Un Conte d'Hiver

Note de l'auteur·ice, Loten : Cette petite histoire, A Winter's Tale, est née de ma frustration, envers moi-même, à ne pas avoir déjà une longue histoire de prête malgré tout le temps qui est passé. J'ai donc écrit une note sur mon profil demandant des idées liées à Noël et à l'hiver et environ une demi-douzaine de stalkers m'ont offert des suggestions. J'ai ensuite triché outrageusement et combiné la plupart des suggestions proposées dans une seule histoire ! Apparemment, j'ai passé bien trop de temps à écrire des Serpentard, ça a déteint. Donc, je n'adresse de remerciements à personne en particulier, il y a au moins quatre contraintes que j'ai conservées. Cette histoire se passe quelque part après le canon, à Poudlard, et n'est pas liée à celles que j'ai déjà publiées. Elle est en deux parties.

Note du traducteur, JustPaulInHere : Cette histoire m'a touché par l'exploration de Severus et de ses blessures. Il y a beaucoup plus de narration que d'action, mais ça ne m'a dérangé ni à la lecture ni à la traduction. Elle est déjà traduite en allemand, en chinois, et en polonais ! Et maintenant en français ! J'espère que vous passerez un bon moment en la lisant !


CHAPITRE UN

« Les nuits se font plus froides maintenant

je devrais peut-être fermer la porte

et de toute manière la neige a recouvert tes pas

et je ne peux plus te poursuivre

le feu brûle encore dans la nuit

mes souvenirs sont clairs, emplis de chaleur

mais tout le monde sait que c'est dur d'être seul à cette période de l'année. »

– David Essex, "A Winter's Tale"

ϟ ϟ ϟ

« Severus, puis-je vous dire quelques mots dans mon bureau, s'il vous plaît ? Maintenant, si possible. Merci. » Les flammes vertes s'éteignirent avant qu'il n'ait l'occasion de répondre, et il lança un regard acerbe au feu, se disant que rien de bon ne venait jamais de cette phrase "puis-je vous dire quelques mots". Pour commencer, c'était toujours beaucoup de mots et non pas quelques uns, et ces mots mis les uns au bout des autres le poussaient toujours à faire des choses dont il n'avait aucune envie. Il considéra la possibilité d'ignorer la Directrice, mais le temps n'avait pas le moins du monde adoucie les manières de Minerva McGonagall, et peu importe ce qu'elle était sur le point de demander, ce serait encore pire s'il la forçait à venir en personne et à le sortir de son trou.

Soupirant, il mit de côté son livre et se releva, s'étirant avec raideur avant de quitter ce qui passait pour le confort de ses appartements au profit d'une longue marche à travers le château jusqu'au bureau qui avait brièvement été le sien. L'humidité dans l'air des cachots faisait souffrir ses genoux – et son dos, et son cou, toujours son cou – ce qui ne faisait rien pour améliorer son humeur tandis qu'il se concentrait sur ne pas boiter tout en montant ces escaliers sans fin, quelque peu irrité que sa soirée tranquille ait été interrompue. La nouvelle année scolaire avait commencé depuis peu, avec tout le chaos qui l'accompagnait, et le temps libre était devenu une chose précieuse.

« Quoi ? » demanda-t-il à sa patronne sur un ton cassant, en entrant dans son bureau, faisant bien attention à maintenir son regard uniquement sur le bureau – chaque fois qu'il se trouvait dans cette pièce, le portrait de Dumbledore essayait d'attirer son attention, et il refusait de la lui accorder ; ils ne s'étaient pas parlé depuis son retour à l'école après la guerre, ce qui convenait parfaitement à Severus.

Minerva ignora son ton sec, comme toujours. « Asseyez-vous, s'il vous plaît. Nous devons parler de Noël entre autres choses.

— À quel sujet ? » demanda-t-il, suspicieux. Il reconnaissait les signes avant-coureurs d'une dispute et se préparait à freiner des quatre fers tout en prenant place en face d'elle.

« Vous avez à nouveau demandé un congé…

— Tous les Serpentard seront absents, interrompit-il, souhaitant rapidement placer ses arguments avant qu'elle ne puisse entamer son attaque. Il n'y a pas de raison justifiant ma présence. » Les élèves de sa Maison n'étaient pas stupides et faisaient de leur mieux en général pour partir au moment des fêtes de Noël et de Pâques quand c'était possible ; les choses étaient bien plus simples pour eux aujourd'hui que par le passé, mais il était toujours préférable d'esquiver des ennuis quand c'était possible.

« Ce n'est pas le sujet, Severus. On se tait et on écoute. » Elle le mit en garde du regard et secoua légèrement la tête. « Je n'ai pas d'inquiétude en ce qui concerne vos devoirs, ou bien que votre présence soit requise ici ou non. Ce qui m'inquiète c'est votre isolement continu. Le personnel est censé former une équipe, et c'est le cas pour la plupart d'entre nous, mais vous restez à part. Vous ne pouvez pas continuer à nous ignorer, Severus. Que vous le vouliez ou non, vous êtes l'un des nôtres. »

Non, c'est faux. Il garda sa réplique amère, un automatisme, pour lui-même et se contenta de la regarder silencieusement, attendant que les mâchoires du piège se referment sur lui. Réalisant qu'il n'allait rien ajouter, la Directrice soupira et reprit.

« Je vous interdis de poser des vacances en dehors de la période des vacances d'été à partir de maintenant, à moins que vous puissiez me prouver de manière satisfaisante qu'il y a une vraie raison pour laquelle vous avez besoin de partir autre que pour nous éviter tous. Je suis désolé d'en arriver à de telles extrémités, Severus, mais les choses ne se sont pas améliorées de manière perceptible depuis que vous êtes revenu enseigner. Non, ne m'interrompez pas tant que je n'ai pas expliqué ; je ne fais pas ça pour vous contrarier. J'ai besoin que mon personnel forme une équipe, et pour être franche, les autres membres ne vous font toujours pas confiance.

— Oh, vraiment ? dit-il, un rictus s'étirant sur ses lèvres. Comme je suis surpris.

— Assez, Severus. Ce problème est de votre faute. Ça fait bientôt huit ans que la guerre a pris fin, six que vous êtes revenu enseigner ici, et vous n'avez rien essayé pour réparer la faille qui s'est créée pendant la guerre. Il a fallu un ordre direct de ma part pour que vous preniez part aux repas et que vous vous présentiez dans la salle des professeurs au moins deux soirs par semaine, et quand vous êtes présent, vous refusez de parler à vos collègues. Vous ne parleriez pas non plus avec moi si je vous en laissais le choix. Ce n'est pas sain pour vous, et ce n'est pas bon pour nous tous qu'il y ait une brèche dans nos rangs. Les rares fois où quelqu'un a essayé de vous approcher et d'arranger les choses, vous avez renvoyé leurs efforts à l'envoyeur.

— Est-ce vraiment ma faute ? » rétorqua-t-il amèrement, se retenant à peine de toucher la cicatrice à son cou. La période après la fin de la guerre avait été assez pauvre en excuses, et il avait passé la plupart des dix-huit mois suivant sa sortie de Sainte-Mangouste complètement seul, sans aucun contact de la part de qui que ce soit ; il s'imaginait qu'il serait encore dans la même situation aujourd'hui, si son manque de moyens financiers combinés à un article dans la Gazette du Sorcier concernant une pénurie de personnel à Poudlard ne l'avait conduit, à contrecœur, à contacter Minerva pour récupérer son ancien poste. Il avait connu la faim, incapable de se procurer de la nourriture et réticent à risquer la colère du Ministère s'il était pris à voler en utilisant la magie, avant qu'il n'ait suffisamment ravalé sa fierté.

« Pas complètement, non, lui répondit Minerva, mais je vous ai présenté mes excuses il y a des années pour la manière dont vous avez été traité, et je ne recommencerai pas. Je ne veux pas faire ça, Severus ; je ne veux pas interférer dans la vie privée de mon personnel, mais je ne peux pas laisser les choses continuer ainsi. Vous devez faire à nouveau partie de l'équipe, d'une manière ou d'une autre. Donc ; vous ne filerez plus en douce pour vous cacher pendant les fêtes, à partir de maintenant. Vous devez aussi passer au moins trois soirs en semaine et un après-midi par week-end dans la salle des professeurs à moins que vos Serpentard n'aient vraiment besoin de vous – n'essayez même pas de caler des rendez-vous avec eux, ou bien d'assigner des retenues à d'autres élèves dans le seul but d'y échapper. Je ne vais pas insister pour que vous participiez aux discussions ou à quoi que ce soit, mais vous ne vous montrerez rustre envers personne sans une bonne raison, et vous répondrez poliment si un de vos collègues essaye de vous adresser la parole. Vous vous en sortiez très bien entre les deux guerres, vous pouvez vous en sortir à nouveau. De plus, je relance l'échange de cadeaux de Noël cet hiver – vous avez réussi à y échapper ces trois dernières années, mais cette fois-ci vous devrez participer, et vous devrez faire des efforts. Peu importe le nom que vous tirez, vous trouverez un cadeau décent pour cette personne pour lequel vous aurez accordé un peu de réflexion. Harry m'a aussi demandé de vous persuader de vous rendre au rassemblement de l'Ordre cet été. »

Merde. C'était pire que ce qu'il avait pensé. En particulier parce qu'il ne pouvait pas dire qu'elle avait tort – sa simple présence dans la salle des professeurs jetait un froid sur la pièce, une petite poche de silence entourant chaque recoin où il ruminait, et même si l'enfer aurait le temps de brûler d'ici à ce qu'il l'admette à voix haute, Severus savait qu'après autant d'années c'était vraiment très probablement de sa faute. Flitwick, Chourave, Pomfresh, Granger, Sinistra, un ou deux des professeurs de Défense annuels qui l'avaient connu auparavant – tous étaient venus le voir un petit moment depuis qu'il était revenu enseigner, essayant de lui présenter des excuses, et avaient été remerciés par toute l'éloquence et la colère qu'il avait à sa disposition. Il avait réduit Chourave, Pomfresh et Granger en larmes, et tous les autres n'en avaient pas été très loin. Personne n'avait fait de seconde tentative.

Il avait fait pleurer Minerva aussi, mais elle n'avait pas laissé ce fait l'arrêter ; elle avait scellé son bureau et avait refusé de le laisser partir jusqu'à ce qu'elle ait fini de lui crier dessus et de lui présenter des excuses correctes et sincères. Maintenant, elle faisait face à son caractère et à ses commentaires acerbes en les ignorant et en faisant de son mieux pour le traiter comme elle l'avait fait avant la seconde guerre, quand ils avaient été – pas précisément amis, il y avait trop d'histoire entre eux pour ça, mais au moins en terrain relativement amical, et il s'était rendu compte qu'il n'avait pas l'énergie de continuer cette querelle. Elle avait raison, elle était la seule membre du personnel avec qui il échangeait plus que des monosyllabes. Il était plus qu'habitué à être détesté, mais il devait admettre qu'à ce point-là il était le seul véritable ennemi qui lui restait.

« Je ne me rendrai pas au truc de l'Ordre, dit-il presque automatiquement, cherchant à gagner du temps pour penser. Dites à Potter d'aller se faire voir. » C'était un point sur lequel il était sûr de ne pas céder – il n'avait pas vu Potter depuis la Cabane Hurlante, et c'était précisément ainsi qu'il voulait que ce soit. Il avait renvoyé toutes les lettres du jeune homme sans les ouvrir jusqu'à ce qu'il comprenne et arrête de lui écrire ; il n'y avait rien qu'ils ne pourraient dire pour résoudre cette situation en particulier et il n'avait pas l'intention d'essayer. Il en allait de même pour le reste de l'Ordre.

« Je lui ai dit que nous en rediscuterions plus tard. Avec un peu de chance, nous aurons fait quelques progrès d'ici là.

— Vous ne vous attendez pas vraiment à ce que ça change quoi que ce soit ? dit-il d'un ton neutre. Ils ne m'aiment pas, et je ne les aime pas. Il n'y a aucun intérêt à changer cela. Certaines blessures sont trop profondes pour être guéries.

— Pas besoin de vous rabattre sur les clichés, Severus, répliqua Minerva. Je ne sais pas si ça va fonctionner ou pas, après tout ce temps, mais j'ai discuté avec la plupart de nos collègues à votre sujet au fil de ces dernières années. Ils vous ont pardonné, et ils veulent que vous les pardonniez.

— Je ne peux pas », répondit-il après une longue pause, relevant la tête à contrecœur tandis que la fraîcheur familière de ses défenses en occlumancie s'étendaient dans son esprit, et supprimait ses expressions. « Pas après… tout ça. Je comprends pourquoi vous avez fait les suppositions que vous avez faites, mais cette année passée seul a été un cauchemar au-delà de votre imagination et je ne peux pas le pardonner. Par ailleurs, personne n'a essayé de se faire pardonner avant que je ne sois revenu ici, que ça fasse presque une année, et qu'ils ne puissent plus supporter l'ambiance pesante – Potter est le seul à m'avoir contacté en dehors de l'école, et c'était assez récent quand même. Si je n'étais jamais revenu ici, aucun de vous n'aurait essayé de rectifier la situation ; c'est bien un signe de l'importance que vous y accordez tous.

— Personne ne savait quoi vous dire, Severus, c'est tout. La rumeur s'est rapidement répandue de la manière dont vous avez remercié la première tentative de rectification ; tout le monde a bien trop peur de vous pour essayer maintenant. Je ne vous demande pas de pardonner qui que ce soit – Merlin sait que je suis bien au courant que vous ne m'avez pas pardonnée – je vous demande seulement de passer à autre chose. Pour le bien de Poudlard, à minima. Ceci n'est pas une négociation, ajouta-t-elle fermement, son accent écossais se faisant un peu plus prononcé. Je me fous totalement que vous soyez sincère ou non, pour être honnête ; vous pouvez prétendre être courtois si vous y mettez du vôtre, et c'est ce que je vous demande de faire. Je vous reverrai dans la salle des professeurs demain soir, et le mois prochain vous allez tirer un nom pour l'échange de cadeaux du personnel. Le débat est clos. Je sais que vous mettre dos au mur n'a jamais bien fonctionné, mais je n'ai plus d'autre option à l'heure actuelle. Vous pouvez partir. »

Bouillonnant de rage, il se leva et partit sans un autre mot, réprimant tout juste le désir de claquer la porte derrière lui.

ϟ ϟ ϟ

Le mois passa lentement, de manière extrêmement agonisante pour autant que Severus était concerné. Il n'avait jamais aimé être sociable, et depuis la guerre, il avait développé une réelle aversion, profondément ancrée, de se retrouver dans une pièce bondée. La salle de classe, c'était encore tolérable, toutes les personnes dans la pièce lui étaient clairement subordonnées et jusqu'à ce qu'ils soient en classe d'ASPICs, ils étaient tous plus petits que lui aussi ; il était tout de même un peu mal à l'aise, mais l'irritation de ne pas aimer son job couvrait ça.

La salle des professeurs, c'était différent. Il n'avait pas besoin de faire appel à la legilimancie pour sentir le courant d'hostilité sous-jacent qui était dirigé contre lui chaque fois qu'il était présent – oh, ce n'était rien de personnel, ou d'intentionnel, mais ils avaient presque tous souffert en essayant d'enseigner pendant qu'il était Directeur, et les souvenirs produisaient un courant silencieux d'émotions négatives. Même sans ça, il n'avait jamais été très bon pour les interactions sociales, et même s'il pouvait s'en sortir avec une conversation en un contre un, il détestait avoir à essayer avec un groupe, mais même ça ce n'était pas le pire. Le pire c'était que toutes les personnes présentes en savaient trop. Potter n'avait pas eu la décence la plus basique de fermer sa grande gueule au sujet du contenu de ces derniers souvenirs que Severus avait conçu pour être un ultime témoignage sur son lit de mort. Ce petit bâtard était tout de même parvenu à faire en sorte que ça ne soit pas de notoriété publique – sans quoi Severus aurait dû mettre fin à ses jours, pour être honnête, incapable de supporter une telle exposition – mais la totalité de l'Ordre était au courant, bordel, et il ne savait même pas combien avaient vu les souvenirs en personne avant qu'il ne parvienne à les récupérer, et il ne savait pas non plus ce que savaient les membres du personnel qui ne faisaient pas partie de l'Ordre. Il se sentait physiquement mal dès qu'il était dans une pièce avec plus que deux ou trois d'entre eux, une nausée et une tension qui avait plus à voir avec le stress et la peur plutôt qu'une réelle maladie.

Malgré ça, il supposait que Minerva considérait cette expérimentation comme un succès, pour le moment. Tout était faux, bien sûr, mais selon toute apparence, Severus faisait un peu plus partie du groupe que par le passé. Au moins, il pouvait se fondre dans l'arrière-plan maintenant, n'être plus aussi évidemment à part des autres. Il sentait toujours divers degré de peine amère et de rage quand quelqu'un lui adressait la parole, selon les personnes, mais il avait trop besoin de ce job de merde pour risquer de désobéir complètement à Minerva, alors il se mordait la langue et répondait par monosyllabes, retournant à cette politesse froide, distante, qu'il avait utilisée après la première guerre, il y avait bien des années de ça. Ses collègues enseignants avaient été surpris et suspicieux dans un premier temps, mais maintenant il était sûr qu'ils avaient tous compris qu'on lui avait ordonné de se joindre à eux, et on le laissait souvent seul sans être complètement ignoré pour autant.

Et maintenant il devait prendre part à ce stupide échange de cadeaux. Severus détestait Noël de toute manière, parce que tout dans cette fête semblait avoir été créé pour lui faire comprendre qu'il était seul – le taux de suicide augmentait nettement à cette période pour une bonne raison – et il le redoutait tout simplement parce qu'il n'avait pas la moindre idée de quoi acheter à ses collègues. Minerva avait été limpide : il ne pourrait pas s'en sortir avec l'alcool ou les chocolats habituels, et qu'il devrait y accorder un minimum d'attention. C'était inutile de toute manière ; la personne qui tirerait son nom ne lui prendrait probablement rien, ou alors ce serait une sorte de mauvaise blague emballée juste pour l'humilier ou lui causer de la peine.

Pour ne rien arranger, il avait pu sentir dès qu'il avait plongé sa main dans le sac qu'elle avait truqué l'un des parchemins pour s'assurer qu'il ne tire que le nom qu'elle voulait qu'il tire. Severus adressa à sa patronne une expression venimeuse, débattant s'il devait ou non briser le sort qu'elle avait placé, et elle lui rendit un regard qui était aussi innocent qu'un avertissement. Avec mauvaise grâce, il récupéra le nom plié qu'elle voulait qu'il prenne, se demandant ce qu'elle espérait gagner ainsi – elle avait probablement choisi le nom qu'il détesterait le plus, ou possiblement le nom de la personne à qui elle pensait qu'il était le plus redevable.

Ou les deux à la fois, pour tout dire.

Il fixa d'un air résigné le petit bout de papier et l'écriture propre, familière après des années de rédactions. Hermione Granger.

ϟ ϟ ϟ

Des heures plus tard, Severus était toujours furieux, faisant les cent pas dans son bureau et gaspillant ses regards noirs sur les divers trucs flottant dans leurs bocaux sur les étagères. Minerva s'était éclipsée de la salle des professeurs aussitôt le dernier nom tiré, et lui avait bloqué l'accès à son bureau ainsi qu'à sa cheminée pour qu'il ne puisse pas objecter ; il pouvait techniquement ignorer ses restrictions, mais pas sans révéler qu'il était en mesure de le faire, et il n'était pas encore prêt à commettre ce faux pas. Il n'y avait absolument rien qu'il pouvait faire, et cette frustration ne faisait qu'attiser sa colère. Pourquoi elle, mince ?

Il n'avait pas été content d'apprendre quand il était revenu enseigner que l'une de ses nouvelles collègues était cette insupportable je-sais-tout en personne, ayant repris l'ancien poste de Charity Burbage en tant que professeur d'études des Moldus. Non pas qu'il avait particulièrement détesté la jeune fille quand il avait été son enseignant, ou du moins pas plus que tout autre élève – son intelligence compensait ses goûts lamentables en matière d'amitié, aidait même à compenser les quelques fois où elle avait directement agi contre lui – mais maintenant… Les problèmes qu'il avait avec les autres professeurs venaient qu'il ne savait pas l'étendue de ce qu'ils savaient, mais avec Granger, il était intensément conscient qu'elle savait absolument tout et l'avait vu personnellement. L'expression sur son visage quand elle était venue lui présenter ses excuses l'avait crié à tue-tête, pas besoin de legilimancie. C'était un élément à retenir contre elle. Le fait que chaque fois qu'il posait les yeux sur elle, il se souvenait d'avoir été mourant sur le sol de la Cabane en était un autre – il pouvait bloquer ce souvenir la plupart du temps, mais sa simple présence suffisait parfois à déclencher des flashs-back traumatiques. Et le dernier élément à retenir contre elle, que ce soit juste ou non : elle était l'une des trois personnes à l'avoir laissé dans une mare de son propre sang comme un déchet oublié. Presque une journée s'était passée avant que quelqu'un prenne la peine de revenir pour lui et découvre qu'il était, en réalité, toujours en vie. Ces trois points avaient été les raisons pour lesquelles il avait jeté ses excuses aussi durement et vicieusement que lui seul le pouvait, la poussant à prendre la fuite en larmes, pour la seconde fois de sa vie.

En y repensant de cette manière, Severus pouvait admettre que peut-être qu'il lui devait quelques excuses pour ça. Interrompant sa déambulation, il jeta un regard noir dans le vide et frotta son cou sans y penser. Ses traumas n'étaient pas de sa faute, ce n'était pas comme si elle avait agi pour être un déclencheur. De la même manière, il ne pouvait pas vraiment en vouloir au trio de l'avoir laissé dans la Cabane, étant donné qu'ils avaient été plutôt occupés à ce moment-là et qu'en plus était presque sûr qu'il avait été objectivement mort – ça ne l'empêchait pas de les détester tous les trois pour ça, naturellement, mais il pouvait admettre, du moins en son for intérieur, que ce n'était pas vraiment justifié.

Soupirant tandis qu'une partie de sa colère se dissipait, il se tourna et avança vers ses quartiers, sa mauvaise humeur se transformant en lassitude ; il ne pouvait pas vraiment objecter. Par ailleurs, ce stupide échange de cadeaux était censé être anonyme ; elle ne saurait jamais que c'était lui, il n'y aurait pas de moment embarrassant, et il n'aurait pas à présenter ses excuses envers quelqu'un à qui il en voulait toujours. Ainsi, Minerva lui lâcherait la grappe, sa conscience serait un peu soulagée, et il pourrait retourner à tous les détester en paix. Ça ne voulait pas dire qu'il devait apprécier la situation, bien sûr, mais il pouvait l'accepter à contrecœur. Du moins, jusqu'à ce qu'il ait trouvé comment faire payer Minerva de lui avoir joué ce tour.

ϟ ϟ ϟ

Il approcha Minerva au petit-déjeuner le lendemain matin, toujours de mauvaise humeur étant donné qu'il avait mal dormi – non pas qu'il dorme bien d'habitude, mais la nuit avait été pire que la normale – et n'ouvrit pas la bouche avant qu'elle ne dise fermement : « Vous n'y échapperez pas, Severus. »

Ne s'abaissant pas à donner réponse à cette attaque, puisqu'il ne voulait pas avoir à admettre qu'il n'avait pas le choix, il demanda d'un ton glacial : « Pourquoi elle ?

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— Vous pensez vraiment que je ne le vois pas quand vous me mentez ? Moi ? Ne vous moquez pas de moi. Pourquoi elle ? » répéta-t-il.

La Directrice lui lança un sourire plutôt méchant. « Parce qu'elle offrira le plus grand challenge pour vous, étant donné que vous n'avez travaillé avec elle que ces quelques dernières années, que vous avez passées à l'éviter, et donc vous n'avez pas d'expérience passée pour vous guider. Et parce que c'est la seule qui a dû souffrir votre enseignement, donc vous lui devez certainement plus qu'un cadeau de Noël. Souvenez-vous de ce que j'ai dit, Severus – faites des efforts dans votre choix. Trouvez quelque chose qui lui convienne, quelque chose qu'elle aimera. Si vous y parvenez », ajouta-t-elle sur un ton de défi.

Il lui lança un regard méprisant, refusant de mordre à l'hameçon. « Je ne suis pas un Gryffondor, Minerva. Vous ne pouvez pas me pousser à faire quelque chose simplement en disant que vous ne m'en pensez pas capable.

— Non, mais je peux vous ordonner de le faire, et c'est ce que j'ai fait. »

Réprimant l'envie de jurer, il demanda : « Et est-ce que vous avez aussi truqué mon nom ?

— Non. Je n'ai pas la moindre idée de qui vous a tiré, mais pour être honnête, je les plains », répondit-elle d'un ton léger, et il savait que malgré ce qu'il avait dit plus tôt, il ne pouvait pas être certain qu'elle dise la vérité, ou non. Pas dans son état d'esprit actuel. « Allez, filez. »

ϟ ϟ ϟ

Après avoir passé autant d'années à enseigner, Severus pouvait presque faire son travail tout en dormant. Malheureusement, cela lui laissait bien trop de temps libre pour cogiter sur ce qu'il allait bien pouvoir offrir à cette agaçante sorcière pour Noël ; malgré ce qu'il avait dit à la Directrice, elle avait touché son ego et une part de lui voulait lui prouver qu'elle avait tort, pour sa plus grande irritation. Ça aurait dû être une tâche très simple, si simple qu'elle était menée à bien par une grande partie de la race humaine chaque année, et pourtant il n'avait pas la moindre idée par où commencer.

Ce n'était pas comme s'il avait beaucoup d'expériences sur lesquelles s'appuyer. Il avait connu Noël en grandissant, de manière assez vague, des petits bouts d'informations récoltées auprès des autres enfants, sur le tas – il se souvenait avoir demandé à sa mère si le Père Noël était réel un jour, puisqu'il était parfaitement logique selon lui qu'une personne volant tout autour du monde en une seule nuit pour s'introduire dans des maisons a priori fermées devait être un sorcier, et elle lui avait rétorqué avec impatience de ne pas poser de questions stupides ; il avait reçu une raclée de la part de son père pour avoir posé la même question au sujet de Jésus – mais ils ne l'avaient jamais célébré. Il n'y avait pas eu assez d'argent pour des cadeaux ou des décorations ou de la nourriture fantaisiste, et le côté Moldu de sa famille semblait être complètement non croyant. Pour lui, ça n'avait été qu'un autre jour, souvent légèrement pire que les autres puisque son père restait à la maison.

Comme pour tout dans ses jeunes années, ce fut sa rencontre avec Lily qui changea tout. Venu le mois de décembre de la première année où il la connaissait, elle était devenue très excitée à l'approche des vacances, et Severus en avait été intérieurement dérouté – mais là encore il s'était déjà plutôt habitué à ne pas comprendre la moitié des raisons pour lesquelles sa nouvelle amie s'excitait. Et puis elle lui avait demandé nonchalamment ce qu'il voulait pour Noël, et même après plus d'une trentaine d'années il se souvenait encore de la panique soudaine en réalisant qu'il était censé lui rendre la pareille. Il s'en était sorti cette première année – à cette époque, Lily avait été en plein milieu de cette période relativement normale chez une jeune fille où elle était obsédée par les chevaux, donc il avait volé des crayons à l'école et avait passé deux bonnes semaines à travailler sur le dessin d'un poney dont elle avait été absolument ravie ; elle l'avait gardé accroché à son mur pendant presque un an avant que Pétunia ne le détruise durant une bagarre entre sœurs. Les années suivantes avaient été plus difficiles ; encore aujourd'hui il était soulagé qu'elle n'ait jamais su combien de ses cadeaux de Noël ou d'anniversaire avaient été volés tout simplement parce qu'il n'avait pas les moyens d'acheter des choses un peu inhabituelles.

Mis à part Lily, cependant, il n'avait jamais vraiment eu à acheter des cadeaux pour qui que ce soit. Il n'avait jamais eu d'amis à l'école assez proche pour ça, et il n'avait certainement jamais acheté quoi que ce soit pour ses collègues, bien que Dumbledore lui ait habituellement donné quelque chose d'inutile et de mauvais goût. Il aurait acheté des cadeaux pour les Malfoy, ses seuls vrais amis, sauf qu'ils étaient suffisamment riches pour s'acheter tout ce qu'ils voulaient donc c'était assez redondant ; à la place, il brassait des potions pour eux si jamais ils le lui demandaient, et s'en tenait là.

Pour être honnête, Severus ne voyait pas l'intérêt des cadeaux de Noël ou d'anniversaire. C'était toujours agréable de recevoir des choses gratuites, mais s'il fallait payer des choses en retour, ce n'était pas vraiment gratuit. Pour autant qu'il sache, la tradition derrière les cadeaux de Noël avait commencé par la corruption de divers dieux au moment du solstice d'hiver pour ramener le soleil, et les cadeaux d'anniversaire étaient une manière assez tarabiscotée de dire à quelqu'un qu'on était content qu'ils n'étaient pas morts pendant une année de plus. Cependant, sa position était clairement minoritaire, au point qu'il était prêt à concéder qu'il était peut-être biaisé par le fait qu'il n'avait dû recevoir qu'une demi-douzaine de cadeaux dans toute sa vie, aucun d'eux n'ayant été mémorable le moins du monde. Donc Minerva avait eu raison, ce serait un challenge pour lui, se dit-il avec amertume. La moitié du mois de novembre était déjà passé dans un tourbillon de neige et il n'était pas plus avancé.

Qu'est-ce qu'il savait vraiment à propos de Granger, en dehors de ses nombreux méfaits en tant qu'élève qui ne l'avaient jamais ni blessé ni dérangé ? De toute évidence, elle était intelligente et aimait apprendre, et même si elle n'était plus aussi m'as-tu-vu ces derniers temps, elle restait presque scandaleusement enthousiaste. Il pensait que le meilleur cadeau qu'il pourrait lui trouver serait un livre pour la forme, en toute franchise, mais il n'y avait aucun moyen que Minerva le laisse s'en tirer comme ça, même si c'était exactement ce que la jeune femme voulait. Un livre spécifique, peut-être alors, quelque chose sur un sujet qui l'intéressait en particulier, ou quelque chose de rare ? Ça restait de la triche, malgré tout, et c'était prévisible – sans aucun doute ses amis avaient tendance à lui offrir des livres ; c'était la première chose à laquelle tout le monde devait penser.

Severus était un peu honteux de réaliser qu'il ne savait pas grand-chose d'autre à son sujet. Minerva avait eu raison sur toute la ligne – il en savait bien plus sur ses autres collègues après avoir été exposé à eux pendant des années, avoir entendu des conversations ou simplement observé. Granger était une insignifiance qui n'était jamais vraiment apparue sur son radar ; cherchant dans sa mémoire, tout ce dont il pouvait vraiment se souvenir c'était comment elle aimait prendre son thé dans la salle des professeurs et qu'elle avait un chat. Il semblait se souvenir qu'elle portait souvent du violet aussi, donc il se pouvait que ce soit sa couleur préférée, mais c'était tout. Enfin, il n'aurait qu'à prêter un peu plus attention dans les quelques semaines à venir, c'était tout. Mais la frontière était ténue entre la simple observation et le harcèlement ; il devrait se montrer raisonnable. En partant du principe qu'il irait jusqu'au bout avec ce plan, parce que franchement, c'était pathétique et il ne parvenait pas vraiment à croire que Minerva le virerait pour quelque chose comme ça – mais il ne souhaitait pas particulièrement tester cette théorie.

ϟ ϟ ϟ

Novembre fit lentement place à décembre, ce qui voulait dire que le château s'était transformé en une merveille de paillettes que Severus trouvait horriblement kitsch, pas qu'on lui ait demandé son avis. La météo se faisait véritablement épouvantable, des tempêtes de neige balayant la lande à tel point que les cours de botanique durent être annulés parce qu'il était presque impossible d'aller et venir des serres, et les entraînements de Quidditch avaient été reportés, voler était bien trop dangereux quand personne ne pouvait voir à travers les bourrasques de neige.

Le seul effet que Severus remarqua était que les cachots étaient encore plus froids que d'habitude, et la salle de cours de potions restait âprement glaciale, peu importe que les enfants poussent au maximum le feu sous leurs chaudrons. Il se prenait à souhaiter encore plus fervemment que Minerva le laisse rentrer chez lui pour les vacances – la neige ne restait jamais très longtemps à l'Impasse du Tisseur, qui restait avec défiance grise, morne et humide, peu importe la saison. Oui, il serait déprimé, misérable et seul là-bas ; mais il était déprimé, misérable et seul ici aussi, ainsi que gelé jusqu'aux os.

Il était presque impossible de dormir quand il faisait si froid dans ses appartements, peu importe le nombre de sorts de chaleur qu'il lançait ; le froid semblait avoir atteint ses os, en conséquence la cicatrice à son cou le lancinait, une douleur pulsante bien au-delà du désagrément en arrière-plan auquel il s'était habitué au fil des ans. Il le toléra pendant encore une semaine, jusqu'à ce que les vacances commencent, conduire les enfants jusqu'à la gare avait été délicat, mais en définitive tous ceux qui devaient rentrer chez eux pour les vacances étaient partis et le château était bien plus paisible, en particulier depuis qu'il était libéré de toute obligation d'être sociable en dehors des repas. Severus était promptement retombé dans ses vieilles habitudes de la guerre, faisant de courtes siestes tout au long de la journée et passant quasiment toutes ses nuits à se promener dans le château, même s'il ne pouvait pas complètement éviter tout le monde – il s'assurait de passer au moins une heure ou deux tous les quelques jours dans la salle des professeurs ou un autre endroit public, toujours en essayant de continuer sa surveillance attentive d'une certaine Gryffondor.

Il pensait à elle maintenant, tout en rôdant, sans un bruit, dans les couloirs familiers. Après presque un mois d'observations quotidiennes, attention, il avait découvert… que dalle. Oh, Granger était bien sociable, toujours présente dans la salle des professeurs à discuter de corriger des devoirs, de ses lectures, mais il n'y avait aucune réelle substance derrière, comme si elle se laissait porter par le mouvement – et maintenant qu'il y pensait, il n'était pas certain de l'avoir déjà entendue prendre part à une seule conversation véritablement sérieuse n'étant pas liée au travail. Et il était certain que c'était délibéré, elle se retenait, se cachait presque. C'était suffisamment intéressant en soi pour piquer sa curiosité, mais Severus trouvait tout autant fascinant que personne ne semblait l'avoir remarqué – elle était populaire auprès de tous ses collègues, à l'exception de lui bien sûr, et pourtant il doutait qu'aucun d'eux ne la connaisse tellement mieux que lui.

Sur un coup de tête, Severus se mit à monter les étages, s'éloignant bien loin de ses repaires de prédilection et s'élevant jusqu'à la volière, qui avait été protégée des intempéries avec précaution, une sorte de sas ayant été mis en place pour que les oiseaux puissent aller et venir sans que la chaleur ne s'échappe. Il toucha une pierre du mur qui était une zone interdite pour tous à l'exception de Minerva – et de lui-même, officieusement maintenant – et retira le parchemin scellé dans ce cache, allumant sa baguette juste pour lui, et générant quelques hululements endormis des volatiles trop intelligents pour sortir dans une telle tempête hivernale ; c'était le registre du courrier entrant et sortant, traqué par la magie d'après des voies qu'il n'était jamais parvenu à comprendre.

Intéressant. Le parchemin ne montrait que le mois écoulé à peu près ; il était possible qu'il y ait une archive quelque part ; mais si c'était le cas, il ne l'avait jamais trouvée – un des inconvénients de n'avoir jamais était formé pour le poste de Directeur ; il imaginait qu'il y avait bien des choses au sujet du château qu'il ignorait encore. Selon le document, le seul courrier que recevait Granger était du courrier Moldu redirigé, il supposait donc qu'il provenait de ses parents ; elle avait envoyé quatre lettres, une à une adresse Moldue et qui était possiblement une réponse, et trois autres – une à Weasley ainsi qu'à Potter et sa femme. Severus regarda les dates ; aucune d'elles n'avait reçu de réponse depuis trois semaines.

Replaçant le petit parchemin, il rangea sa baguette dans la poche de sa veste et retourna en bas, traversant les couloirs familiers et cogitant sévère. Il commençait à voir les pièces du puzzle ; dans tous ses souvenirs du Trio d'Or, c'était toujours Potter et Weasley qui prenaient les devants, et Granger en arrière-plan. Chaque combat dont il avait été témoin auquel participait la dream team semblaient avoir mis en scène Potter et Weasley d'un côté et Granger de l'autre. Ils semblaient avoir été des amis plus ou moins fiables à un certain point, et maintenant qu'ils n'avaient plus besoin d'elle pour faire leurs devoirs, ils semblaient s'être un peu perdus de vue. Elle n'avait jamais eu beaucoup d'autres amis dont il se souvienne, il fit chauffer son excellente mémoire étant donné qu'il n'avait pas prêté très attention à l'époque ; Londubat, peut-être, même s'ils ne semblaient pas avoir été très proches.

Donc, des contacts limités avec sa famille tant qu'elle était à l'école, et des amis qui ne semblaient pas particulièrement dévoués à leur amitié – bon, d'accord, concéda-t-il en pensée, un léger délai dans la réponse à ses lettres ne constituait pas une preuve et il pouvait admettre qu'il voulait juste tenir en piètre estime Potter et son acolyte, mais ça ne signifiait pas pour autant qu'il avait tort. Et pour ce qui était de Poudlard – il réalisa avec surprise qu'il était le plus jeune membre du personnel actuellement si on omettait Granger elle-même, avec une marge assez conséquente ; pas étonnant qu'elle ne semble pas avoir formé de véritables amitiés, en particulier si on considérait que ses collègues avaient été ses professeurs il y a seulement quelques années de ça. La jeune fille au tempérament explosif dont il se souvenait était devenue une jeune femme plutôt renfermée et très prudente qui restait dans son coin.

Eh bien, il pouvait certainement comprendre sa situation, pensa-t-il. Il semblait qu'elle traversait des circonstances similaires aux siennes lorsqu'il avait entamé sa carrière de professeur, moins les problèmes psychologiques – quoique peut-être même pas, étant donné ce qu'elle avait traversé. Le courant d'empathie soudain fit s'arrêter net Severus, son regard se perdant par la fenêtre sans voir ; il ne s'était certainement pas attendu à ça, pas en ce qui concernait la collègue enseignante à qui il en voulait le plus, mais sa situation était très similaire à certaines des expériences personnelles de Severus et il se souvenait à quel point ça avait fait mal.

Fronçant les sourcils, il se remit à marcher, très lentement maintenant tandis que ses pensées flânaient. De manière irrationnelle, il se sentait un peu agacé ; il avait été bien plus content de la détester pour être une petite bûcheuse qui en savait bien trop pour son propre bien. Toujours est-il qu'elle n'était pas la première personne envers qui il devait réexaminer son comportement, et sans aucun doute ne serait-elle pas la dernière – et aussi intéressante que soit tout ceci, il se rappela sévèrement que ça ne le faisait pas avancer sur son problème actuel, qui était de lui trouver un cadeau de Noël afin que sa patronne lui lâche la grappe. Rien de plus.

Se retournant et se dirigeant vers ses quartiers, il aurait aimé ne pas avoir l'impression de se mentir à lui-même.

ϟ ϟ ϟ

Avec une poignée de jours de marge, Severus était définitivement frustré et encore plus insomniaque que d'habitude. Une partie agaçante de lui-même souhaiter aider cette femme ; apparemment une part de son esprit était assez arrogante et se berçait de l'illusion de croire qu'il pouvait se procurer un cadeau de Noël qui résoudrait tous ses problèmes. Il mettait ça sur le compte du manque de sommeil, et probablement des neurones qui étaient morts de froid, Severus avait réactivé de vieux instincts qu'il n'avait pas utilisés depuis des années, et avait passé quelques jours à étudier Granger avec autant d'intensité que lorsqu'il avec espionné une cible pendant la guerre. Il était déterminé à faire ça bien, même si c'était seulement pour que Minerva la ferme et lui apprendre à ne plus essayer de le manipuler.

Seulement il n'y avait pas beaucoup de matière à exploiter. Il avait remarqué une bonne quantité de poils de chat sur ses robes ; soit le chat avait dormi dessus soit il était soumis à de fréquents câlins, mais de toute manière, ça indiquait qu'elle gâtait l'animal. Sa solution de repli s'il ne trouvait rien de mieux serait de lui dessiner son chat, dans ce cas, étant donné que ses compétences en dessins s'étaient pas mal améliorées depuis ses neuf ans. Mais il aurait besoin que le chat soit présent, ou au moins d'une photographie, s'il voulait faire ça bien, et il n'était pas à l'aise avec le fait de créer un parallèle au premier cadeau qu'il ait jamais donné à Lily même si c'était un scénario totalement différent. Ce n'était pas une mauvaise option malgré tout, cependant ; les tempêtes de neige ne s'étaient pas calmées de manière perceptible, et Severus n'était pas pressé d'avoir à braver la météo pour descendre à travers l'épaisse couche de neige en vue de transplaner quelque part et d'essayer d'acheter quelque chose pendant le rush de folie des achats de dernière minute. Par ailleurs il semblait logique, selon lui, qu'un cadeau créé soi-même montre plus d'attention que quelque chose qu'il aurait choisi dans un magasin.

Il était allé jusqu'à essayer quelques rapides gribouillages pour voir si ça pouvait marcher. Il lui était venu à l'esprit que s'introduire dans les appartements de Granger pour avoir accès à son chat, dont le nom, Pattenrond, lui était enfin revenu à l'esprit, était le moyen le plus logique de s'assurer une réussite ; il sentait que ce serait définitivement franchir la ligne du harcèlement, cependant, et préférait se reposer sur sa mémoire – il avait déjà vu cet animal. Dans la Cabane avec Lupin et Black, pas que ses souvenirs de cette nuit-là soient particulièrement clairs, et lorsqu'il se mettait toujours dans leurs jambes au square Grimmaurd, et plus récemment il l'avait entraperçu en train de roder dans les couloirs à quelques reprises, vaquant à ses mystérieuses affaires de chat.

Avoir un plan B était bien, ça voulait dire qu'il ne serait pas totalement bloqué, mais il voulait trouver autre chose si possible. Le problème c'est qu'en dehors du chat il n'avait pas trouvé d'autres pistes assez personnelles – la simple observation lui donnait une idée de ses nourritures, boissons et vêtements préférés ; il n'avait rien surpris de plus profond. Aucun autre courrier n'avait été reçu, cependant elle avait envoyé plusieurs cartes de Noël qui ne semblaient pas avoir eu de réponse. Sans entrer par effraction dans son bureau ni dans ses appartements, Severus ne voyait pas comment en découvrir davantage, et il refusait de franchir cette ligne.

Parler avec elle n'amènerait rien de plus ; même s'il avait eu les compétences sociales pour s'en tirer, elle ne révélait jamais rien de personnel – elle ne l'avait jamais fait en parlant aux autres, en tout cas, étant donné que ça faisait des années qu'il se faisait un devoir de tendre l'oreille aux conversations de ses collègues, depuis des décennies, par principe. Il y avait un mur autour de Granger, tout comme il y en avait un autour de lui, mais là où ses barrières étaient faites de silence, de sarcasme acerbe et d'un peu de rancune, les siennes étaient faites d'un intérêt poli et de faux sourires ; il se demandait si quelqu'un d'autre avait réalisé à quel point elle était isolée et se cachait d'eux tous.

Même sans ça, cependant, elle ne lui aurait jamais adressé la parole, à lui en particulier. Elle le haïssait, et pour de putains de bonnes raisons. Alors même que Severus pouvait mentir comme un arracheur de dents à tout le monde, il essayait d'être honnête avec lui-même, et bien que les raisons pour lesquelles il la détestait étaient parfaitement valides et compréhensibles, les raisons qu'elle avait de le détester l'étaient tout autant, si ce n'est bien plus. Maudis soit cette vieille peau, Minerva avait eu raison sur ce point aussi. Il était vraiment énervé par cette réalisation ; il avait espéré en avoir fini avec la culpabilité. Toute cette mascarade n'en était que plus futile, également, parce qu'un cadeau n'allait pas changer les choses peu importe qu'il soit parfait ou non. Il ne pourrait jamais être ce genre de personne.

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L'idée définitive lui était venue la veille de Noël, tandis qu'il se tenait dans un coin de la salle des professeurs encore une fois et prétendait de lire le journal qu'il avait amené avec lui – prenant soin d'avoir vraiment l'air d'être en train de lire, ses yeux suivant les lignes du texte à un rythme raisonnable et tournant les pages aux bons moments, même s'il n'en comprenait pas un mot. Son attention était portée sur ses collègues, mais il n'écoutait plus leurs conversations non plus, se concentrant plutôt sur l'atmosphère. La pièce était chaude et bien éclairée et la radio était allumée – malheureusement ; Severus n'avait jamais apprécié ce que le monde sorcier essayait de faire passer pour de la musique – qui offrait un bruit de fond de conversation et de rires joyeusement amicaux. Ce n'était pas une fête, ou il serait parti depuis longtemps, mais la sensation était assez similaire, mettant en exergue qu'il s'agissait d'un rassemblement convivial. Qu'elle soit isolée et qu'elle se cache ou pas, Granger en faisait tout de même partie, elle faisait partie du groupe ; même si c'était superficiel ; et pas lui.

Sa place dans le coin était littéralement et figurativement plus froide et plus sombre que le reste de la pièce, et ces courants de joie chaleureuse tourbillonnaient autour de lui sans le toucher. Une petite partie de lui, presque oubliée, voulait tendre la main et essayer de toucher le monde qu'il pouvait voir – pas pour en faire partie, pas vraiment ; il n'était plus comme ça, si l'avait déjà été, et il n'y avait pas de place ici pour l'homme qu'il était devenu, mais plutôt pour trouver une place en périphérie. Pour y parvenir, il y avait une tonne de ponts abattus qu'il devait essayer de réparer, se dit-il sombrement, et il ne voyait pas comment c'était possible – mais la première pierre était une évidence maintenant qu'il y pensait.

Se levant, il rangea le journal dans ses robes et quitta la pièce en silence, bien conscient que personne n'avait remarqué son départ, se dirigeant d'un pas tranquille à travers les couloirs ténébreux et descendant de nombreux escaliers jusqu'à atteindre la partie sombre et glaciale du château où lui et ses Serpentard vivaient. Avec aucun d'eux présents ici pour les vacances, les cachots étaient presque sinistrement silencieux ; la seule source de bruit était le faible tic-tac de l'horloge et de sa propre respiration quand il s'assit dans son salon et reprit l'esquisse à moitié terminée de Pattenrond. Il n'en avait pas été satisfait de toute manière, et la déchira sans hésitation avant de prendre de l'encre, une plume et du parchemin d'un geste vif. Métamorphosant une partie du parchemin en une petite boîte, avec des rubans aux couleurs de Gryffondor, il imprima avec beaucoup d'attention le prénom de Granger en lettres majuscules sur l'étiquette, de telle manière qu'une personne l'observant ne puisse pas deviner qui l'avait envoyé, avant de prendre un morceau de parchemin, de marquer une pause, et de le fixer du regard.

Enfin, il soupira et écrivit simplement « Je suis désolé ». Contrairement à l'étiquette, il ne fit aucun effort pour essayer de masquer son écrire fine, penchée – l'échange de cadeaux était censé être anonyme, mais ça n'aurait aucun sens si elle ne savait pas de qui provenait le message. Quand l'encre fut sèche, il glissa la petite note dans la boîte et la scella avant de pouvoir changer d'avis ; il le laisserait devant ses appartements avant le matin. Severus avait pensé à étendre ses excuses, mais il n'y avait aucune raison particulière pour laquelle il s'excusait, à moins que ce ne soit pour l'intégralité de sa pitoyable existence ; ça devrait faire l'affaire. C'était tout ce qu'il avait à offrir, de toute manière.


Note de l'auteur·ice : Cette histoire est bien différente de ce que j'avais en tête à l'origine, comme toujours. Je souhaitais un contenu bien plus mignon avec plusieurs points de vue, mais voilà. Soyez rassurés, malgré les passages un peu angoissants il y aura une fin heureuse (je n'aime pas spoiler la fin d'habitude, mais ce n'est pas la saison pour publier l'angoisse et la misère).

Merci à tout le monde, j'espère que vous allez bien, et on se reverra pour la partie II de cette histoire un peu avant Noël.

Note du traducteur : Je vais tâcher de publier la partie II un peu après Noël, cependant, la traduction n'est pas terminée. Je n'ai plus de bêta depuis bien longtemps, alors n'hésitez pas à signaler les erreurs horribles que vous voyez.

Il n'y a qu'un petit point dans ce texte qui me chiffonne : Severus dit n'avoir reçu qu'une demi-douzaine de cadeaux, tous peu mémorables ? J'ai l'impression qu'il est bien pessimiste. Étant donné qu'il se concentre autant sur le fait qu'offrir un cadeau doit être un acte réciproque, Lily a dû lui offrir bien des cadeaux. S'il a mis du soin à offrir des cadeaux à son amie, sans doute que Lily en a fait de même avec lui, non ?

Joyeux Noël à tous mes lecteurs et lectrices, et à bientôt pour la suite ;-)