You take a deep breath and you walk through the doors
It's the mornin' of your very first day
You say hi to your friends you ain't seen in a while
Try and stay out of everybody's way
It's your freshman year and you're gonna be here
For the next four years in this town
Hopin' one of those senior boys will wink at you and say
"You know, I haven't seen you around before"
Quand Gotham Academy rouvre ses portes après les vacances d'hiver, Jason se mêle à la foule des élèves, faisant de son mieux pour avoir l'air nonchalant mais frémissant de nervosité sous son uniforme flambant neuf – un uniforme que Damian a considéré bizarrement, fronçant le nez avec perplexité et se demandant visiblement s'il est supposé reconnaître le garçon portant ces habits.
Bruce peut deviner le pourquoi de cette nervosité, après avoir entendu Jason rager et protester désespérément qu'il n'était pas stupide, regarde-moi un peu, c'est pas une bande de gosses de riches élevés dans le coton qui va me coller les miquettes. Le garçon a peur de ne pas réussir à garder le niveau, peur de ne pas réussir à s'intégrer au sein de la classe, peur de se retrouver mis à l'écart.
Batman connaît la peur, celle qu'il inflige avec ses poings et ses tactiques, et celle qui motive les criminels et les défavorisés sortant la nuit. Craindre d'être laissé derrière, craindre de ne pas pouvoir quitter le caniveau en dépit d'efforts démesurés, c'est très courant dans les rues de Gotham et Jason est incontestablement un enfant de Gotham. Voire davantage que Bruce Wayne, qui a passé une partie non-négligeable de sa vie à voyager à l'étranger, qui aujourd'hui encore passe plusieurs mois d'affilée loin de l'Amérique et des États-Unis.
Bruce a conquis sa peur, lorsqu'il a décidé qu'il ne permettrait plus au drame de son enfance d'arriver à qui que ce soit. Il a reçu des conseils, il a reçu un entraînement pour se préparer, mais au bout du compte l'épreuve était sienne à affronter – et Gotham Academy, c'est l'épreuve de Jason. Bruce peut acheter l'uniforme et les manuels scolaires, il peut conduire le garçon devant les portes de l'établissement, mais il lui faut regarder le dos de Jason s'éloigner et se fondre dans la masse des uniformes bleus, en espérant que tout se passera bien, que la journée ne s'achèvera pas avec un coup de fil originant d'un proviseur excédé l'informant que le garçon s'est battu avec un camarade de classe.
Il ne reçoit pas de coup de fil. À cause d'une réunion qui se prolonge tard à Wayne Entreprises, il envoie Alfred récupérer Jason – et il entend déjà les cris indignés de ses enfants, tu finiras par le tuer à la tâche, pourquoi ne pas appeler un taxi, comme si Bruce pouvait se fier à un conducteur de taxi, même quand ils n'ont pas été achetés par la pègre et en danger d'enlever leurs passagers, trois fois sur cinq ils négligent de nettoyer la banquette arrière et vous ne voulez pas savoir quelles immondices vous pouvez trouver là-bas. Vraiment, c'est mieux pour vous de continuer à l'ignorer, même Batman éprouve l'envie fantôme de se laver furieusement les mains.
Le soir du premier jour, et le second aussi, Jason a beaucoup à dire sur son nouvel environnement scolaire. Principalement, il récrimine contre les élèves qui jouent sur leurs portables au lieu d'écouter le professeur, scandalisé par le constat que nombre d'adolescents trouvent les cours ennuyeux – pour un garçon issu de Park Row, dont la seule fenêtre de sortie était une bourse d'études, qu'un cours soit barbant ne le rend pas moins crucial pour l'avenir, et l'idée de ne pas prêter attention est tout bonnement impensable. Une hérésie du plus haut calibre, un auto-sabotage imbécile qui revient à se couper les mains et les pieds pour ne pas se fatiguer à s'en servir.
Jason est vraiment très vocal sur le sujet, sa tirade durant presque la soirée entière. C'est des plus impressionnants, et Bruce se demande s'il devrait filmer ça et le garder dans ses banques de données pour la postérité.
Par contraste, le garçon manifeste davantage de respect envers les enseignants, surtout dans les matières littéraires – mais il fallait s'y attendre, si Jason ne feuillette pas au minimum cinq livres différents dans une seule journée c'est qu'il y a un problème. Les mathématiques sont un sujet légèrement plus délicats, Jason se débrouille suffisamment avec les bases (et n'a probablement pas cherché à en apprendre plus) pour la vie de tous les jours, quand il s'agit de payer les factures et de ne pas se faire arnaquer en réclamant la monnaie des courses, mais pour ce qui est de la géométrie et des équations où rôdent des inconnues, il débarque de la Lune. Comme les cinq sixièmes de la population globale de son âge, à vrai dire.
En son for intérieur, le Chevalier Noir songe que les mathématiques ont ceci de remarquable qu'elles unifient pratiquement la planète entière contre elles. Même Clark admet que ce n'est pas son sujet favori, et pourtant il triche avec son intellect alien sur-développé de la caste scientifique kryptonienne.
Dans l'ensemble, retourner au collège semble une expérience indiscutablement positive pour Jason. Certains aspects ne lui plaisent pas, évidemment, rien ne peut entièrement plaire à tout le monde, mais ces aspects ne font que l'aiguillonner et l'encourager à laisser derrière sa réserve, la timidité apprise dans les rues où les refuges et les moyens de se défendre contre le danger étaient si rares. Ceci dit, Jason est du genre à confronter le danger tête la première, ne battant en retraite qu'en ultime recours, alors il n'a probablement eu besoin que du plus léger encouragement avant de suivre cette route.
Sans compter que, établissement scolaire visant les enfants de familles prospères ou pas, Gotham Academy demeure un milieu social nettement moins hostile que la rue, un endroit où proférer une parole imprudente ne finira pas avec un couteau entre les côtes – le proviseur ne permettrait jamais à une altercation de ce type de ruiner la réputation du lycée, et nombre d'étudiants viennent en cours accompagnés de gardes du corps qui n'hésiteraient pas non plus à intervenir. C'est un fait que les enfants obligés de s'adapter à un environnement hostile grandissent plus stressés et ont tendance à adopter des conduites plus à risques, à développer davantage de problèmes de santé.
Jason gardera vraisemblablement toujours une certaine paranoïa en ce qui concerne les gens qui l'entourent, ainsi que sa tendance à dissimuler des ressources à la manière des écureuils quand l'hiver approche. Les marques de Crime Alley ne le quitteront jamais, c'est un lieu qui laisse des traces indélébiles sur ceux qui y passent ou y vivent, apparemment, mais ces marques n'ont pas à être criardes, douloureusement visibles. Elles peuvent s'estomper et s'affadir avec le temps.
Voilà ce que Bruce peut donner à ce garçon qui a dégringolé dans sa vie alors qu'il ne s'y attendait pas, du temps pour que les traces perdent en visibilité. Du temps pour trouver ses repères, pour décider à quoi sa vie va ressembler maintenant qu'elle est entièrement différente de ce à quoi il s'attendait l'an dernier. Du temps pour se demander quoi faire avec les nouveaux moyens dont il dispose.
Vu l'enthousiasme de Jason et son dégoût devant ceux qui ont de l'argent et ne s'en servent que pour passer le temps à longueur de journée, Bruce ne pense pas que le garçon deviendra un riche oisif. Ça ne lui correspond pas du tout, ça n'est pas Jason Todd, tout comme ce n'était pas Dick Grayson.
Le murmure d'une idée menace de revenir, avec le souvenir de Dick, mais Bruce le repousse fermement. Il s'est trompé avec Dick, et Jason n'est pas Dick, qui sait comment ça tournerait ? Qui sait comment ça finirait – probablement dans les larmes, en vérité.
(mais qui sait si ça ne lui plairait pas, et au bout du compte c'est la décision du garçon qui importe, c'est à lui que tu dois demander son avis, c'est ce que Dick t'a reproché après tout)
Jason a besoin de temps pour s'adapter et trouver ses nouveaux repères à l'école, c'est tout ce qui importe. C'est tout ce que Bruce attend de lui.
Le reste, on verra plus tard.
I've found time can heal most anything
And you just might find who you're supposed to be
I didn't know who I was supposed to be
At 15
Pour ce chapitre, vous avez droit à Fifteen par Taylor Swift.
