La Jeep était garée à côté de la voiture de Noah Stilinski, parfaitement à sa place. A cette heure-ci, le quartier était fort calme : tout allait bien, il n'y avait pas un chat. Quoi de plus normal, dans cette rue résidentielle en pleine nuit ? Stiles ne se méfiait pas, Noah non plus. Ils avaient l'esprit léger, l'un peut-être un peu plus que l'autre. Techniquement, l'hyperactif allait bien, il ressentait juste… L'influence de la fatigue. Dormir lui ferait le plus grand bien, rechargerait un minimum ses batteries physique et sociale. Mais, comme Stiles n'était pas un fils ingrat, il accepta le dernier verre que lui proposa Noah. Sans alcool, cette fois-ci. En fait, il ne s'agissait de rien de plus qu'un prétexte pour passer un peu de temps avec lui, quelques minutes de plus. Noah n'irait jamais l'avouer à voix haute et Stiles, même s'il voyait clair dans ses idées, ne lui dirait pas qu'il savait. Même si c'était un peu étrange, c'était leur manière de faire et ils s'y étaient accommodés tous les deux. Le tacite avait souvent plus d'effets que les mots, d'autant plus que le résultat était le même, avec simplement la gêne en moins.
Alors Noah déverrouilla la porte de la maison et s'y engouffra sans hésiter, sans se dire qu'il pouvait courir le moindre danger en pénétrant à l'intérieur. Et son raisonnement se tenait. Puisque tout était normalement fermé, comment aurait-il pu se douter de quoi que ce soit ? Seul un loup-garou ou toute autre créature surnaturelle à l'odorat surdéveloppé aurait pu sentir le danger et agir en conséquence. Le mieux aurait été de fuir sans attendre, de prendre la voiture et d'appeler la police – ici, des renforts. Mais ni Noah ni Stiles n'était au courant de ce qui risquait de leur arriver les minutes qui suivraient. Aucun Stilinski ne possédait quelque don de divination que ce soit.
Alors Noah alluma la lumière de l'entrée et enjoignit Stiles de le suivre. Ainsi, ils se dirigèrent vers la cuisine. Cette fois, Noah n'eut pas le temps d'appuyer sur l'interrupteur qu'un bruit sec se fit entendre et le shérif se figea. De l'intérieur de la cuisine, on ne voyait rien tant son entrée était mal située. Un peu comme la famille Stilinski, la maison était mal foutue et comportait un grand nombre de défauts, dont celui-ci. L'instant d'après, il levait les mains en l'air sous le regard perplexe de Stiles qui arrivait un peu en retard. En fait, il ne l'avait pas suivi tout de suite, pour la simple et bonne raison qu'il s'était quelque peu perdu dans ses pensées… Comme c'était très régulièrement le cas. Cette fois-ci, il avait eu une absence inférieure à dix secondes : suffisant pour laisser Noah s'éloigner, pas assez pour alerter celui-ci.
Mais le bruit aussi sec que métallique l'avait interpelé malgré lui et sorti de cet état transitoire avec une efficacité remarquable.
Alors en voyant son père les mains en l'air, Stiles n'osa pas prononcer un mot ni même faire quelque mouvement que ce soit. C'était comme s'il se retrouvait victime d'une espèce de choc suffisamment fort pour le pousser à ne faire aucune bêtise, suffisamment faible pour garder un semblant de lucidité et comprendre ce qui était éventuellement en train de se passer – réfléchir, aussi. Dans ce cas précis, mieux valait ne pas s'affoler et dire un mot de trop. Attendre, ne pas risquer de déclencher un tir né de la panique ou de l'impulsion. Autant dire que perdre son père n'était pas dans la liste de ses objectifs de la soirée – ni même de sa vie en général. Alors il avança doucement, à pas de loup avec toute la discrétion dont il était capable. Depuis la cuisine, l'intrus ne pouvait pas le voir tant il se trouvait encore loin dans le couloir. Pour Stiles, il s'agissait d'un réel avantage dont il se devait de profiter. Par chance, il avait encore son arme de service sur lui. S'il devait finir par s'en servir, il le ferait.
Il commença par laisser sa main se rapprocher de son étui, qu'il déclipsa aussi silencieusement et discrètement que possible alors qu'il faisait un pas de plus vers ce qui s'apprêtait à le marquer à tout jamais. Ses doigts frôlèrent le pistolet et la distance entre lui et son père se réduisit un peu. Si l'idée d'avoir une arme le mettait mal à l'aise, le métal froid voire glacé lui donna, l'espace d'un instant, l'impression qu'un certain calme le gagnait. Il était factice, mais présent.
Pour l'instant.
- Avance.
L'ordre avait été prononcé par une voix grave au ton on ne peut plus menaçant, un ton qui fit violemment frissonner Stiles. Parce que la façon dont son père s'exécuta tout de suite ne lui disait rien qui vaille. Enfin il n'y avait rien dans cette situation qui pouvait le rassurer, mais… Disons qu'il connaissait son paternel et avait connu celui-ci bien plus combatif, parfois un peu sarcastique. Et surtout, il rappelait son statut, faisait valoir son autorité de shérif et ce, même lorsqu'il se trouvait en situation de faiblesse.
Cette fois-ci, il ne pipait mot.
Stiles ne saurait dire ce qui était différent, mais il pouvait toutefois comprendre le fait qu'il puisse tenir à la vie – dans un sens, c'était son cas aussi, même si leur situation et leur mode de pensée respectifs étaient quelque peu opposés.
Or, la véritable raison de la coopération de Noah Stilinski tenait en deux mots : son fils. Sa présence, voilà ce qui était différent. Et si l'homme qui le tenait en joue n'avait pas encore remarqué le fait qu'il n'était pas rentré seul, la chose risquait d'arriver incessamment sous peu. Alors à sa manière, il gagnait du temps, dans l'espoir que Stiles ait un semblant d'instinct de survie et se mette en sécurité, le temps d'appeler des renforts.
Parce que l'individu qui maintenait son arme pointée dans sa direction n'était pas seul. Quelques instants plus tard, lorsque la lumière de la cuisine éclaira l'entièreté de la pièce, Noah avala difficilement la salive. Ici, ils étaient trois : celui qui le tenait en joue et deux autres, près de la gazinière – tous l'identité protégée par une cagoule. Les mains en l'air, le shérif attendit de voir la suite, une goutte de sueur froide perlant dans son dos. S'il ne connaissait pas la raison précise de cette intrusion dans son domicile, il savait qu'elle était forcément ciblée. On ne prenait pas autant d'hommes et on n'attendait pas son retour s'il s'agissait d'un cambriolage – Noah était donc visé personnellement.
Et ça n'était pas des plus rassurants.
Car son métier rendait la haine à son encontre… Explicable. Non justifiable mais bien explicable. Exécuter la justice, exercer un métier d'autorité attisait la haine – lorsque l'on dégottait un de ces postes « en haut », c'était pire. Et Noah n'était rien de moins que le shérif de Beacon Hills. Des criminels, il en avait mis des tas derrière les barreaux depuis le temps qu'il était en fonction. Un membre des forces de l'ordre et notamment l'une de ses figures représentatives… Ça attisait forcément la haine, multipliait la rancœur… Et augmentait les risques d'agression par ceux qui lui en voulaient d'avoir réussi à les arrêter. Qu'y pouvait Noah Stilinski ? Il n'avait fait que son travail – et c'était bien ça le problème. Ainsi, ces hommes étaient sans doute d'anciens détenus, ou bien des connaissances de certains. Leur but ? Ou le tuer, ou lui faire payer son hypothétique précédente réussite les concernant. Dans tous les cas, Noah était dans de beaux draps. Il continuait cependant d'espérer sincèrement que Stiles s'était mis en sécurité et avait appelé du monde.
La suite le détrompa. Car il y eut un bruit sourd au loin, un bruit que Noah ne perçut pas pour la simple et bonne raison que son esprit était complètement tourné vers cette arme qui le rendait on ne peut plus obéissant et dont un doigt pouvait enclencher le mécanisme de tir à tout moment. Mais ce furent de faibles gémissements qui attirèrent son attention.
- On a tiré le gros lot ce soir, fit un autre homme, derrière lui.
Menacé par l'individu face à lui, Noah n'osa pas tourner la tête pour vérifier ce qu'il avait, au final, peur de voir. Stiles n'était quand même pas resté, si ?
L'un des intrus, dans le fond de la cuisine, ricana vulgairement et l'éclaira malgré lui :
- Le père et le fils… Très belle prise.
