Bonsoir à toustes !
Me revoilà pour la suite !
Un long chapitre où les non-dits sont enfin dévoilé.
Je vous souhaites une agréable lecture, et à très vite !
F.
Un rugissement me sort de mon sommeil, je me redresse le cœur battant, j'ai du mal à savoir où je suis. Puis je me souviens du monstre. Des yeux, je cherche dans la forêt, au-delà des arbres couverts de mousse, dans l'attente d'une nouvelle catastrophe.
—Tout va bien. Tu es en sécurité.
À force de chercher, je la trouve elle. Assise contre un tronc effondré, à quelques mètres de moi, Lexa est là. Tout à coup, je me sens en sécurité. Depuis quand n'ai-je pas ressenti ce sentiment de sérénité ? Trop longtemps pour que ça me revienne. Elle me protège, le rythme de ma poitrine est encore chamboulé, ce n'est plus de la peur.
Tendrement, des doigts viennent m'effleurer le bras, me ramenant lentement à la réalité. Lexa est là. Dans mon lit. J'ai beau fouiller ma mémoire, impossible de comprendre pourquoi. Mon air curieux l'a fait fuir, elle saute en bas du lit et rougit jusqu'aux oreilles. Ça me fait rire. Je me secoue, chassant d'un seul geste le sommeil et les rêves.
— Lexa ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
— J'ai besoin que tu viennes avec moi.
Pourquoi ai-je l'impression d'être encore dans mon rêve ? Elle m'inquiète. Mais son expression s'adoucit.
— Fais-moi confiance.
Pas besoin d'en dire plus en ce qui me concerne. Je me lève et me prépare en vitesse. Je ne sais pas où elle m'emmène, mais j'en suis heureuse malgré ce petit pincement au fond de l'estomac. On joue selon son jeu, pas le mien. Je crains de me retrouver dans une situation où je ne contrôle rien. Et pourtant je la suis, me laissant entraîner jusqu'à la voiture. J'ai rapidement compris qu'il n'y aurait que nous, après avoir traversé la villa endormie sous les "chuuuuut" de Lexa qui craignait de déranger les autres. Après un court trajet en voiture, on se gare sur le parking poussiéreux d'un ranch. Je l'ai déjà repéré à plusieurs reprises cette semaine. Une randonnée équestre, c'est une idée géniale. Je ne suis pas montée depuis une éternité. En fait non, pas tant que ça, mais ça me manque quand même.
La fille des propriétaires est sympathique, et pour une fois je ne me sens pas menacée quand elle discute avec Lexa un peu plus loin. Sans doute parce que malgré le fait que je sois en train de préparer mon cheval, qui répond au doux nom de Whinney, je devine tous les sens de Lexa focalisés sur moi. Je surprends ses regards, jetés à la dérober, et ses sourires imperceptibles, lorsqu'elle m'entend marmonner des mots doux à la jument dont je prends soin. Je capte les frissons qui la parcourent quand nos bras se frôlent et la profonde inspiration qu'elle prend en fermant les yeux, juste avant que je ne m'éloigne à nouveau, comme si elle essayait de retenir une odeur. C'est un moment en dehors du temps, il n'y a que nous au monde, enfin, nous, et les deux montures, brillantes et fières qui trépignent d'impatience en frappant le sol de leurs sabots.
D'un geste souple, Lexa empoigne les rênes et s'élance sur la selle comme si elle avait fait ça toute sa vie. Un bref instant, je peux voir la cape rouge sang couler de son épaule, les gants cloutés tenir les rênes. Et puis c'est de nouveau ma Lexa. Je la rejoins à la hâte et nous nous éloignons du paddock.
Nos chevaux se suivent au pas sur le chemin qu'ils connaissent par cœur, entre la mer et les collines arides. Cette intimité entre nous, ça n'était plus arrivé depuis mon départ. J'ai l'impression de mieux respirer, c'est peut-être simplement l'exercice. J'apprécie d'être là, je pourrais m'en contenter. Mais au bout d'un moment, alors que je vois qu'elle s'emmure dans le silence, je prends mon courage à deux mains pour provoquer la discussion.
— Tu vas me dire finalement pourquoi on est ici ?
— Je te l'ai dit, je pensais que ça serait sympa.
— Non, je veux dire, toi et moi. Que toutes les deux. Je sais qu'Octavia est très bonne cavalière, ça lui aurait plu aussi. Et Raven...enfin, elle tient en selle, et c'est déjà pas mal.
— J'avais envie de passer du temps rien qu'avec toi. On est tout le temps avec les autres, et c'est sympa, mais...
C'était une taquinerie, mais j'ai dû toucher une corde sensible, car elle se renfrogne. Et merde.
— On passait beaucoup de temps rien que toutes les deux avant...
Elle est mignonne quand elle boude, mais je préfère ne pas insister sur ce terrain glissant.
— C'est vrai.
Avant, quand nous avions dix ans. Quand nous étions les meilleures amies. Sauf que, pour moi, Lexa a toujours été plus que ça. Je l'ai aimée toute ma vie. Avant, maintenant, ou plus tard, c'est du pareil au même. Finalement, avant, ça ne signifie pas grand-chose pour moi. Simplement un temps où j'étais trop jeune pour avoir besoin de plus que ce qu'elle me donnait. Pour toute réponse, Lexa me propose un exutoire, et on s'élance au galop sur le chemin qui s'élargit en rentrant dans les terres. Les sensations reviennent en un battement de cil, le vent dans mes cheveux, la puissante musculature de l'animal entre mes cuisses, les pattes qui envoient valser la poussière sur notre passage. Je ris.
Le soleil est à son zénith quand nous rejoignons le point le plus haut des alentours, nous offrant une vue à trois cent soixante degrés sur la mer et les terres. Lexa s'occupe des chevaux tandis que je contemple les vagues qui se brisent sur un récif au loin. L'une après l'autre, sans jamais abandonner, elles viennent s'abîmer sur les roches saillantes qu'un jour ou l'autre, elles auront fini d'éroder. Bel exemple de persévérance. Avec du recul, mon rocher personnel me paraît un peu moins insurmontable. Un tout petit peu. Je m'installe aux côtés de Lexa, sous la relative fraîcheur d'un gigantesque pin parasol, ses aiguilles jonchent le sol, formant un tapis moelleux qui dégage une odeur agréable de sève. C'est au tour de Lexa de se perdre dans ses pensées, les yeux tournés vers l'horizon. Elle est belle. Je la trouve toujours belle. En habit de deuil dans ce cimetière glacial, en robe de soirée au mariage de sa sœur, en maillot de bain sur la plage, ou juste là dans une simple chemise, avec un pantacourt et une paire de baskets. Quoi qu'elle porte, son aura le sublime.
— C'est superbe Lexa. Cette vue est...magnifique.
Je regrette immédiatement mes paroles, me mordant la lèvre pour me faire taire. Elle n'a pas bronché, sa tête reste résolument tournée en direction de la mer, elle se doute que je ne parle pas que du paysage. Pour faire bonne figure, j'avale une longue gorgée d'eau qui ne me désaltère pas entièrement et laisse passer encore un moment. Une petite voix me suggère qu'il serait peut-être temps de passer aux confidences. Il est certain qu'elle ne m'a pas emmenée ici que pour la beauté de la vue, elle veut me dire quelque chose. Pourtant elle garde le silence. J'envisage d'en profiter pour lui couper l'herbe sous le pied, réfléchissant à comment aborder le sujet sans paraître trop étrange, mais les mots restent bloqués dans ma gorge. Alors à la place, je meuble.
— C'est vraiment sympa de la part de Monty de nous avoir tous accueillis pour les vacances. Il ne s'attendait sûrement pas à ce qu'on finisse aussi nombreux, mais il est adorable.
Apparemment soulagée, elle saisit la perche que je lui tends. Je crois qu'elle aussi, essaye de trouver comment se lancer. Je pourrais juste l'embrasser, ça serait réglé. Mais j'ai attendu jusque-là pour une raison bien précise. Si je veux pouvoir me regarder dans un miroir, il va bien falloir que j'aille au bout.
— Monty oui. Lui et Jasper, ils sont amis depuis quand ?
— Ils étaient enfants, je crois. Ils ne se sont jamais quittés.
Ça aurait pu être nous. Ça aurait dû être nous.
— Et Harper ? Ça fait combien de temps qu'elle sort avec Monty ?
— Officiellement, ils ne sortent même pas du tout ensemble. C'est compliqué à cause de Jasper. Il avait des vues sur elle au début. Je ne sais pas trop où il en est par rapport à ça. Mais ils ont fini par se lâcher un peu, j'espère que ça durera plus que les vacances.
— Et Finn ?
— Quoi Finn ?
— Il fait partie de la bande depuis longtemps?
— En quelque sorte.
— Tu sais qu'il a des sentiments pour toi ?
Ce serait mentir, si j'affirmais le contraire. J'ai beau essayer de me convaincre, j'ai eu trop souvent le doute ces derniers jours. La contraction de sa mâchoire et ses sourcils légèrement froncés balayent mes doutes, je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre ces deux-là, mais elle est persuadée de ce qu'elle avance. Et ça n'a pas l'air de lui plaire. Un élan d'affection m'envahit, j'ai très envie d'aller embrasser cette mâchoire pour la détendre. Une fois là, je pourrais très bien continuer mon exploration vers son oreille et pourquoi pas sa nuque cachée par ses longs cheveux bruns. Je reporte mon attention sur ses yeux qui attendent une réponse et soupire.
— C'est un garçon gentil, intéressant, prévenant. Finn et moi, dans d'autres circonstances, ça aurait pu être quelque chose. Mais ça n'arrivera jamais.
— Pourquoi ?
Il y a de l'espoir dans sa question. La réponse la plus sincère, c'est que je suis amoureuse de quelqu'un d'autre. Les mots se forment dans ma tête, mais quand je croise son regard à nouveau, le vert que j'y vois me rappelle la forêt, un champ de bataille, une féroce guerrière et le sang des soldats. Mon estomac se serre d'appréhension, cette sensation désagréable qui m'envahit lors de mes visions. Pas maintenant ! Incapable d'avouer, je m'accroche à une autre vérité.
— Raven et lui se connaissent depuis toujours. Et malgré ce que Raven peut dire, je crois qu'elle l'aime. Je ne lui ferais jamais ça...
— Oh...
Je détecte une vague déception dans sa voix, ma réponse ne lui convient qu'à moitié. Cependant, ma diversion a fonctionné, car les images s'estompent quand mes pensées se focalisent sur Raven. C'est la première fois que je formule cette idée qu'il y aurait quelque chose entre Finn et Raven, et pourtant, je n'ai jamais été aussi certaine de moi. Poussée par le besoin de dissimuler mon secret, je viens de livrer celui de ma meilleure amie, sans même savoir si elle-même est au courant. Mettant enfin le doigt sur ce vague malaise qui m'a toujours hantée lorsqu'il s'agissait de Finn, je commence à interpréter d'une nouvelle façon les réactions de Raven à son sujet. Peu désireuse de m'étendre sur leur relation, je ramène la discussion sur un terrain neutre en lui demandant où elle a appris à monter.
— Costia.
Sa réponse me fait grincer des dents. Pour la neutralité, c'est loupé. Mes yeux se ferment brièvement, à la recherche du courage qui me manque depuis des mois à présent.
—Tu ne m'as jamais dit pourquoi tu n'étais plus avec Costia ?
Si ma voix ne trahit pas ma nervosité, celle-ci s'accentue drastiquement à chaque seconde silencieuse qui s'accumule entre nous. Sentant la panique me gagner, je tente une marche arrière.
— Désolée, si tu ne veux pas en parler...
— Non, c'est bon...On...on n'avait pas les mêmes attentes...J'ai préféré la quitter avant que...enfin, bref.
C'est pas une réponse ça ! Ma curiosité me pousse à lui demander des détails, mais la première fois qu'elle m'avait questionnée à propos de Finn, je n'avais pas été plus éloquente. Je ravale mes interrogations et lui pardonne instantanément son manque de communication. Je retiens tout de même une information importante, c'est elle, qui l'a quittée. Pour une raison un peu puérile, ça me remplit d'une joie immense. Lexa par contre, paraît contrariée et cette impression ne s'efface pas quand nous prenons le chemin du retour. Le balancement du cheval ne suffit plus à me distraire de ses traits qui se durcissent chaque minute. Envolée la bonne humeur du matin. Sa rupture avec Costia l'a affectée plus que ce que j'imaginais et ma question n'a fait qu'attiser la douleur. Je n'ose plus dire un mot tandis que je culpabilise de l'avoir mise dans cet état.
Lexa n'a pas desserré les dents de tout le trajet. Je le sais à cette petite ride qui s'est formée entre ses deux yeux, à la tension dans sa mâchoire, au tressaillement de ses paupières. N'importe qui en aurait conclu qu'elle était simplement concentrée sur la route. Pas moi. À peine la voiture garée, elle se précipite dehors sans me laisser le temps de réagir. Je refuse qu'elle me fuie de la sorte. Ma tête me hurle de lui laisser de l'espace alors que mon cœur me met en mouvement. Il ne faut que quelques foulées pour la rattraper et je plonge entre ses bras sans réfléchir. Je claque la porte au nez de ma conscience qui me fustige de ce manque de jugeote, mais je m'accroche. Son corps d'abord tendu se détend sous la pression de mes bras.
— Merci Lexa, pour la ballade. Et désolée si je t'ai rappelé de mauvais souvenirs. J'aimerais retrouver le sourire que tu avais ce matin en partant.
Son bras remonte dans mon dos. Brièvement, elle me retourne mon étreinte, avant de remettre de la distance entre nous en m'adressant un petit sourire triste.
— Ne t'inquiète pas, ça va passer.
Mais pourquoi suis-je allée parler de Costia moi ? J'avais vraiment besoin de savoir ? La regarder s'éloigner me fend le cœur. Je suis stupide.
Κ∞Λ
Il est encore tôt quand Lexa s'éclipse dans sa chambre en nous souhaitant une bonne nuit. Son sourire n'est pas revenu. Je n'ose pas croiser les regards interrogateurs de nos amis. En plus de la culpabilité d'avoir déclenché son mal être, ma jalousie revient, me lacérant les entrailles. Je suis jalouse d'un fantôme, et ça me fait mal. Il me faut une bonne dose de volonté pour la repousser au fond de moi, mettant mes sentiments de côté pour me concentrer sur Lexa. Je ne peux pas supporter de la voir comme ça, j'ai besoin de faire quelque chose.
Au bout de quelques minutes à peine, je grimpe les escaliers pour la rejoindre. Elle est allongée sur son lit, sans même avoir pris la peine de se changer, un bras lui couvrant les yeux. Dans l'encadrement de la porte, je l'observe quelques instants, laissant la vague de tendresse qui m'envahit me calmer. Le monstre au creux de mon estomac se met à ronronner, et même ma culpabilité se met en sourdine. Il n'y a plus que la blessure de Lexa qu'il faut que je panse. Je m'allonge à ses côtés avant d'y réfléchir à deux fois. Mes bras autour d'elle, je colle mon corps contre le sien dans l'espoir de lui transmettre une partie de cette paix dont je suis maintenant imprégnée. Par ma simple présence, je m'efforce de lui apporter le réconfort dont elle a besoin. Parfois, les mots sont superflus.
J'ignore combien de temps nous restons ainsi. Une minute, une heure, toujours est-il qu'au bout d'un moment, elle bouge pour s'éloigner, me forçant à me redresser. Refusant de rompre le contact, ma main traîne sur son t-shirt, tripotant le tissu nerveusement. Elle vient stopper le mouvement, capturée immédiatement par mes doigts qui se mêlent aux siens. Ainsi liées, j'accepte la distance qu'elle vient d'imposer, mais pas plus.
— Je vais bien Clarke.
— Tu mens mal Lexa Primheda. C'est à cause de Costia ?
— Ça a fait remonter des souvenirs. La rupture a été difficile.
— Tu veux en parler ?
— Non. Mais merci de proposer. Ça va aller Clarke, promis. J'ai juste besoin d'être un peu seule.
— Tu veux que je reste ?
— Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans le mot « seule » ? me taquine-t-elle en esquissant un sourire.
Ah oui, évidemment… Je me sens un peu bête. À contrecœur, j'amorce mon départ. Au moins, j'aurais vu un sourire sur son visage, il faudra bien que ça me suffise jusqu'à demain. Mais au moment où je desserre ma prise, c'est elle qui referme avec poigne sa main sur la mienne. Je lui lance un regard surpris.
— Oui. Reste.
Sous l'émotion, un picotement remonte le long de ma gorge, atteignant bientôt mes yeux. Je cligne des paupières quelques fois pour effacer les larmes qui menacent de sortir. Heureusement que j'ai la tête tournée, le temps de me réinstaller plus confortablement. Elle s'est rallongée sur les oreillers, et me regarde. Bientôt, nous nous faisons face sans un mot. Mon cœur cogne si violemment contre ma poitrine que je suis persuadée qu'elle pourrait en déceler les battements à vue d'œil. Mais ses yeux sont plantés dans les miens, passant de l'un à l'autre, déviant du côté de mes lèvres de façon si furtive que je doute de la réalité de ces dérapages. Cela faisait longtemps que je n'avais plus eu l'occasion de détailler la couleur unique de ses iris. Ils sont du vert profond des feuilles des chênes après l'orage, et juste au milieu des milliers de petites étoiles brillent comme la Voie lactée. Minuscules paillettes d'or indétectables, est-ce réel ou le fruit de mon imagination ? Ses paupières tombent de plus en plus souvent, dans quelques minutes elle dormira. Lorsque je suis certaine qu'elle ne les rouvrira plus, je ferme les yeux à mon tour, un sourire timide figé sur les lèvres.
Κ∞Λ
Le hurlement s'insinue d'abord dans mes rêves, avant de me ramener brutalement à la réalité. Le cœur battant, je cherche un point dans la pénombre qui m'entoure. Suis-je à nouveau dans la forêt ? Dois-je m'attendre à lutter de nouveau contre cet animal féroce ? Non, ce n'est pas le cri de la bête, c'est plus proche, et définitivement humain. Comprenant enfin où je me trouve, je me tourne vers Lexa qui gémit à présent, enlisée dans un cauchemar si violent que les larmes inondent son visage. L'expression d'horreur sur son visage et ses yeux allants et venants derrière ses paupières m'interrogent, et s'il ne s'agissait pas d'un simple cauchemar ? Est-elle , elle aussi, témoin d'événements venus d'un autre temps ? Je lui caresse lentement le dos pour la ramener à moi.
— Hey, tout va bien.
Tu es en sécurité.
Deux yeux hagards s'ouvrent sans crier gare pendant qu'elle me saisit brusquement le visage. Je retiens une grimace sous la douleur que m'infligent ses mains incrustées sur mon crâne et mes joues. Elle cherche quelque chose, repoussant mes cheveux pour scruter mon front, en proie à une terreur que le réveil ne suffit pas à apaiser. Fermement, j'attrape ses avant-bras pour la rassurer de ma présence. Sous la pression de mes doigts, sa prise se relâche, je sens son corps s'affaisser quand ses muscles se détendent. De grosses larmes roulent sur ses joues, je l'attire à moi pour la calmer.
— À quoi tu rêvais ?
— C'était juste un cauchemar.
J'en doute, mais cette phrase ne s'adressait pas à moi. C'est elle qu'elle tente de convaincre. Il n'est pas nécessaire que j'insiste sur ce sujet. Je me rallonge en l'entraînant avec moi. Sa tête repose sur mon épaule, ses bras autour de moi, immobiles. De ma position, impossible de dire si ses yeux sont fermés, mais je suis persuadée qu'elle n'est pas prête à retourner affronter son subconscient. Pourtant, inspiration après inspiration, je sens le rythme de son cœur ralentir contre ma poitrine. Bientôt, sa respiration est apaisée, elle dort.
—Tu es en sécurité.
Κ∞Λ
Je suis la première à ouvrir les yeux. Ma première pensée est pour mon bras gauche qui ne répond plus. Il gît, insensible, sous la nuque de Lexa. J'agite les doigts, déclenchant un fourmillement désagréable le long de mes muscles. Le plus délicatement possible, je m'extirpe en prenant soin de la réinstaller confortablement. Ce coussin ne peut pas être moins moelleux que moi. Quand je suis certaine qu'elle dort encore profondément, je m'éclipse. J'ignore ce qu'ont fait les autres hier soir, mais personne n'est venu nous déranger, pas même Luna. C'est tout de même sa place que j'ai occupée cette nuit. Le temps de descendre les escaliers et de franchir le petit couloir, j'imagine la déferlante de remarques grivoises dont nous ne manquerons pas d'être les cibles. Peu d'humeur à supporter ça, j'entre dans la cuisine résolue à tuer dans l'œuf toute tentative de blague de mauvais goût. Si j'arrive à museler Raven, j'ai bon espoir que personne n'ose la remplacer dans son rôle de casse-couille de première. Je pousse la porte, fais quelques pas assurés en me tenant bien droite et adresse d'emblée un regard noir aux occupants de la pièce.
— Le premier qui l'ouvre, je fais de sa vie un enfer !
Pas besoin de traducteur pour comprendre de quoi je parle. Raven est coupée dans son élan et sa phrase meurt avant de franchir ses lèvres, ainsi que son sourire grivois. Bellamy lève deux yeux ronds vers moi, interrompant sa mastication pour avaler tout rond un gros bout de pain au chocolat. Son regard balaye la pièce à la recherche d'un peu d'aide. Luna, assise devant son thé matinal, hausse les épaules en me jetant à peine un coup d'œil avant de se concentrer sur son téléphone.
— Allez Clarke ! Ça va, on allait pas être lourd ! s'offusque Raven, comme si elle n'était pas justement sur le point de lancer une vacherie.
— Ne me cherche pas Reyes, à ce jeu-là, tu es perdante.
Mon regard se glace un peu plus, je fronce les sourcils, ni trop ni trop peu, juste assez pour avoir l'air sérieuse et inébranlable, ce que je suis. Ce n'est pas la première fois que j'en suis réduit à menacer Raven pour parvenir à mes fins. Et si mes premières tentatives ont dû se solder par l'exécution de mes menaces, aujourd'hui, elle a bien appris sa leçon. Je peux être une vraie teigne quand je m'y mets. Elle se rembrunit en marmonnant quelque chose d'inintelligible à Harper qui esquisse un sourire avant de le ravaler quand je porte mon attention sur elle. Victorieuse, je me saisis d'un plateau et fais couler un café quand une ombre derrière moi me fait sursauter.
—Quoi ?
— Heu… J'ai fait des croissants, me dit gentiment Bellamy en me tendant une corbeille pleine de viennoiseries toutes chaudes. Il se peut que je sois à cran après le trop-plein d'émotions des dernières vingt-quatre heures. Je lui sers un sourire d'excuse et le remercie en remplissant mon plateau de douceurs.
— Hop hop hop ! Notre silence a un prix ! s'exclame Raven qui a repris du poil de la bête. J'aurais dû me douter que ce ne serait pas si simple. Elle tend le bras vers moi, interceptant deux croissants au passage.
— Estime-toi heureuse qu'il se paye en nourriture, ajoute-t-elle en enfournant un croissant entier dans sa grande bouche. Déjà, elle s'avance à nouveau pour piocher dans l'assiette que je viens de préparer pour Lexa.
— Il reste un pain au chocolat ? intervient Jasper qui vient juste d'entrer dans la cuisine et lorgne sur la dernière viennoiserie qui reste sur mon plateau. J'imagine sans mal qu'ils en ont déjà dévoré bon nombre. C'est sans scrupule que je fais demi-tour, cherchant refuge derrière Bellamy qui arrête Raven d'une main alors qu'elle me poursuit. Portant mon plateau à bout de bras, tout en essayant de ne pas renverser la tasse de café, je slalome entre les chaises, passe à côté de Luna, qui n'a pas levé le petit doigt depuis tout à l'heure, et me précipite dans le couloir en direction des chambres.
Je m'arrête au bout de quelques pas. Lexa est assise au milieu des escaliers, pieds nus, chevelure emmêlée, portant encore ses vêtements de la veille. À moitié endormie, les yeux dans le vague, elle est adorable. Un sourire tendre se dessine sur mon visage, et je franchis les quelques marches qui nous séparent pour venir me poster devant elle.
— Je pensais venir te réveiller, il est presque onze heures.
Ses yeux s'illuminent soudain, comme si elle remarquait seulement ma présence, accompagnant un sourire angélique qui me met du baume au cœur. Après son état de la veille, ça fait du bien de la voir sourire. Elle s'éclaircit la voix.
— Et bien je pense qu'un café est exactement ce qu'il me manquait pour terminer de me réveiller.
— Tu vas manger au milieu des escaliers ?
— Yep, fait-elle en mordant à pleine dent dans le pain au chocolat. Une miette s'égare au-dessus de sa joue pendant qu'elle dévore sa proie. D'un coup de langue, elle rattrape le morceau qui lui échappait. Si on m'avait dit un jour que je serais jalouse d'un pain au chocolat.
— Mmmm, fais-moi penser à remercier Bellamy pour ça.
— Bellamy ? Et moi alors ? Tu ne sais pas ce que j'ai dû faire pour te sauver ce pain au chocolat ! Ce sont des sauvages quand il s'agit de bouffe.
Un petit rire lui échappe en imaginant nos amis se ruer sur la pile de croissants chauds. Elle termine son petit déjeuner en se léchant soigneusement les doigts, ce qui achève de me déstabiliser. Finalement, c'était moins dangereux pour mon cœur quand elle me fuyait. Maintenant, j'aimerais bien être ces doigts couverts de chocolats. Je gigote, sentant les fourmillements familiers se répandre le long de mes bras quand elle me passe devant, en m'ignorant superbement. Il serait plus sage pour ma libido de la laisser filer, mais je ne peux m'empêcher de m'indigner devant son attitude désintéressée.
— Lexa !
En réalité, son comportement me fait rire. Je lui emboîte le pas, un large sourire aux lèvres, que je perds à l'instant où elle se retourne pour venir déposer un baiser sur ma joue. Une vague de chaleur me submerge quand elle me murmure un « merci » au creux de l'oreille, avant de rejoindre les autres dans la cuisine.
Κ∞Λ
N'arrivant pas à se mettre d'accord pour le programme de la journée, on finit par se séparer en deux groupes. Je choisis d'aller lézarder à la plage, notre excursion de la veille ayant réveillé de vieilles courbatures. J'avais oublié que c'était à ce point physique de monter. Lexa préfère soigner le mal par le mal et part avec Bellamy, Lincoln, Harper, Luna et Murphy pour descendre les gorges de la Samaria. Présenté comme ça, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter, mais Monty me rassure sur la facilité de la marche.
— C'est super connu et praticable. Même Murphy n'aura pas de problème.
— Comment ça "même Murphy" ? s'indigne celui-ci.
Il est pourtant clair que mis à part Luna, c'est celui qui présente la moins bonne forme physique des randonneurs. La dernière fois, il était rentré en hypothermie de notre ballade au lac. J'esquisse un sourire à ce souvenir, spécialement le moment où nous contemplions l'étendue d'eau glacée avec Lexa. Tout était tranquille, il n'y avait plus que nous dans ce paysage sauvage, et l'espace d'un instant, je m'étais sentie libre. Ma main glissée dans la sienne, je ne ressentais plus le poids de mon secret. Dans cet endroit intemporel, peu importait la véracité de mes visions, nos âmes étaient liées au-delà de notre réalité. Enfin, jusqu'à l'interruption de Murphy qui virait déjà au violet suite à son plongeon.
Le brouhaha accompagnant le départ de nos amis me ramène à l'instant présent. Je lorgne en direction de Lexa qui termine d'attacher ses chaussures de marche. Elle conserve cette humeur taquine avec laquelle elle s'est réveillée. Ce n'est pas plus mal qu'on soit séparée aujourd'hui, je m'en serais voulu de dire un truc qui ne faut pas. Je suis prête à tout pour ne pas revoir cette tristesse sur son visage. De plus, je suis suffisamment frustrée pour préférer m'épargner la vue de son corps, couvert uniquement d'un bikini. Rien qu'à cette pensée, je sens les papillons dans mon estomac s'emballer. Sans compter que je ne supporterais pas qu'une pétasse brune lui fasse du rentre-dedans comme celle de l'autre jour. Je l'ai encore en travers de la gorge celle-là. Au moins, au milieu de gorges poussiéreuses, elle a moins de chance de se faire draguer.
On rentre cramés, et à plat de notre journée. La marque de mes lunettes trace un masque blanc sur mes yeux alors que tout mon visage brille d'un rose vif. Vu la dose de crème solaire que j'ai épuisée, j'ai bon espoir que ça se transforme en bronzage d'ici demain. C'est épuisant d'avoir chaud, même quand on ne fait rien, car on ne peut pas dire qu'on se soit beaucoup activé aujourd'hui. Mon livre a pris une sacrée claque, malgré le fait que j'ai eu du mal à rentrer dedans complètement, mes pensées sautant sur n'importe quel prétexte pour se tourner vers Lexa. N'y tenant plus, je saute de la voiture avant même qu'elle ne soit totalement immobilisée, m'attirant les foudres de Jasper et un commentaire de Raven que je préfère ne pas avoir entendu. C'est bien de passer des moments séparées, mais elle me manque trop. Comment ai-je réussi à passer cinq ans sans elle ?
— Salut. Tu as passé une bonne journée ?
Je la trouve dans la cuisine, terminant de préparer le repas avec Lincoln. Leur activité était clairement plus fatigante que la nôtre, et pourtant tout est déjà prêt et organisé pour la soirée. Je veux l'épouser. Elle me lance un regard curieux, et hoche la tête.
— Oui et toi ? On dirait que tu as pris le soleil.
Son sourire moqueur est contagieux. Cependant, je suis secrètement soulagée que mes coups de soleil cachent la rougeur qui monte sur mes joues suite à ma dernière pensée.
— Mon tube de crème est tombé en panne vers treize heures. Je suis contente que tu te sentes mieux.
C'est sorti avant que j'aie eu le temps de réfléchir. Loin de moi l'idée de remettre les pieds dans le plat. Mais elle me sourit pour me rassurer, les mauvais moments sont derrière elle. Rassurée, je file sous la douche, afin d'éliminer les restes de crème, de sable et de soleil. En passant devant le four, je détecte une odeur de sauce tomate et de basilic. Un coup d'œil me confirme que ce sont bien des lasagnes qui gratinent doucement. N'ayant rien avalé depuis ce matin, mon estomac gronde violemment et je vole vers l'étage.
On se régale du plat confectionné par Lexa et Lincoln, avant d'attaquer le pavlova de Bellamy. Nous n'avons rien mangé d'aussi bon depuis notre arrivée, même lors de nos sorties. Raven et Jasper amorcent un débat sur les capacités de nos trois amis à ouvrir un restaurant, auquel je ne participe pas, trop occuper à digérer.
L'estomac plein, je me sens bien. Quoi qu'un peu lourde, la meringue en dessert, je ne suis pas sûre que ce soit vraiment léger. La suite du programme nous emmène au grand salon, où Bellamy nous a préparé une soirée ciné grâce au vidéo projecteur accroché au plafond. Décidément, on n'a rien à faire ce soir, je pourrais m'y habituer. Par acquit de conscience, j'aide tout de même à débarrasser la table, guettant les nuages noirs et les éclairs derrière les petites fenêtres de la cuisine. Le tonnerre ne s'est pas encore fait entendre, mais le vent a forci et les palmiers qui bordent l'escalier sont de plus en plus penchés. Un frisson me parcourt l'échine pendant que je m'imagine dehors, à braver les éléments. Je n'aime pas particulièrement les orages, et ici, je ne suis pas chez moi. Mes entrailles se serrent un peu plus à chaque bourrasque. Je dispose les couverts dans le lave-vaisselle et pose le plat dans l'évier avant de le remplir d'eau. D'un coup d'œil, j'embrasse la cuisine et la salle à manger, satisfaite de n'y découvrir que de rares verres éparpillés. Il est temps de rejoindre les autres au salon. Tous sont affalés sur les grands canapés, fauteuils et autres coussins étalés sur le tapis beige brodé d'or qui délimite l'espace détente. Les deux couples officiels squattent sur un des canapés, alors que Raven et Luna s'accaparent l'autre sans manifester la moindre intention d'y ménager une place. Lexa et Bellamy ont choisi de s'installer devant de canapé, à même le sol. Murphy s'étire sur son fauteuil, et Finn se décale sur le sien en me voyant arriver.
— Il reste une place ici si tu veux Clarke.
Mon cœur se met à marteler ma poitrine, tandis que mon regard fait le tour de mes amis. Certains yeux curieux se sont levés vers moi, attendant que je rompe ce suspense de mauvais film. Un sourire désolé s'étire sur mes lèvres, et je lève les épaules d'un geste d'excuse pour Finn. Même si Lexa n'avait pas été là, j'aurais esquivé. Je ne peux plus ignorer qu'il a des sentiments pour moi. Et moi, je n'en ai pas pour lui. Ma destination est toute trouvée, je n'ai même pas besoin d'y réfléchir. J'entends le vent siffler et secouer les volets, fermés pour l'occasion. En deux enjambées, je suis auprès de Lexa, repoussant la table basse pour me faire de la place. Je dois être la seule à deviner l'éclair dont la lumière a fait une brève apparition entre les battants des volets. Poussée par l'appréhension grandissante de l'orage dehors, je me glisse entre ses jambes, collant mon dos contre sa poitrine, me servant d'elle comme d'un gigantesque doudou. Voilà, maintenant je suis bien. Jasper vient s'installer à côté de nous, et une fois que tout le monde a pris sa place, Bellamy lance le film. C'est le moment que choisit le tonnerre pour éclater, grondant et déchirant le ciel comme si une bataille faisait rage dehors. Si tout le monde sursaute, je tremble carrément au son angoissant. La pluie s'abat avec fracas sur le toit, et le vent envoi à chaque rafale, une déferlante de pluie cogner contre les vitres.
Je sais que ce n'est qu'une tempête, que je suis à l'abri. Mais je ne peux pas m'empêcher de trembler à chaque déflagration de l'éclair qui déchire le ciel. Jusqu'à ce que Lexa m'enlace, serrant juste assez pour que je me sente protégée. Ses bras sont passés sur mes épaules, j'appuie mon oreille contre son biceps, relâchant la tension de mes muscles en couvrant de mes mains les siennes qui reposent sur mon ventre. J'entends à peine le coup de tonnerre suivant, trop occuper à analyser chaque parcelle de mon corps en contact avec le sien. Si je me concentre, je peux sentir son cœur cogner contre mon dos, son souffle chaud frôler ma nuque, ses doigts frémir de concert avec ma peau à chaque minuscule mouvement. Tandis que je me complais dans l'étreinte rassurante de Lexa, ma tête se fait plus lourde, mes paupières se ferment de plus en plus souvent. Je sais que si je ne bouge pas, je vais m'endormir. Mais je n'ai aucune envie de me sortir de ce piège, imaginant comme la vie serait douce auprès d'elle. Alors au bout d'un moment, je m'abandonne au sommeil au creux de ses bras.
Κ∞Λ
Cette fois, c'est dans mon lit que j'ai passé la nuit, même si j'ignore comment je suis arrivée là. Dans mon dernier souvenir j'étais dans les bras réconfortants de Lexa et elle n'est nulle part en vue à mon réveil. Si j'ai rêvé, ça devait être plutôt agréable, mais je ne m'en souviens pas. Mon esprit flotte à la lisière des rêves, sans arriver à me sortir de cet état de béatitude, il faut dire que je ne fais aucun effort, j'aime cette sensation de douceur qui m'enveloppe. Au radar, je descends prendre mon petit déjeuner, écoutant distraitement les autres évoquer leurs plans pour la journée. Ils parlent d'une soirée, d'un tournoi. Je manque recracher mon thé par le nez en entendant Octavia s'adresser à Lexa.
— Le tournoi de Beach-Volleys. Tu sais, celui où ta copine de l'autre fois t'as invitée..
C'est d'une efficacité redoutable pour me faire redescendre de mon petit nuage. Octavia entame une de ses sempiternelles disputes avec Raven, et quand la nourriture se met à voler, je hausse le ton.
— Stop ! On arrête les frais tout de suite les filles ! Notre appartement porte encore les stigmates de votre dernier accès de folie. C'est qui cette Ontari ?
Et surtout pourquoi est-elle qualifiée comme « la copine » de Lexa ? Au fond de mon estomac, la petite créature qui ronronnait depuis mon réveil vient de se transformer en un monstre assoiffé de sang. Ça faisait longtemps. Je guette les réactions de Lexa qui heureusement, à l'air aussi choqué que moi.
— Une fille qui drague Lexa.
C'est bien ce que je craignais, la pétasse brune de la plage. Moi qui pensais être débarrassée d'elle. D'abord il faut que j'affronte le fantôme de Costia, et maintenant cette inconnue bien trop belle pour être honnête. Ma vie est un enfer…
Mon opinion n'a de toute évidence aucun poids, car nous nous retrouvons à encourager des inconnus une grande partie de l'après-midi. Je ne peux m'empêcher de remarquer que Lexa joue beaucoup mieux que toute ces greluches en bikini. Malgré moi, je me laisse prendre au jeu, repérant l'équipe adverse de celle d'Ontari pour les encourager discrètement. Les autres sont contents de se mélanger et de faire de nouvelles rencontres. J'entends soudain un grand rire derrière moi, et je découvre Murphy assis sur un muret en compagnie d'une jolie fille. Elle arbore un tatouage tribal sur la partie gauche de son visage. La distance ne me permet pas d'en être certaine, mais j'ai l'impression qu'il recouvre une cicatrice. Sa main du même côté est légèrement recroquevillée de façon peu naturelle, comme les vestiges d'un accident. Pendant que je les observe, elle se penche vers lui pour venir capturer ses lèvres avec aplomb. Mes yeux se détournent avec pudeur. Je suis jalouse. Ça à l'air tellement facile pour eux. Mais j'imagine que c'est facile quand on n'a rien à perdre. Sans surprise, mon regard cherche Lexa, que je trouve occupée à commenter le match avec Lincoln et Bellamy. Ontari est en tain de gagner, c'est la finale. Je me rembrunis. Si Lexa finit par sortir avec cette fille, ou une autre, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même. Je m'étais promis d'être honnête envers elle, de tout lui dire. De lui parler de mes visions, avant de lui avouer mes sentiments. Ça fait deux mois qu'on s'est retrouvée, deux mois que je me sers des excuses pour repousser cette discussion. Je croyais avoir fait la paix avec mon esprit. Pourtant, rien qu'à l'idée de lui avouer mon secret, mes mains se mettent à trembler, la boule dans ma gorge bloque chaque mot qui voudrait sortir. Lorsque je les aurai prononcés à voix haute, pire encore, lorsque je lui parlerai, alors ce sera réel. Ou je découvrirai que je suis folle.
La journée s'étend, laissant place à une fin d'après-midi à peine moins étouffante. Il est temps de rentrer se changer avant de revenir sur cette plage pour la soirée de la victoire. Découragée, je laisse Raven choisir ma tenue. Il est impossible qu'elle n'ait pas remarqué mon humeur maussade, mais elle a la bonté de ne pas me le faire remarquer. Appréciant à sa juste valeur l'effort surhumain qu'elle doit fournir pour ne pas me tirer les vers du nez, je me secoue, bien décidée à profiter de la soirée. J'aurais cru qu'elle choisirait quelque chose de plus sexy, mais cette robe blanche qui m'arrive au-dessus des genoux est très sobre, surtout si on compare à la robe de soirée rouge pétante qu'elle porte. Dos nu, un décolleté qui lui arrive au nombril. J'ai l'air d'une sainte à côté. Mais ça me convient bien pour ce soir, pas question de tomber dans la vulgarité de compétition par pure jalousie. Je boucle mes cheveux blonds, comme maman le faisait quand j'étais petite. Une petite touche de nostalgie, ça ne fera pas de mal.
Il est l'heure, je rejoins Lexa dans le salon, décidément, le noir et blanc lui va comme un gant. Son chemisier sans manches glisse sur son corps à chaque mouvement. J'ai envie d'en toucher la matière pour en tester la douceur, mais je me retiens. On dirait du satin. Une fois assez proche d'elle, nos bras se frôlent, il serait si simple d'entremêler nos doigts comme j'ai l'habitude de le faire. Mais ce soir, quelque chose me retient. À la place, je lève ma main, paume vers le haut, en l'interrogeant du regard, attendant silencieusement qu'elle la prenne, ou pas.
Les yeux de Lexa ne tiennent pas en place, glissant sur ma nuque, mon buste, détaillant chaque partie de mon corps et de mon visage, échauffant sans s'en rendre compte mes pensées, jusqu'à revenir plonger dans les miens. Immobile, je ne peux soutenir son regard brûlant plus longtemps. Je me détourne, gênée par cet examen, ma main toujours en suspend. Imperceptiblement, elle avance, réduisant l'espace entre nous à un fin mur d'air brûlant.
— Bon, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? crie Raven à travers la porte.
Lexa m'adresse un petit sourire complice. On ne s'en sortira jamais avec des amis comme ça. D'un geste vif, elle attrape ma main et me tire derrière elle.
L'ambiance que nous retrouvons n'a plus rien à voir avec l'effervescence sportive qui animait la plage un peu plus tôt. Le bar à cocktails est ouvert, les panneaux de bois qui en bloquait la vue ont été retirés et les deux serveurs agitent leurs blenders sous le toit de paille orné d'une guirlande électrique aux couleurs vives. Juste à côté, le DJ, un casque sur les oreilles, jongle entre deux grands disques noirs. Sur une bonne longueur de sable, des feux de joie ont été allumés dans de grands braseros. Maintenant qu'il fait nuit et malgré la foule et les feux, on peut sentir la fraîcheur venue de la mer et du sable sous nos pieds. On laisse les voitures au parking quelques mètres plus loin, et on se disperse une fois arrivé. Raven se dirige droit sur le bar en agitant la tête au rythme de "Please don't stop the music". Un verre me ferait définitivement du bien pour affronter cette soirée, je l'accompagne en commandant un shot de tequila. Lincoln et Octavia sont déjà sur la piste à se déhancher, je siffle mon verre bien trop vite et les rejoint pour essayer de me sortir Lexa de la tête. Malgré moi, je ne cesse de la chercher dans la foule, il me semble l'avoir repérée il y a une minute avec Harper et Luna. La lueur dansante des flammes lui éclaire le visage d'une façon bien trop familière. Les yeux clos sur la piste de danse, cette image me ramène dans notre village, le soir près du feu de camp, puis une autre image, avec une Lexa plus âgée, vêtue d'une armure. Je secoue la tête pour la faire partir.
Je commence seulement à me détendre quand Ontari fait sont apparition. Un grognement sourd m'échappe, je l'avais presque oublié celle-là. Une acclamation s'élève des quelques jeunes qui ont assisté au tournoi pour féliciter l'équipe gagnante qui fait une entrée remarquée. Emori, la nouvelle copine de Murphy, le retrouve immédiatement alors que les deux bandes se mêlent pour mon plus grand malheur. Il s'avère que tout le monde s'entend plutôt bien, si l'on m'exclut avec ma jalousie maladive.
Ne pouvant pas compter sur le soutien de mes amis de ce côté-là, je garde mon monstre sous contrôle à grand renfort d'alcool. C'est bien la pire idée que j'ai eu de toute les vacances. Au troisième verre, Bellamy remplace mon cocktail par un grand verre d'eau que j'avale sans un mot. Qu'est-ce que je ferais sans lui. Ces feux sur la plage ont de plus en plus des airs de déjà vu. Un brasier funéraire, un adieu à un ami. Je m'ébroue sous le regard amusé de Bell qui prend ça pour une réaction à l'eau. Ma lutte est invisible, repoussant la vision qui m'angoisse déjà. Je décide d'arrêter l'alcool, si je veux éviter de revivre ça ce soir, c'est la meilleure chose à faire. Mieux vaut encore m'arranger avec le monstre qui tourne comme un lion en cage dans ma poitrine.
En parlant de ça, je reprends mes esprits juste à temps pour apercevoir Ontari au loin, en train de peloter Lexa. Mon cœur fait un tel bond que j'ai la sensation qu'il va lâcher. Bellamy me prend la main, récupérant le verre que je serre à m'en faire mal.
— Je récupère ça avant que tu l'éclates. J'ai pas envie que tu te blesses. Où que tu tues quelqu'un.
Il suit mon regard juste au moment où Lexa repousse sans équivoque la joueuse de volley, ce qui me calme un peu.
— Je crois que c'est le moment Clarke.
Il me pousse imperceptiblement dans leur direction avant de s'éclipser sans un mot de plus. Les deux brunes près des vagues se tournent de concert dans ma direction. Je n'ai pas le temps ni l'envie de me composer une tête de circonstance. L'instant d'après, mes pieds m'entraînent sans me demander ma permission. L'autre se colle de nouveau à Lexa, qui la repousse avec moins de douceur cette fois. Qu'est-ce qu'elle ne comprend pas ? Elle ne veut pas d'elle, elle n'a qu'à dégager cette pétasse !
Je suis sur elles en quelques secondes, un sourire faux cul collé sur le visage, et sort le premier truc qui me passe par la tête.
— Désolée de vous interrompre. Lexa, je crois que Lincoln te cherchait, il a un problème avec la voiture, je crois...
Je ne ressens aucune honte en balançant un bobard improbable. La seule chose à laquelle je pense, c'est d'envoyer Lexa loin de la plantureuse sportive. Le soulagement m'envahit quand je vois Ontari s'éloigner, résignée. Lexa laisse glisser sa main sur mon bras, provoquant une déferlante d'agréables frissons qui remontent jusqu'à ma nuque. Si elle me demande ce que je fais là, je suis grillée. Je suis incapable de me souvenir de ma piètre excuse. Heureusement pour moi, elle n'en fait rien.
— Viens, dit-elle doucement en m'entraînant à l'écart.
La tension dans le haut de mes épaules se relâche pendant que je me laisse traîner derrière elle, les jambes flageolantes. C'est comme si tous mes muscles s'étaient fait la malle. Je ne sais même pas comment je réussis à la suivre plus loin sur la plage, loin du bruit et de la foule. Une appréhension grandissante m'envahit quand mon cerveau reprend du service. Pourquoi Lexa m'attire-t-elle dans cet endroit isolé ? Consciente du moindre battement de mon cœur qui s'affole sous l'effet de la peur autant que celui de l'espoir, je comprends que la chose que j'espère le plus au monde me terrifie au plus haut point, et c'est extrêmement déroutant.
Peu avant d'atteindre les grottes, la fraîcheur du soir remplace la chaleur des corps en sueur et des feux de bois. L'odeur salée de la mer masque la fumée des cigarettes et l'odeur sucrée des cocktails. La lune, formant un rond parfait dans le ciel, nous éclaire de sa lueur bleutée, dissimulant les étoiles par son éclat. Je peux sans mal distinguer le moindre détail dans les yeux de Lexa quand elle se retourne, me coupant le souffle sous l'intensité de son regard. La confiance absolue qui s'en dégage contraste avec son attitude habituelle en ma présence. Trop troublée par son regard de jade, je baisse les yeux. Il n'en faut pas plus pour comprendre que j'ai loupé ma chance, qu'il est trop tard pour les confidences, et que dans quelques secondes, quand elle s'approchera, j'aurais le choix entre trahir ma promesse, ou briser ce moment pour lui avouer mon secret.
— Lexa…
Dans une piteuse tentative de l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, je réalise que quoi qu'il se passe, c'est déjà, trop tard. Mon corps me hurle de la laisser s'approcher encore, de ne pas résister. Ses doigts fins descendent le long de ma tempe, caressent ma joue et s'arrêtent sur mon menton pour m'inciter à relever la tête, je me laisse faire. Ma lâcheté reprend le dessus, en total accord avec mon corps qui répand un feu liquide prenant vie dans mon bas ventre, pour se disperser par vague dans la moindre partie de mon anatomie. Les fourmis au bout de mes doigts, les joues en feu, et la respiration saccadée, je ne suis plus maîtresse de mon corps. Il m'a trahie pour s'abandonner à la douceur de son toucher.
— Clarke.
Sa voix est rauque de désir, c'est la première fois que je l'entends prononcer mon nom de la sorte, et je manque franchir moi-même l'espace qui nous sépare encore. Pourtant, quelque part au fond de moi, un reliquat de volonté s'impose suffisamment pour atteindre mes lèvres avant que je ne craque complètement.
—Je ne peux pas.
Ce n'est que lorsque je surprends la douleur sur son visage que je réalise que j'ai prononcé ces mots. Mon cœur se serre, je ne voulais pas la blesser, mais je suis également soulagée, et pour la première fois de ma vie, fière de mon choix. Le choix de la vérité, le choix difficile. Hors de question que nous repartions sur des mensonges et des non-dits. Mon corps proteste lorsque je recule d'un pas. Avec effroi, je constate l'effet que cette petite phrase produit sur Lexa. Je pourrais presque entendre toutes les portes se fermer dans son cœur, me submergeant d'une panique épouvantable. Pourtant je ne fais pas un geste, il faut que je lui explique, mais les mots sont encore bloqués dans ma gorge. Il faut que je me calme. Et puis, subtilement, elle se détend, juste assez pour souffler un aveu qui manque de m'achever.
— Clarke... je t'aime...
Dix ans que je rêve toutes les nuits d'entendre ces mots. Je n'aurais pas été plus sonnée si je venais de prendre un crochet du droit sur un ring. Ça a au moins le mérite de me faire sortir de mon mutisme ridicule.
— Je sais.
Je tente de reprendre ma respiration, mon rythme cardiaque erratique m'a fait perdre tout mon souffle. Elle m'interrompt, mais c'est mon tour de parler. Cette fois-ci, rien ne doit m'arrêter.
— Non, ce que j'essaye de te dire...
— Je sais Lexa. Je ressens la même chose pour toi. En fait, je t'ai toujours aimée. Depuis que j'ai croisé tes yeux verts curieux dans cette salle de classe. Je suis tombée raide dingue de toi. Même si, à l'époque, je ne savais pas ce que c'était.
— Tu m'aimes ? Et tu sais que je t'aime ? Alors pourquoi tu ne peux pas ?
Parce que t'aimer est la chose la plus terrifiante qui me soit arrivée dans la vie ? C'est vrai, mais je sais aussi que ce n'est qu'une demi-vérité, et je ne veux plus de secrets entre nous. Je vais passer pour une folle auprès de la femme que j'aime dans deux secondes, mais hors de question de me défiler.
— Parce que ça me fait peur.
Les souvenirs reviennent tout seuls, la colline, la brume, les cadavres, et l'odeur du sang. Même si ça fait des années que je vis avec, même si j'en ai fait une force, ça me fout toujours autant la frousse. Ce n'était pas seulement un rêve, une hallucination ou une vision. J'étais sur ce champ de bataille, avec elle. D'autres souvenirs se superposent, la rivière, le feu de camp et notre premier baiser. C'est ce jour-là que tout a commencé. Il est temps de dépasser mes frayeurs et de vivre ma vie comme je l'entends, malgré cette malédiction, mais en dépit de toutes mes belles résolutions, cette appréhension ne disparaîtra sans doute jamais.
— Peur ? Tu as peur de moi ?
— Non, de nous. Tu te souviens de ce jour, au bord de la rivière ? Celui où on a échangé notre premier baiser ?
— Comment j'aurais pu oublier ?
— Tu m'as dit que tu avais peur de m'embrasser...tu m'as servi une excuse bidon, sur le fait que c'était ton premier baiser.
Je souris à ce souvenir, Lexa prend un air boudeur qui me fait rire. Mais je me calme pour reprendre, je ne dois pas me laisser distraire.
— Moi, je n'avais pas peur. J'en avais envie, depuis quelque temps. Ce jour-là, c'était le baiser le plus intense de toute ma vie. Et je n'avais que treize ans. Mais c'était aussi le plus effrayant. Effrayant, parce que malgré le fait que je n'avais jamais embrassé personne, je savais que l'intensité de ce que je ressentais, ce n'était pas donné à tout le monde. C'était spécial. Tu étais spéciale. Et effrayant, parce qu'au moment où on s'est arrêté, ça a déclenché quelque chose. J'ai vu quelque chose.
— Tu as vu ? Quoi ?
—C'était comme un rêve, mais en même temps, ça semblait si réel. Ça n'a duré qu'une seconde, mais l'image est restée gravée dans ma mémoire.
— Tu as vu quoi ?
Il n'y a aucune autre émotion dans sa voix qu'une sincère inquiétude. Pas de jugement, pas de peur ou de moquerie. Je la regarde longuement, jusqu'à ce que ma vision se brouille. Les contours des yeux de Lexa s'assombrissent, jusqu'à revêtir la peinture de guerre que je reconnaîtrais maintenant n'importe où. Le sable sous mes pieds se durcit, devenant de la terre couverte d'herbe et de sang. Et pour la première fois de ma vie, je prononce ces mots à voix haute. C'est encore plus terrifiant.
— Un champ de bataille. Des centaines de corps étendus sur le sol. Du sang partout. Tu étais là. Je ne pouvais pas te voir, mais je sais que tu étais là. J'étais terrifiée. Je le suis encore. T'embrasser, c'était à la fois l'expérience la plus merveilleuse, et la plus traumatisante de ma vie. J'étais intimement convaincu que c'était cette...connexion qui avait déclenché cela. Alors j'ai refoulé tous mes sentiments, toutes mes envies, et j'ai essayé d'oublier. Je ne voulais plus jamais voir ça. Et quand Bellamy m'a demandé de sortir avec lui, j'étais furieuse contre moi. Furieuse de ne rien ressentir pour lui. Furieuse que la seule chose à laquelle je pensais, ce n'était pas comment j'allais l'éconduire. C'était à comment toi tu le prendrais. Je ne pouvais penser qu'à toi. Je ne voulais pas t'embrasser encore, ça me faisait trop peur. Et en même temps, à chaque fois qu'on se rapprochait, les choses devenaient intenses entre nous, je ne pouvais pas te résister. Je n'avais qu'une envie, c'était de goûter de nouveau à cette sensation enivrante de tes lèvres sur les miennes. Des centaines de fois, j'ai voulu t'embrasser de nouveau. Mais j'avais tellement peur…
Je n'ai pas senti venir cette larme qui coule sur ma joue. Cette vision, que j'ai tellement essayé de l'oublier, elle me hante comme au premier jour. J'en ai pourtant vu des choses, mais je n'ai plus jamais été marquée à ce point. C'est la seule dont je me souviens le moindre détail, même des années plus tard. Chacune de mes incursions dans ce monde étrange s'efface comme un rêve, ne me laissant au bout de quelques jours qu'avec de vagues souvenirs et des montagnes de dessins.
Immobile sur le sable froid de la plage, j'attends. La balle a changé de camp. Je me suis exposée, plus vulnérable que jamais, et j'ose à peine la regarder. Lexa semble calme, indécise. Comment aurais-je réagi si les rôles avaient été inversés ? Il m'est impossible de deviner ses pensées. J'ai usé tout mon courage pour lui avouer mon secret le plus profond, la panique reprenant le dessus devant son silence qui s'éternise. Mon pied recule, cherchant à fuir avant que je n'aie le temps de prendre une décision. Soudain, le contact de sa main sur ma hanche me ramène à elle. Les peintures de guerre ont disparu, il ne reste rien de la guerrière, que Lexa, ma Lexa. Le reste de mes larmes disparaissent sous ses doigts. Des larmes que je ne me souviens pas avoir versées. Elle me tient fermement, empêchant toute fuite, réduisant encore l'espace entre nous. Son visage est la seule chose dans mon champ de vision, ses yeux clairs qui reflètent le clair de lune, ses lèvres pleines qui s'approchent dangereusement des miennes, son nez fin qui effleure le mien par mégarde.
— C'est normal d'avoir peur...le truc, c'est de ne pas la combattre. Est-ce que tu as confiance en moi ?
— Je te confierais ma vie.
— Et ton cœur ? Ton âme ?
— Sans hésiter.
— Alors, fais-le. Quoi que tu aies vécu ce jour-là...si ça doit se reproduire, on y fera face ensemble.
Si je n'avais pas été dans ses bras à cet instant, je me serais effondrée, mes jambes tremblantes ne me permettant pas de me tenir debout sans aide. Ensemble. Tous ces efforts pour m'éloigner d'elle, pour finalement me retrouver dans ses bras ce soir. Mon cœur lui appartient déjà. Quant à nos âmes, je veux bien être damnée si elles ne sont pas déjà liées. Je souffrirais sans hésiter mille vies pour pouvoir être heureuse avec elle dans une seule. Mes yeux tombent sur sa bouche entrouverte, son souffle est rapide, comme si elle venait de faire un effort. Au fond de ses pupilles dilatés, je jurerais voir des étoiles, et toute une galaxie.
— Ensemble...
Le mot sort difficilement de ma gorge serrée par l'émotion. Maintenant, elle sait, et elle ne s'est pas envolé, elle est toujours là, à portée de mes lèvres. Où juste un peu trop loin. Beaucoup trop loin en fait. D'un geste impérieux, je l'attire à moi, avec toute la douceur dont je suis capable malgré l'urgence que je ressens. Nos lèvres s'effleurent, je me fais violence pour ne pas agir trop brusquement. Mais une subite poussée de désir me traverse, prenant sa source à l'endroit exact où la main de Lexa me brûle la peau. Elle me traverse le corps comme une décharge électrique, tourbillonnant dans mon ventre avant de remonter à travers mon cœur pour venir papillonner sur mes lèvres, agissant comme un aimant avec celles de Lexa. Je tire sur sa nuque en me levant sur la pointe des pieds, pour ne lui laisser aucune échappatoire. C'est inutile, car elle répond à mon baiser avec ferveur, ne laissant aucun doute sur ses intentions. Ses mains m'attirent plus près, ne réussissant qu'à presser encore plus nos poitrines l'une contre l'autre, mais ce n'est encore pas assez. J'ai besoin de plus, besoin de rattraper le temps perdu, besoin qu'elle sache à quel point je l'aime.
Mes larmes s'échappent à nouveau, de soulagement ou de bonheur, je l'ignore. Trop d'émotions, ça, c'est certain. Elle ralentit notre échange avant de mettre un peu de distance entre nous. Mon corps grogne sa contrariété, et je bloque un gémissement plaintif dans ma gorge. Elle m'observe attentivement.
— Ça va ?
Ce ne sont pas que mes larmes qui l'inquiètent. Mes émotions sont sens dessus dessous, mon corps est en feu, et la moindre parcelle de peau sensible à son toucher. Mais jusque là, je suis toujours ancrée dans la réalité. Notre réalité. Pas de mort, de guerrier ou de combat. Sans oublier que malgré la distance qu'elle a mise entre nous, je suis encore dans ses bras. Alors oui, on peut dire que ça va. Très bien même. Je lui adresse un sourire rayonnant et colle mon front sur le sien, mon nez jouant tendrement avec le sien.
— Je t'aime.
C'est ma seule réponse. J'espère qu'elle sait traduire. Mes lèvres refusent d'abandonner les siennes une seconde de plus, mais je me contiens un peu plus cette fois. Pas très longtemps, car Lexa est très douée à ce jeu-là, et je ne peux empêcher ma langue de se joindre à la fête, cherchant un passage qu'elle m'ouvre volontiers. Cette fois-ci, je n'ai pas le temps de me retenir, et un soupir lascif file entre mes lèvres. Je crains que ce ne soit que le premier d'une longue série si elle continue à jouer comme ça. Mes seins durcissent sous le tissu tendu de ma robe, et commencent à réclamer de l'attention eux aussi.
De nouveau, elle s'éloigne, ses yeux brillent de désir lorsqu'ils me dévorent des yeux. J'en veux encore. Mais je suis partagée entre l'envie de lui faire l'amour, et l'envie d'être avec elle, juste dans ses bras. Parce que c'est là où je suis le mieux. Je comble encore une fois la distance qu'elle tente de s'imposer en la prenant dans mes bras, reposant ma tête sur son épaule.
— Je ne veux plus jamais passer une seule seconde loin de toi.
J'ordonne à mes mains de rester sage, et ses lèvres sont hors de portées pour le moment. Pas son cou cependant. J'y dépose un baiser léger. Ça me plaît, je réitère l'expérience, goûtant le sel sur sa peau du bout de ma langue. Elle s'étire, me laissant plus de terrain de jeu, mais d'un mouvement souple vient capturer à nouveau mes lèvres qui ne se font pas prier pour goûter à nouveau à tous ses délices. Au bout d'un moment qui me semble trop court, on se sépare pour la troisième fois, d'un commun accord.
— On devrait retrouver les autres tu ne crois pas ?
Ou un lit. Mon corps me fait mal tellement j'ai envie d'elle, mais ce n'est pas en échangeant des baisers que ça s'arrangera. Je reviens un peu à la réalité, la plage, la soirée, nos amis. Nous avons toute la vie devant nous, aucune raison de précipiter les choses. Et il y a plein de façon de profiter de Lexa autrement.
— Tant que dans « les autres » tu n'inclus pas cette pétasse brune avec qui tu parlais tout à l'heure...
Sa main dans la mienne, je prends la direction de la fête, mais son rire m'arrête.
— Tu es mignonne quand tu es jalouse.
Et toi tu es resplendissante quand tu ris. Mais ça, je le garde pour moi. J'adopte une mine faussement boudeuse, et on rejoint les autres.
C'est la première fois qu'on peut danser comme ça, comme un couple. Et j'avoue, ça me plaît énormément. Je n'ai pas besoin de surveiller mes gestes ni de craindre qu'une autre vienne inviter Lexa et me la voler. Le baiser, je ne m'y attendais pas, mais je souris contre sa bouche et me laisse à nouveau aller. J'y suis déjà habituée, et en même temps, je crois que je ne m'y habituerais jamais. Elle me fait trop d'effet. L'euphorie provoquée chez nos amis à la vue de notre baiser se répand comme une vague, on n'est pourtant pas si nombreux, j'ai pourtant l'impression d'être la capitaine de l'équipe de foot qui a gagné la coupe du monde. Les sifflements fusent à mes oreilles, je rougis comme une adolescente prise en faute. Pourtant, rien de répréhensible à nos actions. Et la gêne n'est que le résultat de ce soudain trop plein d'attention. Parce que s'il y a une chose dont je suis fière, c'est de Lexa, et qu'elle m'ait choisi, moi.
Il fait de plus en plus chaud sur cette piste de danse. Je propose de faire une pause cocktail. J'avale un Get27 pas vraiment désaltérant, mais quand même rafraîchissant, et lèche le sucre qui s'est déposé sur mes lèvres. Lexa a les yeux braqués sur moi, et je devine ses pensées lubriques. Il n'en faut pas plus pour rallumer le brasier au fond de mon ventre, brasier qu'un simple souffle d'oxygène relance comme s'il ne s'était jamais calmé.
— Tu ne trouves pas qu'on a assez « retrouver les autres ?"
Le tissu fluide de sa chemise glisse entre mes doigts. Depuis qu'elle est apparue tout à l'heure, j'avais envie d'en caresser l'étoffe. Maintenant que c'est fait, j'aimerais beaucoup découvrir ce qui se cache dessous, je m'attarde sur le premier bouton encore fermé, les deux premiers déjà ouvert laissant apparaître une trop petite partie de sa peau là où prend naissance sa clavicule.
J'hésite, je lève les yeux et me retrouve capturée par l'avidité de son regard. Il ne m'en faut pas plus pour l'entraîner loin de l'assemblée de fêtards. Je me dirige avec assurance en direction de la voiture, mais ne lui laisse pas le temps de déverrouiller la portière. Mon corps la plaque déjà contre la carrosserie froide qui ne ralentit pas mes ardeurs. Nos bouches se retrouvent, ma main se glisse dans le col du vêtement de satin, l'autre se débattant avec un bouton pour faire de l'espace. Je compte bien profiter de la moindre parcelle de peau libérée par cette action, et plonge plus profondément sous le tissu.
Lexa réagit enfin, reprenant le contrôle qu'elle m'avait jusque là abandonné, et en un mouvement souple, je me retrouve sur le capot de la voiture, la robe remontée jusqu'en haut tandis que Lexa colle mon bassin au sien. Je réussis à faire sauter un second bouton, ù'offrant la quasi-totalité de son dos à explorer, ce que je ne manque pas de faire, ayant retrouvé l'usage de mes deux mains. Je l'attire contre moi, cherchant à accentuer la pression sur mon entrejambe. Deux phares clignotent, une voiture qu'on déverrouille. Il me semble avoir entendu le bip également. Mais putain on fait quoi là ? Décidément, l'alcool plus Lexa ne me réussit pas beaucoup.
— Clarke, je...
— On ne devrait pas...
On rit un peu à ce carambolage de mots. Au moins on est du même avis. J'ai attendu dix ans, je peux attendre encore quelques heures. Juste histoire de ne pas partager notre première fois avec des inconnus venus récupérer leurs voitures.
J'ai arrêté l'alcool, et j'arrive à garder le contrôle de mon corps à mesure que la soirée avance. La fatigue nous rattrape, et il est bientôt l'heure de rentrer. Jasper insiste pour qu'on reste et regarde le lever de soleil sur la plage, mais tout le monde est bien trop fatigué.
Trop fatigué oui, trop fatigué pour tenter une quelconque approche avec Lexa ce soir. Mon corps a été trop malmené, il proteste à présent. À peine arrivée, je m'écroule sur son lit. Je crois qu'elle s'est arrangé avec Raven et Luna, de toute façon j'aurais dormi par terre juste pour ne pas la quitter. Son oreiller porte l'odeur de son shampoing, je l'empoigne et fourre ma tête dedans, respirant profondément.
— Clarke, tu devrais au moins te mettre en pyjama. Je vais prendre une douche.
Le visage toujours collé à l'oreiller, et la fatigue rendant l'articulation laborieuse, je baragouine une excuse pour refuser. Lexa rigole et s'éloigne en direction de la salle de bain.
— Je vais prendre ça pour un oui.
— J'ai dit que j'avais la flemme, et que je préférais dormir toute nue vu la chaleur.
— Et bien, ça dépend si tu veux réellement dormir...
La poussée d'adrénaline provoquée par ses mots me donne la force de relever la tête pour l'apercevoir franchir la porte. Peut-être même serait-ce suffisant pour aller plus loin. Pour me donner l'énergie de la rejoindre dans la douche. Avant que la décision ne soit prise, je suis dans le couloir, mais Raven choisit ce moment-là pour débarquer.
— Ça va Clarke ? Où est Lexa ?
C'est vrai que c'est étonnant de nous vois séparées, vu que le plus loin qu'on se soit éloigné depuis notre premier baiser, c'est un mètre. À peine.
— Dou...Douche.
Mon bégaiement doit avoir l'air un peu pitoyable, car Raven s'esclaffe.
—Je grommelle, mais elle me donne une tape amicale sur l'épaule, et d'un air paternaliste me pousse dans la chambre, me fourrant un t-shirt dans les mains au passage.
— Va dormir Clarke. Tu as besoin de repos.
Je suis trop fatiguée pour être agacée par Raven. Alors j'obéis docilement, tire les volets, et me débarrasse de ma robe pour enfiler mon t-shirt Roi Lion. C'est le plus confortable pour dormir. À moitié endormie, je ne peux m'empêcher de penser que Raven veille sur moi, à sa façon.
