Black Angelis, ce texte a été écrit pour toi dans le cadre du Secret Santa de 2023 organisé par le Forum francophone. J'espère qu'il te plaira autant à lire que moi à écrire !
Le cafard et la conscience
Hermione n'avait pas pu fermer l'œil de toute la nuit où Ombrage avait démasqué l'A.D. et envoyé la Brigade inquisitoriale à leurs trousses. Elle avait pourtant ressenti un immense soulagement quand Harry était reparu dans la salle commune, où Ron et elle l'attendaient en se rongeant les ongles, imaginant les pires scénarios (Harry renvoyé, sa baguette brisée, leur ami emprisonné à Azkaban...) et tentant de se rassurer mutuellement à voix basse tout en s'efforçant d'esquiver les regards dissimulés des élèves plus jeunes, qui pressentaient qu'un événement d'importance s'était produit, sans savoir lequel. Lorsqu'enfin Harry était revenu du bureau de Dumbledore, elle l'avait serré dans ses bras, Ron lui avait tapé sur l'épaule et ils s'étaient installés à l'écart, avec Ginny et Neville, pour qu'il leur racontât tout. Hermione avait été infiniment soulagée d'apprendre qu'ils s'en tiraient sans punition (à part Marietta, bien sûr), et le contrecoup les laissa tous les trois un peu tremblants et vaguement hystériques. Phineas Nigellus avait bien raison, Dumbledore ne manquait pas de style... Mais maintenant que le directeur avait quitté l'école, qu'allait-il se passer ? Et pourquoi avait-il pris cette décision ? N'aurait-il pas pu inventer un autre mensonge pour rester à Poudlard et mieux les protéger ? Ou au moins pour gagner du temps ?
« Il aurait pu me dire ce qu'il avait en tête avant de disparaître ! » râlait Harry en boucle.
Hermione voyait bien qu'il était profondément troublé par cet épisode, et qu'il ne leur avait pas tout raconté. Comme d'habitude depuis le début de cette année, soupira-t-elle intérieurement…
Mais ils étaient si épuisés qu'après avoir émis quelques hypothèses plus ou moins farfelues sur l'endroit où Dumbledore se trouvait désormais (en Albanie pour retracer les pas de Voldemort, en Amérique pour chercher des alliés, infiltré au ministère de la Magie sous les traits d'une goule d'ascenseur – une idée de Ron…), ils étaient partis se coucher.
Et Hermione, qui s'était mise au lit, ne faisait que s'y tourner et s'y retourner. Comment n'avaient-ils pas soupçonné la trahison de Marietta ? Avaient-ils été trop confiants dans les personnes qu'ils avaient invitées à l'AD ? En même temps, comment auraient-ils pu refuser des gens, quand il s'agissait d'apprendre à se défendre contre la menace terrible et grandissante de Lord Voldemort ? Comment Marietta avait-elle pu les trahir, et surtout trahir Cho, son amie de six ans ? Combien d'autres amitiés seraient brisées par la pression du ministère et des sombres épreuves qui semblaient s'accumuler à l'horizon ?
Le lendemain matin, elle avait les traits tirés et les yeux irrités par une nuit sans sommeil quand elle descendit dans la grande salle pour le petit déjeuner. Ginny était sortie du dortoir en même temps qu'elle. Elles étaient les dernières et la cadette des Weasley en avait profité pour, très littéralement, tirer son chapeau à Hermione. Dans un geste d'admiration surjoué, elle lui avait glissé avec un clin d'œil :
« Sacré sortilège que tu as dû envoyer à Marietta, pour qu'Ombrage n'arrive pas à le défaire ! Tu m'impressionnes, Hermione ! »
Évidemment, Cho s'était montrée beaucoup moins impressionnée. Elle avait coincé Hermione dans le couloir du troisième étage qui avait un jour hébergé Touffu et lui avait craché tout son mépris au visage.
« Elle aurait pu nous faire expulser et ruiner notre avenir », rétorqua Hermione en se grandissant pour mieux lui faire face. Elle se tenait droite et refusait de se laisser démonter, mais sa voix était moins assurée qu'elle ne l'aurait voulu.
« Ce sont des choses qui se rattrapent ! s'écria Cho, dont les yeux se mirent à briller. Ce n'est pas une atteinte physique ! Et toi, tu as… tu as détruit son visage ! »
Les larmes lui nouèrent la gorge et, après un dernier regard furibond lancé à Hermione, elle s'enfuit en courant dans la direction des toilettes les plus proches.
Tandis qu'Hermione réajustait les sangles de son sac pour se donner une contenance et reprendre ses esprits, elle aperçut Harry, immobile à quelques pas devant elle, de l'autre côté du flot des élèves de deuxième année qui sortaient de leur cours de métamorphose. Il avait dû reconnaître leurs voix en se rendant à la bibliothèque, où il passait nettement plus de temps depuis qu'il avait été banni de l'équipe de Quidditch. À son air embarrassé, Hermione jugea qu'il avait entendu une grande partie de la dispute.
Elle lui adressa un maigre sourire et ils marchèrent en silence jusqu'au quatrième étage. Rayon de soleil inespéré dans cette journée déprimante, la table la plus éloignée de Mrs Pince, qui se trouvait au rayon peu fréquenté de l'histoire de la magie précolombienne, sous les fenêtres montrant les serres de botanique, était libre. Ils coururent presque pour s'y installer, et déployèrent aussitôt deux piles de livres pour décourager les autres élèves qui la convoiteraient.
Hermione scruta le visage fermé d'Harry en faisant mine de tailler une plume.
« Est-ce que tu crois que j'ai eu tort d'ajouter ce sortilège à la liste ? »
Harry secoua la tête :
« Il nous a probablement sauvé la mise. D'après Ombrage, c'est ce qui a empêché Marietta de continuer à parler, elle avait peur que le sortilège se poursuive. »
Il fronça les sourcils.
« D'ailleurs, est-ce que ça aurait été le cas ? »
Hermione hocha du menton.
« Si elle avait donné plus d'informations à Ombrage, elle aurait eu écrit ‶Tu parles trop″ sur les mains.
‒ C'est… Ron a raison, Hermione, tu es brillante et un peu terrifiante parfois. »
Il se renferma dans un silence qu'Hermione prit pour une désapprobation inexprimée. Malgré ses propres doutes, elle ne pouvait s'empêcher de s'indigner : qui d'autre qu'elle avait anticipé le problème et pris des mesures pour le désamorcer ? Qui était là avec elle pour chercher un sort qui puisse durer tout une année scolaire et être contenu dans un parchemin, qui dénonce le traître efficacement, qui ne soit pas trop néfaste et pour autant qui décourage la divulgation des détails les plus incriminants ? Qui avait épluché Le Grand Traité des traîtrises historiques, Mille sortilèges de mutisme et De la dissuasion dramatique à la sécurité suprême ?
Elle s'énervait tant en son for intérieur qu'elle sursauta quand Harry reprit la parole :
« Je n'arrête pas de penser… »
Il s'interrompit, comme enroué, avant de poursuivre :
« S'ils avaient eu la précaution de lancer un tel maléfice, mes parents seraient encore en vie. Ou du moins… Sirius n'aurait pas été suspecté à tort de leur meurtre. »
Hermione se mordit la lèvre.
« Je ne suis pas sûre… Voldemort aurait probablement trouvé le moyen d'annuler le sortilège, Harry », répondit-elle d'une petite voix.
Mais l'espace d'un instant, ils imaginèrent tous les deux un monde où Peter Pettigrow aurait eu « cafard » écrit au milieu de la figure, où son absence aurait alerté Lily et James et où les parents de Harry se seraient réfugiés dans une autre maison, aidés par leur fidèle ami Sirius Black, échappant ainsi à Lord Voldemort.
Une semaine plus tard, Hermione reçut de la part de Sirius une lettre de félicitations encodée qui la fit grimacer. Il lui était difficile, en ce moment, de ne pas considérer les idées de Sirius comme une boussole qui indiquait le sud : s'il la louait avec tant d'enthousiasme pour l'ingéniosité de ce sort qui dénonçait la traîtrise en même temps qu'il la dissuadait, cette invention était-elle si judicieuse ? N'était-elle pas au fond assez cruelle, comme certaines plaisanteries des jumeaux Weasley, ou les suggestions de farces que Sirius leur avait parfois glissées lors des longues heures de ménage de cet été passé au square Grimmaurd ?
L'A.D. n'avait plus accès à la Salle sur demande, plus de havre sûr, plus de réunions pour apprendre, se soutenir, se remonter le moral. Mais les membres restants de l'association clandestine, soudés par l'attaque d'Ombrage qui aurait pu leur coûter si cher, se croisaient encore, s'adressaient des clins d'œil et se retrouvaient discrètement quand ils le pouvaient : derrière le terrain de Quidditch, dans les bosquets au bord du lac, ou à l'entrée des serres de botanique : comme ce matin où Hermione, qui se dirigeait vers la cabane de Hagrid pour lui montrer le livre sur les boutures de Machefolle dont elle lui avait parlé la veille, tomba sur Luna et Neville, eux-mêmes en grande discussion avec Ron et les jumeaux Weasley.
« Ah, Hermione, la star de la semaine ! s'exclama Fred en la voyant arriver. Notre préfète préférée !
‒ Nous étions justement en train de commenter tes exploits ! ajouta George.
‒ Inventer un sortilège de boutons qui écrivent des messages, quelle habileté ! Nous sommes jaloux de n'avoir pas eu cette idée avant toi...
‒ As-tu songé à breveter ton sortilège en vue d'une exploitation commerciale ?
‒ Voudrais-tu t'associer à Farces pour sorciers facétieux ? Nous pourrions t'offrir un salaire de consultante en enchantements.
‒ Un salaire ? sursauta Ron, avant de plisser les sourcils. Avec quel argent…
‒ Je ne suis pas sûre que la plaisanterie soit très drôle », intervint Luna d'une voix douce.
Hermione avait rarement été si heureuse de l'entendre interrompre une conversation de son ton aérien.
« Après tout, c'est un châtiment assez cruel pour la pauvre Marietta. Est-ce que tu ne regrettes pas un peu d'avoir créé ce sort, Hermione ? »
Hermione déglutit, tout à coup beaucoup moins soulagée de la tournure que prenait la discussion.
« C'est vrai que Cho disait que la mère de Marietta lui collait beaucoup la pression, renchérit Neville, et comme elle travaille au ministère…
‒ La peur du ministère n'excuse pas tout, le coupa George.
‒ Ni les liens familiaux, compléta Fred. Si je croisais ce crétin de Percy…
‒ … je lui jetterai sans hésitation un pareil sort à la tête, à ce petit imbécile en costume ! »
Ron acquiesça avec ferveur, mais ses yeux restaient dans le vague. Hermione n'était pas sûre qu'il aurait réussi à lancer pareil sortilège à son frère. Elle était même assez convaincue du contraire. Fred et George, peut-être. Et encore. Elle essaya d'imaginer les jumeaux face à Percy dans l'un des couloirs sombres du ministère, que Harry lui avait décrit après son audience disciplinaire du mois d'août. Elle se rappela la stupidité pompeuse des remarques de Percy, empressé auprès du ministre jusqu'au ridicule, comme Harry en avait encore été témoin trop jours plus tôt dans le bureau de Dumbledore ; elle se représenta la fureur de Fred et George, toujours prêts à rigoler mais intransigeants dans leur engagement… Elle visualisa le sort qu'ils lanceraient, les mots qui s'écriraient sur le front de Percy – quelle serait l'inscription ? « Opportuniste » ? « Vendu par ambition » ? « Parjure familial » ?
Non, rien de tout cela n'était crédible. Elle ne les en croyait pas capables, et elle ne pensait pas non plus que Percy fût suffisamment coupable pour le mériter. Mais si Percy, avec la famille aimante et probe qui l'entourait, s'était égaré si loin, Marietta n'avait-elle pas des excuses en effet ?
C'est avec ces pensées en tête qu'Hermione se rendit deux jours plus tard à la bibliothèque, en quête d'un remède au sortilège qu'elle avait elle-même inventé. Le Mécanisme des contresorts par Georgina Girouette serait un bon point de départ, se disait-elle en arpenta la section des enchantements. Mais l'exemplaire n'était pas sur les rayonnages, et elle ne le vit pas non plus en parcourant rapidement du regard les livres que ses camarades consultaient pour leurs devoirs. À défaut, elle chercha La Magie merveilleuse du retour en arrière, de Remorsus Neufdépart. Il n'était pas disponible non plus. Agacée, elle se résigna à emprunter un ouvrage plus spécialisé : Tout savoir sur les charmes de fidélité, peut-être, ou bien Vérité et traîtrise en cent sortilèges. Sauf qu'elle ne les trouva pas non plus.
Il devenait clair que ce n'était pas une coïncidence. Était-ce Ombrage qui les avait pris, pour trouver le moyen d'annuler le sort et de faire parler Marietta ? Était-ce Marietta elle-même, motivée pour effacer les boutons qui la défiguraient, ou Cho, désireuse d'aider son amie ?
Hermione se présenta devant le bureau de Mrs Pince, qui grimaça en sortant le nez du grimoire sur lequel elle était penchée pour en réparer la tranche abîmée avec sa baguette magique. Elle ouvrit son registre de mauvaise grâce quand Hermione lui demanda à quelle date les ouvrages qu'elle cherchait devaient être retournés. Lorsqu'elle trouva l'information, les lèvres de la bibliothécaire se serrèrent encore un peu plus et elle lança à Hermione un regard de dépit qui aurait presque pu passer pour de la commisération :
« Ils reviendront quand ils reviendront.
‒ Mais, il n'y a pas une date limite pour l'emprunt ? demanda Hermione d'une voix qu'elle s'efforça de rendre polie.
‒ Bien sûr, rétorqua sèchement Mrs Pince. Mais le jour où le professeur Rogue rendra un livre dans les temps sera le jour où les élèves de septième année arrêteront de s'endormir en bavant sur les livres. »
Hermione hocha la tête et remercia vaguement la bibliothécaire, l'esprit tout à l'information qu'elle venait d'obtenir. Pourquoi Rogue avait-il emprunté une pareille sélection ? Y avait-il un lien avec l'incident de l'A.D. ? Ou cela concernait-il son travail d'espion ? L'espace d'un instant, elle imagina Voldemort lancer un sort comparable à ses Mangemorts, et l'orgueilleux Lucius Malfoy, qui avait feint de renier son maître lors de sa longue disparition, se pavaner dans son manoir avec « poucave » écrit sur le front. L'image, pour improbable qu'elle fût, la fit sourire pour la première fois depuis que l'entrée de la Salle sur demande avait été forcée.
Elle s'empressa de rejoindre la table des Gryffondor pour le déjeuner, afin de raconter à Harry et à Ron ce qu'elle avait appris. Harry manqua de s'étrangler dans son jus de citrouille.
« Tu ne crois pas que Rogue essaie plutôt de dissimuler quelque chose à Dumbledore ?
Hermione hocha la tête : voilà bien un sujet sur lequel son ami se montrait toujours extrêmement prévisible. Mais avant qu'elle eût pu lui opposer des arguments évidents, Neville, qui mangeait avec eux, intervint dans la conversation :
« Je crois qu'Ombrage lui a demandé son aide, pour Marietta. J'ai entendu Mme Pomfresh en parler quand je suis allé la voir pour mon orteil cassé. »
(Les sortilèges de remplacement, que le professeur Flitwick enseignait en cinquième année, ne réussissaient pas à Neville.)
« Elle demandait à Rogue s'il avait en trouvé une solution pour le visage de Marietta, et il lui a répondu qu'il ne connaissait aucun remède adéquat, sauf à recourir à la magie noire. »
Ses traits lunaires prirent une expression difficile à déchiffrer.
« Elle a dit que tu avais lancé un sort d'une puissance digne de Dumbledore », précisa-t-il en regardant Hermione dans les yeux.
Ron, trop occupé à dévorer sa tourte au bœuf pour s'exprimer d'une manière articulée, tapota amicalement l'épaule d'Hermione pour la féliciter. Mais ce compliment, dont elle avait rêvé d'aussi loin qu'elle eût appris l'existence du plus grand sorcier de leur temps, ne la flatta pas comme elle l'aurait cru.
Le lendemain, après l'une des pires nuits qu'elle eût passée de sa vie, rongée par une culpabilité qu'elle n'avait jamais ressenti jusqu'à présent, Hermione se laissa tomber à l'aurore de son lit à baldaquin, prit une douche très longue et très chaude, et se lava longuement les dents devant le miroir embué. Quand elle eut fini, elle essuya le miroir, se coiffa avec les mains, puis affronta le jugement de son reflet.
« C'était exceptionnel, se jura-t-elle. Ce n'était pas une bonne idée et je ne le referai pas. Je trouverai une meilleure solution à l'avenir. »
Le miroir, qui avait vu défiler devant lui trois siècles d'écolières, ce qui l'avait conduit à refléter les pires lubies de la mode, depuis les frisettes des années 1810 jusqu'aux permanentes de 1955, en passant par les macarons de l'époque victorienne, éclata de rire.
« Ma chère, détendez-vous ! Personne n'est jamais morte d'être laide ! »
De fait, il se méprisait totalement sur l'objet de la résolution que venait d'être prise. Et pourtant ce fut, ainsi qu'elle le raconterait à sa fille cinquante ans plus tard, la seule fois où Hermione jugea, en fin de compte, qu'un miroir avait bien raison.
