Il était tard lorsqu'Hermione le vit pour la première fois. Le bar allait fermer, la cloche avait déjà sonné depuis quelques minutes. Elle se faufila entre les derniers clients qui venaient régler leur consommation, n'osant pas jouer des coudes pour accéder au comptoir.
Il mit de longues minutes avant de lui accorder un regard. Elle, pourtant, n'avait pu détacher son regard de lui. Il avait quelque chose d'hypnotisant qui la sidéra. Elle l'avait vu à la seconde même où elle avait ouvert la porte et n'était pas parvenu à baisser les yeux depuis. Il y avait quelque chose de digne et de pitoyable à la fois dans sa manière de ranger les verres. Il semblait méticuleux, soigneux du moindre détail tout en étant particulièrement dégoûté par sa besogne. Sa chemise noire lui seyait à ravir, moulant sans trop dévoiler la musculature qui s'illustrait sous le tissu. Ses manches étaient légèrement relevées, dévoilant un tatouage sur l'avant-bras qu'elle ne parvenait pas à distinguer entièrement. Peut-être était-ce un lézard qui se frayait un chemin jusqu'à l'intérieur de son coude.
Elle n'était qu'une anonyme, jeune femme ordinaire au coeur d'une foule d'ivrognes et de fêtards. Pourtant, quand il la remarqua enfin, elle crut se sentir spéciale, mise en valeur par ses yeux gris se posant enfin sur elle. Distraitement, il donna un coup de menton dans sa direction, lui demandant tacitement ce qu'elle désirait.
- Un chocolat viennois s'il-vous-plaît.
- On ne sert plus à cette heure. Et de toute façon, la machine à café est éteinte depuis longtemps.
Son collègue lui avait répondu froidement, lassé de devoir recaler un énième client. Lui n'avait pipé mot. Il ignora superbement son collègue, hocha la tête en continuant de la regarder. L'échange ne dura que quelques secondes mais il lui sembla pourtant qu'il s'éternisait. Quelque chose qu'elle n'expliquait pas faisait battre son cœur, papillonner son estomac et rougir ses joues.
Avec grâce, il se retourna, se pencha pour attraper une brique de lait dans le frigidaire, versa le contenu dans une tasse et ralluma la machine à café. Moins de deux minutes plus tard, il soupoudrait du cacao en poudre sur sa chantilly et fit glisser la tasse vers elle.
- Putain mec, tu fais chier, j'avais dit non.
A nouveau, il ignora son collègue et se détourna d'elle pour sortir le bac du lave-verre.
- Merci, souffla-t-elle timidement.
Il ne répondit pas, ne fit aucun geste pouvant lui laisser croire qu'il l'avait seulement entendu. Hermione n'insista pas. Elle se laissa glisser sur un tabouret et sirota tranquillement son chocolat chaud.
Dehors, la neige continuait de recouvrir le trottoir. Bientôt, il serait trop tard pour qu'un taxi accepte de la raccompagner chez elle. Tant pis, Hermione n'avait pas envie de se presser, pas ce soir.
- On ferme !
Et pourtant, la voix tonitruante du barman venait de résonner. Faisant fi des exclamations mécontentes des clients, il s'activait pour mettre tout le monde dehors, à grands renforts de tape dans le dos et de promesse de boisson dès le lendemain.
Hermione avala une dernière gorgée, redressa le visage vers le barman à chemise noire, toujours occupé à essuyer ses verres.
- Combien est-ce que je vous dois ?
Il secoua la tête, l'air de dire que la consommation était pour lui.
- Non, j'insiste, appuya Hermione.
Il ne répondit rien, repris la tasse à moitié pleine qu'il vida dans l'évier.
- Allez ma p'tite dame, la sortie est par là.
Le second barman était à sa hauteur. Son sourire était pressé et Hermione n'insista pas plus. Elle se leva, attrapa son sac à main et tenta d'accrocher le regard de son collègue, sans succès.
- Merci, lança-t-elle tout de même dans le vent.
Il ne prit pas la peine de se redresser quand il hocha la tête.
Ce soir-là, Hermione était trempée quand elle rentra dans son petit appartement londonien. Pour seule lumière, elle brancha la guirlande lumineuse de son sapin, se pelotonna sur son canapé et trouva le sommeil, bercé par la lueur chaude et clignotante des ampoules vacillantes.
.
.
Hermione ne remit les pieds dans le bar que la semaine suivante, cette fois-ci en plein après-midi.
Il était là, fidèle au poste derrière son comptoir, son éternel torchon à la main. Elle tenta de lui adresser un sourire mais il resta de marbre.
Après tout, elle n'était pas une habituée, il ne devait certainement pas se souvenir d'elle. Elle s'installa sur un fauteuil, près de la vitrine. Ce fut son collègue qui vint prendre sa commande.
- Un chocolat viennois s'il vous plaît.
- Pas de ça chez nous madame, répondit-il l'air agacé.
- Ah heu… d'accord. Juste un chocolat chaud dans ce cas.
Il repartit sans lui demander son reste.
Hermione fronça les sourcils, se disant que peut-être, un bar d'étudiant dans une ruelle n'était pas le meilleur endroit pour venir prendre un chocolat viennois. Elle se pencha pour sortir un livre de son sac et quand elle se redressa, le barman à chemise noir était face à elle. Sur son plateau, une tasse transparente remplie d'un liquide brun sur laquelle trônait une généreuse quantité de chantilly. Elle lui adressa un large sourire quand il déposa la tasse sur la table.
- Je croyais que vous ne faisiez pas de chocolat viennois ici ? demanda-t-elle doucement.
Pour toute réponse, il haussa les épaules et fit demi-tour, la laissant se dessiner une moustache de chantilly.
Hermione n'insista pas et préféra se plonger dans sa lecture. Au dehors, la température avoisinait le négatif et Hermione n'avait pas quitté son écharpe, emmitouflée dans ses lourdes couches de laine. Les pages se succédaient, le chocolat diminuait et avant même qu'elle n'ait pu le terminer, elle fut interrompue dans sa lecture.
- Orgueil et préjugé, lança une voix masculine. C'est un choix audacieux.
Elle releva les yeux pour découvrir un jeune homme, à peine vingt ans semblait-il. Il portait un lourd manteau de flanelle qui semblait trop grand pour lui. Ses cheveux sombres, mal coiffés, s'éparpillaient en jais sur son front. Il lui adressa un sourire, remonta ses lunettes rondes sur le bout de son nez.
- J'aurais plutôt dit un choix classique, répondit-elle.
Il haussa les épaules, s'installa sur le fauteuil à côté d'elle sans qu'elle l'y invite et regarda sa tasse pleine d'une petite gorgée seulement.
- À vrai dire, n'importe quelle lecture me semble audacieuse. On ne voit pas souvent des personnes lire, ici.
Hermione aurait pu s'en douter. Même en milieu d'après-midi, le brouhaha qui emplissait le bar était déroutant. Les pintes s'entrechoquaient entre elles, les verres de shot à moitié bus claquaient sur le comptoir d'un air triomphant. Il n'y avait qu'elle pour être capable de se concentrer sur sa lecture dans une telle ambiance.
Elle lui adressa un sourire mais ne répondit rien, reposant les yeux sur son livre.
- Je n'ai jamais compris pourquoi Elizabeth avait refusé la demande de Mr Collins.
Cette fois-ci, Hermione se devait de répondre. Elle fronça les sourcils, coinça son index entre les pages, referma son livre et le toisa d'une œillade méprisante.
- Peut-être tout simplement parce qu'il est aux antipodes de tout ce qu'Elizabeth attend d'un homme. Cette homme n'est rien d'autre que la caricature du nouveau bourgeois, disgracieux et maladroit, rendu impétueux par la fortune et la promesse d'un héritage volé qui ne lui revient de droit que parce que la société machiste d'une Angleterre sous le règne de George III craint que la propriété et l'indépendance des femmes puisse lui faire défaut.
Les sourcils d'Hermione étaient résolument froncés, sa diatribe l'avait presque essoufflée et elle n'apprécia guère le petit sourire qui se logea sur les lèvres de son interlocuteur.
- Sujet sensible, je vois. J'imagine que les femmes comme Elizabeth préfèrent le charme de l'inaccessible plutôt que la facilité d'une vie confortable.
- As-tu seulement déjà lu Orgueil et Préjugé ? s'outragea Hermione.
Il se mit à rire, elle fronça de nouveau les sourcils.
- J'ai vu le film, avoua-t-il.
- Je vois, grinça-t-elle entre ses dents, irritée.
- Mon ex adorait les comédies romantiques mièvres et dénuées d'intérêt.
Hermione leva les yeux au ciel, attrapa sa tasse et la termina. Peut-être que ce garçon avait raison, ce n'était pas un endroit pour lire un grand classique.
- Harry, dit-il en tendant la main vers elle.
Elle la serra uniquement parce que la bienséance le voulait et qu'elle était bien trop polie pour refuser. Pour autant, elle ne répondit rien.
- Et toi ? insista-t-il devant son silence.
- Hermione, répondit-elle du bout des lèvres. Hermione Granger.
- Enchanté Hermione Granger. C'est la première fois que tu viens ici ?
- La seconde.
- Moi je viens souvent. C'est un peu mon QG.
Il pointa du doigt le fond de la salle et Hermione suivit son index du regard.
- Là-bas c'est Ginny, ma copine. A côté d'elle c'est Ron, son frère.
Hermione hocha la tête, toujours polie bien que particulièrement désintéressée.
- Je vois bien que tu préfèrerais lire tranquillement plutôt que de discuter avec un type un peu saoul qui n'a pas grand intérêt pour les livres de filles.
Elle serra la mâchoire, se demandant ce qu'il fichait encore ici.
- Mais comme tu vois, continua-t-il, j'ai beau être un parfait novice en littérature anglaise, je n'en suis pas moins un très bon ami.
Cette fois-ci, Hermione fronça les sourcils d'incompréhension, elle ne voyait pas bien le rapport.
- Mon ami Ron se demandait si tu attendais quelqu'un.
Nous y voilà.
- Non, je n'attends personne.
- C'est une excellente nouvelle. Ron est un gars super, bien que peu avenant et particulièrement maladroit. Il a bugué à la seconde où tu es entrée dans le bar et n'a pas cessé de te regarder depuis. Bien sûr, tu n'as rien vu, bien trop absorbée par Emily Brontë.
- Jane Austen, le corrigea-t-elle.
- Ah oui, pardon. Bref. Ron est bien trop timide pour venir t'aborder alors je me suis proposé de jouer l'éclaireur.
Hermione soupira.
- C'est très gentil de ta part, Harry.
Sans savoir pourquoi, elle insista particulièrement sur son prénom. Peut-être parce qu'elle n'avait jamais demandé à le connaître.
- Mais je suis venue ici pour lire et boire tranquillement un chocolat chaud, continua-t-elle.
- Je vois. Et les grands rouquins un peu pataud, c'est pas ton genre ?
Cette fois-ci elle sourit.
- Les gars qui ont besoin d'envoyer leur copain pour aborder une fille à leur place, ce n'est pas mon genre. Je crois que j'ai passé l'âge.
- Ouch, touché en plein cœur. Tu nous trouves un peu immatures, c'est ça ?
Elle baissa les yeux, ne pouvant décemment pas lui répondre par l'affirmative.
- Bon et bien, disons qu'au moins, j'aurai essayé.
Il lui adressa un sourire, elle lui rendit poliment et le regarda se lever.
- C'était un plaisir, Hermione. Et surtout, n'hésite pas à venir nous voir quand tu auras fini ton chapitre. Ron sera ravi. Oh et puis, ne t'inquiète pas si ses oreilles virent brusquement au rouge, ce n'est pas qu'il est ivre, c'est seulement sa réaction quand une jolie fille le regarde.
Elle sourit, amusée et hocha la tête.
- Bon après-midi, Harry.
Il y avait bien longtemps qu'Hermione ne s'était pas fait abordée dans un bar. D'ailleurs, elle ne savait pas vraiment pourquoi. Elle n'était pas particulièrement jolie mais n'avait rien de repoussant pour autant. Ses copines ne cessaient de lui rabâcher qu'elle avait tout pour plaire et qu'elle n'envoyait juste pas les bons signaux. Peut-être n'avaient-elles pas tort. Peut-être que de se cacher indéfectiblement derrière ses bouquins n'aidait pas. Ils agissaient comme une barrière, un rempart qu'il fallait être brave pour venir affronter. Mais après tout, peut-être qu'Hermione cherchait justement un homme suffisamment brave pour briser sa carapace.
Elle s'était déjà replongée dans sa lecture mais en fut de nouveau distraite par le bruit d'un verre qu'on posait sur la petite table devant elle. Elle laissa ses yeux s'aventurer par delà les pages pour y voir le barman à chemise noire. Il venait de reprendre sa tasse vide et l'avait remplacée par une autre, toujours aussi joliment surmontée de chantilly.
- Oh, merci beaucoup, lui sourit-elle. Mais je n'ai rien commandé.
Il hocha la tête, comme s'il le savait pertinemment et tourna les talons. Hermione le regarda en fronçant les sourcils. Cet homme savait-il seulement aligner deux mots ?
Elle profita de la boisson pour terminer son chapitre et ramena la tasse vide sur le comptoir après avoir rangé son livre.
- Combien est-ce que je vous dois ?
Il était de dos, alignait les verres sur l'étagère dans une maniaquerie qui dénotait complètement avec les lieux. Il secoua la tête et Hermione soupira.
Elle sortit de son sac à main quelques pièces, les posa sur le comptoir et s'en alla.
.
.
l ne restait à Hermione que trois chapitres avant de finir son livre. Darcy devait demander la main d'Elizabeth à son père le soir-même et Hermione oscillait entre l'excitation et le désespoir de finir à nouveau son livre préféré.
Elle était de nouveau venue dans ce bar d'étudiant, ne sachant pas vraiment pourquoi ses pieds l'avaient guidée ici. Le weekend commençait tout juste, apportant avec lui le début des vacances de Noël. Le bar était bondé. Les étudiants se retrouvaient pour fêter une dernière fois la fin des partiels avant de rejoindre leurs familles pour les fêtes. Hermione ne rentrerait pas cette année, pas plus que la précédente. Elle trouva une place au bout du comptoir, se glissa sur un tabouret un peu collant et attendit patiemment que la foule se désépaississe pour passer commande. Mais la clochette de la porte d'entrée ne cessait de tinter et le bar, qui semblait déjà avoir atteint sa capacité maximale, laissait pourtant entrer une nouvelle salve d'étudiants à chaque nouveau son de cloche.
Hermione sortit son livre de son sac, ne pouvant pas attendre de passer commande pour savourer les derniers instants de célibat d'Elizabeth Bennet. À la seconde où ses yeux se posèrent sur les pages, le brouhaha s'évanouit. Le bar sembla vide et bien vite, il n'y eut plus qu'Hermione et son livre, dévorant avidement chaque lettre qui apparaissait devant ses yeux.
Il ne lui restait plus que deux chapitres et Hermione se força à faire une pause. Un chef-d'œuvre devait se savourer. Orgueil et Préjugés méritait qu'on lève les yeux de ses pages, quelques secondes, qu'on prenne le temps de sourire, de respirer avant de s'en délecter de plus belle.
Elle constata alors qu'un chocolat viennois se cachait derrière son livre. Elle fronça les sourcils, chercha le barman du regard mais il n'avait pas le temps de la considérer, affairé à enchaîner les commandes. Elle lui adressa un sourire qu'il ne put capturer, souleva sa tasse dans sa direction et la porta à ses lèvres. Le chocolat avait un peu refroidi mais s'avéra réconfortant.
Lorsqu'elle reposa la tasse, un tintement étrange attira son attention. Quelques pièces de monnaies étaient posées devant elle, elle venait d'y déposer sa tasse. Six pounds. L'argent qu'elle avait laissé sur le comptoir lors de sa dernière venue.
Elle souffla un sourire, tenta de nouveau d'attirer l'attention du barman, en vain. Elle ne ramassa pas les pièces, rouvrit son livre et reprit sa lecture.
Quand Lady Catherine consentit enfin à venir à Pemberley et que Darcy fit finalement la paix avec ses anciennes rancunes, Hermione reposa définitivement le livre sur le comptoir. Elle resta quelques secondes dans le brouillard de sa lecture, partagée entre le bonheur des protagonistes et la peine d'avoir achevé leurs aventures.
Elle constata que le bar s'était vidé. Il ne restait que quelques clients, attablés dans le fond du bar. Les tabourets devant le comptoir étaient vides. Un barman nettoyait la machine à café tandis que celui à la chemise noire essuyait encore et toujours des verres.
- Merci, lui dit Hermione.
Cette fois-ci, il redressa son regard vers elle et son cœur se mit à battre déraisonnablement. Elle fouilla dans son sac à la recherche de quelques pièces. Elle les ajouta à celles qui trônaient encore sur le comptoir et les fit glisser dans sa direction.
Il sourit, les repoussa vers elle tandis qu'elle laissait échapper un petit rire.
- J'insiste, dit-elle.
Il secoua la tête mais elle lui tendit de nouveau les pièces de monnaie.
- Je n'en ferai rien.
Alors comme ça, il avait une voix. Et quelle voix. Hermione en frissonna. De sa gorge s'étaient échappées des notes graves, une force dure enrobée d'une chaleur sensuelle et envoutante.
Sans comprendre pourquoi, Hermione rougit.
- Je ne peux pas accepter.
- Considère ça comme mon cadeau de Noël.
- Il reste une semaine avant Noël.
Elle lui jeta un regard appuyé, il le soutint, sans amorcer le moindre mouvement pour récupérer son dû.
- Qu'est-ce que tu bois ? demanda-t-elle finalement.
Il fronça les sourcils, apparemment dérouté par la question.
- Je ne bois rien, je travaille.
- Ça, je le sais bien. Mais depuis quand les barmans refusent qu'on leur paye un verre ?
- Depuis qu'ils s'entêtent à vouloir t'en offrir.
Il lui sourit et de nouveau, elle s'envola jusqu'aux cieux.
- Et quand tu ne travailles pas, qu'est-ce que tu bois ?
De nouveau il fronça les sourcils.
- Du cappuccino, principalement.
Elle hocha la tête, rangea son livre dans son sac et se leva pour remettre son long manteau de laine. Elle ramassa les pièces, comprenant qu'il finirait par se vexer si elle insistait plus et lui offrit un petit sourire timide.
- Joyeux Noël, lança-t-elle avant de sortir de l'établissement.
Elle regarda sa montre, il n'était pas loin de minuit. Dans quelques minutes, tous les bars de la rue fermeraient boutique. Elle marcha avec empressement pour atteindre sa destination, toqua frénétiquement contre une porte d'entrée qui affichait déjà la fermeture. Elle supplia pour qu'on la laisse rentrer, elle obtient gain de cause et laissa un généreux pourboire.
Vingt minutes plus tard, elle faisait le pied de grue devant la porte close du bar d'étudiant qu'elle avait pris l'habitude de fréquenter.
Elle dut attendre encore une dizaine de minutes pour qu'il en sorte, couvert de son long duffle coat noir, légèrement émaillé aux coudes.
Il sursauta presque quand il la vit adossée contre le mur jouxtant la porte d'entrée. Elle lui offrit un sourire et tendit un gobelet en carton devant lui.
- Un cappuccino, supplément crème fouettée.
- Supplément crème fouettée ? demanda-t-il en haussant un sourcil.
Elle haussa les épaules.
- Je trouvais ça trop triste de boire une boisson chaude sans crème fouettée.
Il lâcha un rire dans un souffle et porta le gobelet à ses lèvres. Elle fit de même avec le sien et ils laissèrent le silence s'appesantir quelques secondes.
- Tu rentrais chez toi ? demanda-t-elle finalement.
Il hocha la tête pour lui répondre.
- Je comprends. Il est tard, je devrais sans doute faire la même chose.
- Soho ? demanda-t-il.
Elle eut un mouvement de recul, surprise.
- Comment tu sais ?
- Tu viens dans un bar minable et bon marché pour lire des classiques de la littérature anglaise. Tu ne peux être qu'une étudiante de l'université de Londres. Ça me laissait peu de choix pour deviner ton quartier.
Elle lui sourit, hochant la tête.
- Je te raccompagne ?
Elle accepta et ils commencèrent à se balader en silence. Les rues de Londres étaient illuminées par des centaines de guirlandes dorées. Hermione adorait la lueur que les fêtes conféraient à la ville.
- Et toi, où est-ce que tu vis ? demanda-t-elle.
- Hackney.
- Mais, c'est à l'autre bout de la ville !
Il haussa les épaules, semblant ne pas y apporter grande importance.
- Tu rentres tous les soirs à Hackney au beau milieu de la nuit ?
Il hocha la tête.
- C'est un miracle que tu sois toujours en vie.
Il sourit de manière désabusée et Hermione frissonna en se demandant pourquoi il pouvait bien vivre là-bas.
- Tu devrais lire Le Pays du Dauphin vert, lança-t-il, au milieu du silence.
Hermione s'arrêta de marcher, le contempla avec un sourire aux lèvres.
- Tu aimes la littérature ? demanda-t-elle.
- Seulement celle qui vaut le coup d'être découverte.
- Alors tu devrais lire Northanger Abbey.
- Hum, Bath et son ennui… Ce n'est pas mon Jane Austen préféré.
- Ah oui ? C'est lequel alors ?
- Emma.
- Emma ?
- Hum hum.
- Emma ? répéta-t-elle, surprise et insistante.
Il se mit à rire.
- Toujours.
- Alors là, je ne te comprends vraiment pas.
De nouveau il rit en haussant les épaules.
- Qu'est-ce que tu reproches à Emma ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas. C'est trop… gentil.
- Plus gentil que Northanger Abbey ?
- Oui enfin… je ne sais pas. Peut-être pas.
- Ta préférence va vers Orgueil et Préjugés ?
- Évidemment, répondit-elle avant de boire une nouvelle gorgée.
Il sourit, continuant de marcher.
- J'habite ici, dit-elle finalement en désignant du doigt un petit immeuble typique.
Il hocha la tête, s'arrêtant à côté d'elle.
- Tu veux entrer cinq minutes ? demanda-t-elle timidement.
Il ne répondit rien, semblant peser le pour et le contre.
- J'ai quelques bons livres à te conseiller.
Elle ne savait pas pourquoi elle insistait autant, ni pourquoi elle invitait un sombre inconnu à venir chez elle mais elle sentait qu'elle devait le faire.
- Je crois que je vais rentrer.
Elle tenta tant bien que mal de cacher sa déception par un hochement de tête.
- Joyeux Noël, Hermione.
- Joyeux Noël… Attends, comment est-ce que tu connais mon prénom ?
Mais déjà, il s'en allait dans la direction opposée et, malgré son insistance, ne se retourna pas.
.
.
Un bruit sourd suivit d'un lourd soupir.
Hermione venait de déposer une pile de livres presque aussi haute qu'elle sur le comptoir.
Il se redressa, lui accorda un regard espiègle et même un léger sourire.
- Ne me regarde pas comme ça, tout ça n'est pas pour moi.
Il se contenta de sourire de nouveau.
- Je t'ai apporté une petite sélection.
- Petite ?
- Oui bon, moyenne disons. J'ai eu du mal à me décider.
Il lâcha un léger rire.
- Tu verras que chaque livre est marqué au crayon de bois sur la première page. Hermione Granger, c'est moi. Mais ça, apparemment, tu le sais déjà.
Il hocha la tête.
- Comment est-ce que tu sais comment je m'appelle ?
- Tu l'as dit, l'autre jour, au garçon brun qui te draguait.
- Au garçon brun qui… ? Oh, oui, je vois. En fait, il ne me draguait pas du tout.
Il se contenta de prendre un nouveau verre pour l'essuyer.
- Tu connais mon nom, mes goûts en matière de littérature et de boisson et moi je ne sais presque rien de toi. Ce n'est pas très équitable, sourit-elle.
- Tu sais déjà que j'aime Emma et le cappuccino.
- Oui, mais je ne connais toujours pas ton prénom.
- Drago.
- Drago ? C'est ton prénom ? Je veux dire, ton vrai prénom, pas un de ces surnoms de barman un peu bizarre ?
Il rit.
- C'est mon vrai prénom, aussi bizarre soit-il.
- Très bien, Drago. Drago comment ?
Sa mâchoire se contracta mais il ne répondit rien. Au contraire, il se précipita sur un client qui venait à peine d'entrer pour prendre sa commande. Hermione patienta mais il ne revint pas vers elle par la suite. Elle le chercha du regard et vit qu'il était sorti sur la terrasse, venait d'allumer une cigarette et la dégustait, appuyé contre la devanture.
- Pourquoi tant de mystère, Drago ? demanda-t-elle en venant le rejoindre.
- Parce que mon nom de famille n'a rien d'intéressant.
- S'il est si peu intéressant, je ne vois pas l'intérêt de le cacher.
Il soupira.
- Tu insisteras jusqu'à ce que je finisse par te le dire, c'est ça ?
- On dirait que tu commences à bien me connaître, Drago.
Il hocha la tête, porta sa cigarette à sa bouche et aspira longuement. Son silence avait quelque chose de théâtral.
- Malefoy, lâcha-t-il finalement.
Hermione écarquilla les yeux, secoua la tête, écarquilla encore les yeux puis fronça les sourcils.
- Attends… tu veux dire que… ?
- Oui.
- Mais… qu'est-ce que… ?
- Qu'est-ce que je fais à bosser dans un bar minable ? Je fais en sorte de pouvoir payer mon loyer.
- A Hackney ! Tu es un Malefoy et tu vis à Hackney ?
- Oui.
- Je ne comprends pas… Tu… tu es riche !
Il secoua la tête.
- Mon père est riche.
- Il possède la moitié de l'Angleterre tu veux dire.
- Apparemment.
- Et toi tu bosses comme barman et tu vis dans un quartier malfamé ?
- Apparemment.
- Je ne comprends pas.
- Disons que c'est compliqué.
Il semblait plus que fermé à la discussion et bien qu'Hermione brûlait d'en savoir plus, elle hocha la tête et garda ses questions pour elle.
- Un chocolat viennois ? demanda-t-il finalement en écrasant sa cigarette dans un cendrier.
Elle le suivit à l'intérieur, s'assit sur un tabouret devant le bar et attendit patiemment qu'il lui apporte sa commande.
- Alors, qu'est-ce que tu me conseilles ? demanda-t-il en désignant la pile de livres d'un coup de menton.
Il venait de la lancer sur son sujet préféré et il ne savait visiblement pas dans quoi il venait de s'embarquer. Hermione était intarissable, décrivant en des milliers de mots chaque ouvrage trônant devant elle. Il l'écoutait religieusement, laissant son collègue se charger pour lui des commandes.
Quand la lumière déclina et que les clients s'accumulèrent, il dut mettre un terme à leur discussion et se remit au travail. Hermione avala un nouveau chocolat viennois, ouvrit un des livres et se plongea dans sa lecture. Elle sursauta quand la cloche se mit à sonner, surmonté d'un sonore "dernière commande" hurlé à plein poumon.
Son chocolat fut remplacé pour un autre et Hermione entama un nouveau chapitre, un sourire aux lèvres.
Quand le barman décréta qu'il était l'heure de partir, elle l'accepta de bonne grâce, sortit chercher un cappuccino et attendit patiemment que Drago termine son service.
Il ne sursauta pas quand il la vit adossée contre le mur mais lui offrit un doux sourire.
- Je te raccompagne ? demanda-t-il.
Elle secoua la tête.
- Non, ce soir c'est moi qui te raccompagne, dit-elle en lui tendant son cappuccino.
Son visage se durcit.
- Hors de question, dit-il froidement.
- Mais… pourquoi pas ? Il n'y a pas de raison que tu fasses le chemin seul tous les soirs.
- Je ne te laisserai pas venir jusqu'à Hackney au beau milieu de la nuit.
- Toi tu peux, mais pas moi ?
- C'est ça.
- Je ne vois pas pourquoi.
- A la seconde où j'aurai fermé la porte, tu te retrouveras seule devant un immeuble bancal recouvert de tags. Tu n'auras pas fait dix mètres qu'un sale type te tombera dessus.
- Je sais me défendre, argua-t-elle.
- Je ne te laisserai pas avoir besoin de te défendre. Allez viens, il est tard.
Et sans lui laisser le choix, il se mit en marche, prenant la direction de l'appartement d'Hermione.
- Et donne moi ça.
Il lui reprit des mains la pile de livres qu'elle traînait avec elle.
- Je peux porter mes livres, tu sais.
- Je croyais qu'ils étaient pour moi ?
Elle sourit et lui la regarda avec amusement.
Ils marchèrent jusque chez Hermione en discutant, ou plutôt, elle lui faisait l'article sur les sœurs Brontë tandis qu'il écoutait. Arrivés devant chez elle, elle lui adressa un petit sourire timide.
- Tu veux entrer cinq minutes ?
Il lui sourit, s'avança vers elle, déposa un baiser sur sa joue et s'éloigna. Le cœur d'Hermione avait eu le temps de bondir, s'arrêter et repartir en flèche.
- Joyeux Noël, Hermione.
.
.
Peut-être qu'elle ne lui plaisait tout simplement pas. Peut-être qu'elle devrait arrêter d'insister, peut-être le mettait-elle mal à l'aise.
Pourtant, elle ne put s'empêcher, dès le lendemain, de revenir dans son bar.
Une tasse de chocolat viennois l'attendait déjà sur le comptoir. Peut-être lui plaisait-elle aussi, finalement ?
Elle s'assit derrière le bar. Il servait un client quand elle mima un merci sur les lèvres. Il lui adressa un sourire et son cœur se gonfla.
- Je n'ai pas du tout aimé La princesse de Clèves, dit-il en venant essuyer les verres devant elle.
- Ce n'est que le début, accroche-toi ça vaut le coup.
Il secoua la tête.
- Je me suis accroché, je l'ai terminé. Mais je n'ai pas du tout aimé.
- Mais… je te l'ai donné hier soir. Comment est-ce que tu as eu le temps de tout lire ?
- Je ne dors pas beaucoup.
- Tu ne dors pas du tout, tu veux dire ?
Il haussa les épaules.
Drago était quelqu'un de taiseux alors, elle n'insista pas.
Le carillon de la porte sonna, des clients entrèrent. Hermione n'y fit pas attention, portant son chocolat à ses lèvres quand une main vint se poser sur son épaule.
- Hermione ! Comment vas-tu ? Pas de bouquin aujourd'hui ?
Elle fronça les sourcils. Harry, ce garçon qui l'avait abordé pour tâter le terrain pour son copain quelques jours plus tôt, venait la voir comme s'ils étaient amis de longue date.
- Non, pas de bouquin.
- Ron n'est pas encore arrivé, je peux me joindre à toi ?
Il ne lui laissa pas le temps de bredouiller un oui de politesse bien qu'absolument mensonger pour s'asseoir à côté d'elle. Drago, en retrait, les observait en continuant de ranger les verres.
- Qu'est ce que tu fais dans la vie, Hermione ?
- Je suis étudiante en littérature.
- C'est pas vrai ?
- Heu… si, répondit-elle, ne comprenant pas bien ce qu'il y avait de surprenant à ça.
- Ça c'est incroyable.
De plus en plus déroutée, elle lui demanda plus d'explications.
- Ron aussi est étudiant !
- Quelle coïncidence.
A vrai dire, cela n'avait absolument rien d'une coïncidence. Ce bar n'était fréquenté que par des étudiants sans le sous qui se retrouvaient ici pour boire à moindre coût.
- Comme tu dis. Deux pintes s'il te plaît, demanda-t-il en s'adressant à Drago.
- Et toi, qu'est-ce-que tu fais ?
- Étudiant aussi. Le monde est petit.
- Insignifiant, répondit-elle, ironiquement.
- Je suis en STAPS. Ron aussi d'ailleurs.
Hermione hocha la tête. Elle aurait pu s'en douter toute seule. C'était typique.
Drago posa les verres devant lui et Harry en tendit un vers Hermione qu'elle refusa poliment.
- C'est pour moi, ça me fait plaisir, insista-t-il.
Et comme Hermione était polie et trop stupide pour refuser de nouveau, elle accepta. Elle n'aimait pas vraiment la bière. Pas suffisamment gazeux pour pétiller, trop pour être désaltérant, elle n'y voyait pas vraiment d'intérêt. Pourtant, elle accepta de trinquer, but une gorgée ou deux avec lui et discuta de tout et de rien.
Harry s'avéra être plutôt sympathique, une fois le côté sûr de lui et indélogeable mis de côté. Il lui raconta quelques blagues qui la firent rire, lui posa des questions sur Jane Austen et sembla vraiment s'intéresser à ses réponses, bien qu'il n'y comprenait pas grand-chose.
Ron arriva finalement, les oreilles rouges vives. Hermione eut un sourire tendre pour lui et ses joues aussi commencèrent à se colorer.
- Hermione, prends ton verre et viens te joindre à nous, proposa Harry en désignant une table au fond de la salle.
- Oh c'est gentil mais je suis avec… euh…
Elle regarda autour d'elle mais Drago avait disparu. À vrai dire, elle ne savait pas vraiment depuis quand il avait quitté son poste derrière le lave-verre. Elle se redressa, regarda par-dessus Harry pour observer la salle mais ne le vit nulle part.
- Allez, viens !
Elle se laissa entraîner et les rejoignit à table. Harry parlait beaucoup, Ron et elle écoutaient. Elle apprit qu'Harry et Ginny, la sœur de Ron, se fréquentaient depuis la fin du lycée. Ron et lui avaient fait toute leur scolarité ensemble et semblaient avoir fait les quatre cents coups en internat. Hermione les écouta raconter leurs histoires en souriant. L'amitié qui les unissait était touchante.
Et puis, Harry se leva pour aller aux toilettes et elle se retrouva seule avec Ron. Il était timide et baragouina quelques mots en s'intéressant à elle. Hermione parla de ses études, du job étudiant qu'elle venait de lâcher et des partiels qu'elle craignait d'avoir ratés. Il lui demanda ce qu'elle faisait pour les fêtes et elle écourta la conversation, préférant ne pas s'appesantir sur le sujet. Harry revint, son portable entre les mains et décréta que Ginny l'attendait à la maison.
- Pas trop étrange que ta sœur sorte avec ton meilleur ami ? demanda Hermione.
Il haussa les épaules.
- Pas tant. Au début, j'ai eu du mal, c'est sûr. Mais au final, c'était évident. Ils sont faits l'un pour l'autre.
Hermione sourit, se disant qu'elle aussi aimerait bien être avec quelqu'un avec qui c'était évident.
Ron leva la main, fit un petit geste que Hermione remarqua à peine, perdue dans ses pensées en contemplant la rue et les passants qui s'entassaient.
Drago la fit sortir de sa torpeur, apportant sur la table une nouvelle pinte pour Ron et un chocolat viennois pour elle.
- Heu… j'ai pas commandé ça, bredouilla Ron en regardant Drago.
- Je sais, répondit-il.
- On pourrait avoir deux pintes ?
Drago jetta un regard à Hermione qui lui sourit. Ron ne semblait pas vraiment comprendre ce qu'il se passait.
- Ça ira, Ron. J'aime autant un chocolat viennois.
- Tu es sûre ?
- Certaine.
- Ça fera six livres, lança froidement Drago en regardant Ron.
- Je voudrais régler pour elle aussi.
- Six livres, répéta t-il.
Devant le regard dur de Drago, Ron n'insista pas. Il le vit partir, les yeux froids, en récupérant les pièces.
- Il est bizarre ce type.
Hermione ne répondit rien, se contentant de boire une gorgée.
- Pourquoi est-ce qu'il ne veut pas que je paye ton chocolat ?
- C'est… je ne sais pas, préféra-t-elle simplement répondre.
Ron laissa le sujet de côté et interrogea Hermione sur ses perspectives d'avenir. Elle lui confia sommairement ses doutes sur les débouchés professionnelles quand Drago revint, déposant La Princesse de Clèves sur la table.
- Merci, lui dit Hermione en souriant. Tu aurais pu me le rendre plus tard.
- J'ai fini mon service, répondit-il simplement en faisant demi-tour.
- Vous vous connaissez tous les deux ? demanda Ron en fronçant les sourcils.
- Oui, heu… excuse moi Ron, merci pour le verre je… je vais y aller.
Hermione se leva précipitamment, enroula son écharpe autour de son cou et regarda autour d'elle. Drago avait déjà disparu.
Elle sortit dans la rue et prit la direction de Hackney, marchant à un rythme soutenu. Elle finit par apercevoir sa chevelure blonde et son duffle coat noir au loin. Elle se mit presque à courir pour le rattraper. Arrivée à sa hauteur, essoufflée, elle posa une main sur son épaule. Il se retourna brusquement et ne se détendit pas en la voyant.
- Qu'est que ce que tu fais là ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
- Je… tu ne m'as pas laissé le temps de te dire au revoir avant de partir. Tu finis tôt aujourd'hui.
- Toujours le dimanche.
- Ah… je vois. Je te raccompagne ?
Il soupira.
- Toujours pas.
- Il n'est même pas 17h, il ne m'arrivera rien tu sais.
- Je ne prendrai pas le risque.
- Bon, très bien. Je vais y aller dans ce cas. Je te dis à demain.
- Je ne travaille pas le lundi.
- Ah… d'accord. A mardi alors ?
Il hocha la tête, se détourna d'elle et reprit sa route.
Hermione resta plantée sur le trottoir pendant plusieurs minutes, se demandant ce qui justifiait autant de froideur de sa part. Définitivement, elle ne devait pas lui plaire.
Elle ferait mieux d'arrêter d'insister. Mardi, elle trouverait un autre bar où déguster un chocolat viennois.
.
.
Lundi matin arriva. Hermione était sortie faire quelques achats pour ses amies. Elles étaient toutes retournées passer les fêtes en famille et s'étaient promis de se retrouver chez Hermione, dès leur retour, pour partager un dernier repas gargantuesque avant d'entamer le traditionnel jeûne de janvier.
Deux sacs en papier craft pendaient au bout de ses doigts. Son bonnet était vissé sur ses oreilles et son écharpe lui couvrait la moitié du visage. Hermione ne voyait pas grand-chose mais se préservait de l'hypothermie. A quelque chose près, elle n'aurait même pas remarqué que quelqu'un l'attendait devant son perron.
- Drago ? sourit-elle, surprise de la voir ici.
Il tendit vers elle un livre qu'elle regarda avec amusement.
- Là, tu ne peux pas me dire que tu n'as aimé !
- Ce n'est pas de la littérature anglaise.
Hermione fronça les sourcils.
- Et tu es patriote au point de ne rien pouvoir lire d'autre ?
Il sourit et d'un coup, elle n'eut plus froid.
Il tendait toujours son livre vers elle, Hermione ne l'avait pas repris, les bras déjà bien chargés.
- Tiens moi ça, dit-elle en lui confiant un sac en papier.
Elle profita de sa main libre pour dénicher ses clés, au fond de son sac et descendit quelques marches pour ouvrir sa porte d'entrée. Elle ne lui laissa pas le choix de la suivre. S'il voulait lui rendre son sac, il devrait enfin accepter son invitation à entrer. Mais il ne rechigna pas. Drago la suivit, découvrant le petit studio sombre et encombré dans lequel elle vivait.
Un sapin disproportionné grignotait une bonne partie de l'espace. Hermione se pencha pour allumer la guirlande, conférant à la pièce une douce lumière chaleureuse. Elle déposa son manteau et son bonnet sur l'accoudoir du canapé avant de se retourner vers Drago. Il était toujours planté devant la porte d'entrée, un sac en papier et un livre entre les mains. Hermione lui sourit.
- Entre, ne reste pas dans l'entrée.
Nommer ainsi le petit mètre carré qui jouxtait la porte était sûrement un peu prétentieux mais Drago ne lui fit pas la remarque. Il s'avança jusqu'à elle, déposa le sac à côté du canapé et le livre sur la table basse.
Hermione n'eut que quelques mètres à faire pour rejoindre la minuscule cuisine qui comblait un angle de la pièce.
- Je n'ai pas de superbe machine à café mais je dois avoir une boîte de cappuccino instantané qui traîne par là.
Il sourit dans son dos alors qu'elle retournait ses tiroirs. Elle fit chauffer l'eau, remplit une tasse et recouvra le liquide d'une quantité astronomique de chantilly en bombe.
Elle déposa les deux tasses sur la table basse et s'assit sur le canapé.
Son duffle coat sur les épaules, Drago était toujours debout, au milieu de la pièce, n'amorçant pas le moindre mouvement.
- Tu ne veux pas t'asseoir ? demanda-t-elle, légèrement mal à l'aise par son immobilité.
Il hocha la tête et finit sa retirer son manteau, le déposa à côté de celui d'Hermione et s'assit à côté d'elle.
- Je te l'accorde, je ne vis pas dans un palace. Mais c'est chez moi, sourit-elle en portant sa tasse à ses lèvres.
De la chantilly vint se déposer sur le bout de son nez et, tout en souriant, Drago approcha son index de son visage pour la lui retirer. Hermione rosit, bredouilla un remerciement et se retourna vers lui.
- Alors, qu'est-ce que tu as pensé de La Servante écarlate ? A part que ce ne soit pas anglais, évidemment.
Drago sourit avant de lui faire son retour. Évidemment, il avait été bouleversé par les mots de Margaret Atwood. Evidemment, il s'était senti coupable d'avoir parfois oublier que cette fiction dystopique puisse à ce point être actuelle et réaliste. Evidemment, il n'était pas sorti indemne de sa lecture.
Hermione et lui échangèrent sur le sujet pendant de longues minutes. Comme à son habitude, Drago était concis tandis qu'Hermione était intarissable.
- La Servante écarlate n'était pas au programme mais ça ne m'a pas empêché de le relire. Je commençais à être lassée par les poètes anglais du XIXème siècle. Byron a son charme, bien sûr, mais toute cette mélancolie et ce sarcasme, ça devient lassant.
Drago hocha la tête. Elle ne sut pas vraiment s'il connaissait Byron ou s'il ne voulait simplement pas s'éterniser sur le sujet.
- Tu es en dernière année ? demanda-t-il.
Hermione secoua la tête.
- J'ai l'air si vieille que ça ?
Il ne sut pas vraiment s'il devait rire ou s'excuser platement. Hermione choisit la première option.
- Je suis seulement en troisième année.
- Et Byron est déjà au programme ? demanda-t-il, surpris.
Elle hocha la tête.
- Pourquoi ? Tu connais par coeur le programme universitaire de littérature ?
- J'ai suivi ce cursus, il y a quelques années.
- Vraiment ?
Hermione écarquilla les yeux, surprise, tandis qu'il acquiescait.
- Alors c'est bien ce que je craignais, ma passion ne me permettra pas d'en vivre, moi non plus.
Il fronça les sourcils d'incompréhension.
- Et bien, j'imagine que tu n'as pas trouvé de travail dans ton domaine si tu es barman ?
Il secoua la tête.
- A vrai dire, je n'ai pas terminé le cursus. Je n'ai jamais rendu ma thèse.
- Ta thèse ? Mais… quel âge as-tu, Drago ?
Il se mit à rire.
- Un peu plus que toi, de toute évidence. J'aurai trente ans dans quelques mois.
- Et moi qui craignait que tu me prennes pour une vieille.
De nouveau, il rit et son cœur à elle s'emballa.
- Je viens de fêter mes vingt ans.
Il lui jeta un regard surpris et elle haussa les épaules.
- J'ai sauté une classe ou deux, répondit-elle.
- J'aurai dû m'en douter, tu es brillante.
Ses joues rosirent sous le compliment.
- Je comprends mieux ton obsession pour la chantilly, sourit-il, espiègle.
- Mon obsession ? Je ne vois pas vraiment le rapport avec mon âge.
- Tu verras quand tu seras vieille, comme moi. La chantilly, ça file directement sur les hanches.
Elle leva les yeux au ciel.
- Alors tu es le genre de type qui compte les calories, c'est ça ? Deux à trois heures de sport par jour, une hygiène de vie irréprochable, des légumes verts à tous les repas ?
Drago eut un petit sourire amusé.
- Alors c'est comme ça que tu me vois ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas trop. A vrai dire, j'ai beaucoup de mal à te cerner, Drago.
Drago ne répondit rien. Il n'avait pas l'air vraiment surpris ni dérangé par la question. Et si Hermione voulait en savoir plus, elle allait devoir insister.
- Non mais c'est vrai. Qui es-tu, Drago Malefoy ?
La question était vaste et Drago ne savait pas vraiment ce qu'il avait envie de partager. Devait-il lui brosser le portrait triste et pathétique du petit garçon né avec une cuillère en argent dans la bouche qui s'était vu refuser son héritage ? Devait-il se la jouer poète maudit incompris ? Ou devait-il être sincère ? Il y avait bien longtemps que Drago ne s'était pas confié à qui que ce soit. Il préférait la protection du comptoir, la posture sage et distante du barman qui écoutait distraitement en hochant la tête.
Mais Hermione ne semblait pas se satisfaire de son silence. Elle attendait, l'air tranquille, qu'il finisse par lui en dire plus.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
Hermione prit quelques secondes pour réfléchir.
- Pourquoi est-ce que tu as fait de longues études pour tout abandonner juste avant la fin ? Pourquoi as-tu choisi de devenir barman ? Pourquoi est-ce que tu vis dans le quartier le plus pauvre de la ville alors que ton père a dépensé le PIB du Yémen pour son nouveau yacht ? C'était dans tous les journaux, précisa-t-elle devant son regard surpris. Et puis c'est quoi ce tatouage bizarre sur ton bras ? Tu en as beaucoup des comme ça ? Pourquoi un lézard ?
Il sourit, amusé par sa fougue et son enthousiasme.
- C'est un serpent.
- C'est un peu glauque.
Il haussa les épaules.
- Je l'ai fait le jour de mes dix-huit ans. Ça a mis mon père dans une colère noire. Il n'a pas arrêté de hurler "mais qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un fils pareil ?". Je jubilais. Tout ce que je voulais, c'était le faire réagir, le pousser hors de ses retranchements. À ce moment de ma vie, j'en étais au stade où j'étais prêt à poursuivre avec le tatouage d'une bite sur la joue.
Hermione grimaça, heureuse qu'il n'ait pas mis ses plans à exécution.
- J'imagine que vous n'avez plus beaucoup de contact, désormais ?
Il secoua la tête.
- Mon père est une ordure qui ne vit que pour le fric et les voitures de sport. Il m'a détesté à la seconde où je suis venu au monde. Il voulait une fille. Une fille, ça vénère son papa, une fille, ça ne lui aurait pas fait d'ombre. Il a essayé de me modeler à son image, de faire de moi un homme d'affaires. Il m'a inscrit à Eton alors que je venais à peine d'avoir dix ans. Il m'a fait suivre des cours de golf pendant toute mon adolescence et ne s'est résigné qu'une fois qu'il a découvert que je passais mes séances à lézarder sur le green. A dix-sept ans, il m'a trouvé au lit avec un type bizarre que j'avais rencontré en boite et sa copine junkie. Il m'a giflé, à demandé à son chauffeur de me conduire à l'hôpital pour me faire dépister et a installé une caméra dans ma chambre. J'ai repeint toute ma chambre en noire, vidant un seau de peinture entier sur la caméra. J'ai commencé des études de littérature, il a menacé de m'envoyer en internat en Bulgarie mais ma mère l'en a dissuadé. Pour mes vingt ans, il a essayé de me fiancer à la fille d'un émirat. J'ai payé trois prostituées pour m'accompagner au repas de Noël de son entreprise. Elles se sont saoulées et ont fini par faire un lap-dance au directeur financier. Ça, il a eu du mal à le digérer, dit-il dans un rire sans joie. Pour ses cinquante ans, j'ai planté des seringues d'héro dans son gâteau en guise de bougies d'anniversaire. Il a soupiré et a demandé à sortir le gâteau de secours. Et puis un jour, j'ai piqué une de ses voitures de sport pour aller rejoindre des copains sur la côte. J'étais bourré, j'ai conduit comme un abruti et je nous ai encastré dans un réverbère. J'ai failli tuer tout le monde. Blaise, qui était passager, a dû se faire opérer en urgence. Mon père n'est pas venu me voir à l'hôpital, il m'a simplement fait parvenir la facture pour les réparations de sa bagnole. Pour lui, ça a été la goutte d'eau. Quand je suis finalement rentré à la maison après trois semaines d'hospitalisation, il m'a mis un ultimatum. Soit je rentrais dans le droit chemin, j'arrêtais mes études et rejoignais son entreprise, soit il me coupait les vivres. J'ai embarqué quelques fringues, une boîte de ses cigares cubains, les clés de sa Lamborghini et je suis parti. Ça va faire cinq ans que je ne l'ai pas revu. J'ai revendu la Lambo, ça m'a permis de payer mes frais de scolarité pendant quelques semestres et puis très vite, je me suis retrouvé à sec. Je me suis fait entretenir par une vieille bourgeoise jusqu'à ce que son mari menace de me buter avec sa carabine. Alors j'ai abandonné le projet. J'ai trouvé un appart minable qui put l'humidité et la moisissure, j'ai écrit un livre que personne n'a lu, j'ai trouvé un job dans un petit bar d'étudiant et j'ai commencé à te faire des chocolats viennois. Je fais un peu de sport, c'est vrai mais pas à raison de trois heures par jour. A vrai dire, je passe le plus clair de mon temps à lire ou à servir des pintes de Stella à des étudiants. Je n'aime pas les brocolis mais je n'ai rien contre les haricots verts. J'aimerai bien avoir un chat mais j'ai peur que l'odeur de litière mélangée à celle de la moisissure ne finisse par nous tuer tous les deux. J'ai toutes mes dents de sagesse, je n'ai pas fait mon rappel de vaccin pour mes vingt-cinq ans, je n'ai pas bu de vodka depuis que je nous ai foutu au tas et la semaine dernière, j'ai pris l'argent de la caisse pour payer une fille qui m'a vendu de l'ecsta pour sept livre cinquante. J'ai laissé un pourboire.
Il termina son cappuccino et Hermione resta de marbre, quelques secondes. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui donne autant d'information d'un coup et ne savait pas vraiment comment prendre ses révélations.
- Tu as écrit un livre ? demanda-t-elle finalement.
Il se mit à rire.
- C'est ce que tu retiens ?
Elle haussa les épaules.
- En toute honnêteté, ce n'était pas très bon. Ça parle d'un gosse de riche perdu qui se retrouve à la rue après avoir merdé, encore une fois. Il finit par se pendre avec une guirlande de Noël.
- C'est affreux, dit-elle en frissonnant.
Il hocha la tête.
- J'ai vendu quatre exemplaires et j'ai touché vingt-huit pence de royalties.
- Pas assez pour te faire sucer par une prostituée.
- Définitivement trop peu, acquiesça-t-il en riant amèrement. Et toi Hermione, pourquoi est-ce qu'une fille qui aime Noël au point d'installer un sapin qui bouffe la moitié de son espace se retrouve seule pour les fêtes ?
Il s'était confié, sans doute était-ce à son tour de le faire également.
- Mon histoire est beaucoup plus classique que la tienne. J'ai grandi en banlieue, avec mes parents. Je suis partie à Londres pour mes études supérieures, ils en ont profité pour déménager en Australie. Ils ne reviennent jamais en Angleterre, je déteste le sable et les fortes chaleurs. Ils envoient une carte pour mon anniversaire et me font un virement pour Noël. J'avais prévu de dépenser l'argent en chocolat viennois mais apparemment, c'est devenu une boisson gratuite.
Elle lui offrit un sourire, il lui rendit en hochant la tête.
- Ça fait un moment que tu travailles dans ce bar, maintenant ?
Il acquiesça.
- Tu dois avoir quelques économies de côté, continua-t-elle. Pourquoi est-ce que tu ne reprends pas tes études dans une fac publique ?
Il soupira.
- À quoi bon ? Apparemment, je ne suis pas assez talentueux pour être écrivain. Je ne m'attendais pas à devenir le nouveau Henry James mais j'aurais bien aimé passer la barre des cinq exemplaires. Et puis ça me va bien, de bosser dans ce bar, j'y suis à ma place.
- Je ne voudrais pas anéantir tes espoirs, Drago, mais dans ce bar d'étudiant, tu as l'air d'être tout sauf à ta place.
Il rit, elle le regarda avec tendresse.
- Je t'emmène dîner ? proposa-t-elle alors qu'il secouait la tête.
- J'ai pas un rond.
- Ça ne te coûtera rien.
Elle se leva du canapé, rejoignit la cuisine et monta sur un petit marche pied pour atteindre les placards en hauteur.
- Je crois que j'ai une boîte de haricots verts qui traine par là.
Elle l'entendit rire contre son dos. Elle n'eut pas le temps de se retourner qu'elle sentit son corps se rapprocher du sien, son bras se tendre pour attraper cette boîte qu'elle peinait à saisir. Son corps entier frissonna. Elle se retourna finalement, il était là, face à elle, la boîte de conserve entourée de sa main, posée sur le plan de travail.
Hermione, sur son marche pied, restait toujours plus petite que lui de quelques centimètres. Il se pencha en avant, elle ferma les yeux et cessa de respirer. Les lèvres de Drago se posèrent délicatement sur les siennes, sa main vint se glisser dans sa chevelure et le cœur d'Hermione se remit à battre. Il était tendre dans son baiser, délicat comme s'il craignait de l'abîmer. Elle laissa courir ses mains sur ses épaules avant de descendre jusqu'à son torse. Elle défit les premiers boutons de sa chemise noire et Drago s'éloigna d'elle, plongeant son regard dans le sien.
- Tu es sûre ? Après tout ce que je t'ai dit sur moi ?
Il semblait vulnérable, pour la première fois et Hermione hocha la tête, reprenant leur baiser là où ils l'avaient arrêté.
Drago posa ses mains sur ses hanches, la serra possessivement contre lui et lui fit l'amour tendrement, sur les coussins du canapé.
Nue contre lui, elle frissonnait de le sentir caresser son bras du bout de ses doigts. Elle nicha son visage contre son torse, inspirant l'odeur rassurante qui se dégageait de lui et finit par se redresser. Elle tendit le bras pour attraper son sac à main, fouilla dedans alors qu'il ronchonnait.
- Qu'est-ce que tu fais ? bougonna-t-il en tentant de la ramener contre lui.
Elle sortit un stylo, un bout de papier sur lequel elle griffonna quelques chiffres et lui tendit.
- C'est ma facture. Ça fera cinquante livre, monsieur Malefoy.
Il se mit à rire, la souleva avec force pour la rallonger sur le canapé et vint se positionner au-dessus d'elle, ses avant bras entourant son visage.
- Et ça fait combien en chocolat viennois ? demanda-t-il avant de venir mordiller la peau de son cou.
- Sept ou huit millions, au bas mot, gémit-elle en fermant les yeux.
- Vendu.
Il remplaça ses dents par sa langue, la fit glisser le long de sa peau et goûta à son corps jusqu'à l'épuisement.
.
.
- Qu'est-ce que tu lis ?
Elle venait d'entrer dans le bar. Drago s'occupait d'un groupe qui venait d'entrer. Elle lui avait adressé un sourire qu'il n'avait pas vu, s'était installé au comptoir et avait sorti son dernier achat de son sac, reprenant sa lecture.
Il fit glisser son chocolat jusqu'à elle et elle le regarda par-dessus son livre.
- C'est l'histoire d'un type suffisamment stupide pour se faire tatouer un lézard sur le bras.
Il leva les yeux au ciel en souriant.
- Un serpent, corrigea-t-il.
- Ouais, peu importe. C'est pas du Henry James, c'est brut, douloureux mais percutant. Dommage que la fin soit aussi pathétique.
- Tu n'en es qu'au début.
- Un abruti m'a spoilé, répondit-elle en reposant ses yeux sur les pages.
Il lui prit le livre des mains, le reposa sur le comptoir et plongea son regard dans le sien.
- Je termine mon service dans quinze minutes, souffla-t-il à son oreille.
- Qu'est-ce que tu proposes ? demanda-t-elle avec malice.
- Toi, un chocolat chaud et un abruti avec un lézard sur le bras qui recouvre ton corps de chantilly.
Sa voix était suave contre son oreille et il ponctua la fin de sa phrase d'un petit coup de langue contre son lobe.
- Je ne sais pas si je vais pouvoir attendre quinze minutes, répondit-elle, le souffle court.
