunes mères. Rien ne disait qu'ils n'allaient pas préférer la mort de la servante plutôt que de risquer voir l'autre l'emporter.

« Je les interroge. Avec un peu de chance, cela suffira à faire éclater la vérité. Mais dans le doute, l'humaine n'est jusqu'à nouvel avis à aucun des deux, et j'attends de pouvoir aller parler à cette dernière pour savoir si elle veut servir l'un des deux, ou aucun. »

Roulant des yeux, son élégant interlocuteur se pencha en arrière dans son siège.

«Méthodologie intéressante... Vous pouvez me le laisser. Je vais voir s'il y a quelque chose à en tirer. » statua-t-il, congédiant le gardien du couvain et son père d'un geste.

Rory resta seul et anxieux dans la pièce. L'autre se leva et, contournant son bureau, vint lui faire face.

« Je suis Jû'reyn de Silla, le commandant de cette ruche. Ma reine m'a ordonné de te prendre comme pré-apprenti et de voir si tu as les... capacités pour devenir commandant... A partir de maintenant, tu m'appartiens, et je fais de toi tout ce que je désire. Je ne tolérerai aucune désobéissance, ni aucune paresse. Est-ce clair ? »
C'était ça qu'on attendait de lui ?! Il ne put se retenir dans le secret de son âme de se réjouir malgré la culpabilité qui l'assaillait. Ilinka n'aurait besoin que d'un commandant, et c'était lui qui était là – pendant que Zen'kan était toujours en bas avec les guerriers !

Il s'inclina docilement.

« Oui, mon commandant. »
Ce dernier le fixa avec un rictus satisfait.

« Bien, pour commencer, prends cette tablette et familiarise-toi avec le système de classement des dossiers et des tâches. Ensuite, tu pourras t'occuper de numériser les documents qui se trouvent sur cette table. » lui indiqua-t-il en pointant une griffe en direction d'une montagne de parchemins et de tablettes de cire.

Il obéit avec empressement. C'était mille fois mieux que de se faire battre encore et encore par des grosses brutes stupides!

.

Rory n'allait a priori pas revenir. Le commandant de la ruche l'avait pris comme apprenti.

Zen'kan se sentit soulagé. Il n'aurait plus à s'inquiéter à chaque instant pour lui. Ni à se prendre les coups à sa place.
Mais il se sentait aussi amer. Rory n'était plus là, et lui si. Tout ça avait un sale goût de déjà-vu.

Zen'kan, le crétin. Zen'kan, le mou du bulbe. Celui qui n'arrive pas à finir l'école. Le bourrin. Rien dans la tête, tout dans les muscles.

Avec une colère puérile, il se claquemura dans son esprit. Il voulait être seul avec son dépit.

.

La jeune femelle se tenait debout, une vague odeur de crainte la nimbant tout entière, alors que Delleb lui tournait autour, l'examinant sous toutes les coutures.

Physiquement, il n'y avait rien à lui reprocher. Ses traits étaient délicats et bien proportionnés, sa chevelure brillante et fournie, sa carrure saine et déjà forte. Pour le reste, c'était affligeant.
Zunnlyn était passé par là, c'était certain. La petite se tenait droite, le menton levé, aussi rigide qu'un gros poisson congelé. Attitude admirable chez un mâle au garde-à-vous, mais pas chez une future reine.
Quant à son esprit, présentement obnubilé par la crainte qu'elle lui inspirait, il ne contenait pas la moindre once de hargne. Juste la soumission triste d'un être résigné à un destin déprimant.

Delleb soupira. La jeune femelle avait été prénommée Ilinka. « Torche porteuse de lumière ».
En cet instant, elle lui inspirait tout sauf un espoir éclatant !

Mais c'était bien le principe des torches. Pour qu'elles brillent, il fallait d'abord les allumer.

Terminant son inspection, Delleb vint se planter devant sa nouvelle apprentie.

« Première leçon. Une reine n'est jamais quelconque. Elle est toujours unique. »
Le regard de la jeune femelle était perplexe. Écartant un peu les bras, Delleb tourna gracieusement sur elle-même, faisant virevolter les pans de son manteau.

« Vous pourrez considérer la leçon apprise, le jour où vous pourrez porter un simple uniforme, comme un mâle, et être aussi remarquable que le schiitar dans la paume. » expliqua-t-elle.

Ilinka opina.

« D'ici-là, nous allons tâcher d'améliorer votre sens de... l'élégance. » soupira l'ancienne reine, détaillant avec dépit la robe noire et grise, admirable par la systématique de sa forme, toujours trop large – ou trop courte – pour mettre quoi que ce soit en valeur chez l'adolescente.
A n'en pas douter, Ilalymn n'avait pas eu son mot à dire sur cette tenue. Jamais le tailleur n'aurait laissé une telle abomination exister !

La jeune femelle opina encore. Delleb ne put retenir un grincement exaspéré. Le maître du couvain avait réussi l'exploit de la rendre encore plus transparente que ne l'avaient fait ses dégénérés de parents adoptifs !

« On s'occupera de votre tenue plus tard. Pour l'instant, appelez le guerrier là-bas, près de la porte. » lui ordonna-t-elle.

Acquiesçant, la jeune wraith partit au trot chercher ledit guerrier. Delleb l'arrêta au bout de trois pas.

« Faites-le venir, lui ! Ce n'est pas à vous de vous déplacer. »
« Ohhh... OK... Dé... » bafouilla-t-elle.

Delleb se retint de gronder. La petite avait failli s'excuser !
« Monsieur, monsieur ! Près de la porte. Monsieur... s'il vous plaît... »
Cette fois, elle ne put s'empêcher de se pincer l'arête du nez. C'était lamentable.

« Un peu d'autorité, par pitié ! »
« Oui... pardon... Heu... Monsieur, venez ici ! »

Elle ne pouvait même pas honnêtement dire que c'était mieux. Ilinka avait juste parlé plus fort et sans s'il vous plaît.
« Rosanna Gady, pourriez-vous montrer à votre fille comment faire ? » grinça-t-elle à l'adresse de l'artiste qui, penchée sur l'épaule d'un officier à quelques mètres de là, tentait de comprendre un quelconque rapport.

L'intéressée se retourna vers elle d'un air dramatique.

« Delleb, pourriez-vous vous en charger ? » répliqua-t-elle avant de se replonger dans son écran sans attendre sa réponse.

Avec un sifflement, la reine pointa un doigt autoritaire en direction du guerrier, qui se redressa aussitôt.
« Venez ici ! » gronda-t-elle, le faisant s'avancer au petit trot.

A peine le guerrier planté devant elle, attendant ses ordres, Delleb réalisa combien l'humaine s'était jouée d'elle. La femme lui avait donné un ordre sans en avoir l'air, et elle y avait obéi.

« Retournez à votre poste. » cracha-t-elle, agacée, au guerrier qui s'exécuta, docile.

C'était humiliant, mais une bonne leçon – et pas que pour la jeune femelle.

« Voilà comment on fait preuve d'autorité, princesse. » conclut-elle sobrement. « A votre tour, maintenant. »
Ilinka s'y essaya, tâchant au mieux de l'imiter, sans grand succès. Les simagrées terriennes étaient trop ancrées en elle.

« Stop. Stop. On arrête. Râ'kan, ici ! »
Le guerrier approcha.

« Majesté ? »
« La princesse doit s'entraîner à donner des ordres. Allez vous poster là-bas et n'en bougez pas. »
Il obéit, partant se planter devant le pilier qu'elle lui avait désigné. Delleb se retourna vers son élève.
« Bien. Si vous arrivez à le faire revenir ici, je vous donne votre journée de congé. »
Une récompense la motiverait sans doute. La jeune wraith opina et, les arcades sourcilières froncées, réfléchit quelques instants, puis rejoignit le guerrier au pied de sa colonne.

Avec curiosité, Delleb les observa discuter pendant un moment, puis la jeune femelle revint, le guerrier en remorque.

En moins de cinq minutes, la petite avait réussi à faire désobéir un de ses gardes les plus fidèles. Garde qu'elle fusilla du regard.
« Je n'ai qu'une parole. Vous pouvez y aller, princesse. Soyez ici demain à la première heure. » siffla-t-elle, surprise de sa propre aigreur face à la réussite inattendue de sa pupille.
Comment avait-elle fait ? Elle était bien trop jeune pour être capable de contraindre mentalement un guerrier comme Râ'kan.

« Merci, grande régente ! A demain ! » s'éclaira l'adolescente, filant sans demander son reste.
Ilinka sortie, Delleb se retourna vers le mâle.

« J'exige des explications. » grinça-t-elle.

Le guerrier se ratatina un peu, l'air piteux.

« Mademoiselle Ilinka m'a expliqué que vous lui faisiez faire un exercice et que vous lui aviez demandé de me manipuler pour que je vous désobéisse. Et que si je l'aidais, cela vous ferait plaisir, car cela prouverait toute... l'étendue de votre talent d'enseignement... ma Reine. » murmura-t-il, vert de honte, réalisant qu'il s'était fait avoir.

Se pinçant à nouveau l'arête du nez, Delleb soupira – puis sourit. La petite n'avait certainement pas fait preuve d'autorité, mais elle avait démontré sans ambiguïté qui l'avait élevée.
Elle avait manipulé le guerrier en lui disant qu'elle allait le manipuler. Du grand Gady. Ne jamais mentir. Toujours proposer une récompense alléchante – dans ce cas, sa satisfaction à elle. Ne manquait qu'une menace et c'était le B-A-ba de la méthode de négociation de la Terrienne.

Elle se retourna vers le guerrier honteux.

« Espérons que la prochaine fois, vous ne vous laisserez pas manipuler par une larve de même pas deux décennies ! D'ici-là, rendez vous utile et suivez-la. Je veux savoir ce qu'elle fait instant par instant. Et ne vous faites pas repérer ! »

« A vos ordres, noble régente. »

Alors que le guerrier s'esquivait, Zil'reyn s'approcha.

« Alors ? » s'enquit-il télépathiquement.

« Elle est plus retorse qu'elle en a l'air sous ses sourires gentils. »

Le commandant lui jeta un regard en biais.
« Tout comme vous êtes plus douce que vous n'en avez l'air sous vos allures sévères ? »
Elle siffla, outrée.

Zil'reyn s'excusa d'une courbette, cachant mal son amusement.

.

« Debout, là-dedans ! Vous êtes attendus. Debout ! » beugla le maître du couvain.

Comme ses frères, Zen'kan se dépêcha de se lever. Rien d'enthousiasmant à cette nouvelle journée, mais encore moins de quoi se réjouir à la perspective de se faire battre pour paresse.

Depuis le départ de Rory, une vingtaine de jours plus tôt, les entraînements s'étaient grandement étoffés en termes d'intensité, et de difficulté – leurs maîtres ne se contentant plus de les faire s'affronter entre eux, mais les opposant à des guerriers venus expressément pour les démolir avec leurs méthodes de prédilection.

Toutefois ce matin-là, lorsqu'au lieu de se diriger vers la zone d'entraînement, ils furent tous emmenés vers la sortie de la pouponnière, l'intérêt général s'éveilla.
Les guerriers étaient déjà sortis quelques rares fois, mais chaque nouvelle escapades hors des couvains restait une délicieuse exception.

Ils furent emmenés dans un vaste espace caverneux dont les murs se perdaient dans l'obscurité.
Plusieurs mâles adultes attendaient déjà, leurs silhouettes à peine plus que des ombres immobiles.
Au centre, vaguement baignée d'une lumière glauque, une table à tréteaux, sur laquelle une silhouette familière disposait diverses armes.

« Ah ! Vous voilà ! » les salua la femme, se retournant, mains sur les hanches.

Les guerriers ne répondirent pas, ne sachant comment ils étaient censés traiter cette humaine inconnue.

Il ne put s'empêcher de faire un petit geste.

Milena lui rendit un sourire puis, les mains nonchalamment jointes dans le dos, elle remonta la ligne de guerriers que le maître avait fait aligner d'une pensée, les examinant avec soin, commentant parfois un détail ou un autre.

Zen'kan attendit, tout au bout, une lourde boule d'angoisse au ventre. Ils ne s'étaient pas revus depuis des semaines. Sa mère n'avait jamais pris la peine de venir le voir. Il en était venu à douter. De ce qu'il était pour elle. Considérait-elle son devoir terminé, et s'était-elle purement et simplement débarrassé de lui, ayant fait ce qu'on attendait d'elle ?

Elle arriva finalement à sa hauteur.

« Comment ça va ? »

La question le prit de cours.

« Heu... ça va... et toi ? »
Elle opina, avec un sourire chaleureux qui fit remonter la boule d'angoisse jusque dans sa gorge.

« C'est bon de te revoir, mon chéri. Tu m'as manqué. »
Il ne put qu'opiner, incapable de parler. Sa mère tendit la main, effleurant sa joue avec tendresse, puis – bien trop vite, bien trop tôt – se détourna, à nouveau martiale et sévère.

« Bon ! Je suis le capitaine Milena Giacometti. Capitaine Giacometti pour vous. Il m'a été demandé de vous familiariser avec les différents types d'armes humaines, et plus particulièrement les armes terriennes. On va donc passer les prochains jours ensemble. » annonça-t-elle, haut et fort, venant se positionner derrière sa table, sur laquelle elle ramassa un pistolet, le leur présentant.

« Est-ce que quelqu'un peut me dire ce que c'est ? » s'enquit-elle.

C'était un pistolet semi-automatique Beretta. Pour être précis, c'était son Beretta personnel. Celui qu'elle gardait dans le tiroir de sa table de nuit depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne. Il en reconnaissait la marque d'usure sur la crosse. Il leva la main.
Elle l'avisa, mais continua de fixer les autres. Finalement, un des jeunes mâles inclina la tête.

« Oui, toi ? » l'encouragea-t-elle en le désignant.

« Un blaster terrien, capitaine Giacometti ? » suggéra le jeune guerrier.

« On t'a déjà tiré dessus au blaster ? » s'enquit-elle, faisant tourner l'arme dans sa main.

Zen'kan se tendit, redoutant ce qu'il n'osait supposer.

« Oui, capit... »

Le claquement de la balle avala la fin de sa phrase, alors que le jeune mâle s'effondrait, se tenant la cuisse.

« Est-ce que ça ressemble à un coup de blaster ? » s'enquit Milena, remettant la sécurité de son arme.

Le guerrier hocha négativement la tête, ravalant péniblement un gémissement de douleur, sa souffrance troublant le calme de l'Esprit.

« Ceci, messieurs, est un Beretta série 92. C'est un pistolet semi-automatique d'un calibre de neuf millimètres. » expliqua-t-elle, levant haut l'arme pour que tous la voient. « Le magasin contient quinze balles. » poursuivit-elle, expulsant ledit magasin avant de le remettre en place d'un geste précis.

Dans un déclic, le pistolet fut réarmé. Zen'kan ne put s'empêcher de se tendre. La seconde balle claqua, plus assourdissante encore que la précédente. Un second guerrier s'effondra, la cuisse en sang.

« Cela signifie que je peux faire ça quinze fois avant d'être à court de munitions. »
Blam – blam – blam. Trois nouvelles balles, trois guerriers de plus qui s'effondrèrent douloureusement.

« Ce bébé est capable de tirer différents types de cartouches. Actuellement, il est chambré en 9mm parabellum. Munition standard. Deux fois plus longue que large, en cuivre, à tête arrondie.

Ceci est à peu de chose près la munition la plus inoffensive existant pour cette arme. Il existe également des cartouches à tête creuse, conçues pour se distordre à l'impact, provoquant plus de dégâts sur la cible, et diminuant drastiquement les chances pour vous que la balle ressorte toute seule. Et quelques autres spécialités amusantes. Balles traçantes, etc. »
Deux nouveaux tirs.
« Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous tire dessus. A votre avis ? »
Seuls les halètements de douleur des blessés occupés à régénérer leurs plaies lui répondit.

« En tant que jeunes guerriers qui n'êtes pas encore allés au front, vous avez sans doute en tête que nous autres, humains, sommes juste des primitifs fragiles et peureux. Ceci est une des armes les plus inoffensives de l'arsenal terrien. Et nous ne sommes pas le seul peuple dans cette galaxie à avoir inventé ce genre de joujou. Ni les seuls à en utiliser. » expliqua-t-elle, continuant ses stressants allers-retours devant leur ligne de plus en plus décimée. « Je peux vous dire d'expérience, qu'il suffit d'une seule et unique balle de Beretta entre les deux yeux pour tuer un wraith. » lança-t-elle, plaquant le canon de son arme sur le front d'un des guerriers indemnes – dont la crainte abjecte empuantit l'air.
Zen ne put retenir un petit sourire. Sa mère avait remis la sécurité tandis qu'elle levait l'arme. Son aîné ne risquait rien. La militaire baissa un peu le canon.

« Généralement, cinq ou six balles dans le buffet suffisent... » poursuivit-elle pensivement.

D'un geste vif, elle se retourna, faisant sauter la sécurité et tirant à bout portant dans la cuisse du guerrier voisin, qui glapit de surprise.

« Aujourd'hui, ce que je vous enseigne, c'est une saine peur des armes à feu ! Parce que vous êtes des wraiths. » gronda-t-elle, s'éloignant un peu pour s'adresser à tous, y compris aux spectateurs muets dans les ombres. « Vous êtes des wraiths. Puissants, solides – et tellement orgueilleux ! Ceci est une arme à feu. Craignez-la, et vous vivrez peut-être un peu plus longtemps. Sous-estimez son pouvoir de destruction, et vous serez aussi crevé que n'importe lequel de mes semblables face à elle ! »

A grandes enjambées, elle se mit à remonter leur lignes, chacun de ses pas ponctué d'un coup de feu. Sept pas, quelques secondes de répit, alors qu'elle changeait le chargeur, quinze pas, une nouvelle pause, quinze pas de plus, un troisième chargeur, deux balles, et elle fut face à lui.
Il se raidit, attendant l'impact.

« Ces armes ont été conçues pour tuer. Ceux qui les manient ont été entraînés à le faire. Ce sont des guerriers. Tout comme vous. Ne les sous-estimez jamais. Ne nous sous-estimez jamais. Est-clair ? » lança-t-elle.
Quelques vagues grognements d'assentiment lui répondirent dans un silence qui s'éternisait. Il osa respirer. Allait-il être épargné ?

Le claquement résonna, alors que la douleur éclatait dans sa jambe. Chancelant, il tenta de ne pas tomber. Ça faisait tellement mal ! Comme si on lui avait planté un tison brûlant en travers de la chair, râpant l'os.
Le souffle court, il vacilla, les mains crispées sur son pantalon à chaque seconde un peu plus imbibé de sang chaud. Milena s'était détournée, continuant son exposé comme si de rien n'était.

Prudemment, il reporta son poids sur son autre jambe, la voix de la guerrière une lointaine mélodie de fond sous le fracas de la souffrance.

Bientôt, le bourdonnement assourdissant de la régénération supplanta la douleur, et avec un certain émerveillement un peu confus, il regarda le petit morceau de métal sortir de sa cuisse dans un bouillonnement de sang, et tomber au sol en tintant.

Alors qu'une peau neuve remplaçait le trou béant, il ramassa le morceau de métal, déformé et encore chaud dans sa paume, tout poisseux de sang à moitié coagulé.

C'était ça de se prendre une balle ? Juste ça ? L'adrénaline battait à ses oreilles. C'était comme si le monde avait ralenti sa course. Comme si tout allait plus lentement, mais en plus haute résolution. Chaque détail plus précis, chaque lueur plus brillante, chaque son trop clair.

La secousse télépathique du maître du couvain relança l'horloge, plus efficacement qu'une gifle.

Le charme rompu, il se recentra sur Milena, qui était revenue à sa table, finissant de présenter son Beretta.

« Avant qu'on ne continue, est-ce que tout le monde a bien récupéré sa balle ? » s'enquit-elle.

Il y eut de nombreux assentiments. Quelques dénégations.

« Si elle est ressortie toute seule, félicitations ! Gardez-la, en espérant qu'elle soit la seule à jamais vous toucher. Sinon, allez voir les deux scientifiques là-bas, ils vont vous les extraire de suite. » lança-t-elle, désignant deux érudits qui, jusque-là invisibles dans les ombres, attendaient, avec une table de métal froid et une petite collection de scalpels.

Docilement mais sans enthousiasme, les quelques malchanceux concernés s'y rendirent.

« Dix minutes de pause générale. » beugla Milena, avant de s'approcher de lui. « Ça va ? » lui demanda-t-elle, avec un sourire sincèrement inquiet.

« Ouais. Mais putain, ça fait mal ! »
« Nan, sans déconner ! » lui répondit-elle avant de le serrer dans ses bras.

Instinctivement, il vint à la rencontre de son esprit. Il ne put s'empêcher de rire à sa propre bêtise.

Comment avait-il pu croire qu'elle l'avait oublié ? Négligé ? Pire, qu'elle s'était débarrassé de lui ?

L'esprit de sa mère était agité des remous complexe de la culpabilité de ce qui lui était imposé, du soulagement et de la joie de le revoir, et de la tristesse d'avoir dû lui faire du mal.
Elle ne l'avait pas oublié. Ni fui. Elle était bien trop consciente du poids des apparences. De l'importance de la réputation. Ce qu'elle lui avait laissé, c'était de l'espace. Pour exister, en tant que Zen'kan, et pas le « fils de l'humaine ». Pour faire ses preuves par lui-même, auprès de ses congénères, mais aussi auprès de lui-même.

Elle était une militaire. Une guerrière forgée au feu, blanchie sous le harnois. Elle savait la solitude du combattant au cœur de la bataille. Face à la mort, on est toujours seul. Elle ne l'avait pas abandonné. Elle l'avait respecté. Comme un guerrier en respecte un autre.
Il se sentit touché. Fier.
Il ne cacha pas sa gratitude, ni sa joie – toute enfantine, celle-ci – de la revoir.