Stiles s'était trompé. Il dormait. Profondément, en plus. Il lui avait fallu des heures pour trouver la force de fermer les yeux, mais le voilà emporté par Morphée dans un monde dont lui seul connaissait tous les secrets. Sur le matelas, à côté du lit, Liam s'efforçait de garder les yeux ouverts. Pour s'aider, il fixait la lune, que sa fenêtre laissait parfaitement voir. Lui qui se plaignait généralement de l'absence de volets dans sa chambre se retrouvait à la bénir. Il ne comptait pas faire nuit blanche, mais presque. Il fallait juste qu'il tienne une ou deux heures supplémentaires, juste au cas-où. Le louveteau zieuta un instant l'heure sur le réveil numérique de sa table de nuit. Quatre heures quarante-cinq. Il avait senti Stiles basculer vers le sommeil, épuisé, une demi-heure plus tôt. Liam avait pourtant tout fait pour le mettre à l'aise, simplement… L'humain qu'il connaissait était du genre têtu, d'autant plus que ce qu'il avait vécu était encore frais – autant dire qu'il en garderait les stigmates un moment.

Liam se savait nul en relations humaines. Quoiqu'il s'en sortait mieux que Derek, pour qui chaque interaction était une épreuve en bonne et due forme. Le souci de Liam, c'était les mots. Il savait être là pour ses amis, montrer son soutien. Le dire, c'était autre chose. Cet inconvénient se transformait en un souci lorsque l'on n'était pas assez proche de lui. Dans ces moments-là, il était facile d'interpréter son attitude comme je-m'en-foutiste. Pourtant, Liam débordait d'affection : il peinait juste à l'exprimer en tant que telle. Ainsi, il avait laissé Stiles ruminer jusqu'à ce que celui-ci s'endorme, parce que de son côté, il ne savait que dire, à part que tout irait bien. Était-ce une formulation correcte à employer devant quelqu'un qui avait survécu à une tentative de meurtre ? Qui y avait laissé une part de lui ? D'une manière ou d'une autre, Stiles était mort ce soir-là et ce fait rendait la chose délicate. Alors Liam se fit la promesse d'essayer de faire des efforts et de lui parler, plus tard. De lui parler véritablement. De ne pas céder davantage à la facilité, celle du silence, qui pouvait passer pour de l'ignorance. Ces longues heures éveillées lui servaient en grande partie à cela : en plus de surveiller son ami, il réfléchissait à une approche, un moyen d'aborder le sujet sans que Stiles se renferme sur lui-même. Il ne lui avait encore rien dit de ce qu'il avait vécu, mais il avait énoncé sa peur de dormir – et pour Liam, ce n'était pas rien. Ce détail, aussi futile puisse-t-il paraître, montrait au louveteau que l'hyperactif n'était pas complètement fermé. Simplement, il lui faudrait du temps.

Là aussi, un problème se posait : quand le pousser à parler de ce qui lui était arrivé ? De même, Liam avait toujours eu du mal à déterminer lorsque ce moment arrivait. Disons qu'il n'avait jamais eu à prendre ce genre de problèmes en main, à bras le corps. Sa vie avait toujours été… Simple et c'était toujours le cas. Si le jour de sa morsure l'avait tout autant marqué que le reste de son existence changée par le surnaturel, cela ne s'était jamais réellement compliqué pour lui. Il devait juste faire attention à quelques détails supplémentaires, mais il n'était en rien traumatisé.

Et cet état, il l'avait vu dans les yeux de Stiles. Lui, traumatisé, il l'était.

Liam s'autorisa un soupir discret. La fatigue – aussi bien physique que morale – lui donnait envie de fermer les yeux et de dormir à jamais. Disons qu'il ne saurait dire s'il était capable ou non d'assumer un tel malheur. Serait-il suffisant à lui seul ? Parviendrait-il à aider Stiles, à lui permettre de se remettre de cet évènement des plus terribles ? Liam s'efforça à penser de façon réaliste. D'un côté, la présence de la meute pourrait faire du bien à Stiles tandis que de l'autre… Elle pouvait tout aussi bien le couler. Déjà, il n'oubliait pas le fait que Scott, au courant de la tentative de meurtre perpétrée à l'encontre de son meilleur ami, n'était pas venu voir celui-ci une seule fois à l'hôpital. De cela, Liam ne savait pas s'il devait se sentir outré ou en colère. Bien qu'il continue de ne pas comprendre son absence, elle soulevait en lui nombre de questions – qu'il ne se voyait pas lui poser. Scott était son alpha, et puis… Liam verrait comme une intrusion dans sa vie privée l'idée-même d'aller lui reprocher son comportement distant avec Stiles. Si ce dernier ne réclamait pas son meilleur ami, il avait sans doute dû se demander la raison pour laquelle il n'avait pas reçu sa visite et disons que l'hyperactif… N'avait pas besoin de préoccupations supplémentaires. Alors oui, dans un sens, Liam en voulait un peu à Scott : parce que l'alpha aurait sans doute trouvé les mots qu'il lui fallait. Il était certain que Stiles aurait eu moins peur de s'endormir… Qu'il se sentirait un peu mieux. Se sentirait-il plus tranquille chez Scott ? Liam en avait l'intime conviction mais il fallait avouer qu'il était tout de même heureux d'avoir Stiles ici, près de lui. L'air de rien, c'était lui que l'on avait appelé à l'hôpital, lui qui avait retrouvé l'humain déclaré mort. Il se sentait donc quelque peu responsable de lui et rassuré de constater qu'il était bel et bien vivant, à ses côtés.

Stiles avait la respiration lente et régulière. Elle faisait écho à son cœur qui avait mis un temps monstrueux à se calmer. Il était étrange pour Liam, qui n'avait jamais été véritablement proche de lui, de le savoir dans sa chambre, dans son lit. Ce n'était pas une chose qui le dérangeait ou qui lui faisait le moindre effet étrange : il s'agissait juste d'un évènement inhabituel. Et il devrait s'y habituer, au moins pour quelques jours. De ce temps il profiterait pour lui changer les idées, le mettre en confiance et tenter de lui enlever un peu de cette terreur qu'il savait accrochée autant à ses yeux qu'à son odeur.

Liam céda au sommeil une bonne heure plus tard sans s'en rendre compte.

xxx

Stiles n'avait pas l'habitude de manger sans appétit. Il avait coutume de relier la nourriture avec la faim, ou tout simplement l'envie de se goinfrer. S'il était le premier à se goinfrer, il cadrait toujours le régime de son père de façon stricte, histoire que celui-ci reste en bonne santé. De son côté, il trouvait toujours le moyen de se déculpabiliser quant au fait de manger tout un tas de cochonneries. Le lendemain, il faisait en sorte, par exemple, de ne manger que des fruits et des légumes. Parfois, il faisait même un peu de sport. En termes de nourriture, l'hyperactif était tout sauf difficile.

Mais aujourd'hui, rien ne lui faisait envie. Pourtant, ce que contenait son assiette était aussi beau à regarder que la fragrance qui voyageait jusqu'à son nez s'avérait alléchante. Simplement, Stiles n'arrivait pas à envisager l'idée d'avaler quelque chose. Pourtant, il l'avait déjà fait et savait que c'était plus que nécessaire.

- Tu veux autre chose ?

L'humain releva les yeux vers Liam. Il n'y avait que lui pour lui parler aussi doucement, comme s'il était terrifié à l'idée de le brusquer, de lui faire peur. Pourtant, on ne dirait pas comme ça : le louveteau lui avait toujours paru bourru et quelque peu… Brut dans ses actions, ses attitudes, ses paroles. Et pourtant, sa timidité – que Stiles ne lui connaissait pas – ressortait. Elle envoyait tout le reste valser avec une puissance folle. Parce qu'elle le rendait extrêmement doux, très délicat... A un point tel qu'il était extrêmement aisé de s'y habituer.

Alors non, Stiles n'avait pas peur. Pas à ses côtés, en tout cas.

Il secoua la tête.

- Pas la peine, ajouta-t-il, pour être sûr d'avoir été compris.

Il savait sa voix basse, elle frôlait le chuchotement. L'hyperactif n'aimait plus se faire trop entendre… Ainsi, il avait besoin de faire dans la discrétion et économisait ses mots au maximum. Puis Liam avait une ouïe surnaturelle, donc ça allait.

- Alors tu veux… Manger un peu plus tard ? Lui demanda le blond, désireux de le mettre le plus à l'aise possible.

Il savait à quel point Stiles avait eu du mal à avaler un petit quelque chose au petit-déjeuner… Alors pour le repas du midi, c'était encore plus compliqué.

L'hyperactif le regarda un moment, comme s'il réfléchissait. Comme si tout, chez lui, était devenu plus lent. Evidemment, Liam voyait la fatigue peinte sur son visage – elle devait beaucoup jouer dans ses réactions et le traitement de ses propres émotions. Le loup-garou le comprenait : de son côté, il se battait pour ne rien lui montrer du résultat de son insomnie volontaire. Avoir dormi trois ou quatre heures ne changeait au final pas grand-chose pour cet amoureux du sommeil.

- Non… Non, ça ira. Je vais y arriver, finit par lui répondre Stiles.

Si son cœur ne le trahit pas, son ton soufflait à Liam que cette affirmation relevait plus de l'encouragement qu'autre chose. En fait, l'hyperactif cherchait à se convaincre qu'il pouvait réussir à passer au travers de ce qu'il avait l'air de considérer comme une épreuve. Liam, toujours aussi peu à son aise, n'insista pas et se persuada que Stiles disait vrai. Il prit donc la décision de s'installer face à lui, son assiette trois fois plus remplie que la sienne devant les yeux. Aujourd'hui, il était seul à la maison, avec Stiles.

Le repas promettait d'être aussi lourd que l'avait été le petit-déjeuner.