Ouiiiii j'ai menti. Noooon, ce n'est pas Scottish Rhapsody!

C'est un petit os de Noël sans prétentions aucune (faite attention au rating il ne convient pas à tous les âges). Il s'agit d'un AU où Harry a tué Voldemort quand il était bébé, pas d'horcruxes (c'est ça où c'est The Good Place version LDS et tout le monde est mort XD) et où la vie a repris son cours. Certains personnages seront donc un peu OOC mais heeeey c'est Noël, joie sur Terre et tout ça et tout ça. Vous voyez que je peux écrire du FLUFF quand je veux, non mais.

C'est aussi l'occasion pour moi de remercier Ellie pour son travail de beta sans qui la publication serait beaucoup moins régulière (et de moins bonne qualité), de dire un gros merci aux Imprésarios sur Discord et un autre merci (plus petit) aux esclaves de la pataugeoire et de remercier le petit groupe de discord avec qui on rigole tout de même toujours beaucoup. Et merci aux lecteurs de la trilogie des Cicatrices, bien sûr, de toujours lire après toutes ces années de bons et loyaux services. J'ai espoir de terminer LDS en 2024. Bon la "suite" on verra dans dix ans mais... ^^

Bref, je vous souhaite de bonnes fêtes de ma part ainsi que de celle d'Ellie.

J'espère que cet os vous plaira!

Enjoy and review!


Coïncidences Et Destin


There's no such thing as strangers when a stranger says hello.
The Muppet Christmas Carol

Il n'y a pas d'inconnus lorsqu'un inconnu vous salue.
The Muppet Christmas Carol


La salle de bal des Malfoy rayonnait de centaines de chandelles flottant haut dont les lueurs se reflétaient sur les dorures des fresques du plafond, donnant l'impression que la vaste pièce baignait d'une aura dorée. La lumière, à l'intérieur, était telle que Severus peinait à voir les jardins qui s'étiraient dans l'obscurité, au-delà de son reflet dans la vitre.

Dissimulé dans le coin le plus reculé de la salle de bal, aussi loin de la piste de danse et de l'orchestre qu'il était humainement possible de l'être, il attendait que le temps passe.

Il n'était pas tout à fait là de son plein grès. Lucius avait beaucoup insisté, Narcissa s'était fendue d'une lettre tout à fait polie mais qui l'avait fait fortement culpabiliser de les avoir aussi longtemps négligés… Albus appréciait qu'il maintienne certains contacts pour mieux garder un œil sur les anciens partisans du Seigneur des Ténèbres et l'avait grandement encouragé à accepter l'invitation… Mais ce qui l'avait réellement poussé à venir, en fin de compte, était la grimace dépitée de Lily lorsqu'elle lui avait dit être obligée d'y aller aussi.

Un bal n'avait pas semblé trop horrible s'il s'agissait de tenir compagnie à sa meilleure amie pendant que Potter paradait autour de la pièce pour mieux se faire admirer – ce n'était un secret pour personne qu'il briguait le poste de Chef du Département des Aurors et cela requérait un peu de politique. Un bal chez les Malfoy était l'endroit rêvé pour ça.

Seulement voilà, Harry avait eu la bonne idée de tomber malade et Lily s'était excusée à la dernière minute.

Potter avait bien tenté de lui faire la conversation mais les relations entre eux ne seraient jamais au beau fixe, malgré tous les efforts que tout le monde était prêt à faire, et l'Auror n'avait pas tardé à l'abandonner, à son plus grand soulagement.

Severus soupira, plissant un peu les yeux pour mieux voir à l'extérieur, gêné par le reflet. Il n'y avait rien de notable dans le parc qui entourait le manoir, les Malfoy ne l'avait pas encore ouvert aux invités. Cela viendrait plus tard dans la soirée, sans doute, accompagné d'illuminations grandioses voire de feux d'artifice.

Lucius aimait ses effets de manches.

S'il y en avait un qui était retombé sur ses pieds après la mort du Seigneur des Ténèbres… Parfois, Severus peinait à accepter que cela allait faire dix ans tant cela lui paraissait proche. À d'autres moments, cela lui semblait avoir eu lieu dans une autre vie.

Cette nuit-là, neuf ans plus tôt…

Il lui arrivait encore d'en cauchemarder.

Le Seigneur des Ténèbres avait surpris la famille dans le salon. Potter n'avait pas eu sa baguette sur lui – un fait qu'il se reprochait encore presque dix ans plus tard – et Lily n'avait eu le temps que de jeter un vague bouclier avant que le mage noir n'attaque…

Et ne soit vaincu par un bébé d'à peine un an.

Lily et Potter avaient été soufflés par l'explosion, et étaient encore inconscients lorsque Severus, qui avait fait son possible pour découvrir les plans du Seigneur des Ténèbres, était arrivé à Godric's Hollow. Il se souviendrait toute sa vie du bébé qui hurlait, le front en sang, au milieu d'un salon ravagé. Potter s'était réveillé le premier, Lily peu de temps après…

Il y avait eu des cris, des accusations, des sortilèges aussi…

Puis Dumbledore était arrivé, avait expliqué le rôle que Severus avait joué – avec beaucoup plus de générosité et d'indulgence qu'il ne l'aurait probablement dû. Albus n'avait pas mentionné, par exemple, qu'il avait initialement supplié uniquement pour la vie de Lily.

Le reste…

Le reste était flou, perdu dans l'euphorie de la victoire, dans la certitude que Lily avait survécu et sa famille avec.

Il ne s'était attendu à rien d'autre, à vrai dire, mais n'avait pas tout à fait été surpris lorsqu'il l'avait trouvée dans l'atrium du Ministère, à l'attendre, à la sortie de son procès. Innocenté par Albus Dumbledore aux yeux de public sans que cela n'efface ses crimes, sa réputation de Mangemort à jamais cimentée, à peine mitigée par le fait qu'il ait servi d'espion.

Il avait été incapable de la regarder en face.

Il y avait eu des cris.

Des larmes, de part et d'autres.

Des accusations aussi.

Des excuses.

Puis un pardon et une amitié reforgée sur des bases plus solides. Plus honnêtes.

Bien entendu, redevenir son ami signifiait composer avec Potter et sa clique, avec le gamin, mais… En presque dix ans, Severus avait appris à vivre avec, l'alternative étant difficilement supportable. Potter et lui ne seraient jamais amis mais ils avaient une relation cordiale qui leur allait très bien. Parfois, il leur arrivait même d'avoir des conversations franches. Black, il avait appris à l'ignorer autant que possible. Lupin ne le dérangeait pas vraiment hors pleine lune des quatre il avait toujours été le plus intéressant, au moins pouvait-il parler d'autre chose que de Quidditch. Quant au garçon…

Severus avait beau prétendre le contraire, il s'était attaché au gamin qui avait les yeux de sa mère, l'impertinence de son père et l'appelait tonton comme si c'était la chose la plus naturelle du monde – et pour lui, ça l'était, c'était tout ce qu'il avait toujours connu. À chaque fois, pourtant, il mesurait sa chance.

Et ces soirées de mondanités trop guindées, trop loin de son quotidien, le rendaient bien trop sentimental, se moqua-t-il intérieurement de lui-même.

Ou bien peut-être était-ce les décorations de Noël qui ornaient la salle de bal…

C'était toujours Narcissa qui lançait le premier bal de la saison. Le premier décembre s'ouvrait le calendrier mondain de l'hiver. Il y aurait tout un mois de ce genre d'événements que se disputaient la bonne société magique.

« Vous aussi vous êtes là sous la contrainte ? » demanda une voix féminine et amusée sur sa droite.

Severus ne sursauta pas parce qu'il avait appris dès l'enfance à ne pas trahir ce genre de gestes mais ce ne fut que d'un cheveu. Ses yeux volèrent vers son reflet dans la vitre, celui qui aurait dû l'alerter de sa présence, et… Malgré sa détermination à préserver sa solitude à tout prix, il se tourna vers la jeune femme qui s'était glissée dans son coin isolé.

Elle portait une élégante robe de bal vert d'eau rehaussée de broderies dorées et cintrée à la taille par une broche en or. Des manches en gaze purement décoratives lui tombaient sur les épaules. La robe semblait tout droit sortie de l'armoire de Narcissa, ce qui lui fit dire qu'elle était sans doute Sang-Pure.

Severus n'était pas d'humeur à jouer le jeu des aristocrates, ce soir-là. Il s'était affranchi du besoin pathologique d'appartenir à cette strate de la société. Retrouver l'amitié de Lily l'avait guéri de ses ambitions irréalistes et de sa soif démesurée de reconnaissance.

L'inconnue était charmante, pourtant.

Des traits fins, des yeux gris qui pétillaient d'intelligence ou d'amusement…

Plus incongrue était la couleur rose pâle de ses cheveux remontés en chignon – ça n'était pas le style de Narcissa et elle n'avait sans doute pas apprécié ce genre de frasques à son bal. Trop moderne. Trop populaire. Pour ne pas dire trop Moldu.

« La plupart des gens considèrent une invitation à cet événement un grand honneur. » répondit-il posément, sans s'avancer outre-mesure.

Ni Narcissa, ni Lucius ne se serait vexé de son manque d'enthousiasme pour leur bal, si on leur avait rapporté des paroles peu aimables, ils le connaissaient trop bien pour s'en offusquer. Cependant, il n'avait pas pour habitude de médire dans le dos de ses amis - et pour, tous leurs défauts, Lucius et Narcissa étaient ses amis.

Lucius avait joué fin en prétendant avoir été forcé de servir le Seigneur des Ténèbres sous Impérium mais ils savaient tous les deux la vérité. Néanmoins, Severus ne la lui avait jamais jetée au visage, ne sachant que trop bien à quel point il tenait à Narcissa et Draco. Lucius, quant à lui, n'avait jamais fait aucune remarque sur ses activités d'espionnage que Dumbledore avait présentées au Magenmagot sous un jour beaucoup plus favorable que la réalité des faits. Si le Directeur avait laissé entendre que Severus avait plus ou moins toujours été dans sa poche, Lucius plus que tout autre savait que c'était faux.

« La plupart des gens mais pas vous ou vous ne seriez pas en train d'essayer de vous fondre dans le papier peint. » remarqua la jeune femme, en levant les sourcils. Elle fit un léger signe de tête vers la vitre. « Si vous avez un plan pour vous échapper… Emmenez-moi avec vous. »

Elle plaisantait, décida-t-il. Il n'était pas toujours doué lorsqu'il était question d'interpréter les intentions d'étrangers. Sa brève expérience d'espion, ajoutée à son enfance moins qu'idéale, l'avait rendu expert lorsqu'il était question de lire le langage corporel des gens : colère, violence, mensonge, hostilité… Tout ça, il en connaissait les nuances. Mais les plaisanteries, le flirt, les ouvertures amicales… C'était souvent plus compliqué. Encore plus chez la gente féminine.

« J'ai ouï dire qu'il y avait des paons cannibales dans le parc. » lâcha-t-il, un peu maladroitement. « Je crains qu'il n'y ait pas d'échappatoire de ce côté-là. »

Il fut récompensé d'un éclat de rire qui l'enchanta plus que de raison.

Très visiblement, cela faisait trop longtemps qu'il était célibataire si le simple rire d'une inconnue dont le père menacerait certainement de le traîner au tribunal pour avoir parlé à sa progéniture sans chaperon lui faisait cet effet.

Il aurait dû incliner la tête, comme le voulait l'étiquette, et s'éclipser. Éviter les ennuis. Peut-être trouver Lucius et tirer sa révérence en promettant de revenir bientôt, ne serait-ce que pour passer du temps avec Draco qui l'avait supplié, plus tôt, de lui apprendre une ou deux potions supplémentaires.

Ces deux dernières années à l'étranger avaient été dures pour plusieurs raisons mais il avait été surpris d'à quel point les garçons lui avaient manqué. Lui qui persistait à dire qu'il détestait les enfants – et c'était bien pour ça qu'il avait refusé la proposition d'Albus d'aller enseigner à Poudlard après la chute du Seigneur des Ténèbres – était complètement à la botte de ses deux neveux honoraires.

« J'ai tenté une sortie par la cuisine, tout à l'heure, mais les elfes de maison m'ont dénoncée. » déclara-t-elle, sans qu'il ne parvienne à déterminer si elle plaisantait toujours ou pas.

Sans vraiment le vouloir, il se retrouva à l'étudier d'une manière qui n'était probablement pas très polie et qui aurait déplu à la plupart des aristocrates qui évoluaient dans la pièce. Elle ne sembla pas s'en émouvoir outre mesure, se contentant de sourire.

Elle était belle.

Plus jeune que lui, encore qu'il était dur de déterminer de combien à la lumière trompeuse des bougies et sous la couche de maquillage élégant qui soulignait ses traits.

Un seul coup d'œil à la vitre, à son reflet, lui rappela pourquoi la situation était incongrue.

Il n'était plus l'adolescent gringalet dont les filles s'étaient fait une spécialité de se moquer à Poudlard, il n'était plus non plus le jeune homme mal dans sa peau qui avait rampé aux pieds d'Albus Dumbledore… Mais l'assurance ne changeait pas un visage et la recherche ne payait pas autant que le poste de Professeur de Potions ne l'aurait fait. Ses vêtements étaient de bonne facture mais pas de la même qualité que sa robe – ce qu'une Sang-Pure aurait remarqué immédiatement – et s'il avait appris à assumer ses traits taillés à la serpe, à repérer celles qui pouvaient être sensibles à un charme moins classique… Il n'y avait aucune raison qu'une femme comme elle s'intéresse à lui, mis à part l'ennui.

« Est-ce un si piètre bal pour que vous vous sentiez obligée de braver les elfes de maison ? » s'enquit-il, non sans une touche de moquerie.

Parce que le genre de Sang-Purs qui pouvaient se payer ce type de robes auraient préféré mourir plutôt que de côtoyer les esclaves.

« Je n'ai rien contre les elfes de maison. » contra-t-elle, avec juste assez de sécheresse dans la voix pour lui faire savoir qu'elle avait noté la pique et ne l'appréciait pas. « Par contre, j'ai un problème avec le fait que ma tante veuille me présenter des bons partis. »

« Ah. » compatit-il, en grimaçant. « J'ai ce genre de problèmes avec mes amis, moi aussi. » Dont Lucius qui avait promis de lui présenter quelques sorcières célibataires et peu regardantes sur le pédigrée. Il fallait dire qu'avec ses succès récents, Severus avait atteint une petite notoriété dans le milieu des Potions, son nom circulait même pour une récompense Ministérielle, et cela le rendait plus attractif. Lily n'était pas non plus en reste. Elle avait toujours une amie ou une autre qu'il devait absolument rencontrer… « Les gens heureux en ménage ne semblent pas vouloir comprendre que certains sont mieux seuls. »

« Je ne suis pas sûre d'être mieux seule. » admit la jeune femme, en appuyant le dos contre la fenêtre pour pouvoir continuer leur conversation tout en surveillant le reste de la salle de bal. « Mais je n'ai pas besoin d'une entremetteuse et je n'ai vraiment pas besoin qu'on me présente des Sang-Purs pompeux qui cherchent juste une jument à engrosser. »

Il y avait tant de dédain dans la voix de la jeune femme, tant de conviction, qu'il se prit à sourire avec amusement.

Elle leva les yeux au ciel et continua sa tirade avant qu'il n'ait pu avancer sa propre opinion.

« Et puis… Ma tante est bien gentille mais j'ai l'impression d'être son dernier projet en date. » Elle secoua la jupe de gaze de sa robe d'une main agacée. « Elle m'habille comme une poupée, me gronde quand je refuse de changer de couleur de cheveux, veut me trouver un mari comme si c'était une honte que je ne sois pas encore casée, comme si je n'avais pas une carrière, et tout ça pour quoi ? Parce que ma mère a osé épouser un Né-Moldu et qu'elle se sent coupable d'avoir coupé les ponts pendant plus de vingt ans ? » Elle poussa un soupir exaspéré et désigna le bal d'un vaste geste du bras. « Je n'ai rien demandé, moi. Franchement, qui vit comme ça de nos jours ? »

Toutes les idées préconçues de Severus sur la jeune femme s'évaporèrent d'un coup.

Voilà qui était, soudain, plus probable: une Sang-Mêlée probablement plus en contact avec le côté Moldu de sa famille que le côté Sang-Pur et peu habituée aux codes rigides qui régissaient cette société élitiste.

« Des personnes figées dans leurs préjugés et certaines de leur bon droit. » offrit-il de sa voix traînante. « Malheureusement, ils dirigent le monde. »

C'était la vérité.

Le gratin de la communauté magique était rassemblé, ce soir-là. Le Ministre, les Chefs de Départements, les membres du Magenmagot et tout ce que la société comptait de personnages influents. Le seul grand absent était Albus Dumbledore mais même lui se fendrait probablement d'une apparition au bal que Narcissa donnerait pour Noël ou pour la nouvelle année. Car même Albus Dumbledore devait jouer le jeu de la politique. Et la plupart d'entre eux étaient des Sang-Purs ou des Sang-Mêlés prêts à tout pour appartenir à l'élite.

Severus n'éprouvait aucun regret à avoir renoncé à intégrer tout ça.

Ses ambitions adolescentes lui apparaissaient de plus en plus ridicules.

Ce qu'il avait construit, il l'avait construit sur son mérite pur. Certes, il usait parfois de l'influence de Lucius pour ouvrir certaines portes mais c'était le jeu… En attendant, il était un Maître des Potions reconnu et respecté, celui dont tout le monde parlait en ce moment, ses recherches allaient laisser une trace dans l'histoire et son nom serait dans tous les manuels de potions d'ici dix ans. Il était fier de sa carrière, fier de ne la devoir qu'à son talent. Il n'était peut-être pas autant dans la lumière qu'il l'avait rêvé jeune homme mais ce succès auprès de ses pairs le satisfaisait.

Il était, après tout, l'homme qui venait de révolutionner la lycanthropie.

Deux ans de recherches en Allemagne et sa version modifiée de la potion Tue-Loup allait changer la vie de milliers de personnes de par le monde. Elle rendrait la transformation plus sûre pour les infectés, rendrait les loups-garous moins dangereux pour autrui…

Lupin l'avait testée le mois dernier et lui était tombé en larmes dans les bras le matin suivant – à sa grande horreur d'ailleurs. Lily avait cru bon d'immortaliser la scène avec un polaroïd qui trônait désormais sur la cheminée des Potter.

« Ce sont des cons. » décréta la jeune femme avant de faire un effort visible pour se calmer. « Et vous ? »

Il leva un sourcil. « Suis-je aussi un con ? »

Il répéta le mot avec un peu de désapprobation. Il n'aimait pas la vulgarité et en usait rarement. Son père avait craché des jurons à la douzaine et il en gardait un mauvais souvenir.

Ses yeux gris pétillèrent d'amusement. « Ce serait bon à savoir… Mais je voulais dire… Vous aussi vous êtes figé dans vos préjugés et vous dirigez le monde ? »

« J'ai déjà été accusé du premier mais si je dirigeais le monde une femme comme vous ne se sentirait pas obligée de se réfugier dans un coin sombre avec un vieux grincheux. » répondit-il élégamment, espérant qu'il n'avait pas l'air aussi coincé et guindé qu'il le pensait.

Des années à fréquenter Potter et ses Maraudeurs lui avaient au moins donné quelques bases en séduction mais cela ne lui venait pas naturellement et finissait toujours par de l'embarras. Généralement parce qu'il se ridiculisait en voulant faire un compliment.

Comme à l'instant.

Il détourna la tête, attendant qu'elle marmonne une excuse et ne s'enfuie vers une autre fenêtre où aucun homme aux manières rouillées ne l'importunerait.

« Une femme comme moi ? » releva-t-elle, laissant la question un peu en suspens.

Il sentit la chaleur qui lui montait aux joues, paniqua légèrement à la perspective de devoir être plus direct mais n'eut heureusement pas le temps de s'enferrer davantage parce qu'elle écarquilla les yeux et attrapa son poignet.

« Ma tante vient par ici… Oh, non, non, non… Je n'ai aucune envie de rencontrer le fils de je ne sais pas qui… »

Paniquée, elle laissa son regard parcourir la pièce à la recherche d'une solution providentielle…

Un peu trop conscient des doigts fins qui s'enfonçaient dans son poignet, là où une Marque des Ténèbres effacée et inerte depuis des années se dissimulait sous sa manche, Severus étudia lui aussi la salle de bal. Il n'avait aucune idée de qui était sa tante mais il croisa le regard de Narcissa qui paraissait déterminée, à coup de sourires à droite et d'excuses polies à gauche, à venir le rejoindre, probablement pour le gronder de ne pas davantage se mêler aux autres.

« Dansez avec moi. » exigea la jeune femme, en le tirant vers la piste de danse.

Severus s'était initialement laissé entraîner, conscient que sa position était désormais compromise et qu'il lui fallait changer de cachette – et n'ayant rien contre l'idée de partager cette nouvelle cachette avec l'inconnue – mais il pila net à cette demande.

« Je ne danse pas. » protesta-t-il.

« Vous allez vraiment laisser une damoiselle en détresse à la merci de ces vautours ? » lança-t-elle, les yeux trop brillants d'amusement et les lèvres tressautant de manière trop visible pour être tout à fait sérieuse.

Il se retrouva à lever les yeux au ciel. « Pourquoi suis-je persuadé que vous n'avez rien d'une damoiselle en détresse ? »

Cela devait être le meilleur compliment qu'il aurait pu lui faire parce que son visage s'éclaira et elle tira plus fort sur son bras. « Une danse. »

« Ce n'est pas une négociation. » refusa-t-il.

« Je peux guider si vous ne savez pas danser. » insista-t-elle.

« Je sais danser. » contra-t-il, vexé. « Je n'aime pas danser, c'est tout à fait différent. »

Elle se pencha vers lui, une lueur de défi dans ses yeux gris. « Prouvez-le. »

Il ouvrit la bouche, la referma… Piqué dans sa fierté, cependant, il se retrouva à la guider vers la piste de danse où des couples tournoyaient dans des valses incessantes.

« Sachez que je ne suis généralement pas aussi facile à manipuler. » grommela-t-il, en l'attirant en position.

C'était tout à fait décent, Narcissa n'aurait permis rien d'autre à une de ses soirées. Il subsistait entre eux un espace parfaitement respectable. Mais sa main était chaude et douce dans la sienne et il n'était que trop conscient de celle qu'il avait posée dans le creux de son dos, du tissu fin de la robe sous sa paume, ou des doigts qui serraient son épaule avec un peu moins d'assurance qu'elle n'en avait fait preuve précédemment.

Depuis combien de temps n'avait-il pas touché une femme, obnubilé comme il l'avait été par ses recherches ?

Trop longtemps probablement s'il lui fallait faire des calculs aussi compliqués.

« L'Orgueil précède la chute. » le taquina-t-elle.

Ce furent ses dernières paroles pendant un moment. Pour toutes ses fanfaronnades selon quoi elle aurait pu mener la danse, il était évident qu'elle n'avait pas l'habitude de ce genre de choses. Severus, lui-même, était un peu rouillé, ayant déserté les soirées de Lucius depuis longtemps. Il ne tarda pas à retrouver le rythme, cependant, et à compenser à chaque fois qu'elle se trompait ou perdait le compte ou manquait trébucher sur ses talons ou sa robe…

Ce qui l'agaçait probablement un peu, vu le froncement de sourcils de plus en plus prononcé.

Il lui vint à l'esprit qu'il empiétait sur une fierté qu'elle avait probablement à revendre vu son petit laïus sur sa tante et les Sang-Purs et que ce n'était sans doute pas la meilleure entrée en matière s'il souhaitait…

S'il souhaitait quoi ?, se demanda-t-il, avec une hypocrisie qu'il se reprocha immédiatement.

Elle était belle et elle l'attirait.

S'il souhaitait la séduire et qu'elle était d'humeur à se laisser tenter, où était le mal ?

« Vous êtes plus agile que moi. » admit-elle, au bout de plusieurs minutes. Elle émit un petit rire, visiblement pas si vexée.

Les couples qui tournaient autour d'eux, les visages des différents groupes en périphérie de la piste de danse… Ils étaient flous. Severus était trop concentré sur leurs pas, sur la musique qui couvrait le bruit des conversations…

« Il se peut que je sois champion de duel. » commenta-t-il.

Ce n'était jamais mal de se vanter un peu.

Du moins, c'était ce que se plaisait à lui répéter Potter.

Elle l'observa avec intérêt, preuve que l'Auror, aussi agaçant soit-il, n'avait pas tort.

« Je suis meilleure à ce genre de chorégraphies-là qu'à ces valses ridicules. » déclara-t-elle. « Peut-être que je devrais vous réinviter à danser, un jour… »

« Tant que vous ne pensez pas pouvoir mener la danse… » répondit-il, espérant que cela sonnait plus taquin qu'arrogant. Il était toujours trop arrogant, Lily le lui faisait souvent remarquer.

« Confiant. » remarqua-t-elle, alors qu'il la faisait tourner sous son bras. « Pour ce que vous en savez, je suis une championne de duel, moi aussi. »

« Peut-être… Mais pouvez-vous me battre ? » la défia-t-il.

Elle trébucha mais il la rattrapa facilement, la serrant un peu plus près.

Narcissa aurait probablement des choses à lui dire à ce propos mais il ne s'en préoccupait guère à l'instant parce que la jeune femme ne protesta pas les quelques centimètres en moins.

« Je gagne quoi si je vous bats ? » lança-t-elle.

Ils étaient trop proches et ses yeux gris étaient beaucoup trop fascinants.

Il n'eut pas conscience de bouger son pouce dans le creux de son dos, de l'intimité de la caresse… Pas avant qu'elle ne tressaille. Ses yeux avaient pris la couleur d'un ciel de tempête et…

« Que voulez-vous ? » s'enquit-il tranquillement comme s'il n'était pas affecté par sa proximité, comme si son cœur ne tambourinait pas dans sa poitrine.

Elle se mordit pensivement la lèvre et cela lui rendit la respiration difficile. Il était incapable de détourner le regard de sa bouche. Il résista à grand peine à l'envie de délivrer sa lèvre inférieure du pouce sans savoir s'il voulait caresser la lèvre maltraitée ou bien y planter lui aussi ses dents… S'il l'attira un plus près, au point qu'il n'y avait guère plus d'espace entre eux, si des regards scandalisés commençaient à se tourner vers eux, s'il perdit un peu le compte et les entraînait désormais à contretemps…

« Un dîner. » décida-t-elle finalement. « Et vous ? Que voulez-vous si vous gagnez ? »

« Quand je gagnerai. » corrigea-t-il, en plantant son regard dans le sien. « Une autre danse. »

Il ne précisa pas quel genre, il suspectait qu'elle était parfaitement consciente de ce qu'il sous-entendait. De ce qu'il proposait.

La musique s'arrêta avant qu'elle n'ait pu répondre et les couples se séparèrent pour applaudir les musiciens. Ils firent de même, avec un temps de retard.

Severus avait chaud et se sentait étrangement conscient de son environnement, comme s'il avait trop bu ou avait reçu une décharge d'adrénaline.

Il se rendit compte, un peu surpris, que la soirée qui s'annonçait sinistre sans Lily pour le distraire n'était pas si terrible et même qu'il passait un bon moment.

Du moins jusqu'à ce que sa compagne ne pousse un grognement frustré. À son coup d'œil interrogatif, elle soupira. « Ma tante. » Elle secoua la tête. « Il faut que je sorte d'ici avant de perdre mon calme et de faire un scandale. Ma mère n'aimerait pas ça. » Elle grimaça un peu avant d'expliquer. « Elle est heureuse de s'être réconciliée avec elle. Je ne veux pas compliquer les choses. C'est pour ça que j'ai dit oui à cette comédie, à la base. »

À nouveau, elle désigna sa robe d'un geste blasé.

Il n'osa pas lui dire que la robe lui allait très bien. Plus que bien. Il n'osa pas lui dire que si elle la détestait tellement, il voulait bien l'aider à l'ôter, qu'il imaginait déjà le tissu en tapon sur le sol après qu'il l'ait…

Il repéra la porte dérobée que Lucius lui avait montrée des années plus tôt et dont il avait complètement oublié l'existence jusque là, attrapa la main de la jeune femme avec une audace qu'il ne se connaissait pas et la tira loin de la piste de danse.

Elle le suivit sans hésiter ou lui demander d'explications, ne ralentit même pas lorsqu'il fit jouer le mécanisme caché et lui offrit la porte de sortie qu'elle désirait tellement. Si quelques personnes leur jetèrent des regards curieux, ni Narcissa ni Lucius n'était dans les parages pour s'en émouvoir.

Il referma le battant derrière eux, s'assurant qu'il soit bien en place et se tourna vers la jeune femme qui lui souriait. « Mon sauveur. »

Elle se tenait près de lui, trop près pour les convenances.

Un autre que lui, un homme plus adroit dans ces choses-là, l'aurait peut-être embrassée à ce moment-là.

Severus n'osa pas.

Soudain nerveux de se retrouver seul avec elle dans un couloir désert et sombre, il baissa les yeux et se racla la gorge. « La sortie est par là. »

Il désigna le bout du couloir d'un geste et fit un pas dans cette direction uniquement pour se retrouver figé sur place parce qu'elle avait attrapé ses robes habillées qui lui faisaient l'effet d'un costume qui ne lui allait pas. Lucius avait insisté sur une tenue formelle et sorcière. Il avait perdu l'habitude. En Allemagne, personne ne se préoccupait de ce qu'il portait et, comme il passait ses journées au laboratoire de toute manière, il s'était rabattu sur les jeans plus confortables que des robes encombrantes.

Elle fit un pas hésitant en avant, il en fit un en arrière… Son dos heurta le mur et elle s'immobilisa, les sourcils un peu froncés, probablement parce que sa réaction n'était pas celle à laquelle elle s'attendait. Il ne voulait pas laisser sa nervosité la dissuader de ce qu'elle avait en tête, cependant, et il leva la main, effleurant sa joue dans ce qui était à peine une caresse incertaine…

L'air semblait soudain extrêmement chargé, presque électrique.

Elle se rapprocha encore. Il sentit sa paume glisser délibérément sur ses côtes, retint instinctivement sa respiration, se penchant un peu en avant, ses propres mains trouvant ses hanches, le creux de sa taille, l'attirant plus près… Leurs nez se touchèrent lorsqu'elle inclina le visage vers lui. Il tourna la tête, laissa leurs bouches s'effleurer, leurs souffles se mélanger, laissa l'anticipation monter…

La paume de sa main explorait son torse et il maudit ses robes trop lourdes et trop épaisses qui l'empêchaient de sentir son contact. Il voulait…

Il y avait suffisamment de pièces vides dans le manoir pour céder à ce désir qui lui embrumait l'esprit sans se faire surprendre mais il n'avait pas envie de la prendre contre un mur ou à la hâte sur un canapé. Il n'avait pas plus envie de l'emmener à Spinner's End où tout était dans un état pitoyable. Il se demandait comment la convaincre de le laisser la raccompagner chez elle, lorsque leurs lèvres cessèrent de se dérober…

Le baiser était léger.

Un prélude à plus.

Il allait l'approfondir lorsqu'il entendit le craquement du plancher, le bruit choqué.

« Oncle Sev ? »

Il la repoussa instinctivement.

Maudissant sa malchance et les enfants trop curieux mais plus si malheureux, soudain, des lourdes robes qui dissimulaient certains détails, il se tourna vers le garçon en pyjama qui se frottait les yeux.

« Draco. » lâcha-t-il. « Tu devrais être au lit depuis longtemps. »

« La musique m'a réveillé. » contra le gamin avec une mauvaise foi évidente. Sa chambre était trop loin de la salle de bal pour qu'il y soit dérangé. Et qu'il se retrouve à proximité de cette porte dérobée ?

Il aurait mis sa main au feu que Draco avait décidé d'espionner la soirée à l'insu de tous.

« Eh bien, dans ce cas, tu devrais te rendormir avant que ton père ne te trouve. » rétorqua-t-il. « Tu sais que tu n'as pas le droit d'assister au bal. »

Le garçon grommela un peu mais soupira. « Vous voulez bien me lire une histoire ? S'il vous plaît, Oncle Sev. »

On était loin d'Harry et de ses Tonton Sev ! jetés avec enthousiasme ou des câlins que le gamin aimait à distribuer sans compter.

Draco était plus réservé, le digne héritier de son père, mais pas moins affectueux pour autant.

Et Severus n'était pas exactement équipé pour refuser quoi que ce soit aux grands yeux gris qui le suppliaient d'accepter.

La jeune femme s'était repliée dans un coin particulièrement sombre. Severus devinait à peine ses traits dans l'obscurité.

« Allez-y. Nous danserons une autre fois. » offrit-elle, avec un regret évident. Était-ce son imagination où sa voix était-elle soudain différente ? Plus grave, moins légère ? Même la cadence de ses mots était…

« Puis-je avoir votre nom ? » demanda-t-il, se sentant stupide de le demander si tard et aussi formellement, alors que quelques minutes auparavant ils avaient été sur le point de…

« Une autre fois. » répéta-t-elle, toujours avec cette même touche de regret. Toujours avec cette voix bizarre qui, il en était sûr, n'était pas la sienne.

Elle se détourna et partit dans la direction qu'il avait indiquée plus tôt avant qu'il n'ait pu insister. Draco l'observait avec curiosité… Que pouvait-il faire ? Abandonner son neveu pour lui courir après ?

Non…

Sans doute avait-elle changé d'avis et…

Il fit un effort pour oublier l'inconnue qui l'avait enflammé au-delà de toute mesure. Cela ne lui ressemblait pas de se laisser aller à ce genre de réactions primaires. Cela lui ressemblait encore moins de se laisser tourner la tête par la première jolie femme venue.

Ravalant un soupir, il se tourna vers le garçon et l'entraîna vers sa chambre d'une main sur l'épaule.

« Qui était-ce ? » voulut savoir Draco.

« Je l'ignore. » répondit-il honnêtement quoi qu'avec un peu de gêne. De toutes les personnes qui auraient pu le surprendre en position compromettante…

L'enfant lui jeta un regard en-dessous, son expression malicieuse. « Je peux me tromper, Oncle Sev, mais je ne crois pas qu'on soit censé embrasser des filles dont on ne connaît pas le nom… »

Severus le fit légèrement trébucher d'une bourrade affectueuse qui arracha un petit rire au garçon.

« Petit impertinent. » le gronda-t-il, feignant une sévérité qui impressionnait beaucoup de monde mais sûrement pas Draco ou Harry. « N'es-tu pas trop jeune pour ce genre de choses ? »

« Il faut bien que je me renseigne. » soupira le garçon, avec un soupir dramatique. « Pansy n'arrête pas de dire qu'elle sera ma petite-amie lorsqu'on sera à Poudlard. »

Poudlard déjà…

Draco et Harry ne parlaient que de ça.

Severus et Lily avaient-ils été aussi impatients de s'y rendre ? Sans doute. Cela avait-il serré le cœur des Evans autant que celui des adultes autour de ces enfants ? Ils avaient grandi trop vite. Et Severus avait raté les deux dernières années.

« Tu es trop jeune pour avoir une petite-amie et tu seras toujours trop jeune l'année prochaine. » déclara-t-il. « Dans dix ans peut-être. »

« Oncle Sev ! » protesta Draco, en riant. « Dans dix ans j'aurais vingt-et-un ans. Je serais vieux. »

Il leva les yeux au ciel. « Un véritable dinosaure, en effet. »

Ils étaient en vue de sa chambre. Il eut du mal à convaincre le garçon de retourner dans son lit car, soudain, Draco avait tout un tas de choses à lui montrer, puis voulut un verre d'eau, eut besoin d'utiliser la salle de bain et inventa un million d'autres excuses pour retarder le moment où Severus parvint finalement à remonter la couette sur lui.

Il dut tout de même vérifier sous le lit et dans le placard qu'aucun vampire ne soit parvenu à déjouer les protections extensives du manoir pour venir se cacher dans la chambre du garçon.

Il s'exécuta de mauvaise grâce mais avec un certain amusement, parfaitement conscient du ridicule de la situation.

S'il n'avait pas tout à fait oublié l'inconnue lorsqu'il referma le livre qu'il avait lu à un Draco désormais endormi, il était pourtant prêt à classer l'incident et à ne plus y penser.

Après tout, femme mystérieuse et soirée mondaine assommante mises à part, sa vie actuelle n'était pas si terrible.

Il aurait même pu affirmer qu'il était heureux.

Dix ans plus tôt, cela lui aurait semblé impossible.

°O°O°O°O°

Severus aurait ouvertement affirmé détester Noël si cela ne lui avait pas valu plusieurs remontrances de la part de Lily et de Narcissa. Pour deux femmes dont le seul point commun était son amitié et qui ne s'appréciaient pas du tout, elles s'accordaient pourtant sur certains points : comme sur le fait que Severus était un ours mal-léché dès qu'il était question de Noël et qu'il était hors de question qu'il gâche le plaisir des enfants.

Et pourtant.

À Noël, les magasins étaient pleins, Londres semblait être prise de folie, autant la partie Moldue que la partie magique, et il détestait les foules compactes qui envahissaient les trottoirs. La neige qui recouvrait la capitale rendait le tout d'autant plus insupportable.

Même son magasin de disques Moldu préféré, pourtant habituellement relativement désert, n'était pas épargné par la frénésie ambiante. Ce n'était pas le refuge qu'il avait escompté. Outre les chants de Noël dont il se serait passé, les rayons étaient encombrés de gens qui semblaient déterminés à terminer la liste de leurs achats de Noël avant la mi-décembre.

Severus aurait difficilement pu leur jeter la pierre, il était de ceux-là qui détestaient devoir faire des achats de dernière minute la veille de Noël. Ils étaient le dix décembre et il ne restait qu'un seul nom sur sa liste : celui de Lily.

Il n'avait pas d'idées cette année. Elle avait déjà la plupart des livres qui lui avait tapé dans l'œil, rien ne l'avait inspiré sur le Chemin de Traverse et Harry lui avait défendu de lui voler son idée – à savoir un pot de fleurs qu'il avait caché sous son lit et s'appliquait à décorer depuis des semaines.

Les vinyles dans le bac ne l'inspiraient pas davantage.

Peut-être, finalement, devrait-il se rabattre sur ces palettes de peinture ensorcelées pour se nettoyer seules et le coffret de peintures magiques qu'il avait repéré sur le Chemin de Traverse. Il lui avait déjà offert quelque chose de similaire pour son anniversaire, quelques années auparavant, mais…

« Oncle Sev. »

La voix n'appartenait définitivement ni à Harry, ni à Draco or ils étaient les seuls à l'appeler ainsi.

Il leva les yeux du bac plein de disques trop pop et trop colorés à son goût pour croiser un regard gris auquel il avait un peu trop repensé ces dix derniers jours. La robe de bal avait disparu au profit d'un pantalon à carreaux rouge et noir, de lourdes bottes, et d'un haut noir déchiré par endroit sous un blouson en cuir noir trop grand pour elle. Ses cheveux lui tombaient sur les épaules, le rose plus vif que la dernière fois.

Il n'était pas étonnant qu'elle ait été aussi mal à l'aise dans la robe de bal si c'était le genre de tenues qu'elle affectionnait d'ordinaire.

Il devait admettre, pourtant, que ce style lui allait parfaitement et collait mieux à la personnalité qu'il avait commencé à deviner durant le bal.

Il reposa pourtant les yeux sur les disques, refusant de trahir son trouble à la voir là, sortie de nulle part, comme si son imagination l'avait conjurée. « Je n'apprécie guère ce genre de choses. »

« Qu'une fille vous appelle Oncle Sev ou qu'elle vous plante au milieu d'un couloir après vous avoir embrassé ? » grimaça-t-elle.

« Les deux. » admit-il.

Une main aux ongles vernis de noir et aux bagues en argent se posa sur la sienne, l'empêchant de continuer sa fouille. « D'accord. Question, avant tout. Vous avez un lien de parenté avec les Malfoy ? Parce que Draco vous a appelé son oncle et… Je sais que c'est un peu la tradition Sang-Pure de fricoter avec les cousins mais, même au quatrième degré ça me rebute, moi, alors… »

Il fronça les sourcils et croisa son regard, l'étudiant des pieds à la tête une nouvelle fois. Son visage lui paraissait légèrement différent de ses souvenirs mais il ne l'avait vue qu'à la lumière des bougies et cela pouvait s'expliquer par le maquillage… Il ne trouva aucune ressemblance avec Lucius, en revanche.

Mais ce n'était pas les cousins qui manquaient aux Malfoys. Ils avaient des liens avec quasiment toutes les familles magiques Sang-Pures.

De mémoire, il ne se rappelait d'aucune alliance avec les Prince, pas sur les cinq dernières générations du moins.

« Non. » répondit-il. « Je suis simplement un ami de la famille. Est-ce pour ça que vous avez fui ? »

Sa grimace se fit plus prononcée. « En partie. C'est juste qu'on était dans le moment et que c'était intense et puis… » Lentement, elle ôta la main qui était toujours sur la sienne et lui adressa un sourire un peu anxieux. « Je n'ai pas l'habitude de faire ce genre de choses. Enfin, si… Mais pas comme ça. »

Pour ne pas perdre contenance, Severus émit un bruit et reporta son attention sur les disques qui ne l'intéressaient pas le moins du monde. Il ne trouverait pas de cadeaux pour Lily dans le tas et ne s'était, de toute manière, arrêté dans la section plus pop uniquement pour se donner bonne conscience et avoir l'impression d'être productif. Il ressortait rarement d'ici sans acheter quelque chose pour lui-même.

La jeune femme fit un pas en avant, se rapprochant un peu trop pour une conversation amicale dans un magasin bondé. « On se tutoie ? »

« Nous pourrions commencer par nous présenter. » contra-t-il, sans savoir s'il voulait donner suite ou pas. Elle n'avait pas tort. Cela avait été intense entre eux au bal mais c'était parce qu'ils s'étaient retrouvés emportés par un moment. Cela arrivait. Cela ne signifiait pas que c'était particulièrement…

« Je ne sais pas. Je trouve qu'il y a un peu de charme au mystère. » remarqua-t-elle, d'un ton amusé, en l'observant à son tour. Il la vit prendre note de l'épais manteau moldu et du jean en dessous, la vit tenter de déterminer s'il s'agissait d'une Métamorphose à la va-vite ou s'il était davantage enclin à porter des vêtements Moldus. Ce qui était le cas, ces temps-ci, bien que cela n'ait pas toujours été vrai. « Par exemple… Comment m'as-tu trouvée ? »

« Trouvée ? » releva-t-il, sans chercher à masquer son amusement. « Encore faudrait-il que j'ai commencé à chercher… »

Le sérieux et l'amusement se disputaient sur son visage. « Je suis censée croire que c'est une coïncidence si tu apparais soudain dans mon magasin préféré ? »

Il lui jeta un regard et changea de bac, fouillant sans véritablement prêter attention aux disques qu'il touchait, son attention toute entière tournée vers la jeune femme. Elle était jeune. S'il avait été difficile de déterminer à quel point dans la salle de bal des Malfoy, ici, cela semblait évident. Vingt ou vingt-cinq, décida-t-il. Pas moins mais pas beaucoup plus.

« Il s'agit de mon magasin préféré, à vrai dire. » la corrigea-t-il.

Elle croisa les bras et leva légèrement le menton dans cette même attitude de défi qu'elle avait prise pour le contraindre à danser avec elle. « Et pourquoi est-ce que je ne t'y ai jamais vu avant, dans ce cas ? »

« Peut-être que tu ne m'as jamais remarqué. » rétorqua-t-il.

« Oh, je t'ai remarqué dans une salle de bal pleine à craquer, je t'aurais remarqué dans un magasin désert… » lâcha-t-elle, avant de se faire bousculer par un autre client trop pressé qui ne s'arrêta pas pour s'excuser. « Enfin… Désert la plupart du temps. »

Il fut heureux de l'intrusion dans cette bulle qui se refermait à nouveau sur eux, car cela lui donna le temps nécessaire à masquer son trouble.

Il n'avait pas l'habitude qu'on lui dise ce genre de choses aussi tranquillement comme s'il était naturel qu'elle l'ait remarqué.

Il n'avait pas non plus l'habitude de se faire happer par une conversation au point d'être moins attentif à son environnement.

« J'étais à l'étranger. » s'entendit-il expliquer.

« Chouette. » commenta-t-elle, avec un sourire hésitant. « Et… Tu es rentré pour de bon ou tu n'es là que pour les vacances ? »

N'était-ce pas la grande question ?

Parce qu'on lui avait proposé de renouveler son contrat en Allemagne, ce qui signifiait une possibilité de poursuivre ses recherches à plein temps. Il avait du mal à trouver un équivalent en Angleterre. Ici, son passé lui collait à la peau. En passe d'obtenir une récompense ou non, ayant révolutionné la gestion de la lycanthropie ou non, toutes les demandes qu'il avait faites lui revenaient avec un vague peut-être lorsque ce n'était pas un non définitif. Il n'avait qu'une seule offre sérieuse au Royaume-Uni et, là non plus, ce ne serait pas de la recherche à temps plein. Il hésitait.

« Rien n'est encore certain. » se décida-t-il à répondre.

Elle sembla comprendre que le sujet était compliqué et jeta un regard dubitatif à la section pop qu'il était en train de parcourir. « Tu sais… Je ne sais pas si je peux sortir avec quelqu'un qui a d'aussi mauvais goûts musicaux… »

Il leva les yeux au ciel. « Je cherchais un cadeau de Noël pour ma meilleure amie qui, il faut l'avouer, a développé des goûts déplorables en la matière en mon absence. »

La dérive musicale de Lily datait de leur sixième année. L'influence désastreuse de ses nouveaux amis, sans aucun doute. Severus n'avait jamais réussi à redresser le tir depuis qu'ils s'étaient réconciliés et ce n'était pas faute de l'avoir traînée à un concert ou un autre.

Elle fit mine de s'essuyer théâtralement le front. « Et alors, tu aimes quoi ? »

Sans trop de risques de se tromper, vu son style vestimentaire, il la mena vers la section rock and roll.

Ils passèrent les quinze minutes suivantes à débattre du rock et de son évolution en général, du rock sorcier en particulier, et cinq minutes de plus à se disputer pour savoir quel était le meilleur album de Queen et si leur dernier album qui venait de sortir quelques mois plus tôt était aussi désastreux que le clamait Severus…

« Il y a un café, juste au coin. » hésita-t-elle, lorsqu'un groupe trop large s'engouffra dans le magasin. « Ils font un très bon chocolat chaud. »

Lui aussi était hésitant.

Parce qu'il passait un bon moment, tout comme il avait passé un bon moment en sa compagnie au bal. Elle l'intriguait. Et elle n'avait pas tort de prétendre que le mystère rajoutait un certain piquant.

Mais…

« Il me semble que nous ne sommes pas sur un pied d'égalité. » remarqua-t-il. « Tu connais mon nom mais je ne sais pas comment tu t'appelles. »

« Sev, c'est un surnom, pas un nom, je me trompe ? Ce n'est pas beaucoup pour identifier une personne. » contra-t-elle, en souriant déjà. Elle haussa les épaules. « Convainc-moi et je te dirais comment je m'appelle. »

Elle partit à reculons, le défiant du regard de la suivre…

Il aurait probablement été plus sage de retourner à ses emplettes.

Pourtant, il la suivit jusqu'à la porte et ne protesta pas lorsque, une fois dans la rue, elle glissa son bras sous le sien et se pressa contre son flanc.

« Tu as froid ? » s'inquiéta-t-il.

La neige couvrait encore la chaussée et son blouson ne semblait pas bien épais. Sans compter qu'elle ne l'avait pas fermé…

Elle nia d'une secousse de la tête. « Le blouson est enchanté pour être toujours chaud. »

Ils continuèrent à discuter musique jusqu'au café où elle commanda le chocolat qu'elle convoitait. Il se contenta d'un thé plus classique. Étant donné que l'endroit était tout aussi bondé que le reste de Londres et qu'ils s'entendaient à peine, ils prirent leurs boissons à emporter et se dirigèrent tout naturellement vers Hyde Parc qui n'était pas très loin et avait l'avantage de ne pas trop attirer de promeneurs par ce froid, mis à part les habituels touristes.

Ils marchèrent en silence pendant quelques minutes, chacun s'ébouillantant la langue à vouloir boire trop vite tant que c'était chaud…

« Tu as dit que tu étais un ami des Malfoy… » lâcha-t-elle, après s'être raclé la gorge. « Comment tu les as connus ? »

« Poudlard. » répondit-il, dans un haussement d'épaules.

Elle réfuta immédiatement la chose d'une secousse de tête véhémente. « Tu n'es pas aussi vieux que Lucius. Impossible. »

« Nous n'étions pas dans la même année. » confirma-t-il, avec un certain amusement. « J'ai trente ans. » Il se corrigea immédiatement. « Vingt-neuf. Trente dans un mois. Et toi ? »

Il cacha son regard en coin en portant le gobelet à ses lèvres, feignant la nonchalance mais il ne dut pas masquer son intérêt aussi bien qu'il l'avait voulu.

Il espérait vraiment qu'elle allait répondre vingt-quatre ou vingt-cinq.

« Vingt-et-un. » dit-elle calmement, un brin moqueuse. « Ne panique pas tout de suite. »

Il leva un sourcil mais ne pouvait nier qu'il ressentait un certain regret à ce qu'elle ne soit pas un tout petit peu plus âgée. S'il avait accepté la proposition d'Albus à l'époque, il l'aurait eue dans sa salle de classe. Ce n'était pas… Neuf ans d'écart c'était sans doute trop. Surtout pour elle.

« Tu sais que cette réflexion que tu viens de te faire ne te rend que plus attirant. » commenta-t-elle, en terminant son chocolat chaud. « La plupart des hommes ne se seraient pas souciés de mon âge, sauf pour se vanter d'avoir couché avec une femme plus jeune auprès de leurs copains ensuite. Que tu fasses partie de la rare catégorie qui s'en soucie pour de vraies bonnes raisons, c'est un point bonus pour toi. Bon, j'aurais probablement quand même couché avec toi même dans l'autre cas mais… »

Elle se moquait de lui.

Ou elle le taquinait.

Il n'était pas certain.

Ça l'irritait de ne pas être certain.

Et lorsqu'il était irrité, il n'était pas aimable. « Et puis-je savoir comment tu peux savoir ce qu'il y a dans ma tête ? »

Il n'avait senti aucune intrusion mentale.

Il n'était peut-être plus aussi à cheval sur l'Occlumencie qu'il l'avait été à une époque mais il était suffisamment doué pour sentir ce genre de choses.

« Non, je ne suis pas Legilimens. » répondit-elle à la question qu'il n'avait pas posée. « Encore que j'ai quelques bases en Occlumencie… Maman m'a appris quelques trucs juste au cas où… Mais c'est écrit sur ton visage depuis que tu m'as vue tout à l'heure. » Elle haussa les épaules. « Je suppose que j'avais l'air plus vieille au bal. » Elle jeta son gobelet vide dans une poubelle qu'ils dépassèrent au détour d'un chemin. Il n'y avait vraiment pas grand monde dans le parc. « Je suis jeune mais je ne suis pas une gamine et je n'aimerais pas beaucoup que tu décides que tu ne veux plus me voir juste parce que je suis un peu plus jeune que toi. Tu as l'air d'un homme plutôt chouette jusque ici, Sev… Ne gâche pas tout en jouant les matcho patriarcaux. Laisse ça aux Sang-Purs. »

Il ouvrit et referma plusieurs fois la bouche, sans savoir quoi dire.

Elle était jeune.

Probablement trop.

Mais cela faisait également très longtemps qu'il n'avait pas senti son ventre se serrer en croisant le regard de quelqu'un, alors il leva son gobelet et sa main libre en signe de reddition et soupira. « Loin de moi l'idée de perpétuer le patriarcat. »

Cela lui valut un rire. Elle se détendit immédiatement.

« Tu n'as pas relevé le reste. » commenta-t-elle, en enfonçant les mains dans les poches de son blouson. « Un autre point pour toi. »

Il termina son thé d'une longue gorgée et grimaça un peu à l'amertume au fond puis referma la main dessus, le faisant disparaître d'un sort informulé, sans s'embarrasser de sortir sa baguette. C'était un tour de passe-passe mais un qu'elle ne manqua pas de remarquer.

« Avec tous ces points, je devrais au moins pouvoir acheter un prénom. » répliqua-t-il, pince-sans-rire.

Elle rit à nouveau, attirant l'attention du groupe d'adolescents qu'ils venaient de dépasser sur le chemin et qui chahutaient entre eux. Plus d'un lui jeta une œillade appréciatrice dont l'enthousiasme fut rapidement douché par le regard noir de Severus.

« Peut-être pas un prénom mais je veux bien te donner une initiale. » décida-t-elle, en lui prenant la main comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

Severus n'était pas le genre de personne qui tenait la main des gens – en public ou en privé – et il se retrouva immédiatement mal à l'aise. Surtout parce qu'il ne savait pas comment se comporter. Il fut un peu soulagé lorsqu'elle l'entraîna vers un banc.

« N. » continua-t-elle, sans sembler remarquer son trouble. « Mais tu peux chercher, tu ne trouveras jamais. C'est impossible à deviner. »

Il sécha le banc d'un autre sort informulé avant qu'elle puisse avoir l'idée de s'asseoir sur le métal humide, ce qui lui valut un sourire reconnaissant. Le banc donnait sur le petit lac. Aucun cygne en vue, ce qui n'était pas étonnant vu le froid, et c'était tant mieux. Severus n'était pas un grand admirateur de ces oiseaux trop agressifs.

« Jamais est un grand mot. » rétorqua-t-il, avec un temps de retard, en s'asseyant à côté d'elle.

Elle se rapprocha immédiatement de sorte que leurs flancs étaient pressés l'un contre l'autre. Pour quelqu'un qui prétendait être protégée du froid, elle paraissait déterminée à chercher sa chaleur. Il la laissa faire, à moitié persuadé que ce blouson était plus esthétique que chaud. Et s'il appréciait de sentir son corps pressé contre le sien, eh bien…

Elle orienta le haut de son corps vers lui, plaçant un coude sur le haut du banc pour maintenir sa tête et mieux l'observer. Leurs visages étaient proches. Il fut immédiatement ramené dans le couloir du Manoir Malfoy…

« Ton séjour à l'étranger… C'était pour le boulot ? » demanda-t-elle, changeant totalement de sujet.

Il leva un sourcil, plus amusé qu'autre chose. « Tu connais une partie de mon prénom, à présent tu voudrais que je te parle de mon travail… Cette relation est décidément très déséquilibrée. »

Ses sourires étaient spontanés et éclairaient son visage… Elle avait l'air de quelqu'un de naturellement heureux et pourquoi ne le serait-elle pas ? Elle était trop jeune pour avoir été impactée personnellement par la guerre. Peut-être avait-elle connu un climat de peur, peut-être ses parents avaient-ils parlé du Seigneur des Ténèbres devant elle mais… Elle n'avait pas connu les atrocités. Elle n'avait pas vu. Elle n'avait pas commis de…

Soudain, il se demanda à quoi il jouait, assis là à flirter avec une jeune femme comme s'il méritait…

« Hé. » souffla-t-elle, sourcils froncés, en effleurant sa joue de sa main libre. « Tu es parti où, là ? »

Il n'osa pas croiser son regard.

Elle avait dit ne pas pratiquer la Legilimencie mais il ne la connaissait pas, elle pouvait très bien mentir. Peut-être n'était-elle qu'un leurre envoyé par quelqu'un, dans un camp ou l'autre, qui voulait sa vengeance et…

« Sev. » insista-t-elle, avec un brin d'incertitude.

Il se força à respirer, à occluder la crise de paranoïa.

La paranoïa lui avait sauvé la vie durant toute la durée de sa carrière d'espion et durant l'après-guerre. La paranoïa lui avait évité de tomber dans le piège que d'anciens Mangemorts « innocentés » lui avaient tendu à Spinner's End, juste après sa libération. Ça n'avait pas été suffisant pour qu'il n'en sorte pas blessé mais Potter… Il n'aimait pas penser que c'était Potter qui avait répondu à son appel à l'aide à l'Ordre du Phoenix. Potter qui l'avait sauvé et ramené à Godric's Hollow, un peu à contrecœur mais sachant que c'était ce que Lily aurait voulu. La paranoïa était salutaire.

Mais en petites doses, Sev !, aurait rajouté Lily avec exaspération.

Quelles étaient les chances que quelqu'un l'ait envoyée comme un leurre ? Pourquoi cette méthode alambiquée quand il lui aurait suffi de l'attirer dans un endroit isolé ? Il l'aurait suivie sans protester ou réfléchir dès le premier soir. Quel était l'intérêt de monter tout ce numéro ? Lui faire avouer des choses ? Mais quoi ? La liste de ses crimes, à son procès, avait été relativement exacte. Il n'y avait guère plus à avouer.

Des lèvres effleurèrent les siennes.

Légères.

Douces.

Le fantôme de baiser le fit sursauter et l'arracha à ses pensées qui partaient dans une spirale infernale.

Il avait à peine eu le temps de fermer les paupières qu'il les rouvrit pour croiser le regard inquiet de la jeune femme.

Il s'humecta les lèvres. « S'il s'agit d'un jeu ou d'un piège ou de… »

« C'est un jeu… » le coupa-t-elle, avec incertitude. « Mais c'est censé être un bon jeu. » Elle fronça les sourcils. « On n'est pas obligés de… Je peux te dire comment je m'appelle si ça t'embête tellement. »

Il avait tout gâché.

La légèreté de leurs échanges, le plaisir tranquille de la découverte…

Il avait tout gâché en une minute avec sa crise de panique silencieuse.

Et tout ça parce que…

« Non. » répondit-il, bien que l'espion en lui lui hurle que c'était stupide et imprudent et… « Je m'excuse. »

Elle fouilla son regard un moment et il augmenta par réflexe ses boucliers mentaux mais il ne ressentit aucune tentative d'intrusion. Si elle était Legilimens, elle était plus douée qu'Albus et le Seigneur des Ténèbres réunis.

« Pas besoin d'excuses. » offrit-elle, avec un sourire un peu triste. « J'ai pas mal d'amis plus âgés, tu sais. Je connais ce regard. Tu pensais à la guerre. » Elle leva la main avant qu'il ait pu répondre. « Tu n'es pas obligé de m'en parler. On se connait à peine. »

« Certains diraient que nous ne nous connaissons pas du tout. » contra-t-il, en levant un sourcil, souhaitant ramener la conversation sur un terrain plus familier.

Elle n'était pas dupe mais elle lui sourit à nouveau et ce fut suffisant pour dissiper le nuage de ténèbres qui avait brièvement envahi sa tête. Comme un Patronus aurait chassé des Détraqueurs.

La guerre était terminée depuis près de dix ans, se répéta-t-il fermement. Le Seigneur des Ténèbres était mort, Albus l'avait confirmé. Il n'allait pas laisser ses erreurs de jeunesse gâcher un bon moment.

Il devrait lui dire, murmura une voix à l'arrière de son crâne.

Oui, il devrait lui dire. À supposer que leur étrange petit jeu dépasse le stade du mystère et des rencontres au hasard.

« Faux ! » protesta-t-elle, un rire dans la voix. « On a d'excellents goûts en matière de musique… Enfin, à part ton aversion pour les Bizarr' Sisters… »

« Un groupe pour adolescents pré-pubères. » commenta-t-il.

Elle ne s'arrêta même pas, feignant de ne pas avoir entendu. « Et, vraiment, si on sait qu'on a tous les deux les mêmes goûts musicaux, est-ce qu'on a besoin de savoir autre chose ? »

Il secoua la tête, sans chercher à empêcher ses lèvres de s'étirer en un rare demi-sourire. « Amortentia & The Gang. C'est le seul groupe sorcier qui soit un tant soit peu valable. »

Ils discutèrent à nouveau musique un moment, parlant des concerts où ils étaient allés, des pubs ou des clubs où des groupes se produisaient qu'ils aimaient fréquenter, amusés de savoir que leurs chemins avaient bien dû se croiser plus d'une dizaine de fois…

Cela permit à Severus de se recentrer, d'enfermer définitivement ses vieilles insécurités et sa paranoïa dans leur boîte habituelle et de la laisser couler au fin fond de son esprit où il n'avait pas besoin de s'en préoccuper.

« Je suis Maître des Potions. » offrit-il, sans réelle transition, répondant finalement à la question qu'elle avait posée plus tôt.

Il n'était pas certain d'à quel moment il avait passé un bras derrière elle sur le dossier du banc ou d'à quel moment elle s'était blottie un peu plus ouvertement contre lui. Il ne savait pas non plus quand il avait replié son bras et commencé à jouer distraitement avec les mèches roses qui l'intriguaient beaucoup…

« Oh, c'est impressionnant ! » commenta-t-elle, en levant la tête vers lui. « Il paraît que c'est une des maîtrises les plus difficiles à avoir. »

Ça l'était.

Il n'y avait pas de numerus clausus officiel mais le nombre de Maître des Potions de par le monde restait toujours pourtant plus ou moins fixe. Peu d'entre eux prenaient des apprentis et la formation était difficile à dessein. Seul le talent, l'acharnement et la dévotion à l'art des potions permettaient d'aller au bout. Sur le peu d'apprentis sélectionnés, la plupart terminaient à travailler dans les laboratoires d'hôpitaux magiques, comme assistants d'un Maître des Potions ou se reconvertissaient en apothicaires, une poignée seulement obtenaient le titre convoité.

Cependant, il en était de même pour la plupart des autres disciplines. Le titre de Maître ou Maîtresse se méritait. Lily en avait bavé aussi pour obtenir son titre de Maîtresse en Sortilèges, surtout avec un enfant en bas âge dans les pattes.

« Tu as entendu parler de la nouvelle version de la potion Tue-loup ? » demanda-t-elle, sans lui laisser le temps de répondre, en reposant la tête sur son épaule. « Les Médicomages ne parlent que de ça… »

Son cœur rata un battement et sa paranoïa revint au galop parce que l'espionnage industriel existait même dans le milieu des potions et…

« Tu t'intéresses aux potions ? » s'enquit-il, d'un ton neutre. Il tira distraitement sur une mèche rose.

« Ce n'est pas une passion mais… J'ai mes A.S.P. et j'en connais assez pour comprendre. » expliqua-t-elle, avec un semi haussement d'épaules. « Ce qui m'intéresse davantage, ce sont les droits des loups-garous. Peut-être qu'avec cette potion, ils pourront à nouveau être considérés comme des êtres humains et pas des créatures. »

« Ah. » lâcha-t-il. « C'est une question compliquée. »

« Pas vraiment. » répliqua-t-elle, soudain beaucoup plus froide. « Le Ministère est rempli de bigots. Ce sont des êtres humains, ils devraient être considérés comme des êtres humains. Point. Tu sais le nombre de personnes qui ont changé de classification plusieurs fois parce que le Ministère ne pouvait pas se décider ? »

« Comme ? » pressa-t-il, intriguée par la passion dans sa voix. Clairement la question la touchait de près.

« Comme les Métamorphomages, par exemple. » cingla-t-elle, avec une rancune qui semblait tenace. « À une époque, ils n'avaient pas un statut de citoyen. Et même aujourd'hui… Tu as des gens qui vont voir ça comme un don très rare et très utile mais il y a encore bon nombre de superstitions stupides comme quoi ils sont fourbes ou vont te tuer et voler ton identité ou… » Elle s'interrompit brusquement, prit une profonde inspiration. « Désolée. Ce genre de trucs me rend folle. »

« Ce n'est pas une mauvaise chose d'avoir des convictions. » remarqua-t-il prudemment.

Elle leva à nouveau la tête, calant son menton dans le creux de son épaule. « Et toi ? Quel genre de convictions as-tu ? »

Ses convictions passées, il en avait honte.

« J'ai la conviction qu'il faut parfois mesurer sa passion pour certaines causes pour éviter le risque d'être aveugle à leurs dérives. » répondit-il, un peu trop sérieusement vu son froncement de sourcils.

« Ce n'est pas vraiment une réponse, ça. » le taquina-t-elle. « Dis-moi que tu n'es pas un de ces puristes, comme les Malfoy. »

Il grimaça, détourna le regard. « Je ne le suis plus, non. »

« Plus. » releva-t-elle.

Les connections n'étaient pas dure à faire.

Tout le monde savait pour Lucius et, si la bonne société faisait semblant de croire à son histoire d'Imperium, personne n'avait jamais été dupe. Ses plaidoyers pour la cause des véritables sorciers étaient nombreux.

Il avait ouvertement affirmé être son ami et elle savait qu'ils étaient assez proches pour que Draco le considère comme un oncle.

« Oh. » lâcha-t-elle.

Il la sentit se tendre contre lui, cessa immédiatement de jouer avec ses cheveux pour reposer le bras sur le dossier du banc, mettant un terme à la semi-étreinte. Ainsi, elle était libre de s'éloigner si elle le voulait.

Elle ne le fit pas mais elle ne se détendit pas tout à fait. « Tu étais… »

Elle laissa la question en suspens.

« Pendant un temps. » admit-il, sans chercher à mentir.

Cette fois-ci, elle s'assit un peu plus droit. Le vent s'engouffra là où elle avait été blottie contre lui, lui donnant froid. Il se prépara mentalement à cette fin qui arrivait à grands pas. La plupart des femmes – la plupart des gens – réagissaient de la même manière et il ne pouvait pas la blâmer. Il était le seul responsable.

« Désolée. » lâcha-t-elle, en lui jetant un coup d'œil. « C'est juste… C'est le genre d'information qu'il faut… digérer. »

Il garda une expression neutre, profita du fait qu'elle s'était légèrement éloignée pour ôter son bras du dossier, rajoutant un rempart entre eux. « Je comprends. »

« Tu avais quel âge ? » demanda-t-elle, en fouillant son visage.

Il refusait de croiser son regard, préférant le perdre sur le lac.

« Seize ans. » répondit-il. « Mais l'âge n'excuse rien. J'étais simplement un idiot crédule. »

« Tu étais à l'étranger… » murmura-t-elle, avec une légère touche de…

Il se força à reposer les yeux sur elle, à affronter toute l'horreur qui ne manquerait pas de briller dans son regard. Et il y avait de l'horreur. Et un peu de méfiance aussi.

« Je ne suis pas en cavale. » la rassura-t-il, mettant un terme à ce qu'elle était en train d'imaginer. « Je suis passé devant le Magenmagot, à l'époque. »

« Et ? » s'enquit-elle, avec incertitude.

« Et… La situation était particulière. » soupira-t-il. « J'ai été libéré. »

« En prétendant être sous Impero comme Lucius ? » l'accusa-t-elle, avec un certain mépris. « Ou en graissant la patte des juges ? »

« Non. » cracha-t-il, en se redressant un peu lui aussi. Il était vexé. Il n'avait aucune raison de l'être, ils ne se connaissaient pas et c'était une conclusion logique. Mais il était vexé. « Je n'ai jamais rien contesté. Je serai allé à Azkaban. J'étais prêt à le faire. »

Lily et son fils avaient survécu mais il n'était que trop conscient d'à quel point c'était passé près. Non, il avait été prêt à tout pour expier ses fautes et se racheter un minimum aux yeux de son amie. Et assumer ses crimes avait semblé le premier pas vers la rédemption qu'il espérait. Qu'elle l'ait attendu à la sortie de son procès…

« La situation était particulière. » répéta-t-il. « J'étais… Albus Dumbledore les a convaincus de ne pas me condamner. »

« Dumbledore ? » releva-t-elle.

Il secoua la tête. « Restons-en là. »

Il voulut se lever, sachant que cette parenthèse venait de se refermer, aussi charmante avait-elle été, et…

« Attends… »

Deux mains se refermèrent autour de son poignet, le forçant à rester assis. Le gauche, assez ironiquement.

Elle parut s'en rendre compte et baissa le regard vers son avant-bras sans pour autant le lâcher.

« Attends. » répéta-t-elle, en se mordant la lèvre. Elle resta silencieuse pendant une bonne minute à fixer le poignet qu'elle agrippait, comme si elle pouvait voir la vague ombre inerte de la Marque sur son poignet. « Tout ça… Tout ça, c'est du passé ? Tu ne crois plus à ces conneries ? »

Il soupira, détourna la tête. « Je n'y croyais déjà pas à l'époque. Pas vraiment. Ce n'était pas la doctrine qui m'attirait. »

« C'était quoi alors ? » demanda-t-elle avec hésitation.

Il haussa les épaules. « Le pouvoir. La sécurité. L'ambition. Tout ce que je n'avais pas. »

Elle se détendit légèrement.

Pas beaucoup mais légèrement.

« Si Dumbledore est intervenu pour toi, il doit bien y avoir une bonne raison. » remarqua-t-elle, avec la même dévotion aveugle que des centaines d'autres sorciers et sorcières témoignaient envers le Directeur de Poudlard.

C'était une question mais il n'offrit pas de réponse.

Il ne voulait pas parler de tout ça.

Il s'en voulait déjà d'avoir amoindri ses sourires et sa bonne humeur avec sa part de ténèbres.

Semblant comprendre qu'il n'ajouterait rien, elle prit une profonde inspiration et releva les yeux pour les planter dans les siens. « Tu n'étais pas obligé de me le dire. »

« Ce n'est pas le genre de choses que l'on cache à quelqu'un que l'on espère revoir souvent. » répondit-il avec hésitation. « Ce ne serait pas… honnête. »

« Et tu es honnête ? » s'enquit-elle. Il y avait une vraie question sous celle-ci, une supplique presque.

« Cela fait dix ans que j'essaye de l'être. » offrit-il.

Lily n'aurait rien accepté de moins à l'époque et pour garder son amitié… Oui, cela faisait dix ans qu'il s'efforçait de rester sur le droit chemin, qu'importe combien il paraissait parfois encombré de ronces.

« D'accord… » souffla-t-elle, en serrant son poignet. « Ok. » Elle hocha la tête. « D'accord. »

Il fronça les sourcils, un peu trop conscient du vent qui avait forci et soulevait la fine pellicule de neige qui recouvrait le sol, de l'eau à moitié gelée qui clapotait, des conversations qui résonnaient dans le lointain avec chaque groupe de passants qui dépassaient leur banc… « D'accord ? »

« D'accord, j'ai digéré l'information. » répondit-elle fermement, en guidant le bras qu'elle tenait toujours autour de ses épaules. Elle se réinstalla contre lui avec une détermination marquée, forçant fermement son bras à l'enlacer, comme si la discussion était close.

« Ce n'est pas le genre d'information que l'on digère ou que l'on accepte en cinq minutes. » objecta-t-il. « Je le comprends parfaitement. Ce n'est pas… »

« Sev. » l'interrompit-elle. « Parlons d'autre chose. J'apprécie que tu me l'ai dit mais c'était un peu indigeste pour un premier rendez-vous. » Elle tapa gentiment le poignet qu'elle tenait toujours. « Mais c'est bien que tu me l'aies dit maintenant. Un point bonus de plus. »

Lentement, avec un peu de méfiance, il se détendit à nouveau à son tour. « Ce point m'achète-t-il la deuxième lettre de ton prénom ? »

« Y. » offrit-elle, avec un amusement certain.

« N et Y ? » Il tourna légèrement la tête, huma le parfum fruité qui se dégageait de ses cheveux. « New York ? »

Elle éclata d'un rire qui parut la soulager et brisa définitivement la tension qui s'attardait entre eux. « J'aurais franchement préféré. »

« Ça ne peut pas être si terrible… » insista-t-il.

« Oh que si. » décréta-t-elle. « Tu y es déjà allé ? À New York ? »

Si la conversation sembla un peu forcée pendant quelques minutes, elle ne tarda pas à redevenir fluide et, lorsqu'ils eurent épuisé la question des voyages qu'ils avaient faits, ils retombèrent sur les deux ans que Severus avait passé en Allemagne.

« Tu voudrais y retourner ? » s'enquit-elle, avec curiosité.

Il laissa tomber légèrement la tête en arrière, comme s'il espérait trouver les réponses à ces questions qui l'écrasaient dans les nuages qui s'amassaient dans le ciel grisâtre. Il commençait à faire trop froid pour rester assis là. Ils auraient dû marcher, peut-être se diriger vers un café ou un pub… Mais, malgré la température et les passants qui se hâtaient désormais sur le chemin derrière eux sans s'attarder, Severus était bien, là.

« En termes d'opportunités de carrière, ce serait la meilleure option. » admit-il. « Ici, je serais forcé de remplir des commandes de potions pour vivre et me consacrer à mes recherches sur mon temps libre. » Ou, il pouvait accepter l'offre d'Albus mais il n'était toujours pas certain de la sagesse de la chose. « Là-bas, j'ai les fonds pour faire ce que j'aime à plein temps. Certes, cela signifie que mes découvertes sont techniquement allemandeset pas britanniques mais je n'ai pas suffisamment la fibre patriotique pour que cela m'importe. »

C'était un des arguments que Lily avait soulevé lorsqu'il avait osé évoquer la question, à son retour, un mois plus tôt. Ils n'en avaient pas reparlé depuis.

« Mais tu n'as pas envie d'y retourner. » commenta-t-elle avec perspicacité.

« Je ne suis guère doué pour me lier avec des inconnus. » lâcha-t-il.

« Clairement. » se moqua-t-elle.

Elle bougea légèrement, appuya la joue sur son épaule. Il n'aurait pas fallu beaucoup pour que Severus l'embrasse. Il n'aurait eu qu'à baisser le visage.

« Il y a une exception à toutes les règles, je suppose. » murmura-t-il.

Cela la fit sourire mais elle ne se laissa pas distraire. « Tu ne t'es pas fait d'amis, là-bas ? »

« Quelques-uns. » admit-il. « Des collègues principalement. » Il soutint son regard. « Si je dois être honnête, la distance avec mes amis me pèse. Rater autant de la vie de mes neveux me pèse. »

« Je comprends. » offrit-elle, en retraçant la ligne de son menton du bout des doigts. La caresse était légère, innocente mais sa peau rendue sensible par le froid s'enflamma immédiatement. Il dut faire un effort pour ne pas laisser son esprit divaguer, pour ne pas imaginer ce que cela serait de sentir ses doigts courir ailleurs sur son corps. « Mon meilleur ami est parti en Roumanie après Poudlard. Il voulait devenir dragonnier et il n'y a pas vraiment de bons programmes ici. On s'écrit tout le temps mais ce n'est pas pareil et il ne rentre pas souvent. »

« Tu n'es jamais allée le voir ? » s'enquit-il, tout en connaissant déjà la réponse. La Roumanie ne faisait pas partie des voyages qu'elle avait évoqués.

« Je n'ai jamais eu le temps. » expliqua-t-elle. « Je suis encore en formation et ces trois dernières années… Ce n'est pas une maîtrise en potions mais c'était brutal. »

« Ai-je le droit de savoir de quoi il s'agit ou est-ce un mystère de plus ? » plaisanta-t-il.

Elle avait mentionné les potions et des Médicomages ainsi que la condition loup-garou et les Metamorphomages… Il pariait pour Sainte Mangouste. La formation de Médicomage était en effet brutale et…

Elle ouvrit la bouche, probablement pour répondre, lorsqu'un sort d'alarme éclata. Elle le fit taire d'un coup de baguette discret et marmonna un juron, se détachant de lui. « Il faut que je file. Je suis d'astreinte. »

Elle était déjà debout. Il se hâta de se lever lui aussi, attrapant son bras avant qu'elle n'ait pu se hâter en direction d'un bosquet où transplaner discrètement.

« Pouvons-nous nous revoir ? » demanda-t-il, sachant que cela lui donnait l'air désespéré mais… « Tu n'es pas forcée de me donner ton nom si tu n'es pas sûre. Mais tu peux m'envoyer un hibou. Je m'appelle… »

Elle couvrit sa bouche de sa main avant qu'il n'ait pu décliner son identité et son adresse, le stoppant net. Ses yeux gris étaient rivés aux sien, trop intenses. Elle combla les quelques pas qui les séparaient avant de lentement retirer sa main.

« Deux fois c'est une coïncidence, trois fois c'est le destin. » murmura-t-elle.

Il secoua immédiatement la tête, son esprit allant droit à la prophétie qui avait failli lui coûter la vie de sa meilleure amie et d'un gamin qu'il aimait désormais comme le sien. « Je n'aime pas le destin et il ne m'aime pas. »

« Il y a un truc spécial entre nous. » insista-t-elle. « Tu le sens, non ? »

D'ordinaire, ce genre de déclarations aurait suffit à le faire fuir dans la direction opposée sans ralentir ou s'arrêter. Mais il ne pouvait nier que… Dès la seconde où il avait croisé son regard dans cette salle de bal…

« Cela ne pourrait être qu'une tension sexuelle particulièrement forte. » remarqua-t-il.

Son rire résonna dans l'air froid et il se demanda pourquoi il le trouvait si charmant.

« Ça aussi. » confirma-t-elle, avant de se mordre la lèvre sans parvenir à masquer son sourire.

Elle s'approcha encore. Cette fois, le baiser n'avait rien de léger ou d'hésitant. Il se prolongea jusqu'à ce que Severus l'approfondisse… Elle passa les bras autour de son cou, se pressa contre lui…

Il avait déjà oublié toute la conversation qui avait précédé lorsque leurs lèvres se séparèrent comme à regret. La réalité revint comme une douche froide.

« Le destin, Sev. » murmura-t-elle, en volant un dernier baiser.

Elle se détacha brusquement mais pas sans allégresse, reculant de quelques pas sans lâcher son regard.

« Et si le destin ne marche pas, je te retrouverai. »

Elle lui fit un clin d'œil.

La seconde suivante, elle avait disparu.

Aucun des Moldus qui se hâtaient sur le chemin ne sembla remarquer sa disparition subite.

Severus fixa du regard l'endroit où elle s'était tenue quelques secondes plus tôt puis toucha ses lèvres.

Il fut surpris de constater qu'il souriait.

°O°O°O°O°

« Tu m'aides ou tu rêvasses ? » accusa Lily, en jetant une poignée de farine dans sa direction.

Severus sursauta, incapable de nier qu'il n'avait pas l'esprit à la tâche. Cela faisait cinq minutes qu'il malaxait la pâte à sablés de Noël. Lily avait déjà aligné cinq sapins sur la table couverte de farine et il n'avait même pas commencé sa part de bonhommes.

« Il existe des formules pour ça, je te rappelle. » grommela-t-il, levant les yeux au ciel en anticipation de la réponse qui ne manqua pas d'arriver.

« C'est beaucoup moins bon. » décréta-t-elle, en lui jetant un regard perçant. « Et ce n'est pas ça le problème. Tu es distrait depuis que tu es arrivé. »

L'accusation fut associée à un autre jet de farine, comme si la pièce avait besoin de davantage de chaos. La cuisine du petit cottage de Godric's Hollow était chaleureuse mais perpétuellement en désordre et les séances cuisine de Lily n'aidaient en rien. Potter, Harry, Lupin et Black avaient pris leurs jambes à leur cou dès qu'elle avait déclaré qu'elle voulait faire de la pâtisserie. Severus ayant une aversion marquée et bien connue pour le Quidditch, il n'avait pas pu se jeter sur l'excuse qu'avait immédiatement sortie les autres à la fin du déjeuner.

Et puis…

Cuisiner avec Lily ne le dérangeait pas.

Il n'avait jamais commis l'erreur d'oublier que passer du temps avec elle était un petit miracle en soi, même quand elle l'irritait.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive ? » insista-t-elle, d'une voix plus douce, un peu plus inquiète.

Ce qu'il lui arrivait…

Cela faisait trois jours et il était incapable de penser à autre chose qu'à ce baiser, voilà ce qu'il lui arrivait.

À chaque fois qu'il s'humectait les lèvres, il lui semblait imaginer le goût du chocolat chaud.

Il rêvait d'elle la nuit au point de se réveiller le souffle court, incapable de maîtriser ses pulsions, comme un adolescent.

Il l'imaginait à chaque détour de rue, à chaque endroit où il se rendait et était immanquablement déçu lorsque le rose d'une chevelure ne s'avérait être qu'un reflet.

Elle le hantait.

Deux fois déjà, il avait songé à aller faire un tour à Sainte Mangouste au cas où il aurait pu croiser accidentellement le chemin d'une Médicomage en formation. Seulement, il n'était pas certain que ce soit véritablement là qu'elle travaillait et il avait un peu peur qu'ils ne décident de l'interner parce que, très clairement, il avait perdu la raison.

Ou alors il était sous l'emprise d'un sortilège.

Elle l'avait enchanté avec son rire facile, ses yeux gris pétillants et ses répliques mordantes.

« Rien. » mentit-il, en se raclant la gorge. Il laissa tomber la boule de pâte qu'il travaillait depuis plusieurs minutes et entreprit de l'étaler avec le rouleau à pâtisserie, agacé par la manche de son pull qu'il avait retroussée mais qui ne cessait de glisser.

« Sev. » pressa-t-elle, abandonnant ses sablés pour lui jeter un regard trop lourd, trop inquiet.

Un non-dit plana entre eux.

Un gros non-dit qui englobait toute son adolescence et avait la forme d'une Marque des Ténèbres.

« Rien de grave. » se corrigea-t-il, dans un soupir, pour la rassurer.

Elle croisa les bras, sans se préoccuper de la farine qu'elle mettait sur son pull rouge. « Severus Snape. Tu n'as pas décroché plus de trois mots depuis que tu es arrivé, tu as à peine touché à ton assiette, tu n'as rien suivi des conversations à table et tu n'as même pas réagi quand Sirius t'a insulté. Tu es perdu dans tes pensées, tu n'arrête pas de soupirer comme si tu portais le poids du monde sur tes épaules… Dis-moi tout de suite ce qu'il se passe. »

Elle avait utilisé le même ton que lorsque Harry refusait d'admettre une bêtise particulièrement farfelue ou s'entêtait dans ses bouderies.

Si une part de lui en fut vexée, une autre s'en amusa.

« Tu as conscience que je ne suis pas ton fils ? » se moqua-t-il. Pour toute réponse, elle leva des sourcils impérieux et il leva les yeux au ciel. « Ce n'est riend'important. »

« Ah ah ! » triompha-t-elle, en pointant un doigt accusateur sur lui. « Donc il y a bien quelque chose qui te tracasse. »

Il hésita, trouvant toujours un peu délicat d'aborder ce genre de sujets avec elle. Ils étaient tous les deux parfaitement conscients que Severus avait été amoureux d'elle pendant des années, et si ses sentiments étaient depuis longtemps redevenus platoniques… Il en gardait une légère gêne et un certain embarras sur la question.

« Severus, tu sais que je m'inquiète quand tu es comme ça. » plaida-t-elle.

Elle jouait en partie la comédie mais en partie seulement.

Il lui jeta un regard pas tout à fait noir. « C'est déloyal. »

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire. « Toi, monsieur le Serpentard, tu vas me faire une leçon sur ce qui est loyal ou pas ? »

« Touché. » lui accorda-t-il, avant de soupirer.

Elle décroisa les bras pour recommencer à appliquer l'emporte-pièce sur la pâte mais continua à lui jeter des regards lourds de sens. « Tu sais que j'ai perdu le compte du nombre de soupirs depuis que tu es arrivé ? »

Lily était comme un dragon avec un os.

Résigné parce que, de toute manière, il n'avait jamais rien su lui cacher, il lâcha un nouveau soupir – partiellement pour l'irriter – et se décida à cracher le morceau.

« J'ai rencontré quelqu'un. »

Cette annonce lui arracha un cri extrêmement aigu qui ressemblait à s'y méprendre au bruit que faisait un boursoufflet lorsqu'on lui marchait dessus… Et elle eut le malheur de coïncider avec l'ouverture de la porte de derrière. Potter, qui venait de faire deux pas à l'intérieur, se figea, observant avec alarme sa femme qui se trémoussait désormais sur place en affirmant au plafond qu'elle le savait – encore que qu'est-ce qu'elle savait était soumis à caution – avant de reporter son attention sur lui.

« Est-ce que je veux savoir ? » demanda l'Auror.

« Non. » répondit-il fermement au moment précis où Lily, dans son enthousiasme, se tournait vers son mari en tapant des mains. « Sev a rencontré quelqu'un ! »

Severus grinça des dents. « Rappelle-moi de ne plus jamais rien te dire en confidence. »

« Tu n'as jamais dit que c'était une confidence. » se défendit-elle, son enthousiasme un peu refroidi lorsqu'elle se rendit compte qu'il était sérieux.

Potter s'était dirigé vers l'évier et remplissait un verre d'eau, feignant un désintérêt très malhabile. Black qui venait d'atteindre la porte restée ouverte et sentant sans doute le malaise de Severus avec son flair pas tenté pour la chose, leva les sourcils. « C'est quoi la confidence ? »

« Snape a une copine. » lança Potter.

« Ce n'est pas ce que j'ai dit. » siffla-t-il, sentant le rouge lui monter aux joues.

Lily s'était déconfite, pouvant sans doute deviner ce qui…

« Elle est aveugle ou elle est gonflable ? » se moqua Black, en esquivant les deux maléfices qui fusèrent vers lui sans même ciller.

Celui de Lily était innocent, celui de Severus lui aurait fait mal.

« Sirius ! » s'agaça-t-elle. « Si tu ne peux pas être aimable, tiens ta langue ! »

« Tonton Patmol ! » s'exclama Harry qui rentrait à son tour, suivi de près par Lupin. Les deux avaient probablement suivi toute la conversation du jardin. « Ne sois pas méchant ! »

« Oui, tonton Patmol. Ne sois pas méchant. » répéta Lupin, entre le sérieux et la moquerie, en fermant finalement la porte. La température dans la cuisine s'était rafraichie et pas seulement à cause du froid qui s'était insinué de l'extérieur.

« Désolé de poser les bonnes questions… » lâcha Black, avant de partir dans un de ces éclats de rire rauques qui irritaient Severus au plus haut point.

« Dehors ! » ordonna Lily, en haussant la voix, avant qu'ils aient pu commencer à ôter leurs capes trempées. « Retournez jouer au Quidditch ! »

« Mais, Lil, il fait froid. » protesta Potter, en nettoyant son verre d'un coup de baguette et en le renvoyant dans le placard.

« Oui, maman, il fait trop froid ! » renchérit Harry. Il se figea, les mains sur son écharpe à moitié dénouée, sa cape déjà jetée sur le dos d'une chaise.

Lily la lui ôta des mains et la pendit à la patère juste à côté de la porte avant de déposer un baiser sur la tête de son fils qui protesta un peu pour la forme mais se laissa faire de bon cœur. « Toi, tu peux aller jouer dans ta chambre. Eux, en revanche, ils vont aller faire un tour parce que tonton Sev et moi devons parler. »

Les Maraudeurs n'étaient peut-être pas très intelligents mais ils étaient suffisamment malins pour ne pas protester trop longtemps. Surtout que Black parut s'en accommoder en déclarant qu'ils pouvaient aller au pub du coin. Lily secoua la tête mais laissa tout de même son mari l'embrasser.

Severus détourna les yeux lorsque le baiser s'attarda, préférant se concentrer sur ses sablés et Harry qui s'était rapproché pour inspecter son travail. Il lui proposa de participer, espérant un peu que ça lui éviterait un interrogatoire en règle, mais le garçon se dépêcha de refuser, préférant aller s'amuser dans sa chambre.

À la seconde où la porte de derrière eut claquée derrière Lupin, Lily la verrouilla d'un geste et vint s'asseoir à table à côté de lui, les sablés complètement oubliés. « Dis-moi tout. »

Il gigota, mal à l'aise. « Il n'y a pas grand-chose à en dire. »

Lily leva les yeux au ciel. « Comment elle s'appelle ? »

Il fit la grimace. « Je n'en suis pas certain. »

Devant son expression confuse, il soupira une nouvelle fois – s'attirant un regard agacé – et entreprit de résumer la situation. En soit, l'histoire était très courte. Elle pouvait être racontée en quelques phrases : il avait rencontrée une jeune femme au bal des Malfoy, l'affinité avait paru évidente, ils avaient été interrompus, elle avait disparu, ils s'étaient recroisés par hasard, avaient passé un après-midi ensemble et elle s'était à nouveau éclipsée sans lui donner son nom.

Lily faisait la moue bien avant la fin de son récit. « Mais pourquoi est-ce qu'elle ne voulait pas te donner son nom ? C'est bizarre. »

« C'est un jeu. » répondit-il, sur la défensive. Il avait une rangée de bonhommes prêts à mettre au four et, de quelques coups de baguette, les envoya mettre à cuire. « Elle… Elle a dit que si on devait se revoir, ce serait le destin. »

La tête appuyée dans le creux de sa paume, Lily le dévisageait. « D'accord, ça c'est romantique. »

« Ou stupide. » marmonna-t-il, gêné, sans croiser son regard.

« Non, pas stupide. » soupira-t-elle à son tour. « Mais… Tu n'as pas peur qu'elle… Enfin, je veux dire… Tu es sûr qu'elle ne te faisait pas marcher ? »

« Non. » nia-t-il fermement.

Il n'était pas né de la dernière pluie. Il n'était peut-être pas très bon en séduction mais il savait lorsqu'on se moquait de lui. Et rien n'avait été feint dans la manière dont elle s'était blottie contre lui. Ou dans leurs baisers.

« Non. » répéta-t-il fermement, en rougissant un peu. Le simple souvenir de ce dernier baiser le poussa à s'humecter les lèvres. « Tu vas trouver ça ridicule et tu auras bien raison de te moquer mais… Il y a vraiment quelque chose de… spécial. » Embarrassé et mal à l'aise, il haussa les épaules, remonta une nouvelle fois sa manche récalcitrante et recommença à travailler la pâte. « Et puis, elle a promis de me retrouver si le destin ne coopérait pas. Je lui ai dit que j'étais un Mangemort, elle sait que je m'appelle Sev et que je suis Maître des Potions, elle s'intéresse à la lycanthropie… Elle n'aura pas trop de mal à m'identifier si elle se penche vraiment sur la question. »

Lily n'avait pas bougé et l'observait avec un petit sourire sur les lèvres.

« Qu'y a-t-il ? » aboya-t-il presque, à présent ouvertement sur la défensive.

« Elle te plaît vraiment. » dit-elle simplement.

« Je ne la connais pas. » maugréa-t-il. « Il serait prématuré de… »

« Elle te plaît vraiment. » répéta-t-elle, en l'interrompant.

Pour tromper sa gêne, il ramassa une poignée de farine et la lui jeta au visage. Elle esquiva, sans se laisser distraire.

« Proteste autant que tu veux, elle te plaît ! » insista-t-elle, en riant à moitié.

« Travaille un peu. » la gronda-t-il, en désignant d'un geste de la tête la pâte à sablés délaissée étalée devant elle. « C'est toi qui voulais des biscuits de Noël pour le thé. »

La diversion était malhabile et ne fonctionna pas du tout. « Pourquoi tu ne demandes pas à Narcissa ? Cette harpie connait tout sur tout le monde… Ça m'étonnerait beaucoup qu'elle ne connaisse pas toutes les femmes qui ont assisté à sa soirée. » Elle souffla. « Oh, ce n'est pas juste… Pour une fois qu'il se passe un truc intéressant à ce bal, je l'ai raté ! Et inutile de demander à James… À tous les coups, il n'a rien vu. Pour un Auror aussi doué, je te jure qu'il peut parfois être très inattentif. »

Ça l'arrangeait un peu que Potter n'ait rien vu.

Il n'avait pas besoin de ses moqueries ou des conseils que l'homme penserait amicaux mais qui ne serait que très humiliants.

« J'évite d'ouvrir les hiboux de Narcissa, en ce moment. » admit-il. « Elle m'en a envoyé deux. Je m'attends à une beuglante d'ici peu. »

Elle fronça les sourcils. « Pourquoi ? »

Il se concentra sur son emporte-pièce. « Il se peut que la valse ait été un peu moins convenable que ce que veut la bonne société… Je n'ai pas envie de lire ses remontrances. Sans compter que je suis parti sans prendre congé et tu sais comme elle est à cheval sur les bonnes manières… » Il secoua la tête. « Non, j'écrirai à Lucius dans quelques jours, lorsqu'elle aura eu le temps de se calmer… »

Il alla vérifier que ses bonhommes ne brûlaient pas, les sortit du four en les trouvant cuits et voulut les remplacer par une autre fournée, uniquement pour trouver Lily sur son chemin. Son expression était malicieuse comme dans leur enfance, ses yeux verts brillaient d'amusement.

« Severus… Qu'est-ce que tu as fait de si scandaleux que tu aies peur de Narcissa ? » demanda-t-elle.

« Rien. » protesta-t-il immédiatement. « Mais tu sais comme les Malfoy sont sensibles. »

Elle ouvrit les bras. « Montre moi. »

Il leva les yeux au ciel mais lui prit la main et glissa l'autre dans son dos, l'attirant aussi près qu'il avait tenue l'inconnue durant le bal. Fut un temps où il aurait été fou de bonheur d'être autorisé à l'enlacer aussi intimement mais ce temps était révolu. Il n'éprouvait plus rien pour elle qu'une profonde affection et, en conséquence, leva un sourcil. « Satisfaite ? »

Elle étudia l'absence d'espace entre eux d'un œil critique. « Scandaleux. Je suis surprise que cette chère Cissy ne s'en soit pas évanouie d'horreur. »

Il la lâcha pour aller chercher la fournée de biscuits à cuire. « Moque-toi. Ce n'est rien à côté de ce que Draco lui a probablement dit. Ce garçon a une imagination débordante et une certaine propension à exagérer les choses. »

« Tu as dit qu'il vous avait interrompus… » remarqua Lily. « Mais qu'est-ce qu'il a interrompu exactement ? »

Il lui jeta un regard lourd de sens.

Elle écarquilla les yeux avec incrédulité. « En plein milieu d'un couloir ? Avec une inconnue ? Severus ! »

« Bien sûr que non, pas en plein milieu d'un couloir. Je l'aurais attirée ailleurs avant que ça n'en arrive là. » protesta-t-il, en fermant le four et en activant le sort de cuisson. « Mais ce n'était tout de même pas un spectacle pour un garçon impressionnable. »

Elle ravala un rire mais l'observait comme s'il avait soudain deux têtes. « Ça ne te ressemble vraiment pas. »

« J'étais pris dans le moment. » marmonna-t-il, en rassemblant ce qui lui restait de pâte en une boule pour mieux l'étaler à nouveau.

« Il faut qu'on la retrouve. » décréta Lily, en jouant avec l'emporte-pièce en forme de sapin sans pour autant l'appliquer sur la pâte. « Elle me plaît déjà. » Il soupira, s'attirant un coup d'œil agacé. « Et ça aura le mérite de t'empêcher de soupirer comme une âme en peine. »

« Peut-être qu'elle a raison de vouloir s'en remettre au destin. » déclara-t-il, sans croiser son regard. « Il n'y a aucune chance que cela fonctionne de toute manière. »

« Et pourquoi pas ? » le gronda-t-elle. « Ne sois pas pessimiste, comme ça. Ce n'est pas parce que tu as connu quelques échecs que tu ne peux pas avoir de relation durable… Je sais que tu as été marqué par ta rupture avec Martha mais ce n'est pas une raison pour te fermer à d'autres histoires. »

Martha

Martha était la seule femme qu'il ait jamais véritablement présentée à Lily et elle en avait déduit qu'il s'agissait d'une histoire d'amour torturée alors que la vérité était beaucoup plus prosaïque…

Il n'avait jamais été capable de construire quoi que ce soit avec quelqu'un. Ses relations amoureuses avaient toujours été brèves, quelques jours ou quelques semaines, rarement plus. Il n'y avait jamais véritablement eu de sentiments non plus, pas de sa part, en tout cas. Martha avait commis l'erreur de tomber amoureuse de lui et, parce que ses amis, à ce moment là, avaient été particulièrement pressants avec leurs remarques sur son célibat, il avait voulu leur prouver qu'il était parfaitement capable de vivre en couple.

Cela avait été un désastre d'ampleur magistrale.

Qu'il ait accepté la proposition de travail en Allemagne quelques mois plus tard n'était pas tout à fait un hasard mais, contrairement à ce que se plaisait à s'imaginer Lily, il n'était pas parti parce qu'il avait le cœur brisé. Il avait simplement saisi une occasion en or de fuir une situation plus qu'inconfortable.

« Cela ne fonctionnera pas car je suis très mauvais avec les gens. » décréta-t-il. « Je suis difficile à vivre, j'ai un caractère épouvantable et je suis socialement inadapté. »

Elle attrapa un des biscuits qui sortaient du four, le cassa en deux et croqua dedans. « N'importe quoi. »

Elle lui tendit l'autre morceau. Il ne se fit pas prier pour le manger. « C'est ce que disent ton mari et ses amis. »

« Ils te taquinent, Sev. » déclara-t-elle fermement. « Comme quand tu traites Sirius de cabot, Remus de loup ou James de crétin. Ce sont des mots durs mais on sait tous que c'est affectueux. »

« Absolument. » ironisa-t-il, le ton dégoulinant de sarcasmes.

Cela lui valut une claque sur le bras qu'il ne parvint pas à esquiver à temps.

« Tu peux parfaitement être aimable quand tu en as envie. » insista-t-elle. « Tu l'es bien avec moi. Et tu as tes moments avec Remus. Merlin sait pourquoi mais tu as aussi une vraie amitié avec Lucius. On ne va même pas parler d'Harry et de Draco… »

« C'est différent. » grommela-t-il.

« Pas forcément. » décréta-t-elle, en se levant parce que le sort d'alarme du four venait de retentir. « Si elle te plaît vraiment… Je suis sûre que tout se passera bien. »

Il émit un bruit dubitatif. « Elle est plus jeune. Probablement trop. »

« Quel âge ? » demanda distraitement Lily.

« Vingt-et-un. » dit-il.

Il termina sa dernière rangée de bonhommes et alla se laver les mains, navigant autour d'elle pendant qu'elle transférait les biscuits chauds dans le plat et chargeait une autre fournée.

« C'est jeune. » admit-elle, lorsqu'elle put lui redonner pleinement son attention sans risquer de se brûler. « Mais ce n'est pas non plus si jeune. »

Il s'essuya les mains sur le torchon qui pendait à la poignée d'un placard, secouant la tête. « C'est trop jeune pour vraiment savoir ce que tu veux… »

« Dis donc… À vingt-et-un ans, j'étais mariée depuis deux ans et j'avais un bébé de un an. Tu vas me dire que je ne savais pas ce que je voulais, peut-être ? » s'énerva-t-elle.

Il se tourna vers elle avec la sensation d'avoir dérapé quelque part et ne fut pas surpris de la voir tapoter sa baguette contre le plat de son autre main.

« Le contexte… » tenta-t-il maladroitement.

« Oh, oui, bien sûr, le contexte… » grinça-t-elle. « Merlin préserve qu'une femme sache ce qu'elle veut. Ou qui elle veut. »

Il leva les deux mains, décidant de capituler. « Je regrette d'avoir joué les macho patriarcaux. Tu as raison. »

La bouche de Lily tressauta. « C'est elle qui t'a accusé de ça ? »

« Possible. » lâcha-t-il.

« Oh, vraiment, je l'aime déjà. » ricana-t-elle. « À ton avis, il lui faudra combien de temps pour faire pleurer Sirius ? »

Il n'avait guère envie de l'exposer à plus séduisant que lui tout de suite. Certainement pas à Black qui enchaînait les conquêtes sans discontinuer.

« Il y a le reste aussi. » soupira-t-il, sans relever la plaisanterie.

Comprenant sans doute qu'il était redevenu sérieux, elle l'étudia. « Quel reste ? »

Il resta debout, s'appuyant contre l'évier. Au lieu de répondre avec des mots, il leva le bras gauche, avant-bras tourné vers elle. Ses manches toujours retroussées, la Marque était parfaitement visible. Pâle, presque effacée, inerte depuis des années, on en devinait pourtant toujours la présence, comme une cicatrice.

Elle ne chercha pas à l'endormir de faux-semblants. « Elle ne sera probablement pas enchantée mais si tu lui expliques… »

« Elle n'était pas enchantée, en effet. » la coupa-t-il.

Lily fronça les sourcils. « Tu le lui as déjà dit ? »

« C'est venu dans la conversation. » confirma-t-il.

« Tu lui as tout dit ? » demanda-t-elle, avec incrédulité.

Il baissa la tête. « Les grandes lignes. »

« Est-ce que les grandes lignes incluaient le fait que tu as passé presque un an à espionner pour l'Ordre du Phoenix ? » insista-t-elle, d'un ton trop perspicace.

Ils ne parlaient que très rarement de cette période là

Ils évitaient généralement le sujet autant que possible.

La guerre était loin désormais et c'était ainsi qu'ils la préféraient.

Mais ça aurait été faux de dire qu'ils avaient oublié.

« Ce n'est pas ainsi que ça s'est passé, Lily, et tu le sais. » murmura-t-il. « Ce qu'Albus a dit au procès, ce n'est pas la réalité. »

« Les informations que tu as rapportées ont sauvé des vies. » contra-t-elle fermement. « C'est ça la réalité. »

« Mais je n'aurais jamais rapporté ces informations si je n'avais pas voulu monnayer ta sécurité. » rétorqua-t-il. « Ce n'était pas désintéressé. Ce n'était pas… »

« Arrête, Severus. » le coupa-t-elle. « Albus nous aurait protégés quoi qu'il arrive. Tu avais juste besoin d'une excuse pour revenir du bon côté. »

Contractant la mâchoire, il détourna la tête. « C'est ta version. »

« On sait tous les deux que c'est la vérité. » riposta-t-elle. « Tu as simplement besoin de te torturer parce que c'est plus facile pour toi de te dire que tu es quelqu'un d'horrible plutôt que d'assumer que tu es quelqu'un de bien quand tu le veux qui a simplement fait des choix catastrophiques. »

Les mots étaient durs.

Pas faux mais durs.

Il ne voulait pas répondre, avait trop peur des paroles qui allaient sortir de sa bouche.

Il avait appris depuis ce Sang-de-Bourbe jeté sans réfléchir.

Le silence s'étira, insupportable, jusqu'à ce qu'elle ne pousse un profond soupir et ne se lève. Il ne fut pas surpris lorsqu'elle vint se planter devant lui, l'obligeant à affronter son regard.

« Si cette femme te plaît, tu dois tout lui dire. » lui conseilla-t-elle, plus doucement. « N'essaye pas de la faire fuir juste parce que la possibilité de retomber amoureux te fait peur. »

Il émit un bruit réprobateur et un peu paniqué. « Je n'ai jamais parlé de… »

« Je ne t'ai jamais vu comme ça. » lâcha-t-elle, avec un sourire. « Tu parles d'elle et tu rougis ou tu souris. On dirait un gamin. Et ce n'est pas une mauvaise chose, Sev. » Elle lui attrapa les mains, les serra. « Tu mérites d'être heureux. C'est tout ce que je te souhaite. Tu le sais ça, hein ? »

Lentement, il souffla la colère rentrée qu'il avait muselée. « Oui. »

Elle tira un peu sur ses mains. « Et puis, c'est très bien que tu te trouves quelqu'un ici. Peut-être que ça te convaincra de rester. » Elle grimaça. « Je sais que tu as plus de mal à trouver ce que tu veux niveau travail mais… J'avoue que j'avais peur que tu ne rencontres une Allemande, que tu l'épouses et que tu restes là-bas pour toujours. » Elle haussa les épaules. « Tu m'as manqué tu sais. Et tu as manqué à Harry. Et, tu ne vas pas me croire, mais tu as même manqué à James et Remus. Bon, peut-être pas à Sirius… » Malgré lui, il émit un bruit amusé. « Tu fais partie de la famille. »

Il hésita, tira à son tour sur ses mains.

« Albus m'a reproposé le poste de Professeur de Potions. » avoua-t-il.

Le visage de Lily s'éclaira d'un coup mais elle s'efforça de se contenir, de garder une voix calme et posée. « Et qu'est-ce que tu lui as répondu ? »

« Que je devais y réfléchir. » Il croisa son regard. « J'aurais accès à un laboratoire, des financements pour mes recherches, sans parler du salaire et de la respectabilité qui va avec le poste. Il essaye de me convaincre d'accepter le rôle de Directeur de Serpentard, en prime. Et puis… Cela voudrait dire que je pourrais garder un œil sur Harry et Draco, toute l'année. Mais enseigner… Lily, je n'ai pas de patience. Et devoir m'occuper d'enfants toute la journée… »

« Tu t'en sors très bien avec Harry et Draco. » remarqua-t-elle.

« C'est différent, ce sont les miens. » contra-t-il, sans y réfléchir, avant de réaliser ce qu'il venait de dire. Ce fut son tour de grimacer. « Je voulais dire… »

« Oh, je sais ce que tu voulais dire. » se moqua-t-elle, balayant sa formulation maladroite de la main. « Sirius et Remus aussi ont ce ressenti. Au moins, je sais que s'il m'arrive quelque chose, Harry ne manquera pas de parents de substitution. »

« Ne dis pas ce genre de choses. » la gronda-t-il, un peu trop sèchement. Pas après ce qu'il s'était passé presque dix ans plus tôt.

Elle savait pertinemment ce qui venait de lui traverser l'esprit, son regard s'était fait triste. Pourtant, elle sourit et haussa les épaules. « Je crois que tu devrais accepter. »

« Tu dis ça parce que tu veux que je reste au Royaume-Uni. » la taquina-t-il.

« C'est vrai. » admit-elle, sans mentir. « Mais aussi parce que je tremble déjà à l'idée de tous les ennuis dans lesquels Harry ne manquera pas de se fourrer à l'école… Tu le connais. Il a un cœur en or mais il a un don certain pour se mettre dans le pétrin. »

« Je doute qu'il soit ravi que son tonton Sev vienne à Poudlard avec lui comme Professeur de Potions. » ironisa-t-il.

« Tu vas être le Professeur de Potions ? Tu viens avec moi à Poudlard ? » lança la voix de son neveu qui, décidément, n'était discret que lorsqu'il voulait véritablement l'être. « Trop bien ! » Et, avant qu'il ait compris ce qu'il se passait, une tornade le percutait au niveau du torse. « C'est génial, tonton Sev ! »

Il lui rendit maladroitement son étreinte, cherchant désespérément le regard de Lily. « Rien n'est encore décidé… »

« Mais ce serait trop bien ! » insista Harry, en plantant son menton dans son sternum pour le regarder avec des yeux suppliants. Il ne savait pas qui de Potter ou de Black lui avait appris à adopter ce regard de chien battu. « Sauf que tu ne peux plus apprendre d'autres potions à Draco ! Ou alors tu dois me les apprendre aussi ! Sinon c'est pas juste ! » Il fit la grimace. « Et je resterai quand même ton préféré, d'accord ? Même si Draco va à Serpentard et pas moi ou s'il est meilleur en Potions. »

« Je n'ai pas de préféré, Harry. » le gronda-t-il gentiment, bien qu'un peu gêné. « Je vous aime autant l'un que l'autre. »

Le garçon l'observa avec ce regard un peu sournois qui lui faisait dire que sa place à Gryffondor n'était pas aussi assurée que Potter et Lily aimaient à le croire. « Oui, oui, c'est ce qu'on lui dit… » Il lui fit un clin d'œil un peu appuyé. « Mais on sait. »

Severus leva les yeux au ciel tandis que Lily éclatait de rire.

« Misère… » murmura-t-il.

°O°O°O°O°

Severus remuait pensivement son thé pendant que Harry, assis à côté de lui à la table de la cuisine, griffonnait. Il n'avait pas totalement hérité du talent de Lily pour le dessin mais il n'était pas mauvais et il avait toujours aimé dessiner depuis qu'il était en âge de tenir un crayon. Le voir esquisser une chose ou une autre sur un bout de papier n'était pas si inhabituel.

À l'instant, il était en train de terminer l'ébauche d'un château qui ressemblait à s'y méprendre à Poudlard.

« Étais-tu sérieux tout à l'heure ? » demanda Severus, avant d'y avoir réfléchi à deux fois. « Cela ne te dérangerait pas de m'avoir pour professeur ? »

Lily les avait laissés seuls. Elle s'était aventurée dans le froid pour chercher son mari et leurs crétins d'amis qui ne répondaient pas à ses Patronus.

« Bien sûr que non, pourquoi ? » répondit Harry, en levant la tête, sourcils froncés.

Sans doute était-il encore un peu trop jeune pour éprouver la typique honte adolescente à se retrouver en présence de sa famille devant ses amis.

« Pour rien. » répondit-il.

Harry se replongea dans son dessin, prenant de temps en temps une bouchée d'un des sablés encore chaud. Au bout de deux minutes, il se racla la gorge. « Tonton Sev… Je peux te dire un secret ? »

Intrigué, Severus reposa sa tasse de thé et donna à son neveu sa pleine attention. « Toujours. »

Le garçon lui adressa un sourire confiant mais baissa vite les yeux. « J'ai hâte d'aller à l'école et tout ça mais… Parfois, ça me fait un peu peur aussi. » Il haussa les épaules. « Ce sera long. J'ai peur que papa et maman me manquent. Et tonton Patmol et tonton Lunard aussi. Et Raspoutine. »

Le chat noir particulièrement bien nommé leva la tête de la chaise où il faisait la sieste à l'appel de son nom mais, semblant se rendre compte que ce n'était pas l'heure de manger, la reposa presque immédiatement.

« Moi aussi j'ai un peu peur de retourner à Poudlard. » admit Severus.

Albus avait beau lui avoir assuré le contraire, il n'était pas certain d'y être bien accueilli par les autres professeurs.

Et puis… C'était le genre de poste qu'on occupait longtemps.

C'était une carrière à part entière.

Il ne savait pas si…

« Du coup, ça serait chouette d'y aller ensemble, non ? » proposa Harry. « Draco aussi sera content. » Le garçon lâcha un pff dédaigneux où perçait pourtant une légère – très légère – pointe d'affection. « Tu sais comment il est. Il se donne des airs mais je suis sûr que lui non plus il n'en mène pas large. Tu le vois sans ses elfes et son manoir et ses jouets ? Il va être perdu. »

Harry avait plusieurs amis de son âge avec qui il s'entendait mieux, comme le fils des Londubat. Draco et lui étaient comme chien et chat. C'était à travers Severus qu'ils s'étaient rencontrés. Jaloux de son attention et de son affection, ils se chamaillaient sans discontinuer, surtout si Severus était présent. Pourtant, au grand dam de leurs parents respectifs, ils insistaient aussi pour se voir et jouer ensemble au moins deux fois par semaine. Cela faisait des années que cela durait.

Aucun des deux n'aurait admis que l'autre était son meilleur ami mais gare aux enfants qui critiquaient l'un en présence de l'autre…

« Tu n'as pas tort. » décréta Severus, feignant une grande réflexion alors même que sa décision venait d'être prise. « Peut-être serait-il profitable, en effet, que nous y allions tous les trois ensemble. »

« Voilà. » Harry hocha la tête avec détermination, comme si la conclusion avait été difficile puis retourna à son dessin.

Pendant quelques minutes, Severus put boire tranquillement son thé.

« Tonton Sev ? »

Rompu à ces interrogations incessantes et se refusant à imaginer devoir composer avec une classe entière de premières années, il leva un sourcil. « Oui ? »

Preuve qu'il savait que la question ne serait peut-être pas bien accueillie, Harry ne leva pas les yeux de son papier. « Elle est cool ta nouvelle copine ? »

« Ce n'est pas… » commença-t-il à protester avant de soupirer, sachant que le garçon ne comprendrait pas la nuance et ayant peu envie de tenter de la lui expliquer. « Oui, elle est… cool. » C'était un compliment qui, pensait-il, lui plairait. Sachant quel élément la rendrait encore plus cool aux yeux d'Harry, il ajouta : « Elle a les cheveux roses. »

« Oh, comme Dora ! » commenta son neveu, en lui adressant un sourire ravi.

« Dora ? » releva-t-il avec intérêt.

Le garçon hocha rapidement la tête. « C'est mon amie. » Vu le rouge qui lui montait aux joues, il y avait sans doute un peu plus là-dessous que de la simple amitié. Décidément… D'abord Draco et Pansy, maintenant Harry et cette Dora… « Elle est super cool. »

« J'imagine. » lâcha-t-il, pour lui faire plaisir. « Et ses parents la laissent colorer ses cheveux ? »

À dix ans, cela semblait extrême.

« Non ! C'est ça qui est super cool ! » s'exclama Harry, gagné par l'enthousiasme. « C'est une Métamorphomage. » Il dut ralentir pour prononcer correctement le mot. « Elle peut changer son corps comme elle veut. Et la couleur de ses cheveux aussi. Mais elle préfère le rose, c'est sa couleur préférée. »

Interpellé, Severus étudia son neveu, le cœur battant un peu plus fort. « Une Métamorphomage, tu dis ? C'est très rare. »

Le garçon fut trop heureux de confirmer d'un hochement de tête. « Il n'y en a que trois au Royaume-Uni en ce moment. Ils sont obligés d'être déclarés au Ministère, c'est Papa qui me l'a dit. Dora dit que c'est pas juste. »

La coïncidence était trop grande.

Le discours passionné sur la cause Métamorphomage résonnait clairement dans son esprit et la couleur de ses cheveux…

« Dora n'aurait pas une grande sœur par le plus grand des hasards ? » s'enquit-il, les mains soudain moites alors qu'il agrippait plus fort sa tasse de thé.

Il pouvait tout à fait imaginer sa mystérieuse NY se teignant les cheveux pour faire plaisir à une petite sœur et prenant fait et cause pour elle…

Mais Harry réduisit ses suspicions à néant d'un « Non. » innocent.

« A-t-elle un nom de famille, cette Dora ? » persista-t-il, pourtant.

« Tonks. » répondit Harry, en volant discrètement un autre biscuit bien que Lily ait fixé la limite à trois.

Severus fit celui qui n'avait rien vu.

Tonks.

Cela ne lui disait rien du tout.

Peut-être une cousine ou une parente ?

Il dut pourtant cesser son interrogatoire discret car la porte d'entrée s'ouvrit à ce moment-là sur le vacarme ambulant qu'étaient les Maraudeurs. Sagement, Severus orienta la conversation sur un sujet plus neutre.

°O°O°O°O°

Severus et Lucius s'attardèrent un peu dans le jardin pour surveiller que tout se passait bien mais Harry et Draco s'étaient déjà lancés dans une bataille de boules de neige sans plus leur prêter attention et un elfe de maison veillait au grain dans un coin. Lentement, les deux hommes remontèrent l'allée immaculée qui menait au manoir.

Cela faisait plusieurs jours que Severus ignorait les messages des Malfoy et il en était un peu gêné, il avait donc décidé de passer à l'improviste avec Harry et avait prétendu, mettant tous ses talents de comédien dans la cause, ne pas avoir reçu leurs courriers. Étant donné que Spinner's End était à moitié vide parce qu'il ne cessait de dire qu'il allait le mettre en vente sans pour autant se décider à sauter le pas et qu'il campait dans le salon quand il ne squattait pas la chambre d'amis des Potter, les hiboux avaient parfois du mal à le trouver. Il n'était pas certain que Lucius ait avalé le mensonge mais il avait eu la bonté de ne pas faire de commentaire.

« J'ai décidé d'accepter le poste de Professeur à Poudlard. » annonça-t-il, alors qu'ils passaient les portes d'entrée du manoir.

Lucius ne trahit aucune réaction visible si ce n'était un coup d'œil incisif.

« C'est le bon choix. » décréta son ami. « J'ai encore démarché quelques-unes de mes connaissances mais, étant donné que tu préfères ne pas t'associer à… certaines pratiques, les offres auraient été plus que limitées et tu mérites mieux. » L'homme le mena tranquillement vers son bureau. « De plus, tu pourras garder un œil sur Draco et cela me soulage de savoir qu'il ne sera pas seul. »

« Amusant. » remarqua-t-il, avec un demi-sourire qu'il s'efforça de contenir. « C'était également le raisonnement d'Harry. »

Lucius se contint à grand peine de lever les yeux au ciel. « Je serais soulagé lorsque ce gamin sera réparti à Gryffondor et que Draco sera délivré de son influence. »

Les Malfoy auraient pu tout simplement interdire à leur fils de jouer avec Harry et vice versa mais les enfants avaient eu raison de ce genre de machinations avant d'avoir six ans. Draco avait tenté de prendre seul la poudre de cheminette pour rejoindre le cottage des Potter et avait atterri chez Bathilda Tourdesac. Lily l'avait récupéré couvert de suie, terrifié par sa mésaventure mais plus que déterminé à voir son ami.

Depuis, l'accord tacite était à l'entente cordiale pour le bien des enfants.

Sans compter que Lucius et Potter devaient se croiser régulièrement au Ministère et qu'il était plus facile d'être courtois.

Severus dut émettre un bruit incertain parce que Lucius se figea, la main sur la poignée de la porte de son bureau, et l'étudia attentivement. « Tu ne penses tout de même pas que le fils Potter sera réparti à Serpentard. »

Il leva innocemment les deux mains. « Je pense que cela dépend de si lui et Draco se seront disputés ce jour-là et d'à quel point il veut être dans la même Maison que lui, à l'instant où il aura le Choixpeau sur la tête. »

« Un Potter. À Serpentard. » se moqua Lucius, comme s'il avait perdu la tête.

« Note, Draco ne manque pas de courage… » osa-t-il le taquiner, s'attirant un regard noir.

Préférant laisser passer la pique sans la relever, Lucius ouvrit la porte et entra dans son bureau au pas de charge. L'elfe qui était en train d'y faire la poussière poussa un petit cri effrayé et se dépêcha d'obéir lorsque le propriétaire des lieux lui ordonna de les laisser. Severus s'installa dans un des fauteuils en cuir patiné près de l'âtre, acceptant d'un geste l'offre silencieuse de lui servir un verre.

Le connaissant trop bien, Lucius ne lui en versa qu'un fond. Il prit son temps, pourtant, l'expression trop lisse.

« Cela ne me fait pas plaisir mais j'ai reçu des ordres stricts, mon ami. Nous devons avoir une conversation sérieuse. » plaisanta à moitié le Sang-Pur, sans pour autant cacher la touche de fer dans sa voix.

Severus accepta le verre qu'il lui tendait avec une légère grimace. « J'en déduis que Narcissa est toujours contrariée. »

Il avait choisi son jour à dessein pour passer à l'improviste, sachant que Cissy serait occupée chez sa modiste comme toutes les semaines à cette heure-ci.

Son but non avoué, mis à part de mettre les choses à plat avec Lucius, était de questionner son ami sur l'inconnue qui avait assisté à son bal.

« Feindre de ne pas recevoir ses hiboux ne va pas t'aider à te tirer d'affaire. » remarqua Lucius, avec un regard perçant, avant de s'installer dans l'autre fauteuil et de prendre une gorgée fortifiante. « Écoute, il n'y aucune raison de tourner autour du buisson de prunes dirigeables… Tu sais quel est le problème. » Les yeux clairs de Lucius croisèrent les siens avec désapprobation. « Que tu aies choisi de renouer avec cette partie de ton héritage et de frayer avec… »

« Doucement. » le mit-il en garde, le ton un peu sifflant, sachant que la remarque visant Lily et les Maraudeurs ne serait pas aimable. En soit, que Lucius insulte Potter ou ses amis, ce n'était pas si grave – encore que, ces dernières années, il lui arrivait de s'agacer des piques visant Lupin. C'était une chose lorsque lui faisait des réflexions sur sa lycanthropie, une autre lorsque des gens qui ne le connaissaient pas vraiment s'y aventuraient. Mais Lily… Il ne tolérait aucune remarque sur Lily.

Quant au reste…

Peut-être Severus n'était-il pas subtil à se balader en vêtements Moldus autant qu'il le pouvait, simplement pour renforcer l'idée qu'il avait véritablement tourné le dos aux Mangemorts mais cela le réconfortait. Et si Lucius n'appréciait pas qu'il se rende au manoir en jean et pull-over, il ne l'en avait encore jamais chassé pour ne pas porter de robes – du moins, pas tant que ce n'était pas un événement mondain. Il ne fallait pas croire qu'il ne savait pas que son ami avait une armoire entière de robes à sa taille, dans les styles qu'il préférait, juste au cas où, un jour, Severus se serait mis en tête de débarquer à la Moldue dans une de ses soirées.

« Ce que je veux dire, Severus, c'est que tu sais pertinemment que si certaines choses se font chez les… Nés-Moldus ou les Sang-Mêlés, la bonne société est plus traditionnelle. » se corrigea Lucius, sans ciller. « Ou, du moins, plus discrète. »

Et Severus renonça dans la seconde à se renseigner sur l'identité de la mystérieuse inconnue.

Il était suffisamment embêtant que Lucius se sente forcé de le sermonner pour avoir manqué aux convenances, si, en plus, il apprenait qu'il n'avait aucune idée de comment elle s'appelait après avoir pris ce genre de libertés…

« Il m'a été demandé, par les partis intéressés, de m'assurer que tes intentions étaient honorables. » conclut Lucius, en prenant une autre rasade fortifiante d'alcool. Probablement parce qu'il le connaissait suffisamment bien pour savoir que Severus n'avait aucune intention de faire la chose qui rendrait ses intentions honorables: c'est-à-dire proposer le mariage ou, tout du moins, une demande en bonne et due forme de la courtiser.

Rien que l'idée de se prêter à cette tradition ridicule et dépassée lui donnait envie de rire.

« Je doute que la jeune femme en question apprécierait le sujet de cette conversation. » commenta-t-il, avec un amusement certain. « Et elle apprécierait encore moins que nous discutions d'elle en son absence comme si elle n'était qu'un bout de viande à vendre. »

Le regard de Lucius se fit un peu plus vif, un peu plus perçant alors qu'il l'observait. « La jeune femme en question n'a pas été élevée dans les coutumes puristes et est probablement plus… libérée, je te l'accorde. »

Severus préféra se taire et porter le verre à sa bouche parce que cela avait tout d'une insulte.

« Draco m'a raconté une histoire très intéressante que j'ai cru bon de ne pas partager avec sa mère… » insista Lucius.

Il fit tourner ce qu'il restait de whiskey dans son verre. « Dis ce que tu as à dire, Lucius. »

Son ami l'observait toujours, l'expression neutre, l'œil calculateur. « Tu l'as revue ? »

« Peut-être. » admit-il.

Lucius pinça les lèvres. « Ce ne serait pas une mauvaise alliance pour toi ou pour elle. Je présume qu'elle t'a expliqué sa situation ? En admettant que vous ayez eu d'autres genres de conversations que celle que mon fils de onze ans a interrompue dans le couloir. »

Il encaissa le reproche sans broncher, se sentant en tort, mais resta vague, ne voulant pas dévoiler tout ce qu'il ignorait. « En partie. »

Lucius l'étudiait toujours avec trop d'attention. « L'histoire de sa mère n'est pas si différente de la tienne. Vous avez tous les deux des géniteurs Nés-moldus ou Moldus mais une alliance entre vous lierait les héritiers de deux grandes Maisons et… »

« Tu sais que je ne m'intéresse plus à tout ça. » le coupa-t-il, tout net.

« Est-ce que tu t'intéresses à l'intégrité de tes bijoux de famille ? » rétorqua Lucius. « Pardonne ma vulgarité mais, laisse-moi être clair, si tu n'es pas sérieux, je te conseille fortement de te désengager de tout ça très vite et en douceur parce que si tu t'avises de jouer avec elle, Narcissa rajoutera deux voire trois ornements à son sapin de Noël et je pense que ce sont des pièces qui te manqueraient. »

Il leva les yeux au ciel, mais croisa les jambes, sans savoir si Lucius était sérieux ou pas. Avec Narcissa, il n'aurait présumé de rien.

« Tout ça pour une valse un peu trop tendancieuse ? » demanda-t-il, sourcils levés.

Son ami poussa un soupir. « Si l'on m'avait laissé le choix, je me serais lavé les mains de toute l'affaire. Toutefois… Tu ne le sais peut-être pas mais Bellatrix ne va pas bien. Azkaban nous a écrit récemment. Elle décline. »

C'était un miracle qu'elle ait tenu jusque là.

Après s'être entêtée pendant un temps à croire que le Seigneur des Ténèbres reviendrait, il semblait qu'elle ait finalement accepté la vérité.

« Tu m'excuseras de ne pas la pleurer. » ironisa-t-il.

Lucius lui accorda la chose d'un geste. « Certes, mais mon épouse, elle, en est malheureuse. Tout ce qui lui donne du plaisir est donc bienvenu et tout ce qui pourrait la contrarier est un problème que je saurais régler. Nous comprenons-nous ? »

« Très bien. » confirma-t-il.

Son ami termina son verre. « Ce n'est pas qu'elle désapprouverait que tu l'épouses, comprends-nous. Au contraire, même. Mais, Severus, nous sommes liés à elle par le sang, c'est notre devoir de veiller sur sa réputation même si elle est plus que douteuse vu ses origines. » Il se pencha pour poser le verre sur la table basse avec un bruit définitif. « En conséquence… Joue finement. Et si tu ne veux pas d'arrangement officiel, au moins, sois discret. »

La conversation, trop tendue, s'orienta sur d'autres sujets après ça.

Lorsque Harry et lui quittèrent le manoir, le garçon parlant non stop des projets que Draco et lui avaient pour Poudlard, Severus n'était pas plus avancé que lorsqu'il était arrivé.

Il savait déjà que son inconnue était apparentée aux Malfoy et il savait déjà que sa famille voulait la faire rentrer dans un moule puriste dont elle ne voulait pas.

Il avait espéré un prénom ou un indice mais…

Rien.

°O°O°O°O°

Près d'une semaine et Severus n'avait toujours pas retrouvé sa trace.

Affalé sur le canapé des Potter, il réfléchissait – ou, plutôt, comme Harry l'avait charitablement murmuré à son père : il boudait.

Il était allé à Sainte Mangouste où il avait mis sa fierté entre parenthèses suffisamment longtemps pour demander à la matrone qui gardait le bureau s'il y avait une jeune Médicomage aux cheveux roses et au prénom commençant par N et si, potentiellement, il serait possible de la voir. La femme l'avait dévisagé comme s'il était un détraqué et avait menacé d'appeler la sécurité.

Il avait fui sans demander son reste.

Il était retourné à la boutique de disques, au café qu'elle appréciait, s'était baladé sur le Chemin de Traverse en scrutant les visages des passants…

Rien.

Rien de rien.

« Tu comptes rester là toute la soirée ? » lança Lily, en passant une tête dans le salon.

« Non. » grommela-t-il. Techniquement, il était simplement passé donner un vrai cours de Potions à Harry. Lupin jouait les tuteurs pour tout le reste et, ce, depuis des années mais son niveau en Potions ne valait pas celui de Lily et encore moins le sien. De plus, cela lui faisait plaisir de partager sa passion avec son neveu. « Je vais rentrer. »

Rentrer à Spinner's End où la moitié des meubles avaient été jetés ou vendus et où des piles de cartons s'entassaient. Il y faisait froid, c'était glauque et son appartement, en Allemagne, lui manquait tellement qu'il avait profité de son détour sur le Chemin de Traverse pour entrer dans une agence immobilière et finalement sauter le pas.

Sa meilleure amie soupira et s'appuya contre le chambranle de la porte, bras croisés. « C'est encore ta mystérieuse inconnue qui te tracasse ? »

« Non. » mentit-il, feignant de ne pas remarquer que Potter s'était glissé dans le dos de son épouse et avait passé les bras autour de sa taille. Lily s'appuya contre lui sans y penser, l'observant avec un mélange d'inquiétude et de pitié difficilement supportable.

« Tu sais que je pourrais me renseigner… » osa proposer l'Auror, avec maladresse. « Si tu veux. »

Il sentit le rouge lui monter aux joues parce que c'était encore plus humiliant que l'idée que l'inconnue en question ait pu tout simplement se moquer de lui.

« Non, merci. » refusa-t-il sèchement.

Il prétendit ne pas voir le regard que les Potter échangèrent, la conversation entière qui se joua en un quart de seconde.

« Pourquoi tu ne resterais pas dîner, ce soir ? Ce sera tranquille, Sirius a traîné Remus à un match de Quidditch… Oh, les Tonks viennent manger mais je crois que tu t'entendras très bien avec Ted. Il est botaniste, vous pourrez parler ingrédients. » offrit Lily. « Tu peux même prendre la chambre d'amis, si tu veux. »

C'était probablement alarmant que la chambre d'amis soit pleine d'un mélange de ses affaires et de celles de Black. Ils l'utilisaient à tour de rôle, sans régularité ou véritablement se coordonner, mais suffisamment souvent pour y avoir laissé des vêtements et des produits de toilette. Lupin était le seul de leur groupe trop bien élevé pour envahir la vie de famille de leurs amis ainsi.

« J'ai mis Spinner's End en vente hier. » annonça-t-il.

Il y eut un long silence et probablement une autre conversation silencieuse dans un seul échange de regard.

« C'est vrai ? » hésita Lily. « Tu en parles depuis des années mais… »

« Si je reviens habiter ici, je ne peux plus vivre là-dedans. » la coupa-t-il, en secouant la tête. C'était trop vieux, trop insalubre, trop plein de souvenirs affreux qui lui coupaient parfois le souffle au détour d'un couloir…

« Tu peux t'installer ici en attendant de trouver autre chose. » suggéra immédiatement Potter.

Potter n'aimait pas Spinner's End.

Il n'y avait mis les pieds qu'une poignée de fois mais, à chacune d'entre elles, il en était sorti en tentant de convaincre Severus de vendre ou de venir s'installer chez eux quelque temps.

« Je dois visiter des appartements, la semaine prochaine. » marmonna-t-il.

Ce serait une solution à court terme, en attendant d'avoir récupéré l'argent qu'il pourrait tirer de Spinner's End. À partir de septembre, il n'aurait plus besoin d'hébergement et pour l'été suivant… Il verrait bien. À terme, il se voyait bien acheter un cottage quelque part… Peut-être pas très loin de Godric's Hollow…

« Parfait ! » décréta Lily, d'un ton qui ne souffrirait pas la contradiction. « Et, en attendant, tu t'installes ici. »

Il leva finalement les yeux vers eux, croisant d'abord le regard de Lily puis celui de Potter, un petit peu plus longtemps. Il ne voulait pas déranger ou s'imposer.

Semblant deviner ce qui lui passait par la tête, ce dernier leva les yeux au ciel. « Ne m'oblige pas à te dire que tu es le bienvenu, Severus. »

Il était rare que Potter l'appelle par son prénom, encore plus rare que lui l'appelle James. Ça arrivait parfois. Pas souvent. Quand ils oubliaient de faire semblant qu'ils se détestaient toujours, principalement.

« Très bien. » marmonna-t-il, avec une mauvaise grâce un peu factice. « Mais je ne promets pas d'être aimable avec vos invités. »

Parce que la seule chose de pire qu'un enfant de dix ans surexcité était deux enfants de dix ans surexcités. Il pouvait admettre qu'il était un peu curieux de rencontrer l'amie d'Harry mais pas au point d'être impatient de passer tout un repas à écouter deux gamins parler sans discontinuer.

« Incorrigible. » soupira Lily, avant de repartir vers la cuisine.

Potter s'attarda, la regardant partir avant de reporter son attention sur lui et de baisser la voix. « Cette fille que tu cherches… C'est celle avec qui tu dansais au bal des Malfoy ? »

Il leva un sourcil. « C'est la première fois que tu mentionnes l'avoir vue. »

Il avait pensé que l'Auror avait été trop occupé à faire des ronds-de-jambe pour obtenir sa promotion…

« C'était difficile de rater les murmures scandalisés des matrones de la bonne société. » rétorqua Potter, avec un sourire presque fier. « J'étais choqué que ce soit toi qui scandalises l'assistance, pour être franc. On fera de toi un Maraudeur, à force, tu verras. »

Severus grogna d'horreur à cette perspective mais ne se laissa pas distraire. « Et ? Tu la connais ? »

Le sourire se crispa légèrement. « J'espérais un peu que ce n'était pas elle. C'est pour ça que je n'en ai pas parlé à Lily ou que je ne l'ai pas mentionnée avant. »

« Pourquoi ça ? » demanda-t-il, en fronçant les sourcils.

« Parce que ça va faire des histoires avec Sirius. » soupira Potter. « Et que ça c'était enfin calmé entre vous. »

« Qu'est-ce que Black vient faire là-dedans ? » s'agaça-t-il. « Cesse de parler par énigmes, tu n'es pas assez intelligent pour ça. Si tu sais qui elle est… »

« Oh, je sais qui c'est… » confirma Potter, en grimaçant davantage. « C'est la cousine préférée de Sirius. »

« La cousine préférée de… » répéta-t-il, avant de s'interrompre brusquement.

Les pièces du puzzle s'emboîtèrent rapidement.

Elle n'était pas parente des Malfoy, elle était parente des Black – encore que l'un équivalait à l'autre.

La fureur de Narcissa…

Sa tante.

Sa mère s'était réconciliée récemment avec sa tante.

La santé de Bellatrix déclinait ce qui rendait Narcissa sentimentale…

Sa tante était Narcissa.

Il se souvenait vaguement du scandale, une des trois filles Black s'enfuyant avec un Né-Moldu… Ça datait d'avant son entrée à Poudlard, ce n'était qu'une rumeur de couloir… Narcissa ne l'avait jamais évoquée et Black ne mentionnait jamais sa famille…

« C'est une de mes recrues. » ajouta Potter, comme à contrecœur. « La meilleure de son groupe, pour être franc. »

Une Auror.

Il dévisagea le mari de sa meilleure amie avec une horreur qu'il ne parvint pas à contenir.

Une Auror.

Il était allé s'acoquiner avec…

« Tous les Aurors ne sont pas des brutes. » soupira l'autre homme, comme s'il lisait dans ses pensées. « Je sais que tu as eu une mauvaise expérience avec Fol'Œil… »

« Une mauvaise expérience ? » répéta-t-il, d'un ton plat. « Il m'a cassé le nez. Je ne résistais même pas. Il m'a cassé le nez et, ensuite, il a laissé ses sous-fifres me passer à tabac pour que j'avoue ce que je n'aurais pas nié, quoi qu'il en soit. Ils m'ont jeté plus de Doloris ce soir là que le Seigneur des Ténèbres en cinq ans, James. »

Il avait fallu des heures avant que Dumbledore et Potter n'arrivent et ne mettent un terme à cet interrogatoire, des heures qu'il avait passées à se dire qu'il avait survécu au Seigneur des Ténèbres et aux Mangemorts uniquement pour mourir sous les coups des Aurors sans même avoir une opportunité de s'expliquer auprès de Lily, de s'excuser. Il avait passé les trois jours précédant son procès dans une chambre de l'infirmerie de Poudlard à se remettre de l'hospitalité du Département des Aurors.

« C'était la guerre. » nuança Potter, sans grande conviction. « Et tous les Aurors ne sont pas comme ça. Je ne suis pas comme ça. Les Aurors sous mes ordres ne sont pas comme ça. Et elle non plus. C'est une Poufsouffle, tu sais. Elle a un sens de la justice très, très développé. » Il soupira. « Comme je te disais, j'espérais que ce n'était pas elle mais… Au cas où, je pensais qu'il valait mieux que tu saches avant de la revoir. Je sais que le sujet des Aurors est un sujet sensible pour toi. »

Severus se frotta le visage, soudain très fatigué.

La cousine de Black, la nièce de Narcissa, une Auror…

Cela faisait beaucoup.

Peut-être trop.

« Je ne crois pas que je devrais dîner avec vous, en fin de compte. » lâcha-t-il. « Je ne serais pas de bonne compagnie. Je devrais rentrer à Spinner's End. »

« Non, reste. » insista Potter, avec un sourire en coin. « Tu vas aimer les Tonks. »

Il n'était pas d'humeur mais lorsque Harry débarqua en courant pour lui demander si c'était vrai qu'il restait à la maison quelques jours, il ne trouva pas la force de lui gâcher son plaisir. Alors il hocha la tête et se demanda, méfiant, pourquoi Potter avait l'expression satisfaite de ses plus grosses farces à l'école.

En sachant que Severus en était généralement la victime, cela n'augurait rien de bon.

°O°O°O°O°

Il n'avait même pas pensé à demander son nom, se fustigea-t-il, en surveillant vaguement les feuilles de salade qui dansaient dans l'air.

Il avait effectué un repli tactique dans la cuisine lorsque l'heure du dîner s'était mise à approcher, sous le prétexte vaseux de préparer la salade. Il était de mauvaise humeur et n'avait aucune envie de rencontrer les amis de Lily et de Potter.

Il aurait dû lui demander son nom, se répéta-t-il, en envoyant un couteau trancher des tomates avec une torsion du poignet un peu trop brutale. Le jus éclaboussa le plan de travail de Lily.

Au moins savait-il désormais où la trouver, c'était toujours ça de gagné. Si c'était une recrue de James…

Une Auror.

La cousine préférée de Black.

La nièce de Narcissa.

Dans quel pétrin s'était-il fourré ?

La conversation avec Lucius, qu'il ne cessait de se repasser en boucle, avait pris un tour complètement différent.

La sonnette retentit. Un carillon bien trop guilleret à son goût.

Il entendit Lily ouvrir la porte, Harry accueillir son amie Dora avec excitation… Il savait qu'il aurait dû quitter la cuisine, aller se présenter, se comporter en adulte responsable et mature au lieu de se cacher là et d'y rester aussi longtemps que possible.

La voix de Potter couvrit les autres, proposant à leurs invités de passer au salon…

« Je veux te présenter mon tonton ! » s'exclama Harry, de sa voix qui portait.

Intérieurement, Severus grogna mais se prépara à être assailli par deux enfants. La gamine serait certainement dans sa classe l'année suivante, il convenait de faire une bonne première impression. Alors il prit sur lui, refoula sa mauvaise humeur et se tourna au moment où il entendit son neveu se précipiter dans la cuisine…

Seulement l'expression neutre ne demeura pas longtemps sur son visage parce que ce n'était pas une fillette de son âge qu'Harry tirait par la main mais une adulte.

Une adulte aux cheveux roses et à la robe noire un brin trop courte qui dévoilait des jambes galbées par un collant opaque que des bottes épousaient jusqu'aux genoux.

Le choc de la voir là, en chair et en os, alors qu'il n'y était pas prêt se disputait au saisissement de sa tenue.

« Tonton Sev, c'est Dora. » déclara le garçon. « Dora, c'est mon tonton Sev. »

Il n'y avait aucune surprise sur le visage de la jeune femme, juste un peu de nervosité sous un amusement assumé.

Aucune surprise.

Potter, décida-t-il immédiatement. Potter avait fait quelque chose ou dit quelque chose ou… Il allait tuer Potter. Tant pis, Lily devrait vivre veuve. Il allait le tuer.

« Dora. » répéta-t-il, sans répondre au sourire de la jeune femme ou à son air ravi.

« Nymphadora. » corrigea-t-elle, son amusement un peu douché par sa froideur. « Mais personne ne m'appelle comme ça. »

Il résolut de ne plus utiliser que ce prénom à partir de maintenant.

C'était puéril sans doute. Mais elle n'était pas surprise de le trouver là et elle était la cousine de Sirius Black et Potter ne l'avait pas averti qu'elle arrivait. Tous ces avertissements et il ne lui avait pas dit qu'elle s'appelait Tonks ou qu'elle faisait partie des invités du soir.

Il n'aimait pas les soupçons qui se formaient à l'arrière de son crâne.

« Tu devrais emmener ton amie au salon, Harry. » conseilla Severus, en se détournant pour surveiller sa salade qui n'avait pas du tout besoin de lui.

« Vas-y, Harry. J'arrive tout de suite. » lâcha Nymphadora dans son dos.

Nymphadora.

Des jours à se demander et…

Severus était un idiot.

Un véritable idiot.

Il attrapa un bol dans le placard et entreprit de préparer la vinaigrette à la main, ne se faisant pas confiance pour exécuter un sortilège de cuisine avec précision. Il était un peu en colère, un peu déçu, triste peut-être, et beaucoup troublé par ces jambes qui se rapprochaient.

Elle appuya une hanche au comptoir de la cuisine. Trop proche.

Il se décala sans rien laisser paraître pour remettre entre eux une distance convenable.

« Trois fois. C'est le destin. » lança-t-elle, avec un entrain un peu trop faux.

« Est-ce vraiment le destin ou tes talents d'enquêtrice ? » rétorqua-t-il, en versant une généreuse portion d'huile dans le bol.

« Un peu des deux. » admit-elle, d'un ton désormais un peu gardé. « Je pensais que tu serais davantage content de me voir… »

Il ajouta du vinaigre au jugé, assaisonna machinalement puis envoya d'un coup de baguette saladier et bol rejoindre la table déjà dressée dans la salle à manger. Vu le bruit, ils se posèrent un peu brutalement.

Il voulut la dépasser, rejoindre le salon puisqu'il faudrait bien en passer par là…

Une main sur son bras, légère mais pourtant tellement lourde, l'arrêta.

« Sev ? » hésita-t-elle.

« Nous devrions rejoindre les autres. » coupa-t-il court, en se dégageant doucement.

Il refusa de la regarder en face, tout comme il refusa de laisser ses yeux s'égarer sur la robe moulante ou les jambes interminables. Il refusa de se demander si elle avait choisi la tenue pour lui ou si ce n'était qu'une autre version du même jeu et à quel point les Maraudeurs menaient la danse.

Dans le salon, la situation ne devint pas plus agréable.

Potter, qui avait l'air un peu trop fier de lui, déchanta rapidement lorsque la première chose qu'il fit fut de lui jeter un regard noir comme ils n'en avaient pas échangé depuis l'école. Lily, qui ratait peu de choses, fronça les sourcils, mais ni lui, ni son mari ne répondit à ses questions muettes.

Les présentations furent faites.

Ted Tonks était sympathique mais s'il avait espéré que Narcissa ait passé l'incident du bal sous silence, il fut rapidement déçu. Vu son air surpris puis immédiatement suspicieux, Andromeda Tonks n'avait pas su avec qui elle allait partager le couvert, ce soir-là, mais il était évident qu'elle avait eu des échos et que son nom ne lui était pas inconnu.

L'ambiance ne se détendit pas une fois qu'ils passèrent à table. Soit Ted n'était pas au courant, soit il se souciait moins des fréquentations de sa fille que sa femme parce qu'ils discutèrent Botanique une bonne partie du repas, avec de fréquentes déviations sur les potions. Severus ignorait Nymphadora autant qu'il était poli de le faire et bottait en touche dès que les questions d'Andromeda devenaient trop personnelles ou trop pointues. La tension montait d'un cran à chaque fois qu'il esquivait et cela arriva à un point tel que même Harry parut remarquer que quelque chose ne tournait pas rond. Lily, pour sa part, était perplexe et faisait de son mieux pour relancer la conversation qui ne cessait d'atteindre un point mort.

« Tu as bien fait de te faire inviter à dîner, Tonks. » lança Potter, dans un autre de ces silences gênés, après qu'Andromeda ait demandé à Severus s'il comptait assister au prochain bal de Narcissa avec quelqu'un.

Severus était déterminé à ne plus mettre un seul orteil aux bals des Malfoy s'il pouvait l'éviter – la réponse n'avait plu à personne.

« Te faire inviter à dîner ? » releva Andromeda, en fronçant les sourcils.

« Tonks avait très envie de dîner à la maison, ce soir. » expliqua Potter, d'un ton taquin. « Elle m'a pratiquement supplié de l'inviter. »

Severus se concentra sur son assiette, ce qui ne l'empêcha pas de remarquer que les cheveux de la jeune femme n'était plus tant roses que rouges.

Métamorphomage.

Il avait oublié ce détail qui, au demeurant, semblait bien peu important lorsqu'il était comparé au reste.

« Nymphadora ! » la gronda sa mère. « Je t'ai mieux élevée que ça… »

« Allons, Andy ! Tu sais qu'elle est toujours la bienvenue… » intervint Lily, déterminée à sauver l'ambiance de son dîner. « C'est la recrue préférée de James. »

« C'était très gentil à toi d'inviter aussi mes parents. » siffla Nymphadora, en fixant Potter d'un regard accusateur. « Surtout sans m'en parler. »

Potter se resservit un verre de vin. « Je voulais te faire la surprise. »

« James a un sens de l'humour très particulier. » intervint Severus, non sans acidité. « Mais je suppose qu'il n'est pas le seul. »

La pique fit froncer les sourcils de la jeune femme mais, avant qu'elle n'ait pu répondre, Andromeda commenta qu'il était dommage que Sirius ne soit pas là.

Potter eut le bon goût de grimacer.

Lorsque Lily offrit de passer au dessert, Severus fut le premier sur ses pieds pour proposer de débarrasser. Il craignit un peu que Nymphadora ne cherche à le suivre mais Potter fut plus rapide et s'empara des assiettes que Severus n'avait pas déjà attrapées avant que quiconque ait pu bouger, le forçant à le suivre dans la cuisine.

Il n'y avait pas fait trois pas que Potter envoyait la vaisselle sale dans l'évier d'un coup de baguette et jetait un sort de silence d'un autre.

« J'admets que j'ai invité ses parents parce que je pensais que ça serait drôle et que ça ferait une bonne farce. » lâcha l'Auror. « Je ne pensais pas que… Quand tu as dit à Lily que tu ne savais rien d'elle, je ne pensais pas que ça voulait dire rien de rien, d'accord ? Elle s'est plus ou moins invitée à dîner tout à l'heure et… Ce n'est que que j'ai fait le lien avec le bal et que je me suis dit que c'était elle… » Il se passa la main dans ses cheveux perpétuellement en désordre. « J'aurais dû te prévenir tout à l'heure mais elle voulait visiblement te faire la surprise et je pensais que ce serait une bonne surprise ! Ça fait des jours que tu la cherches ! »

Severus croisa les bras, pas dupe de ses explications. « Qui a eu l'idée de cette blague ? Black ou toi ? Est-il caché quelque part pour mieux en ricaner avec le loup ? »

Potter secoua immédiatement la tête, levant les deux mains devant lui en signe d'innocence. « Je te jure que ce n'est pas un coup monté. Je te le jure sur la tête d'Harry. »

Lily entra dans la cuisine à ce moment là, brisant la bulle de silence.

Elle les fixa du regard tour à tour, l'air sévère. « Qu'est ce qu'il se passe ? »

Severus se détourna pour attraper les assiettes à dessert, laissant Potter soupirer. « L'inconnue de Snape, c'est Tonks. »

« Mais c'est formidable ! » s'exclama Lily, aux anges. « Tu l'as trouvée ! Et elle est parfaite pour toi. Un peu jeune, d'accord, je vois ce que tu voulais dire… Mais elle… » Elle s'interrompit brusquement, semblant remarquer son manque d'enthousiasme évident et l'additionnant à la tension depuis le début du dîner. « Ce n'est pas formidable ? »

« Ce n'est pas formidable parce qu'il ne savait pas que c'était la cousine de Sirius et qu'elle était en train de terminer sa formation d'Auror. » murmura Potter. « Et qu'il n'a pas vraiment eu le temps de digérer l'information avant qu'elle ne débarque par surprise. »

« Ah. » grimaça-t-elle. « Oui, bien sûr, tu n'aimes pas beaucoup les Aurors… »

« Et surtout, il s'est mis en tête que Sirius et moi avons monté une farce pour l'humilier. » renchérit Potter. À nouveau, il leva les mains pour se défendre face aux yeux verts qui le fusillaient du regard. « Je te jure que non. Je n'ai compris que cet après-midi que c'était elle… »

« Cela n'a pas d'importance. » trancha-t-il. « Terminons ce dîner et passons à autre chose. »

Lily l'observa d'un air triste. « Mais, Sev, tu étais tellement mordu… »

« Je n'étais rien du tout. C'était ridicule. » cracha-t-il, en calant les assiettes dans les mains de Potter. « Ah, ah, Servilus est encore tombé dans le panneau. »

Ce fut le tour de Potter d'avoir l'air attristé. « Je te jure… »

« Dites-leur que je ne me sentais pas bien. » le coupa-t-il, en se dirigeant vers la porte de derrière, attrapant une cape à la patère, en chemin. Il en avait pris une au hasard, elle s'avéra être à Potter. Il faillit la jeter immédiatement mais jugea le geste puéril et s'en enveloppa tout de même pour lutter contre l'air glacial qui régnait à l'extérieur.

Il tapa des pieds jusqu'à l'abri de jardin pour tromper sa colère et se cala derrière, hors de vue des fenêtres de la cuisine, pour allumer la cigarette qui lui faisait envie depuis des heures. Lily avait des règles strictes à propos du tabac, de la maison et de Harry – ce qu'il trouvait un peu hypocrite parce qu'ils fumaient tous plus ou moins régulièrement. Black et lui étaient ceux qui se gelaient le plus souvent derrière cet abri de jardin, cependant, il fallait l'admettre, mais les autres n'étaient pas en reste. Les mauvaises habitudes étaient tenaces et contagieuses.

Le tabac ne l'apaisa pas autant qu'il l'aurait voulu mais il suspectait qu'il faudrait du temps avant qu'il ne retrouve une certaine sérénité.

Il était à la moitié de sa cigarette lorsqu'il entendit la porte de la cuisine grincer. Quelqu'un trébucha dans le jardin et marmonna un juron. Bien caché derrière l'abri de jardin, Severus ne chercha pas à regarder qui c'était.

Néanmoins, il ne fut pas surpris outre mesure lorsque Nymphadora dénicha sa cachette quelques secondes plus tard.

Son sourire était franc mais un peu incertain lorsqu'elle désigna la cigarette entre ses doigts d'un geste. « Un autre point commun. »

Il ne répondit pas, se contentant de l'observer du coin de l'œil lorsqu'elle sortit un briquet et un paquet de cigarettes d'il ne savait où. Elle n'avait pas de poches et elle n'avait pas pris la peine d'enfiler de cape.

Il supporta ses frissonnements exactement quarante-cinq secondes avant d'ôter la cape de Potter et de la lui tendre. Elle l'accepta sans chercher à discuter.

« Je ne comptais pas te tendre une embuscade avec mes parents. » grinça-t-elle. « Je sais de quoi ça a l'air mais… »

« Ce n'est pas le problème. » la coupa-t-il.

Elle fronça les sourcils, se battant un peu avec son briquet pour allumer la cigarette qu'elle venait de coincer entre ses lèvres. Le briquet en plastique avait clairement fait son temps. Un vague geste suffit à enflammer le bout.

Il ignora son regard reconnaissant.

« C'est quoi le problème, alors ? » soupira-t-elle, lorsqu'il n'ajouta rien. « Écoute, je suis désolée si tu trouves que… Peut-être que je n'aurais pas dû débarquer comme ça chez tes amis mais James a mentionné que tu serais chez eux et j'ai pensé… Je voulais te revoir. Je pensais que tu serais content. »

« Depuis quand sais-tu qui je suis ? » demanda-t-il, de but en blanc.

Elle parut décontenancée. « Quoi ? »

« Depuis quand sais-tu qui je suis ? » répéta-t-il, plus sèchement.

Elle haussa une épaule. « J'ai fait des recherches après qu'on se soit croisés l'autre jour. » Il tira sur sa cigarette, refusant de la regarder en face, même lorsqu'elle s'appuya légèrement contre l'abri de jardin pour mieux le dévisager. « Sev, je suis jeune, pas idiote. Tu venais de me dire que tu avais été un Mangemort. Évidemment que j'ai fait des recherches. Tu m'attires beaucoup mais… Quel genre d'idiote se jetterait au cou d'un ancien Mangemort juste parce qu'elle le trouve séduisant, sans au moins vérifier un minimum ses antécédents et sa réputation ? »

« Raisonné en Auror. » commenta-t-il, incapable, pourtant, de lui donner tort.

Il ne savait pas s'il était flatté ou non du reste. Ce n'était pas la première fois qu'elle sous-entendait le trouver à son goût mais cela ne voulait rien dire. Cela ne voulait rien dire si tout avait été faux du départ et…

« Pourquoi tu dis ça comme si c'était une mauvaise chose ? » s'enquit-elle, perplexe.

« Je n'ai pas le meilleur passif avec les Aurors. » lâcha-t-il. « C'est une information qu'il faut que… Comment l'as-tu formulé, l'autre jour ? Qu'il faut que je digère. »

Elle cilla, l'observant comme s'il venait de dire la chose la plus stupide du monde. Et ce n'était pas tout à fait faux. « Est-ce que tu es vraiment en train de comparer les Mangemorts et les Aurors, là ? »

Avec une mauvaise foi caractérisée, il haussa les épaules. « Et Black ? »

« Black ? » répéta-t-elle.

« Sirius. » clarifia-t-il.

Elle souffla un panache de fumée, confuse. « Quoi Sirius ? »

« Il ne t'aurait pas demandé de me mener en bateau, par exemple ? » la provoqua-t-il. « Non, parce que lorsqu'il est question de m'humilier, il y a très, très peu qui l'arrête. Se servir de sa cousine préférée ne serait pas le pire qu'il ait jamais fait, crois-moi. »

Elle l'observa, l'agacement et la colère remplaçant peu à peu la confusion sur ses traits. « C'est une vraie question ? »

Il faillit s'entêter, aller plus loin dans l'accusation, mais sentit confusément que, s'il ne pesait pas ses paroles, ce serait un nouveau Sang-de-Bourbe qu'il regretterait pendant des années.

« Tu aurais pu me le dire. » lâcha-t-il. « Black, les Aurors… Sans parler du fait que Narcissa est ta tante… »

« Comment voulais-tu que je sache que c'était important ? » rétorqua-t-elle. « Je t'ai demandé si tu étais de la famille des Malfoy, tu m'as dit non. Comment voulais-tu que je sache que tu connaissais Sirius ou que tu avais un problème avec les Aurors ? Et puis, soit dit en passant, si tu as un problème avec les Aurors, pourquoi est-ce que ton ami le plus proche en est un ? »

« Potter n'est pas mon ami. » protesta-t-il, horrifié. « Lily est mon amie. Potter… Potter est simplement… là. » Elle leva un sourcil, portant sa cigarette à ses lèvres et il fit la grimace. « Je ne suis pas un grand admirateur du chat non plus mais je fais avec. »

Cette remarque arracha un rire à la jeune femme qui sembla se détendre légèrement.

« Je ne pouvais pas savoir que c'était important, Sev. » répéta-t-elle.

Et, en toute objectivité… « Je sais. » Il s'appuya plus franchement à l'abri à jardin dans son dos, bien que la paroi soit gelée à travers son pull. « Je sais… »

« Toi non plus tu ne m'as pas tout dit. » l'accusa-t-elle, sans pourtant y mettre de réelle hostilité. « Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu avais espionné pour Dumbledore ? Pourquoi est-ce que tu m'as laissée croire que tu étais juste un Mangemort ? »

« Parce que j'étais juste un Mangemort. » Il termina sa cigarette, fit disparaître le mégot d'un sort informulé. « C'est plus compliqué que ça. »

Elle émit un bruit dubitatif. « Et le fait que tu sois l'auteur de la nouvelle potion Tue-Loup ? »

« Te dire que j'en étais l'auteur revenait à te dire mon nom et tu souhaitais garder une couche d'anonymat. » se défendit-il.

Elle souffla la fumée de sa cigarette, jeta le mégot au sol et l'écrasa du bout de sa botte avant de sortir sa baguette et de le faire disparaître.

« Tant qu'on en est à s'avouer les vérités qui fâchent… » hésita-t-elle. « Je suis Métamorphomage. »

« Harry me l'a dit. » avoua-t-il, en glissant les mains dans les poches de son jean pour les réchauffer. Il faisait trop froid pour s'attarder trop longtemps dehors sans cape ou manteau. Il pouvait jeter un sort pour se réchauffer mais il n'était pas certain de vouloir poursuivre la conversation.

« Et ? » pressa-t-elle. « Parce que ce n'est pas du goût de tout le monde. »

« Et je préférerais que tu sois juste Métamorphomage et pas une Métamorphomage Auror. » grommela-t-il.

La rancune, la méfiance et l'agacement qu'il avait ressenti fondirent un petit peu plus lorsque son rire éclata à nouveau. Il se sentit ramollir à l'intérieur et ce n'était pas bon. Ce n'était pas…

« Je promets de ne jamais te passer les menottes, sauf si tu me le demandes. » plaisanta-t-elle. « Ça te va comme ça ? »

Il émit un vague bruit qui pouvait être pris comme un assentiment.

Elle se rapprocha d'un pas puis s'immobilisa comme s'il était un animal sauvage qu'elle essayait d'apprivoiser. Comme il ne chercha pas à s'enfuir, elle se mit à tirer gentiment sur le bas de son pull-over noir.

« Severus. »

Il s'était habitué à l'entendre l'appeler Sev et son nom complet, sur ses lèvres, lui fit un effet inattendu. Il prétendit que c'était le froid qui l'avait fait frissonner.

« Nymphadora. » répondit-il sur le même ton.

Elle retroussa immédiatement le nez. « Non. Absolument pas. Tu peux m'appeler Dora ou Tonks, comme tout le monde. »

« Je ne suis pas tout le monde. » riposta-t-il.

« Alors tu peux m'appeler ta déesse ou ton astre suprême. » le taquina-t-elle. « Mais en aucun cas Nymphadora. »

« Mon astre suprême ? » releva-t-il, amusé malgré lui.

« J'ai toujours voulu être l'astre suprême de quelqu'un. » répondit-elle très sérieusement – ou aussi sérieusement que l'on pouvait l'être lorsque l'on se retenait de rire. « J'ai lu ça dans un livre, un jour. »

« Je peux deviner sans mal quel genre de livre. » ironisa-t-il.

Elle tira un peu plus fort sur son pull, osa se rapprocher d'un autre pas. « C'était un livre très instructif. »

« Je n'en doute pas. » se moqua-t-il.

Un autre pas l'amena tellement près qu'il pouvait sentir la chaleur de son corps. Et il faisait tellement froid que c'était bienvenu.

« Severus ? »

Il dut faire un effort pour réprimer un sourire. « Oui, Nymphadora ? » Elle lâcha le pull pour lui taper le ventre et il ravala un ricanement. « Pardon, oh mon astre suprême. »

« Tu as fini de bouder ? » demanda-t-elle, un peu plus sérieusement.

Sa fierté se froissait généralement pour moins que ça mais c'était compliqué de s'irriter lorsqu'elle s'appuyait davantage contre lui de seconde en seconde et qu'il sentait les rondeurs de sa poitrine contre son torse.

« C'est compliqué. » répondit-il honnêtement, mettant de côté leur flirt quelques instants. « Nous deux… Ce serait beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. »

Et il y avait déjà eu pas mal d'obstacles, du moins dans sa tête, avant qu'il ne découvre tout ça.

« Décidément, tout est compliqué avec toi, ce soir. » soupira-t-elle, en glissant une main sous son pull. Il sentit la chaleur de sa paume à travers le fin tee-shirt qu'il portait dessous. Elle caressa son ventre, remonta le long de son sternum, vola sa respiration au passage… « Ça c'est compliqué ? » Incapable de prononcer un mot, il secoua la tête à la négative. Elle se pressa plus près, déposant un baiser sous sa mâchoire. « Et ça, c'est compliqué ? » À nouveau il nia d'un coup de tête. Elle souriait ouvertement, comme le chat qui savait qu'il tenait la souris. Cela lui était égal d'être une souris si c'était entre ses griffes que l'attendait son destin. Ses lèvres effleurèrent les siennes. « Et ça ? »

Sa voix n'était qu'un murmure.

Dans le lointain, une chouette hululait.

Sans attendre sa réponse, elle glissa la main le long de sa cage thoracique, descendit plus bas. Le souffle court, Severus aspira une goulée d'air lorsqu'elle effleura la bosse de son jean.

« Ça non plus ça n'a pas l'air très compliqué. » remarqua-t-elle.

« Nymphadora. » grogna-t-il, sans savoir s'il voulait la gronder ou l'encourager.

« Quoi ? » Son air innocent n'aurait convaincu personne. « Je te prouve simplement que ça peut être très, très facile, au contraire… Et ne m'appelle pas comme ça. »

Incapable de se contenir plus longtemps, il passa un bras autour d'elle et échangea leur position, la plaquant contre la paroi de l'abri de jardin. Elle laissa échapper un petit cri de surprise, probablement parce que le bois était gelé, qu'il se fit un plaisir d'avaler en capturant sa bouche. Elle passa un bras autour de son cou, continua à explorer son torse de l'autre main… Il n'était pas en reste. Ses mains s'égarèrent dans le creux de son dos… Plus bas…

Elle émit un bruit approbateur lorsqu'il caressa le galbe de ses fesses, gémit presque lorsqu'il atteignit le haut de ses cuisses… Le bout de ses doigts s'aventurèrent sous l'ourlet de sa robe, suivant le collant qui…

« Sev. » murmura-t-elle contre ses lèvres. « Sev. » répéta-t-elle, avec urgence. « J'ai très envie. Mais il fait froid et mes parents sont probablement en train de se demander où je suis et ce que je suis en train de faire. »

Il lui fallut plusieurs secondes pour faire sens de ses mots, pour se rendre compte qu'elle avait entièrement raison et que… Vraiment, il ne comptait pas fait ça dehors, à la va-vite contre un mur. Il reposa ses mains sur sa taille, vola tout de même un dernier baiser, soulagé lorsqu'elle y répondit avec abandon…

« Pardon. »

Sa voix était rauque de désir et il se racla la gorge sans parvenir à s'en départir.

Son rire était léger et ses lèvres cherchèrent à nouveau les siennes pour un baiser brûlant. « Ne me demande pas pardon, j'en ai autant envie que toi. »

Il grogna et enfouit le visage dans son cou, respirant son odeur à pleins poumons. Il voulait la graver dans sa mémoire. S'en souvenir lorsqu'il se mettrait au lit plus tard et… « Tu ne m'aides pas, Nymphadora. »

« Ne m'appelle pas Nymphadora. » le gronda-t-elle, sans véritablement y mettre de conviction.

« C'est le prénom le plus sexy que j'ai jamais entendu. » osa-t-il marmonner contre son cou.

Elle ne protesta plus après ça.

Néanmoins, il fallut plusieurs autres baisers avant qu'ils ne parviennent à s'arracher à leur cachette. Severus fit un effort pour se composer une expression plus neutre que le sourire idiot qui voulait prendre racine sur ses lèvres.

Les autres avaient fini leur dessert depuis longtemps et s'étaient installés au salon pour un café ou un thé – ou, dans le cas d'Harry, un chocolat chaud. Il sembla à Severus que tout le monde dans cette pièce, à l'exception de son neveu, savait ce qu'ils avaient été en train de faire. Andromeda les regardait avec désapprobation et même Ted, qui jusque là avait été tout ce qu'il y avait de plus amical, paraissait soudain beaucoup moins affable. Cela n'aidait pas que Potter s'étouffe de rire dans sa tasse de café ou que Lily paraisse incapable de ramasser sa mâchoire.

Nymphadora, quant à elle, s'assit près de Harry avec aplomb et se mit à discuter avec lui comme si de rien n'était. Ses cheveux roses étaient un peu ébouriffés, sa robe remontait un peu trop haut sur ses jambes et le rouge sur ses joues, imputable au froid, ne semblait pas vouloir disparaître.

Elle était exquise.

Et Severus était fasciné.

Il se racla la gorge et se vit contraint de commenter le temps effroyable qu'ils avaient eu récemment.

Les minutes avant que les Tonks ne partent semblèrent interminables et trop courtes tout à la fois parce que, malgré toutes ses tentatives, Severus ne parvint pas à trouver d'excuse pour se retrouver seul à seule avec la jeune femme. Ted lui broya presque la main en le saluant. Quant à Andromeda, elle le regardait d'un sale œil.

Oui, songea Severus, résigné, ses parents étaient persuadés qu'il l'avait dévergondée dans le jardin.

Et, vu la claque que Lily lui asséna sur l'épaule dès que Potter eut fermé la porte d'entrée derrière eux, ils ne devaient pas être les seuls.

« Maman ! » protesta Harry, choqué. « Pourquoi est-ce que tu tapes tonton Sev ? »

« Parce que tonton Sev a fait des bêtises dans le jardin. » siffla Lily, d'un ton accusateur.

« Je n'ai rien fait dans le jardin. » rétorqua-t-il, sur le même ton.

« Harry, dis à tonton sev qu'il est tout débrayé. » se moqua Potter.

Severus baissa immédiatement les yeux, nota que son tee-shirt dépassait effectivement de sous son pull parce qu'il n'était plus rentré dans son jean. Il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux et se dépêcha de remettre de l'ordre dans ses vêtements.

La seconde claque de Lily, il ne chercha même pas à l'esquiver mais il jeta un regard noir à Potter qui riait assez fort pour se tenir le ventre.

« Allez, viens, champion. C'est l'heure de se mettre en pyjama et d'aller au lit. » déclara l'Auror, en entrainant le garçon perplexe vers l'escalier qui menait à l'étage.

Resté seul avec sa meilleure amie, Severus se frotta le visage. « Ce n'est pas du tout… Il ne s'est rien passé. »

« J'espère, parce qu'il fait froid. » remarqua Lily. « Tu ne te serais sans doute pas présenté sous ton meilleur jour. »

Choqué, il rougit de plus belle. « Lily ! »

Elle éclata de rire mais l'observa avec une affection visible. « Je ne vais pas te demander si vous vous êtes réconciliés… »

« Nous ne nous étions pas disputés. » grommela-t-il.

« Non, tu faisais juste ta tête de cochon. » l'accusa-t-elle, en luttant contre un sourire.

Il haussa les épaules, refusant de lui accorder la chose, mais toute sa bonne humeur ne tarda pas à retomber comme un soufflet.

« Narcissa va me tuer. » lâcha-t-il, avant de grimacer. « Si Andromeda ne le fait pas avant. Les sœurs Black sont terrifiantes. » Il émit un bruit plus agacé. « Et Black sera un problème. »

« Oh, laisse-nous Sirius, à James et à moi. On va s'en occuper. » promit Lily.

Elle avait pris son ton le plus menaçant.

Cela contribua à le rassurer légèrement.

°O°O°O°O°

Severus attendait dans la petite rue adjacente à l'artère principale du Chemin de Traverse, moins patiemment qu'il ne l'aurait voulu. Il était en avance et, les mains dans les poches de sa cape pour les préserver du froid, il étudiait sans les voir les vitrines des boutiques qui faisaient face à l'imposante maison dans son dos.

Tu m'as promis une danse, avait clamé le parchemin qu'il avait reçu ce matin-là, au petit-déjeuner, suivi d'une adresse et d'une heure.

Il n'avait pas été surpris que l'adresse le mène droit à un club de duel.

Ce n'était pas le plus exclusif de Londres, il n'était jamais entré dans celui-ci. Il était membre de l'autre, le plus exclusif, qui ne l'avait accepté que parce que Lucius avait fait les présentations et parce qu'il n'avait fallu que deux minutes au propriétaire à l'observer se battre pour décréter qu'il pouvait venir quand il voulait.

Peut-être pourrait-il l'y emmener, décida-t-il, si tout se passait bien ce jour-là et qu'elle souhaitait le revoir.

Lily l'avait rendu nerveux dès que le hibou inconnu avait tapé au carreau de la cuisine. Un premier rendez-vous c'est important, n'avait-elle cessé de répéter, en critiquant tout de sa tenue à ses manières. Même Harry avait fini par le prendre en pitié et lui glisser un croquis de trèfle à quatre feuilles dans la poche – pour lui porter chance.

Il était simplement reconnaissant que Potter soit déjà parti au travail avant tout ce cirque.

Mais, voilà, à présent il était nerveux, la tête pleine de tout ce que Lily avait conseillé ou déconseillé et se demandant surtout si cela comptait comme un premier ou un second rendez-vous étant donné le parc.

Il se demandait aussi si…

« Salut ! »

Seule une maîtrise parfaite de ses réflexes l'empêcha de sursauter. Il tourna les yeux de la vitrine de la pâtisserie qu'il avait regardée sans voir et se demanda si, un jour, elle cesserait de lui couper le souffle.

Le jean déchiré par endroits épousait ses formes comme une seconde peau, le haut bleu faisait ressortir ses yeux et le large et épais gilet noir qu'elle portait par-dessus était le parfait compromis entre modes sorcière et moldue. Elle avait attaché ses cheveux en une queue de cheval haute et quelques mèches roses cascadaient autour de son visage.

« Bonjour. » répondit-il, sans savoir s'il avait le droit de…

Elle prit la décision pour lui, en attrapant sa cape et en l'attirant dans un baiser. Il n'avait pas pour habitude de faire ce genre de choses en public mais il n'y avait pas tant de gens dans la petite rue et puis…

Lorsqu'il rouvrit les yeux, elle souriait, les yeux pétillants. « Tu es prêt à te faire battre ? »

Il émit un bruit amusé. « Nous verrons. »

Elle glissa sa main dans la sienne comme si c'était tout à fait naturel et l'entraîna vers le club de duel. « Tu es déjà venu, ici ? »

« Non. » répondit-il, curieux du hall d'entrée au carrelage en damier. Un sorcier en uniforme et qui paraissait s'ennuyer ferme derrière son comptoir se redressa immédiatement à leur arrivée.

Visiblement, elle venait suffisamment souvent pour être connue parce que, après avoir échangé quelques politesses d'usage avec l'employé, elle lui demanda s'il y avait un terrain de libre dans la salle commune.

« Y a-t-il des terrains privés ? » intervint-il, avant que le sorcier n'ait pu leur indiquer un numéro.

Ce genre de club étaient tous pareil. Il y avait généralement plusieurs grandes salle avec quelques terrains de duel dont le but était de voir et se faire voir. Les duels attiraient toujours un public et Severus voulait être tranquille avec elle, il n'avait pas envie de s'exhiber.

« Les salles privées sont réservées aux champions en titre. » expliqua l'employé, d'un ton un peu plus guindé. « Pour des questions de sécurité. »

Il avait posé la main sur un épais registre qui se mettait probablement magiquement à jour.

« Severus Snape. » lâcha Severus.

Après une seconde d'hésitation, le sorcier ouvrit son livre à l'encre dorée et Severus se désintéressa de lui pour jeter un coup d'œil à Nymphadora qui l'observait avec un amusement certain.

« Qu'y a-t-il ? » s'enquit-il, avant de se rendre compte qu'il avait peut-être outrepassé les bornes. Peut-être souhaitait-elle utiliser les salles publiques précisément parce qu'il y aurait d'autres personnes. Il voulut se rattraper, très maladroitement. « Nous ne sommes pas forcés d'utiliser un terrain privé si cela te met mal à l'aise d'être seule avec moi. »

Le bruit moqueur qu'elle émit à cette idée était rassurant et lui fit plaisir.

« Je remarque juste que Monsieur est une célébrité. » le taquina-t-elle. « Ça fait des années que je viens ici et je n'ai jamais eu le droit à un terrain privé… »

« T'es-tu jamais lancée dans les compétitions ? » demanda-t-il curieusement, au moment précis où le sorcier trouvait son nom dans le registre et devenait immédiatement un peu plus obséquieux.

Il les mena vers un terrain privé, à l'étage, sans plus chercher à discuter.

Severus et Nymphadora le suivirent, un peu en retrait, pour continuer leur conversation sans avoir l'impression d'être épiés.

« Un peu, en junior, mais plus depuis Poudlard. » répondit-elle. « Pas le temps. La formation d'Auror demande un investissement à cent pour cent. » Il fit un effort certain pour ne pas grimacer à la mention des Aurors, ce qu'elle dut remarquer parce qu'elle lui donna un petit coup de coude réprobateur. Son sourire démentait tout agacement, cependant. « Et toi ? Tu fais toujours des tournois ? »

Le sorcier venait de leur ouvrir une salle de duel privée qui était tout à fait convenable bien qu'elle ne soit pas à la hauteur de celles du club que Severus fréquentait d'ordinaire. L'endroit était simple, le terrain dessiné au sol, de grandes fenêtres donnaient sur la rue et laissaient entrer la lumière… Pour répondre, il attendit que l'employé zélé disparaisse, après qu'ils aient refusé sa proposition de leur envoyer un arbitre.

« Plus depuis quelques années. » offrit-il, en ôtant sa cape. « Mes recherches occupaient la majorité de mon temps. »

Et il n'était rentré dans la compétition que par hasard. Lily et Lupin l'avaient plus ou moins forcé, un jour, à les accompagner à un tournoi où Potter et Black avaient décidé de participer. Il s'était tant moqué d'eux en chemin que Potter avait fini par l'inscrire, pour lui clouer le bec. Les Maraudeurs n'avaient pas l'habitude de l'affronter un contre un, cependant, et Severus les avait laissés dans la poussière, l'un après l'autre – et les autres candidats avec.

S'il avait eu peur que se battre ainsi lui rappelle la guerre, il était vite passé au-delà de tout ça. Les duels étaient codifiés, presque rigides dans leurs règles. C'était un monde totalement des différents des combats réels.

Il y avait trouvé un défouloir et Lucius n'avait été que trop heureux de lui permettre d'aller plus loin dans les compétitions. Il avait recroisé le Professeur Flitwick au hasard d'un tournoi, un jour, et n'avait pas éprouvé de rancune à ce que son ancien enseignant ne le batte. Il avait, après tout, une réputation. S'incliner face à Flitwick n'était pas honteux.

« Ah, donc tu es rouillé. » plaisanta-t-elle, en pendant son gilet au portemanteau sur lequel Severus venait d'accrocher sa cape.

« À ta place, je ne me ferais pas trop d'illusions. » rétorqua-t-il, une touche d'humour dans la voix.

« Confiant. » commenta-t-elle, en étirant les bras au-dessus de sa tête pour s'échauffer. Le haut bleu à manches courtes glissa légèrement sur son épaule, dévoilant sa clavicule. Les yeux de Severus s'y rivèrent comme attirés par des aimants. « Peut-être trop. »

Il leva un sourcil. « Si les distractions déloyales sont autorisées… »

Il ôta son pull avec plus d'aplomb qu'il n'en ressentait. Il ne s'était pas encore suffisamment agité et la grande pièce n'était pas suffisamment chauffée pour qu'il n'ait pas immédiatement la chair de poule.

Il n'avait pas de muscles saillants ou d'abdominaux à proprement parler, pas comme Potter ou Black, mais ce n'était pas pour ça qu'il n'avait pas de muscles. Il avait peut-être renoncé aux tournois en Allemagne mais pas aux entraînements. Cela lui vidait la tête… et gardait son corps en forme.

Un duelliste n'avait pas besoin de force brute mais de souplesse et de subtilité.

Ce qui n'empêcha pas la jeune femme de se laisser distraire par les bras fins mais fermes qu'il venait de découvrir.

« Joué comme un Serpentard. » déclara-t-elle.

« Aurais-je omis de te prévenir que j'étais un Serpentard ? » ironisa-t-il.

Elle soupira. « Évidemment. Serpentard, Poufsouffle… C'est presque une tradition familiale. »

Il voulut lui demander ce qu'elle entendait par là lorsque les yeux gris accrochèrent l'ombre morte à l'intérieur de son poignet gauche. La bonne humeur de Severus s'évapora immédiatement et il la couvrit par réflexe de son autre main.

« Je peux remettre mon pull si cela te gêne. » offrit-il maladroitement.

Il l'entendit se rapprocher, n'osa pas relever le regard du sol.

Une main attrapa la sienne, dégagea la Marque…

« Ça fait partie de toi. » répondit-elle. Il tressaillit comme si elle l'avait frappé. « Non, Sev… Je voulais dire… Tu as ton passé, c'est comme ça. » Elle couvrit la Marque de sa main. « Tu n'es pas obligé de le cacher pour moi. »

Il lui avait fallu longtemps pour laisser les autres le convaincre qu'il n'était pas forcé de porter des manches longues tout le temps. La Marque était quasiment effacée, ce n'était plus qu'une cicatrice… Mais une cicatrice dont il aurait toujours honte.

« Si je pouvais revenir en arrière, je ferais des choix très différents. » murmura-t-il, parce qu'il semblait important qu'elle le sache.

« Je le sais. Ou je le devine. » promit-elle, avant de lui voler un baiser. « Allez, viens… Je vais te rabattre le caquet… »

Elle s'échappa avec un petit rire et il la suivit sur le terrain de duel, amusé malgré lui et impressionné par sa confiance en elle.

Ils se saluèrent comme le voulait la tradition, bien qu'avec un brin de provocation de sa part à elle, sortirent leurs baguettes et se lancèrent.

Severus avait souvent constaté qu'affronter quelqu'un en duel était une manière accélérée d'apprendre à le connaître. La manière dont une personne se battait, sa capacité à garder son sang-froid… Tout ça en disait long sur elle.

S'ils échangèrent d'abord quelques passes tranquilles pour se mettre en jambe et juger le niveau de l'autre, ils ne tardèrent pas à se lancer dans un vrai duel.

Elle n'était pas mauvaise. Pas mauvaise du tout. Elle était même plutôt douée.

S'il retint ses coups au début, soucieux de ne pas la blesser, il ne tarda pas à se donner au maximum. Lorsqu'un adversaire était doué, c'était un manque de respect de ne pas lui offrir de se battre à fond.

Peut-être était-il en effet un peu rouillé parce que s'il remporta la première manche, elle gagna la deuxième avec une utilisation créative d'un sortilège de métamorphose… Elle l'avait pris par surprise, cependant, et on ne l'avait pas deux fois par surprise.

Il emporta le troisième duel.

Elle n'était pas mauvaise perdante et elle accepta la main qu'il lui tendit pour l'aider à se relever, en riant un peu. Elle ne lâcha pas la main non plus et ne chercha pas à quitter son espace, qu'elle venait d'envahir.

Ils étaient sueur, grisés par la précision de la magie qu'ils venaient de dépenser et débordaient d'adrénaline.

Il ne fut pas surpris qu'elle glisse une main sous son tee-shirt, au creux de ses reins. Ses yeux brillaient. De bonheur. D'autre chose aussi.

« Il me semble que selon les termes du pari, tu as gagné une autre danse. » lui rappela-t-elle, en pressant davantage son corps contre le sien.

Il passa un bras autour d'elle par réflexe, posa son autre main sur sa joue, retraçant du pouce la ligne de sa pommette. Ses paupières tombèrent légèrement comme si elle luttait pour ne pas fermer les yeux, son souffle se bloqua dans sa gorge…

S'il y avait un seul doute qu'elle avait envie de…

« Je ne suis pas pressé. » offrit-il, bien que cela soit un mensonge éhonté. Appuyée contre lui comme elle l'était, elle devait bien le sentir. « Je peux attendre. Nous avons tout le temps du monde. »

Elle rouvrit les yeux pour l'étudier, sourcils légèrement froncés. « Est-ce que tu essayes d'être galant ou est-ce que tu veux vraiment attendre ? »

Il ouvrit la bouche, la ferma… « Je ne suis guère doué en galanterie, semble-t-il. »

Son rire

S'il avait pu en capturer le son et le mettre en bouteille…

Puis, elle l'embrassa et tout le reste disparut.

Il n'existait qu'elle, la chaleur de son corps, sa bouche contre la sienne…

Severus n'était pas certain de comment ils parvinrent à ôter les mains l'un de l'autre suffisamment longtemps pour quitter le club de duel, encore moins de comment elle parvint à les faire transplaner jusqu'à chez elle sans les désartibuler…

Il ne vit rien de l'appartement.

À la seconde où ils furent seuls, ils s'embrassèrent à nouveau. Les baisers étaient tour à tour agressifs et fiévreux. Impatients. Leurs mains luttaient contre le tissu, les ceintures, les lacets…

Il avait vaguement conscience d'être mené dans une autre pièce mais était totalement distrait par le soutien-gorge qu'il venait de dévoiler. La dentelle noire contre sa peau pâle. La rondeur de ses seins sous les bonnets délicats.

Ils buttèrent contre quelque chose de solide.

Severus ne leva les yeux que suffisamment longtemps pour confirmer que c'était bien un lit, la seconde suivante, il l'avait poussée sur le matelas et arrachait les maigres remparts de tissus qu'elle portait encore.

« Severus… » souffla-t-elle.

Allongée sous lui, offerte… Elle était si belle que…

Il fit un effort pour maîtriser la partie primaire de son cerveau qui avait pris le dessus, ralentit ses caresses, prit le temps d'explorer correctement.

Il voulait embrasser chaque centimètre carré de son corps.

Et si cela la rendit impatiente, eh bien… Il la força à composer avec, l'embrassant partout sauf là où elle voulait qu'il l'embrasse, s'amusant de son souffle trop rauque, des ongles qui le griffaient dans la précipitation, de la frustration dans ses piètres tentatives pour le tirer plus haut, pour qu'il recouvre son corps du sien…

Elle cria lorsqu'il referma les dents sur la pointe dure de son téton. Un mélange de plaisir et de soulagement qui le firent sourire, le poussèrent à répéter la torture avec son autre sein, à alléger encore ses caresses jusqu'à ce qu'elles soit à peine perceptibles…

« Je vais te tuer. » le menaça-t-elle, en levant la tête pour mieux le fusiller du regard. « Je te jure que si tu continues, je vais te tuer. »

Il leva un sourcil face à cette menace on ne peut plus sérieuse et, humble esclave de ses désirs, entreprit de tracer un sillon de baisers brûlants le long de son ventre. Lorsqu'il attrapa ses cuisses, elle écarta les jambes avant qu'il ait pu ajuster sa position. Il ricana contre son aine.

« Ce n'est pas drôle ! » protesta-t-elle.

Il y avait un demi-sanglot dans sa voix. De frustration ? De plaisir ? Des deux mêlés ?

Il se fit pardonner d'un coup de langue.

Il aurait pu jouer avec ses nerfs un peu plus longtemps mais il la prit en pitié. S'il y avait une chose pour laquelle il savait être bon au lit…

Au bout de quelques minutes, elle s'arc-bouta avec un bruit étouffé, sans qu'il ne cesse ses attentions pour autant. Il lui fallut un moment avant de se convaincre de la laisser tranquille. Il retraça des lèvres le même chemin qui l'avait emmené vers le bas, embrassa sa poitrine, et se laissa finalement tomber à côté d'elle, caressant son ventre.

Il devait se reposer pleinement sur l'occlumencie pour ignorer son érection mais elle avait encore le souffle court et les yeux dans le vague or il n'avait pas pour habitude de prendre ce qui n'était pas pleinement donné. Appuyé sur le coude, la tête dans sa main, l'autre traçant des runes au hasard sur sa peau, il l'observa tandis qu'elle redescendait de son orgasme.

Après quelques secondes, elle tourna la tête pour l'enfouir dans son épaule.

« Wow. » lâcha-t-elle.

Ce fut son tour de ricaner.

Cela ne faisait jamais de mal à l'égo de se voir ainsi flatter.

Elle le poussa un peu pour le punir de cette réaction purement masculine mais se tourna sur le côté, lui faisant face, pour passer une jambe encore tremblante par-dessus sa hanche.

Ses propres doigts se crispèrent sur sa taille.

L'Occlumencie avait ses limites.

« Nymphadora… » murmura-t-il, la voix trop rauque.

Il sentit les doigts de la jeune femme se glisser entre eux et ferma les yeux lorsqu'elle le prit en main. Il pressa le front contre le sien, la respiration rendue anarchique par le rythme de ses caresses… Il se serait contenté de ça, de ses doigts qui allaient et venaient, trouvant la bonne cadence, la bonne pression, apprenant…Mais lorsqu'elle ajusta sa jambe, le guida vers elle…

Il l'entendit jeter un sort contraceptif mais était trop perdu dans les sensations pour y ajouter le sien. Il lui faisait confiance, de toute manière.

Il s'enfonça en elle lentement, la position peut-être pas idéale pour une première fois, mais si intime que… Les baisers brûlants avaient cédé la place à quelque chose de plus tendre, de plus… Lorsqu'elle l'encouragea à bouger les hanches, il eut l'impression de se perdre complètement en elle.

Il aurait été incapable de dire combien de temps ils restèrent ainsi, à fuir le plaisir juste pour prolonger un peu l'instant…

Lorsque, vraiment, Severus fut incapable de tenir plus longtemps, il la fit doucement basculer sur le dos, sa main caressant sa cuisse pour remonter davantage sa jambe, la guider jusqu'à ce que…

Il avala son petit cri d'un baiser, passa une main entre eux pour être certain qu'elle y trouverait son compte alors même qu'il peinait à garder un rythme régulier, déjà emporté par la brume de plaisir qui ne tarderait pas à…

Son corps céda avant celui de sa partenaire.

Confusément, alors que ses hanches continuaient mécaniquement à onduler, au-delà de toute conscience, il sentit sa main remplacer la sienne. Il n'avait toujours pas repris ses esprits lorsqu'elle le suivit dans les bras du plaisir.

Il bascula sur le dos et l'emporta avec lui, ne voulant pas l'écraser de son corps trop gourd.

Elle se blottit contre lui sans un mot, son souffle roulant sur sa gorge…

Severus ferma les yeux.

Quelques secondes, se dit-il, juste le temps de récupérer…

°O°O°O°O°

Il se réveilla sans avoir eu conscience de s'être endormi alors qu'elle revenait dans la chambre. Il ne pouvait pas avoir sombré plus d'une poignée de minutes. Elle lui sourit en croisant son regard et revint se glisser dans le lit. Il enroula immédiatement un bras autour d'elle mais tira sur le tee-shirt qu'elle avait enfilé – son tee-shirt.

« Des vêtements… » murmura-t-il, avec amusement. « Quelle idée. »

Étouffant un petit rire, elle le fit passer par-dessus sa tête sans discuter et revint se blottir contre lui, à nouveau nue. Il roula sur le côté, trouva sa bouche… Les baisers étaient moins empressés, plus apaisés… Il embrassa son front, la laissa explorer son corps du bout des doigts comme elle n'en avait pas encore eu le temps…

À la lumière pâle du soleil hivernal qui filtrait par la fenêtre, il était impossible pour elle de manquer les cicatrices.

Severus détourna le regard, anticipant déjà des explications qu'il n'aimait pas donner, mais elle ne posa pas de questions. Quelque chose brillait dans ses yeux gris. Quelque chose de dur, un peu protecteur peut-être, mais elle ne fit aucun commentaire alors même que ses doigts retraçaient, encore et encore, une des plus vieilles balafres blanches sur son dos.

Il détourna son attention en pressant des baisers dans le creux de sa gorge, découvrit avec amusement qu'elle était chatouilleuse, et s'amusa un moment à la torturer simplement pour l'entendre rire. Elle ne se débattait pas bien fort.

« Quoi ? » demanda-t-elle, en souriant doucement, lorsqu'il eut accédé à ses suppliques et cesser de la chatouiller. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? »

Parce que tu es belle, aurait-il voulu répondre. Les mots étaient sur le bout de ses lèvres. Cependant, il se sentait déjà étrangement mis à nu et il préféra botter en touche.

« Il y a quelque chose de décadent à traîner au lit en plein après-midi. » s'entendit-il dire.

Son expression était plus qu'amusée.

« Il va falloir qu'on travaille sur ta définition de la décadence. » décréta-t-elle, en le faisant basculer sur le dos. La seconde suivante, elle était à cheval sur ses cuisses. « On va commencer tout de suite. Parce que ne crois pas que j'ai oublié ton petit jeu de tout à l'heure… »

Ses lèvres se posèrent sur son cou, ses dents attaquèrent sa pomme d'Adam et, d'accord, peut-être que c'était moins amusant lorsqu'on était la victime de ce petit jeu, que… Mais Severus ferma les yeux et se laissa faire. De toutes les tortures qu'il avait subies dans sa vie, celle-ci était la meilleure.

Ou peut-être pas, décida-t-il lorsqu'elle le prit dans sa bouche. Celle-ci était la meilleure. Parce qu'elle s'appliquait à le rendre fou et…

« Nymphadora… » s'étrangla-t-il, au bout de ce qu'il pouvait supporter.

Miséricordieuse, elle le laissa atteindre son plaisir et, après avoir marmonné un sort de nettoyage, revint se blottir contre son flanc pendant qu'il reprenait sa respiration.

« Je ne t'ai pas interdit de m'appeler comme ça ? » soupira-t-elle, sans y mettre suffisamment de sérieux pour qu'il y songe.

« Dans ce genre de circonstances, je veux bien t'appeler mon astre suprême. » marmonna-t-il, dans un demi-ricanement encore un peu euphorique.

« Ah, tu vois… » triompha-t-elle, en appuyant le menton dans le creux de son épaule pour mieux l'observer. « Je savais que ce livre était instructif. »

Son rire le prit par surprise.

Il riait rarement comme ça, ouvertement, à en perdre le souffle.

Mais, après tout, cela semblait logique.

Le souffle, elle le lui avait volé à la première seconde.

°O°O°O°O°

Appuyé à la fenêtre du salon, Severus observait le ballet de voitures dans la rue. Londres ne dormait jamais mais c'était particulièrement vrai dans la partie Moldue et elle ne paraissait pas habiter un quartier très calme. Il n'avait aucune idée d'où ils étaient, il aurait dit Camden ou pas très loin…

Un des lampadaires de l'autre côté de la rue était cassé et il n'avait pas pris la peine d'allumer la lumière en se glissant dans le salon, la pénombre était donc épaisse. Il porta le verre d'eau à ses lèvres, son attention sur la rue en-dessous. Il n'était pas du tout surpris qu'elle ait choisi de s'installer dans la partie Moldue de la ville ou que son appartement semble un mélange hétéroclite de magie et de technologie. Faire cohabiter les deux était souvent compliqué mais elle semblait avoir trouvé le bon équilibre. Il la comprenait, c'était également comme ça qu'il vivait à Spinner's End et tous les appartements qu'il avait sélectionnés pour les visites étaient également dans des zones Moldues. Cela paraissait plus sage à sa paranoïa.

Il entendit le bruit dans la chambre, l'entendit marmonner un juron lorsqu'elle se cogna sur quelque chose…

Une minute plus tard, il sentit des bras se refermer autour de sa taille, trois baisers paresseux être pressés contre son omoplate.

« Je croyais que tu étais parti. » marmonna-t-elle.

Il émit un bruit amusé. « Sans dire au revoir ? »

Il la sentit hausser vaguement les épaules et se presser davantage contre lui, comprit instinctivement qu'elle n'aurait pas trop apprécié qu'il se sauve comme un voleur… Il posa le verre encore à moitié plein sur la première surface plate qu'il trouva – une étagère pleine de livres qu'il comptait explorer plus tard – et se tourna dans le cercle de ses bras. Elle enfouit immédiatement le visage contre son torse.

Encore à moitié endormie, ses cheveux roses un peu en bataille, le corps chaud et alangui par le sommeil, elle semblait trop vulnérable, loin de la tornade qui avait chamboulé sa vie.

Il glissa les doigts dans ses cheveux, les repoussa gentiment en arrière, l'obligeant à décoller son visage de son torse. Elle leva la tête vers lui avec un grognement de protestation.

« Tu as l'air épuisée. » commenta-t-il, avec un demi-sourire.

Une voiture de police passa dans la rue et le salon fut brièvement éclairé de lueurs dansantes rouges et bleues.

« Quelqu'un m'a défiée trois fois en duel et ne m'a pas épargnée. Puis, ce même quelqu'un a passé la journée à me faire l'amour jusqu'à ce que je ne puisse plus garder les yeux ouverts. » rétorqua-t-elle.

« Ce quelqu'un semble impitoyable. » ironisa-t-il.

Il avait toujours les doigts dans ses cheveux, soutenait plus ou moins la tête qu'elle hocha avec ferveur. « Complètement impitoyable. »

« Cruel, presque. » renchérit-il.

Un sourire étira ses lèvres et elle reposa la tête contre son torse. « Non, pas cruel. »

Il embrassa le haut de sa tête, s'emplit les poumons du parfum de son shampoing…

« Je dois me lever très tôt demain. » murmura-t-elle, en étouffant un bâillement.

Et il était déjà tard…

« Veux-tu que je m'en aille ? » hésita-t-il.

« Non. » protesta-t-elle immédiatement. « Je veux que tu reviennes te coucher. » Elle se tendit un peu. « Enfin, si tu veux. Tu n'es pas obligé de rester toute la nuit. »

« Je ne suis pas obligé, non. » répondit-il, en la guidant gentiment vers la chambre. « Mais j'en ai envie. »

Cela lui valut un baiser un peu trop enthousiaste qui n'encourageait pas le repos…

°O°O°O°O°

Le soleil se levait à peine lorsque Severus passa les couches extensives de protections qui entouraient le cottage de Godric's Hollow. Elles l'accueillirent, un mélange de la magie de Lily, de Potter, de la sienne, de Lupin, de Black et de Dumbledore. C'était sans doute la demeure privée la mieux protégée du Royaume-Uni, en incluant le Manoir des Malfoy.

Encore un peu endormi, ayant l'impression que le froid était d'autant plus mordant qu'il regrettait le lit chaud qu'il avait dû quitter, il déverrouilla la porte de derrière et se glissa silencieusement à l'intérieur.

Il avait espéré pouvoir se faufiler dans la chambre d'amis avant que les autres ne soient levés et simplement prétendre être rentré tard au lieu d'avoir découché. Ses espoirs furent réduits à néant par l'homme qui était assis à la table de la cuisine, déjà en uniforme, et terminait son petit-déjeuner – et le regardait avec l'air ravi du Maraudeur qui ne savait pas par où commencer tant les opportunités de se moquer de lui étaient nombreuses.

Ravalant un soupir, il ferma la porte derrière lui.

« Tu sais que Lily était prête à aller signaler une disparition inquiétante ? » commença Potter, d'un ton qui contenait mal son hilarité. « Pas un hibou, pas un Patronus… On commençait à se dire que ton rendez-vous s'était mal passé et que tu étais allé te jeter d'un pont… »

Il ne pouvait pas avoir cette conversation sans café.

Nymphadora avait éteint son sort d'alarme trois fois avant de se traîner hors du lit et ils n'avaient pas vraiment eu le temps pour plus qu'une douche rapide.

« La ferme, Potter. » marmonna-t-il, en jetant sa cape sur le dos d'une chaise et en se dirigeant droit vers la cafetière encore chaude.

« J'espère que tu l'as laissée de meilleure humeur que toi parce qu'on est censés être en planque ensemble toute la journée. » ricana l'Auror.

Le maléfice que lui jeta Severus fut bloqué par un bouclier hâtif et, de manière irritante, parfait.

Dommage…

Refusant de lui faire le plaisir de réagir, il se servit un mug, rajouta deux sucres, et vint s'asseoir à table, se jetant presque sur les quelques tranches de toasts que Potter avait laissées.

« Grosse faim. » commenta cet idiot qui n'était pas vraiment son ami. « Tu manges comme un oiseau d'habitude. Ça devait être épuisant ce duel… Ou alors c'était le reste ? »

« Ce qui ne m'épuisera pas, en revanche, c'est de te coller mon poing dans la figure. » répondit-il calmement, en beurrant une troisième tranche de pain grillé.

Potter étouffa un rire, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule en direction de la porte de la cuisine, probablement pour vérifier qu'il n'avait réveillé le reste de la maison.

« J'aime bien ce nouveau gel douche. » insista l'Auror. « Bon, ça sent un peu fort les fleurs mais si ça peut t'aider à te laver les cheveux… »

Il s'attendait à un maléfice et son bouclier eut très peu d'effet contre le coup de pied vicieux que Severus lui asséna sous la table.

« Ça s'est bien passé, donc ? » demanda l'autre sorcier, un peu plus sérieusement, en se massant le mollet.

Severus leva un sourcil ironique. « Tu ne penses pas sérieusement que je vais discuter de ma vie sentimentale avec toi, quand même? »

« Bien sûr que non. » Potter fit tout un spectacle de lever les yeux au ciel et de grimacer de dégoût. « On pourrait croire qu'on s'entend bien. Quelle horreur. » Il se leva et alla enfiler son épaisse cape en laine. « De toute manière, Lily me racontera tout… »

Severus aurait aimé protester mais il savait que c'était probablement vrai.

Il s'apprêtait à répliquer quelque chose de peu aimable lorsqu'il vit Potter décrocher la cape d'invisibilité et la forcer dans la poche intérieur de ses robes.

« En planque avec elle, disais-tu ? » s'inquiéta-t-il.

« Un groupe de braconniers. » confirma Potter. « C'est un gros coup. » L'Auror dut se rendre compte que ce n'était pas la chose à dire parce qu'il se hâta de se corriger. « Mais elle est prête pour ce genre d'opérations, aucun soucis. » Il grimaça. « Ça va durer un moment. J'ai dit à Lily de ne pas attendre de nouvelles avant demain. Ne t'inquiète pas, je te la ramène en un seul morceau, c'est promis. »

Ça n'avait rien de rassurant.

°O°O°O°O°

Severus pianotait distraitement sur l'accoudoir de son fauteuil, son livre oublié sur ses genoux, sans entendre un seul mot de ce que débitait l'enfant surexcité par l'approche de Noël.

« Cela fait plus de vingt-quatre heures. » lança-t-il, en direction de Lily qui peignait dans un coin du salon.

L'odeur de la peinture à l'huile lui donnait la migraine.

Sa meilleure amie lui jeta un regard à moitié-amusé, à moitié compatissant. « Et, maintenant, tu ne diras plus jamais que je ne suis pas raisonnable quand je m'inquiète parce qu'il a cinq minutes de retard. »

Il dut résister à l'envie puérile de lui tirer la langue.

°O°O°O°O°

Lupin et Black s'étaient invités pour l'après-midi lorsque le cerf argenté apparut en plein milieu du salon pour informer Lily que tout allait bien et qu'il rentrait pour dîner. Elle leva à peine les yeux de sa toile mais Severus nota la manière dont ses épaules se détendirent légèrement.

Black et Lupin non plus ne parurent pas autrement soulagés ou alarmés par le message. Comme si c'était la routine. Et ça l'était, supposait Severus. Combien de fois était-il resté complètement de marbre, presque pas intéressé, quand un Patronus ou un hibou venait informer Lily que tout allait bien ?

Black et Harry continuèrent à étudier la collection de cartes de joueurs de Quidditch du garçon.

Lily continua à peindre.

Alors Severus reporta son attention sur la partie d'échecs qu'il disputait avec Lupin.

Pour la première fois de toute leur semi-amitié, ce fut Remus qui gagna – ce que personne ne semblait décidé à lui laisser oublier durant les heures qui suivirent. Lily était particulièrement taquine. Et il fut forcé de se venger en révélant une anecdote particulièrement embarrassante de leur enfance.

°O°O°O°O°

La table était mise, le repas était prêt, et Severus était d'humeur à étrangler quelqu'un – préférablement Black qui ne cessait d'encourager Harry à toutes les bêtises imaginables – lorsque la porte d'entrée s'ouvrit sur un « Je suis rentré ! ».

Le garçon décampa, abandonnant l'énorme chien noir qui venait de renverser la table basse et faisait désormais des yeux de chiots battus à Lily pour se faire pardonner. Lupin riait comme si c'était une bonne blague. Severus, dans un soupir, remit de l'ordre d'un coup de baguette.

Lorsque Potter pénétra dans la pièce, Harry hissé dans ses bras bien qu'il soit trop grand pour ça, il avait ce regard bien particulier des jours de farces.

« Regardez qui je vous emmène pour dîner. » lança-t-il, avec un regard appuyé et un clin d'œil très peu discret en direction de Severus.

Il se décala juste assez pour révéler une jeune femme aux cheveux roses qui avait certainement eu de meilleurs jours. En un seul coup d'œil, il avait détaillé le jean, le pull et les sur-robes d'Aurors tâchées mais ce fut sur le bandage qui dépassait du col de son pull que son regard acéré s'arrêta.

Avant que quiconque ait pu bouger ou la saluer, Severus avait traversé la pièce et s'était planté devant elle, se réfrénant à peine de lancer un sort de diagnostic. « Tu es blessée. »

« Une égratignure. » promit-elle, l'irritation initiale qui s'était inscrite sur son visage s'adoucissant en un sourire. « James a eu pire. »

« Pardon ? » intervint Lily.

Puis ce fut le chaos, tout le monde parlait en même temps, voulait savoir ce qui était arrivé à Potter… Severus n'avait d'yeux que pour Nymphadora et ne remarqua pas à temps que Black avait repris forme humaine. Il sentit en revanche la main moins qu'amicale qui agrippa son épaule et l'écarta sans ménagement pour pouvoir prendre sa place auprès de la jeune femme.

Elle accepta l'étreinte de son cousin, bien que son regard ne lâche pas celui de Severus par-dessus son épaule.

Ce que Black, pourtant pas le plus observateur, ne sembla pas rater.

« Depuis quand vous vous connaissez, tous les deux ? » aboya-t-il presque avec suspicion.

« Dora est venu manger avant-hier. » répondit innocemment Harry, dans le silence gêné qui avait suivi la question. « C'est moi qui les ai présentés. »

Black se détendit immédiatement et se laissa distraire par Potter.

« Ça ne te dérange pas que je sois là, Lily ? » demanda Nymphadora, un peu embarrassée. « James a insisté et… »

« Bien sûr que non ! » protesta Lily. « Quand il y en a pour six, il y en a pour sept. »

Pendant quelques minutes, le salon bourdonna de conversations mais Severus peinait à détacher les yeux du pansement qui dépassait du col de Nymphadora. Et il savait qu'il ne serait pas tranquille tant qu'il ne l'aurait pas examinée lui-même, égratignure ou pas.

Il était en train de fomenter un plan pour l'attirer seule dans une autre pièce lorsque Lupin se glissa près de lui.

« Ça ne va pas plaire à Sirius. » commenta le loup-garou, à voix basse.

Severus se composa une expression lisse. « J'ignore de quoi tu parles. »

Lupin lui jeta un regard moqueur. « Ce n'est pas comme si on était amis depuis presque dix ans, Sev… Je te connais un petit peu. »

Il pinça les lèvres.

« Mêle-toi de tes affaires. » grommela-t-il.

« Dis-moi juste si c'est sérieux. » soupira le loup. « Si c'est sérieux, je ferai ce que je peux de mon côté. Si ce n'est pas sérieux, je le laisserai te frapper un petit peu parce que Dora est une gentille fille. »

« Pourrais-tu être plus condescendant ? » siffla-t-il.

« Qui est condescendant ? » demanda la jeune femme en question, en venant se mêler à leur conversation.

« Lupin pense que tu es une gentille fille. » répéta-t-il.

Il était extrêmement amusant de voir les cheveux virer du rose au rouge, à peu près aussi amusant que de voir l'expression meurtrière sur son visage. Elle était excellente en diatribes réprobatrices, nota Severus, en décidant de ne jamais se retrouver de ce côté-là de la barrière.

Il n'eut pas l'occasion de la prendre à part avant le repas et la conversation à table était trop chaotique pour qu'il tente de lui glisser un mot en privé. Elle était parvenue, sans qu'il ne sache trop comment, à s'asseoir à côté de lui, cependant. Et si la main de la jeune Auror avait trouvé sa cuisse sous la table… S'il l'avait couverte de la sienne… S'ils jouaient à entrelacer leurs doigts à l'abri des regards indiscrets…

Lily, au moins, n'était pas tout à fait dupe.

Elle n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil amusés vers lui.

« Dis donc, Dora… » lança soudain Black, du coin opposé de la table. « J'ai entendu dire que tu avais rendu Cissy chèvre ? Bon travail ! »

Nymphadora grimaça un peu. « Je n'ai pas fait exprès. »

« Ta mère m'a dit que tu avais réussi à scandaliser tout le gratin. » insista Black. « Je n'ai pas compris si ça l'amusait ou non, par contre. Andy est dure à décoder, des fois. »

« Oh, ça ne l'a pas beaucoup amusée. » grinça la jeune femme, en terminant son dessert. « J'ai besoin d'une… » Son regard tomba sur Harry qui la fixait avec une attention soutenue et elle se corrigea au tout dernier moment. « …de prendre l'air. » Elle se tourna vers Severus avec un sourire tout à fait innocent. « Tu n'aurais pas de quoi prendre l'air, par hasard ? J'ai oublié les miennes au bureau. »

Black voulut intervenir, probablement pour proposer ses cigarettes ou dire qu'il voulait les accompagner, mais Potter parvint à le distraire juste à temps. Ils s'éclipsèrent sans heurt si ce n'était le regard un peu calculateur d'Harry qui allait et venait de l'un à l'autre.

Severus se promit de lui parler dès que possible.

Son neveu était trop intelligent pour ne pas additionner un plus un et il ne voulait pas lui faire de peine alors qu'il était évident qu'il était attaché à Nymphadora.

Ils avaient à peine atteint l'abri de jardin lorsque la jeune le poussa contre la paroi en bois, attaquant ses lèvres d'un baiser vorace. Il ne se fit pas prier pour le lui rendre ou pour ré-explorer le corps qu'il n'avait pas encore eu le temps d'apprendre par cœur.

« Tu viens dormir à la maison, ce soir ? » proposa-t-elle, entre deux baisers.

« Oui. » répondit-il, sans hésiter.

Il eut du mal à la convaincre de le laisser regarder sa blessure, fut rassuré de savoir qu'elle n'avait pas menti et que c'était bien une égratignure qui aurait disparu dans quelques jours avec les bons baumes. Il jetterait celui qu'on lui avait donné à Sainte Mangouste et lui en préparerait un autre, décida-t-il. Au moins, ainsi, il serait certain qu'il serait bien fait.

Elle s'excusa pour rentrer chez elle dès qu'ils furent retournés à l'intérieur, prétextant être fatiguée – encore qu'il ne soit pas certain que ce soit tout à fait une excuse.

Severus laissa la soirée se poursuivre pendant environ un quart d'heure avant de déclarer qu'il devait sortir.

« À cette heure-ci ? » s'esclaffa Black, en jetant un coup d'œil à la pendule. « Et où tu vas comme ça ? »

« Je te le dirai lorsque cela te regardera. » rétorqua-t-il.

Mais la forme Animagus de Black n'était pas un chien par hasard. Lorsqu'il avait un os à ronger, il était incapable de véritablement le cracher. « Attends, attends… Tu étais sérieux, l'autre jour ? Tu t'es vraiment trouvé une copine ? »

« Sirius. » l'avertit Lily, sans douceur aucune.

Severus, pour sa part, leva les yeux au ciel, trop impatient d'aller retrouver Nymphadora pour s'énerver de ses remarques puériles. « Eh bien, vas-y. Crache ton venin. Est-elle aveugle, est-elle gonflable ? Combien est-ce que je la paye ? Tâche d'être un peu créatif avec tes insultes, tu as tendance à te répéter. »

Black parut un peu choqué par sa verve et les regards noirs que le reste du groupe lui jetait. Il leva les deux mains. « D'accord, d'accord… Je n'ai rien dit. » Severus se détourna pour aller chercher sa cape, n'attrapant que la fin de sa phrase sur le chemin de la sortie. « …pas comme s'il ne me jetait pas tout le temps des vacheries au visage, Lily ! »

Il fit un effort conscient pour oublier Black dès qu'il eut transplané et n'eut plus à faire d'effort du tout lorsque Nymphadora lui ouvrit la porte de son appartement avec un grand sourire.

Elle se fondit dans ses bras et le reste du monde cessa d'exister.

°O°O°O°O°

Harry était trop silencieux.

Cela durait depuis quelques jours, raison pour laquelle Severus avait décidé de l'emmener au parc, afin d'avoir une conversation franche avec lui. Il n'avait jamais traité les enfants comme des idiots. Il avait toujours traité Harry et Draco comme des personnes à part entière – de petites personnes, certes, mais des personnes.

Ils marchaient le long du chemin, un gobelet de chocolat chaud dans une main et une pâtisserie dans l'autre. Jugeant qu'un accident ne tarderait pas à survenir s'ils continuaient ainsi, Severus suggéra qu'ils s'assoit sur un banc.

« C'est bientôt Noël. » remarqua-t-il, pour lancer la conversation. « Es-tu impatient ? »

D'habitude, un vingt-trois décembre, Harry était intenable. Et il avait ses moments mais… Severus n'avait pas manqué les regards en coin et la manière dont il s'était isolé comme pour réfléchir.

« J'ai hâte d'avoir mon balai neuf. » lâcha le garçon. « L'autre est vraiment trop petit. Je n'arrive même plus à battre Draco au Quidditch. Monsieur Malfoy m'en a prêté un, l'autre jour, et c'était très gentil mais ce n'est pas pareil qu'en avoir un à moi. »

« Je croyais que ta mère t'avait dit que tu devrais attendre ton anniversaire ? » s'amusa-t-il.

« Oui. » confirma Harry, avec un sourire en coin. « Mais tonton Patmol a dit que je ne pouvais pas continuer à utiliser le balai d'un Malfoy. Alors j'ai une bonne idée de ce qu'il va m'offrir pour Noël. »

Severus secoua la tête, dissimulant mal son amusement. « As-tu déjà décidé entre Serpentard et Gryffondor ? »

Cette fois-ci, Harry se dérida franchement et lui jeta un regard complice. « Tonton Patmol serait horrifié si j'allais à Serpentard mais, en même, temps, est-ce que ce ne serait pas un truc de Serpentard ultime de prétendre être un lion ? »

Il ricana, ébouriffant les cheveux du garçon.

C'était une bonne chose, songea-t-il, qu'Harry ne craigne pas décevoir quelqu'un même s'il était réparti à Serpentard, qu'il ne doute pas que ses parents et ses oncles continueraient de l'aimer quoi qu'il arrive. Cela tendait à prouver qu'ils avaient réussi quelque chose, quelque part.

« Je suis certain que tu trouveras ta place dans n'importe quelle Maison. » offrit-il.

« Oui, mais Draco va aller à Serpentard pour sûr. » lâcha le garçon. « Neville espère Gryffondor ou Poufsouffle. Et Ron Weasley ne jure que par Gryffondor… » Il haussa les épaules. « Mais Draco va aller à Serpentard et, toi, tu vas être Directeur de Maison de Serpentard, alors… »

« Ce n'est pas parce que je serai le Directeur de Maison de Serpentard qu'il y aura du favoritisme envers Draco et toi. » l'avertit-il.

Il avait vu Albus ce matin-là pour signer les contrats et rencontrer les autres Professeurs qui étaient restés à l'école pour les fêtes. Il avait été mieux accueilli qu'il ne l'avait espéré, notamment par Flitwick. McGonagall était restée froide mais il n'avait jamais été son élève favori…

« Pas envers Draco, non. » répondit Harry, du tac-au-tac. « Mais pour ton neveu préféré ? »

Les yeux de chien battu étaient de retour et Severus ravala un bruit amusé. « Mange ton croissant. »

Le garçon ne se fit pas prier.

Severus dégusta sa propre pâtisserie plus lentement.

Lorsque leurs estomacs furent pleins et leurs gobelets de chocolat vides, il se décida finalement. « Je voulais te parler de quelque chose… »

Harry poussa un profond soupir et hocha la tête. « De Dora. Je sais. J'ai compris. » Un nouveau soupir. « Tu es amoureux d'elle. »

C'était sans doute une bonne chose qu'il ait attendu d'avoir terminé leur goûter pour avoir cette conversation où il aurait sans doute recraché tout le chocolat.

« Il est un peu tôt pour parler de ce genre de sentiments. » nuança-t-il.

Le regard du garçon se fit plus dur, plus semblable à celui de Lily lorsqu'elle était particulièrement contrariée. « Tu n'es pas amoureux d'elle ? »

Comprenant que c'était important pour lui, Severus choisit ses mots avec soin. « Je l'apprécie beaucoup mais être amoureux prend du temps. »

Encore que…

Lily ne cessait de répéter qu'il était mordu ou qu'il l'avait dans la peau et… Il ne pouvait pas entièrement nier que…

Ils avaient passé énormément de temps ensemble, ces derniers jours. Tout leur temps libre, à vrai dire.

Harry émit un bruit dubitatif. « Moi, je trouve que vous avez l'air amoureux. Papa aussi. Je l'ai entendu en discuter avec tonton Lunard. »

Merveilleux.

« Papa et tonton Lunard ne devraient pas discuter des affaires privés des autres. » déclara-t-il.

« Mais tu parles bien de tonton Lunard et de tonton Patmol avec maman, toi. » remarqua le garçon, pas si innocemment.

« Et, toi, tu devrais arrêter d'écouter aux portes. » décréta Severus, en lui enfonçant gentiment un doigt accusateur dans l'épaule. Harry gloussa et il secoua la tête. « Le Choixpeau n'aura pas touché ta tête que tu auras une cravate verte-et-argent autour du cou. »

Merlin lui vienne en aide.

« Je n'ai pas encore décidé. » lui rappela Harry, avec une sournoiserie affichée.

Son œuvre, décida Severus non sans fierté, sa pierre à l'édifice de son éducation. Il s'était employé à lui apprendre la subtilité depuis qu'il était petit et cela avait peut-être un peu trop bien fonctionné.

Refusant de se laisser distraire – car c'était ce que son neveu essayait de faire – il relança le sujet. « J'ai remarqué que tu aimais beaucoup Nymphadora… »

« Pas comme ça. » mentit le garçon, en s'empourprant. « Eh puis… Elle est trop vieille pour moi. » Il haussa les épaules. « Mais elle est super cool alors je suis content si elle est avec toi. Comme ça, quand tu l'épouseras ce sera ma tante et, comme c'est la cousine de Draco, on sera tous de la même famille. »

Les raccourcis que prenaient parfois les enfants ne manqueraient jamais de le laisser cois.

« Sauf que nous ne sommes pas biologiquement parents, Harry. » remarqua-t-il, grimaçant un peu à son grognement déçu. « Ce qui n'empêche pas que nous pouvons tous former une famille. C'est probablement mieux comme ça, d'ailleurs… Si tes parents se retrouvaient officiellement liés aux Malfoy, ils en feraient probablement une syncope. »

Harry le regarda avec de grands yeux trop innocents. « Tu crois qu'ils ne seraient pas content si j'épousais Draco, un jour ? »

Choqué, Severus ne put que le fixer du regard, à court de mots.

Ce n'était probablement pas la bonne manière de réagir.

Mais son cerveau, pour la première fois depuis longtemps, était vide.

Il était trop conscient qu'il ne devait pas se tromper dans ses mots que…

Harry éclata de rire, brisant son moment de panique. « Je plaisante ! Ta tête, tonton Sev ! »

« Petit serpent. » grommela-t-il.

D'un commun accord, ils se levèrent pour continuer leur promenade.

« Harry ? » hésita-t-il, au bout de quelques minutes de silence. « Es-tu certain que cela t'est égal que je fréquente Nymphadora ? »

Dans un accès d'enfantéisme comme il n'en avait plus que rarement, Harry glissa sa main gantée dans la sienne.

La gorge soudain serrée, Severus fut ramené deux ans en arrière, lorsque c'était encore la norme.

Les enfants grandissaient bien trop vite.

« Je suis content tant que tu es content. » décréta Harry avec sagesse. « Mais je suis quand même très content que ce soit Dora parce qu'elle est vraiment très, très cool. »

Malgré lui, Severus sourit. Oui, ils avaient vraiment réussi son éducation.

« Tu sais que, moi aussi, je serai heureux tant que tu es heureux. » répondit-il, avec un peu plus d'incertitude. « Peu importe qui tu décides de fréquenter. »

Un des Gryffondors auraient peut-être été plus direct ou plus larmoyant mais Harry avait l'âme d'un Serpentard, qu'importe ce qu'en dirait le Choixpeau.

Il ne répondit pas mais il lui serra brièvement la main.

Severus décida qu'ils s'étaient compris.

°O°O°O°O°

Les réveillons de Noël chez les Potter n'étaient jamais de tout repos.

Severus tentait, et échouait, de se concentrer sur sa lecture, en ignorant les éclats de voix en provenance du premier.

Les cris et les portes qui claquaient lui rappelaient des choses auxquelles il n'aimait pas trop penser mais, le vingt-quatre décembre, c'était presque la tradition à Godric's Hollow. Parce que, comme tous les ans, James avait invité des gens à la dernière minute sans prévenir Lily – Dumbledore et McGonagall, cette année-là – et Lily qui était allée rendre une de ses rares visites annuelles à Pétunia était déjà énervée. Une Lily stressée était une Lily qu'il ne valait mieux pas contrarier.

Severus avait fait sa part. Il avait préparé tous les amuse-bouches et mis la table, bien qu'il y ait encore des heures à attendre. Les Maraudeurs et Harry étaient allés chercher la bûche à la pâtisserie.

Une porte claqua à l'étage, suivie de la voix de Potter qui plaidait sa cause une autre se referma lourdement dans la cuisine, sans le chahut qui accompagnait généralement Lupin, Black et le garçon de dix ans.

Lily, d'une voix que les murs n'assourdirent pas, invita son mari à aller se faire voir.

Severus se demanda s'il était temps d'aller faire un tour.

Les disputes étaient rares mais celle des vingt-quatre décembre étaient généralement épiques et finissaient souvent en réconciliations qui poussaient tous les tontons honoraires à emmener Harry quelque part pour lui éviter d'être traumatisé - et s'éviter le même sort au passage.

« Ils en sont toujours à se crier dessus ? » demanda Black, en trainant ses bottes poussiéreuses dans le salon.

Severus nota de le dénoncer plus tard, quand Lily voudrait savoir qui avait réduit ses efforts de ménage à néant.

« Pour l'instant les objets ne volent pas encore. » répondit-il, pince-sans-rire. « Où est Harry ? »

« On s'est séparés au Chaudron Baveur. » expliqua l'Animagus, en se laissant tomber dans le fauteuil opposé à celui de Severus, près de l'âtre où ronflait un feu de cheminée. « Remus a emmené Harry voir les illuminations en ville. On s'est dit que ça l'occuperait le temps que Lily et James aient fini de se disputer. »

Il ferma son livre et leva les yeux vers le plafond d'où perçaient des éclats de voix. « Je suppose que nous pourrions aller les rejoindre. »

Ou, songea Severus, il pouvait faire un crochet chez Nymphadora et voir si elle avait quelques heures à lui consacrer… Elle lui avait dit qu'elle passait la soirée et les trois jours qui suivraient chez ses parents et aurait du mal à s'éclipser mais… Peut-être que s'il parvenait à la croiser avant qu'elle ne parte…

« Dans une minute. » lâcha Black, en l'observant d'un mauvais œil. « Il faut qu'on discute. »

Il leva un sourcil. « Depuis quand ? »

Il aurait nié être nerveux sous la torture mais le fait était que, mis à part des chamailleries et des piques qui étaient parfois trop acides, ils ne s'était pas vraiment battus depuis longtemps. Principalement parce qu'ils évitaient de se parler autant que possible.

« Depuis que tu squattes notre chambre depuis des semaines. » riposta Black, en croisant les bras.

Il émit un bruit railleur. « Notre chambre ? »

L'Animagus lui jeta un regard noir. « Tu sais très bien ce que je veux dire. »

Oui, il savait. La chambre d'amis. Celle dont il se partageait la primeur.

Il aurait pu rétorquer que c'était Lily et James qui l'avaient invité à rester autant qu'il le voudrait mais il n'avait pas envie de se lancer dans ce genre de guerre de territoire avec Black. Pas un vingt-quatre décembre. Pas quand il était autrement plutôt heureux dans sa vie, actuellement.

« J'ai signé le bail d'un appartement, ce matin. » annonça-t-il. Ce n'était pas à lui qu'il avait prévu de le dire en premier mais Lily avait déjà été dans tous ses états lorsqu'elle était revenue de chez les Dursley. Et ce n'était pas bien important, de toute manière. Il avait pris le premier appartement qui remplissait tous ses critères principaux. Ce ne serait que pour quelques mois, jusqu'à la rentrée, et il avait désespérément besoin d'une intimité qu'il n'avait pas chez les Potter. Il ne pouvait pas passer tout son temps chez Nymphadora. « Je déménagerai après les fêtes. »

Black l'étudia un longue minute puis hocha la tête. « Cool. J'aiderai pour les meubles. » Devant son expression certainement abasourdie, son rival de toujours leva les yeux au ciel. « Quoi ? Lily et James vont insister pour t'aider, ce qui veut dire que Remus va se sentir obligé de participer, alors on sait tous les deux que quelqu'un me traînera chez toi de toute manière. »

C'était très vrai mais l'offre d'aider était curieuse.

La question devait être inscrite sur son visage parce que Black soupira. « Écoute, on n'est pas amis. On ne sera jamais amis. »

« Cela est certain. » murmura Severus.

« Ça ne veut pas dire qu'on est ennemis non plus. » lâcha l'autre sorcier, avec un mélange d'agacement et de gêne. « On a les mêmes amis et le même neveu. Je pensais que c'était clair que… Je ne dis que pas que j'étais ravi que Lily te laisse revenir dans nos vies, au début, mais… » Il fit la grimace. « Ces derniers jours, ils sont tous venus me dire, l'un après l'autre, de me calmer avec les plaisanteries sur ta copine comme si… Tu sais que je ne suis pas sérieux, non ? Je t'insulte, tu m'insultes… Le monde tourne rond. Tu ne le prends pas vraiment mal et ça ne me touche pas non plus. C'est comme ça qu'on fonctionne. On est d'accord ? »

Il prit le temps de se délecter de l'embarras évident de l'Animagus avant d'incliner la tête. « Nous sommes d'accord. »

« Cool. » répéta Black, visiblement soulagé. « Maintenant que ça, c'est réglé… Dis-moi, vous allez tous me prendre pour un con encore longtemps ? »

Severus fronça les sourcils, rapprochant sa main de la manche opposée où était rangée sa baguette. Ce n'était jamais une mauvaise idée d'être prêt à dégainer avec Black, surtout lorsqu'il prenait ce ton froid. « Eh bien, il faut dire que si tu ne l'es pas, tu l'imites très bien. »

Black le fusilla du regard. « Un conseil, Snape. Quand on veut garder un secret, on ne le confie pas à un gamin de dix ans qui adore son parrain. » Il émit un bruit amusé. « Ou, au moins, on lui dit qu'il n'est pas censé en parler. »

Severus soupira, peu surpris qu'ils en arrivent à cette discussion-là. Cela faisait plusieurs jours qu'il l'évitait autant que possible. « Je ne mettrai jamais Harry dans ce genre de situations. Il n'a pas à être en porte-à-faux entre nous. »

« Si noble. » se moqua le Sang-Pur. « On oublierait presque que tu es un Serpentard. Tu ne nies pas, donc ? »

Il balaya l'air d'un geste. « Qu'y a-t-il à nier ? Je ne suis accusé de rien, à ce que je sache. Quant au reste, cela ne te regarde pas. »

« Ça me regarde si tu ruines la réputation de ma bébé cousine. » siffla Black.

« Ne l'as-tu pas félicitée l'autre jour exactement pour avoir scandalisé l'assistance ? » rétorqua-t-il.

« C'était avant de savoir que c'était avec toi. » cracha l'Animagus.

Severus le dévisagea avec plus de calme qu'il n'en ressentait.

Au-dessus de leurs têtes, les éclats de voix avaient cessé au profit de chuchotements étouffés.

« Il est temps d'aller rejoindre Harry et Lupin. » décréta-t-il.

Avant que Lily et Potter n'oublient que la maison n'était pas vide.

« Jure-moi que ce n'est pas un plan tordu pour te venger de moi, d'abord. » exigea Black, dans un grondement.

Severus cilla, pris de court. « As-tu fait quelque chose qui nécessiterait que je me venge ? »

« Tu sais très bien de quoi je parle. » insista Black.

Le fantôme d'un loup-garou décidé à tuer Severus plana dans la pièce.

Il avait pardonné à Lupin avec le temps, avait appris à maîtriser sa phobie, bien que cela ne soit pas une coïncidence qu'il ait consacré sa carrière à tenter de rendre la lycanthropie plus sûre pour tout le monde. Mais Black… Black n'avait jamais eu la décence de seulement s'excuser.

« Laisse-moi être très, très clair… » répondit-il sèchement. « Ma relation avec Nymphadora n'a rien à voir avec toi. À vrai dire, lorsque je suis avec elle, tu es la dernière chose à laquelle je pense. En revanche, s'il te venait à l'idée de créer des problèmes là où il n'y en a pas ou de l'embêter parce que nous sommes ensemble… , il se pourrait que je pense à toi. En même temps que je penserais à la création d'un nouveau poison violent voire d'un maléfice extrêmement douloureux ou deux. »

L'Animagus, en dépit de ses menaces, parut se détendre. « Tu es sérieux, donc. Tu ne joues pas avec elle ? »

Severus leva les yeux au ciel. « Black. »

« Oui ou non, Snape, c'est tout ce que je te demande. » s'agaça le Sang-Pur.

Exaspéré, il leva les deux mains. « Oui, je suis sérieux. Cela te suffit-il ? »

Black l'étudia un moment puis souffla. « Oui. Ça me va. » Un bruit suspect leur parvint en provenance de l'étage et il fit la grimace. « Et maintenant on dégage parce que leur tradition du réveillon est vraiment bizarre. »

Trop d'accord avec ça pour protester, Severus se dépêcha d'attraper son manteau et de le suivre à l'extérieur.

« Tu sais que si tu l'appelles ta bébé cousine devant elle, elle te tuera. » remarqua-t-il posément, alors qu'ils se dirigeaient vers l'abri de jardin dont ils se servaient tous pour transplaner discrètement.

« Elle m'adore. » contra Black. « Je suis son cousin préféré. »

« Je te défie de le dire devant elle. » pressa-t-il. « Quatre galions qu'elle te jette un sort. »

« Tenu. » rétorqua son rival, trop confiant.

Severus en buvait déjà du petit lait.

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Il ne fut pas déçu lorsque Black échoua à bloquer le maléfice de chauve-furie que Nymphadora lui jeta au visage, quelques jours plus tard.

Néanmoins, il lui fallut, lui aussi, affronter sa fureur lorsque cet abruti lui passa ses quatre galions juste sous son nez.

Contrairement à Black, il avait, néanmoins, d'excellents arguments pour se faire pardonner et elle finit par céder à ses baisers en riant.

« J'aime t'entendre rire. » osa-t-il avouer, plus tard, alors qu'ils étaient seuls, les quatre murs de sa chambre pour seuls témoins.

Elle lui sourit et retraça ses traits du bout des doigts. « J'aime que tu me fasses rire. » Elle leva un sourcil, un léger défi dans le regard. « J'aime aussi que tu me fasse autre chose. »

Il dissimula son sourire en pressant ses lèvres contre sa peau. « Vos désirs sont des ordres, mon astre suprême. »

Son éclat de rire valait toutes les récompenses du monde.

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Severus avait juré qu'on ne le reprendrait plus à un bal donné par les Malfoy. Pourtant, parce que ses amis se liguaient contre lui – même ceux qui ne s'entendaient pas d'ordinaire – il fut contraint et forcé d'assister à celui du réveillon du jour de l'an.

Et, comme de juste, ces mêmes amis l'abandonnèrent à peine arrivés; les Potter pour aller danser, Black et Lupin à la recherche de compagnie plus féminine, les Malfoy accaparés par leurs invités…

Severus se retrouva dans le coin, à la même fenêtre qu'il avait passé des heures à fixer un mois plus tôt, à se demander si quelqu'un le remarquerait vraiment s'il s'éclipsait.

Nymphadora était de garde et il était étrange de se trouver à nouveau seul. Ces dernières semaines, il avait pris l'habitude de faire les choses à deux – et c'était bien plus agréable de ne pas être en permanence la cinquième roue du carrosse. Le groupe, avant l'arrivée de Nymphadora, avait été déséquilibré. Lily et James, Black et Remus…

« Arrête de bouder dans ton coin. » ordonna Lily, en apparaissant à côté de lui. Elle l'attrapa par le poignet. « Allez, viens danser. »

Il se dégagea rapidement, un peu alarmé à cette perspective. Narcissa lui avait pardonné ses écarts lorsqu'elle avait été informée que lui et Nymphadora avaient entamé une relation sérieuse mais il se passerait du temps avant qu'il ose fouler à nouveau sa piste de bal. Lucius n'avait pas menti lorsqu'il avait dit qu'elle était en colère et Cissy avait bel et bien menacé de le priver de sa virilité s'il s'avisait de blesser sa nièce tout juste retrouvée.

« Non, non. » refusa-t-il. « Je ne vais pas tarder, Lily… »

Sa meilleure amie secoua immédiatement la tête. « Tu ne peux pas partir. Pas tout de suite. »

« Et pourquoi pas ? » s'agaça-t-il. « Je ne manquerai à personne, ici, et… »

« Parce que tu n'as pas encore dansé avec moi. » le coupa une voix familière dans son dos.

Il se retourna, le souffle coupé par cette présence incongrue. Nymphadora était apparemment ravie de sa surprise parce qu'elle souriait.

Narcissa n'avait certainement pas choisi cette robe-ci. Trop courte, trop rock-and-roll. Du tulle noir, de la dentelle… Elle était éblouissante.

« Je croyais que tu devais travailler… » lâcha-t-il, sans comprendre.

Lily fit un clin d'œil à la jeune femme et disparut dans la foule, sans doute pour rejoindre son mari.

« J'ai fait jouer le piston avec le chef. » expliqua-t-elle, en haussant les épaules. « James a dit que ça comptait comme ton cadeau d'anniversaire, au fait. » Ses yeux gris pétillaient. « Heureusement qu'il m'a dit que c'était bientôt ton anniversaire, d'ailleurs. Tu comptais me laisser deviner ou tu pensais sérieusement que je n'allais pas le savoir ? »

Il grogna mais se rapprocha un peu d'elle, mut par un instinct qu'il avait développé très rapidement en sa présence. « Je n'aime pas le fêter. »

« Eh bien, tu feras une exception. » décréta-t-elle, en tendant la main. « Tu veux scandaliser l'assistance ? »

« Ta tante va m'assassiner. » déclara-t-il, en prenant tout de même sa main et en la laissant l'attirer vers la piste de danse.

« Je te protégerai. » promit-elle, en riant.

Il la croyait.

Et, plus tard, lorsqu'ils suivirent la foule des invités dans le parc pour le feu d'artifice qui marquerait la nouvelle année et que Narcissa leur jeta un regard un peu trop lourd de sens, Nymphadora enroula ses deux bras autour du sien et appuya son menton contre son épaule dans une attitude absolument pas digne de l'étiquette rigide et codifiée du gratin de la société magique.

Severus l'adorait.

Cela lui vint comme une évidence, tandis qu'ils se gelaient à attendre que le décompte commence.

Il l'adorait.

« Tu ne m'as jamais dit ce qui t'avait poussée à venir me parler, ce soir là. » murmura-t-il, conscient de la masse de gens autour d'eux.

À quelques mètres sur leur droite, Lily et James étaient enlacés, attendant que le feu d'artifice commence. Un peu plus loin, Black baratinait une sorcière brune tandis que Lupin faisait le timide pour le bénéfice de son amie plus blonde… Il était certain que s'il avait levé les yeux vers le balcon qui surplombait les jardins, il aurait aperçu deux petits garçons en robes de soirée en train d'observer la foule, impatients que le spectacle ne débute.

« Je m'ennuyais. » répondit-elle. « Et puis… Comment voulais-tu que je te résiste ? Un séduisant brun ténébreux qui avait l'air de vouloir s'évader autant que moi… Je ne pouvais pas laisser passer l'occasion. »

Il secoua la tête, croyant à moitié à ses bêtises.

Mais, après tout, quoi qui l'ait poussée à venir lui parler, l'important était qu'elle ait eu le courage de le faire.

Le décompte commença autour d'eux mais Severus était incapable de détacher son regard du sien.

« L'année prochaine, à cette même seconde, nous nous tiendrons ici, tous les deux. » prophétisa-t-il.

Il n'avait jamais cru au destin. Pas avant Harry, du moins. Mais à cette seconde… À cette seconde, il voulait y croire.

Ce qu'il éprouvait était trop fort pour une coïncidence.

Et ce n'en était pas une non plus si sa vie avait finalement trouvé une nouvelle forme de stabilité depuis qu'il l'avait rencontrée.

« Et ? » s'amusa-t-elle. « Qu'est-ce qui se passera dans un an, à cette même seconde ? »

Il la demanderait probablement en mariage.

S'il parvenait à ne pas tout gâcher avant.

Cependant, ce n'était pas quelque chose qu'il était prêt à vocaliser pour le moment.

C'était trop tôt. Beaucoup trop tôt.

« Tu verras bien. » répondit-il, mystérieux, au moment où le compte à rebours arrivait à zéro et où un cœur de Bonne Année ! lancés à la cantonade retentissaient autour d'eux. L'orchestre entonna les premières notes de Auld Lang Syne, la foule se mit à chanter, les premières fusées explosèrent dans le ciel, parant la nuit de milles et une couleurs chatoyantes…

Il se pencha pour l'embrasser.

C'était censé porter bonheur…

Pourtant, il suspectait que le bonheur l'avait déjà trouvé.


THE END