Note : Je suis de retour ! J'ai conscience que certains aient pu douter de lire un jour la suite de la Boutique Robillard après six mois de silence… J'en suis vraiment désolée. Mais pendant tout ce temps, j'ai continué à travailler sur le roman, rectifier des erreurs, modifier des passages… Lisez mon long commentaire d'explication sur le chapitre 55. J'ai surtout créé et dessiné les seize modèles du défilé de mode de Duncan, y compris celui de La Foudre de Georgie et de la Princesse d'Atlanta. J'y ai travaillé jusqu'à 2 heures du matin pendant un mois, tant j'avais l'impression que le Prince de Mode surveillait, derrière mon épaule, l'avancement de « son » œuvre ! Regardez le résultat sur mon blog. Puisque l'adresse est tronquée sur ce site, tapez – sans espace : alarecherchedutempsperdu. over-blog. com .Puis choisissez en haut de page : Gone with the Wind fantic the Robillard Boutique. Le défilé de mode, les modèles et le siège de la Mode Duncan mit en scène se trouvent sur la page 2, chapitres 23 et 24.
Cette mise à jour va peut-être vous décevoir car le chapitre est court. Mais il fallait absolument que je fasse partir Rhett, Scarlett et Duncan. Afin que mon blocage d'écriture disparaisse pour reprendre le cours de cette longue histoire.
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Chapitre 56. En route vers Philadelphie !
19 juillet 1876, 6 heures, Charleston, 9 East Battery, Maison des Butler
Trop tôt pour que le moindre télégramme me soit notifié…. Ma cruelle tigresse va réussir à me garder sur des charbons ardents jusqu'à mon arrivée à l'Hôtel Meurice !
Il laissa échapper un rire sardonique à ses dépens. Quel pouvoir avait cette femme pour l'empêcher de respirer pleinement jusqu'à ce qu'enfin elle lui télégraphie un laconique « Oui » ?
Car ce serait un « Oui ». Il en était certain. Il fallait que cela le fût. Après leur folle nuit et ses caresses, - Oh ! Ses caresses… -, comment pourrait-il en être autrement ?
Bien sûr, il y avait eu cet accès de froideur incompréhensible et ses mots de rupture implacables, suivis de la date du 20 octobre prochain proclamée comme un couperet. Mais il ne voulait pas s'y attarder. Il ne le fallait en aucune façon qu'il y pense.
Il valait mieux expliquer les dernières minutes de sa colère froide avant son arrivée à Atlanta par l'incursion subite d'une des nombreuses manifestations de mauvaise humeur de Scarlett O'Hara.
Ou sinon le doute allait grignoter comme un virus contagieux sa belle assurance en leur futur radieux.
Quant à sa phrase : « Dans quelques jours, je vais rejoindre Duncan. Nous allons voyager avec mes enfants et sa famille à Philadelphie », elle ne l'avait prononcée que pour le rendre jaloux, par un réflexe d'ancienne coquette du Comté de Clayton. C'était la seule explication pour prétendre projeter une expédition si extravagante à Philadelphie dans cet ancien repaire yankee qu'elle continuait à abhorrer !
Il secoua énergiquement la tête pour en chasser les prémonitions néfastes. Trêve de divagations ! L'heure tourne. Il est grand temps de me rendre sur le quai.
Un de ses vaisseaux, chargé d'effectuer le transport des antiquités égyptiennes, était déjà en route pour La France. Toutefois, il arriverait après celui de la French Line, affrétée par la Compagnie Générale Transatlantique sur lequel allait embarquer Rhett. (*1) Dans huit jours, il serait en France.
« Messié Rhett, j'ai chargé vos valises et votre sac de voyage dans la voiture, comme vous me l'aviez demandé. Tout est prêt. »
D'un hochement de tête, Rhett remercia son majordome qui prenait déjà les rennes du buggy.
Il avait fait ses adieux à sa mère la veille. C'est pourquoi il fut surpris de la voir déjà levée et habillée impeccablement à l'aube pour partager avec lui le petit-déjeuner avant son départ. Evènement qui défiait toutes leurs habitudes familiales !
Il s'engagea dans l'allée du jardin, mais un froissement de jupes et des pas précipités le firent se retourner.
«Rhett ! Attends ! Tu as oublié de me préciser quelque chose ! »
Dissimulant son impatience de partir, il lui demanda calmement : « De quoi s'agit-il, Mère ? »
Tout en parlant, mère et fils marchaient et longeaient l'allée de la cour afin de se rapprocher de Michael qui attendait sur le siège avant de la voiture.
«Hier, et tout à l'heure encore, tu as donné tes instructions – en les répétant tellement au point de m'agacer -, de t'avertir à ton hôtel de Paris si nous recevions une lettre ou un télégramme de ton notaire ou d'Atlanta. »
Rhett savait fort bien qu'aucune correspondance urgente n'émanerait du Cabinet Robert Stevens Lawyers Ltd puisqu'il avait pris soin, deux jours avant, de demander à son gestionnaire de biens de le contacter directement à son hôtel parisien, en cas d'urgence. Mais spécifier uniquement « Atlanta » aurait attiré la suspicion de sa mère. Et dire que je vais rester dans l'incertitude pendant toute la traversée en mer…
« En effet. Dans ce cas, j'aimerais que vous demandiez à Michael de se rendre au dépôt postal afin d'envoyer un télégramme à l'Hôtel Meurice, 222 Rue de Rivoli. »
Eleonor afficha son incompréhension : « A quoi pourra te servir une telle information si tu ne connais pas la teneur de ces missives ? M'autoriserais-tu à les ouvrir afin que je t'en fasse part ? »
« Non ! » Il regretta aussitôt sa réponse sèche. Mais comment imaginer Eleonor Butler découvrant la réponse de Scarlett à sa déclaration d'amour enflammée ?
«C'est inutile, Mère. Il s'agit d'un accord financier élaboré par mon notaire et celui de Scarlett sur une ancienne de nos propriétés communes. Il est prévu que si l'un ou l'autre se manifeste, je le contracterai automatiquement de Paris. »
Son explication était alambiquée… mais il était à court de ressources. Il avait bien conscience que son insistance à être informé du courrier devait paraître insolite à sa mère, lui qui, depuis des années arrivait et partait du 9 East Battery sans crier gare, ne donnant aucune information à sa famille sur ses allers et venues pendant des mois, voire des années.
Pour faire diversion il procéda, comme à son habitude en jouant la carte de la séduction. Il l'embrassa tendrement sur la joue : «Pour me faire pardonner ce petit embarras, dès mon arrivée en France, je me mettrai à la recherche du plus élégant châle que l'on puisse trouver Rue de la Paix ! Et tant pis – ou tant mieux – si vos amies du Cercle de couture en meurent de jalousie ! »
Son rire fut parasité par des éclats de voix provenant de la cour mitoyenne. Tous les deux tournèrent la tête en direction de la Magnolias Mansion.
Une agitation inhabituelle – surtout à cette heure matinale - s'était emparée de leurs voisins. Deux voitures attelées étaient stationnées contre la belle demeure des Vayton. Dans l'une, un employé de la Maison Vayton finissait de charger une grosse malle à côté de deux autres valises, puis il vint s'asseoir à côté de la camériste de Cathleen, attendant le signal de départ.
Le cheval de la deuxième calèche piaffait d'impatience, pressé d'obéir aux ordres du palefrenier pour s'élancer avec son chargement de passagers. Ceux-ci tardaient à s'installer sur les banquettes en cuir tant ils étaient absorbés par leur conversation animée.
« Mère ! Melina ! Je n'arrive pas à croire que vous ayez eu l'ingéniosité de trouver de quoi remplir d'autres malles au dernier moment, alors qu'hier soir James avait déjà chargé nos bagages dans notre varnish. »
Le wagon particulier, propriété de la Vayton & Son Ltd, avait été rapatrié de leur entrepôt privé pour attendre sur une voie de garage le temps où il serait raccroché au convoi dès l'arrivée du train à destination de Philadelphie.
Melina partit d'un éclat de rire moqueur : « Le Prince de la Mode ignorerait-il que des dames ne peuvent partir en voyage sans le minimum nécessaire pour revêtir leurs plus beaux atours ?»
Les arguments de sa sœur témoignaient de tant de mauvaise foi que Duncan leva les bras au ciel, vaincu, et lui pinça gentiment la joue avant d'éclater de rire à son tour.
Eleonor s'aperçut que sa voisine était déjà présente dans son jardin. Elle s'approcha aussitôt de la courte haie qui séparait les deux propriétés.
«Chère Amie ! Nous contrevenons à toutes les règles de bon voisinage. Je suis affreusement confuse du brouhaha que notre famille ose vous imposer à l'aube.»
Madame Butler la rassura aimablement : «Ne le soyez pas, Très Chère ! Nous-mêmes étions en pleine discussion.» Elle jeta brièvement un coup d'œil sur la voiture où les employés tentaient de se faire une petite place parmi les caisses. «Vous voilà bien chargés ! Comme je vous comprends de vouloir profiter des ombrages de Soft South en cette saison ! La chaleur à Charleston est devenue irrespirable. Heureusement que les embruns nous apportent un peu de fraîcheur sur la Battery !»
«Oh non ! Nous n'allons pas encore nous retirer dans notre plantation. Nous le ferons après notre expédition à Philadelphie. »
« Philadelphie ? »
« Oui. N'est-ce pas passionnant ? Mon fils a décidé de nous faire découvrir la splendide exposition du Centenaire dont la presse nous vante les dernières inventions présentées à l'intérieur d'extravagants halls d'exposition. Nous ne serons pas trop de six pour répertorier tous ces trésors. Même les enfants de Madame O'Hara vont être mis à contribution. Ils… »
Elle s'arrêta brusquement car la silhouette imposante de Rhett Butler s'était avancée, obturant par son ombre la luminosité du petit matin.
Concentrées sur leurs bavardages amicaux, les deux femmes ne s'étaient pas rendu compte que la conversation entre le frère et la sœur avait subitement pris fin aux premiers mots échangés avec leurs voisins du 9 East Battery. Dès cet instant, les deux hommes avaient symboliquement croisé le fer, prunelles noires et bleues rivalisant d'une dureté aussi tranchante qu'une lame acérée.
Cathleen réalisa sa bévue avec effroi. En Dame du Sud, Eleonor fit mine de ne pas s'être rendu compte de cette révélation incroyable : l'ancienne femme de Rhett, cette Scarlett, allait accompagner l'honorable famille Vayton à Philadelphie !
La veuve d'Aymeric Vayton reprit vite ses esprits car le fils ainé des Butler souleva avec élégance son chapeau pour la saluer cérémonieusement, et tout rentra dans l'ordre, comme si ce petit détail n'avait pas surgi au détour d'une parole.
Tout ? En surface seulement. Car intérieurement, le sang de Rhett Butler bouillait : Philadelphie ! Ainsi l'impitoyable Scarlett O'Hara a mis sa menace à exécution ! Evidemment ce rusé de Vayton a savamment manigancé pour que les convenances soient sauves. Avec tant de chaperons, il lui sera bien difficile de contrecarrer les règles de la bienséance et d'oser la compromettre...
Rhett se contraignit à croire à ce barrage moral. En vain. Comment vais-je pouvoir partir en France en sachant que ce paltoquet libidineux va roder autour d'elle pendant des jours tel un cobra prêt à sortir ses crocs pour la paralyser entre deux portes d'hôtel ?
Cette vision cauchemardesque l'affola. Le rictus narquois que Vayton lui adressa sous cap ne le rassura pas.
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19 juillet 1876, 17h30, Atlanta, Peachtree Street
"Prissy, es-tu certaine que tous nos bagages ont été regroupés dans le hall, prêts à être chargés dans la voiture ? »
« Oui, Ma'am Scarlett. J'ai tout vérifié dans votre chambre et celles des enfants et j'ai ajouté ma valise.»
«Très bien, Dis aux enfants de descendre. Il faut qu'ils soient prêts pour accueillir nos invités.»
Elle fit une courte incursion dans la cuisine : « Dilcey, est-ce que tout est prêt ? »
La question était purement formelle. La cuisinière était en train de démouler un gâteau pour le dresser sur un plat en porcelaine.
« Oui, Ma'am Scarlett. J'ai déjà déposé le plateau de verres et le service à café dans la salle à manger. J'apporterai les boissons fraîches dès l'arrivée de ces dames. »
«Bien. Pork et toi avez mes directives jusqu'à notre retour. En cas de problème, il devra prévenir Mr. Hamilton qui est informé de mon absence.»
Elle vérifia une dernière fois sa silhouette. L'image que lui renvoya le miroir la satisfit.
Duncan lui avait télégraphié le détail de l'heure d'arrivée du train de Charleston et de celui de départ du train d'une autre compagnie de chemin de fer vers Philadelphie à 19h30. Scarlett lui avait immédiatement répondu que pendant ce temps de battement elle serait heureuse d'accueillir la famille Vayton à Peachtree Street.
Elle entendit une agitation à l'extérieur. Pork venait de revenir de la gare avec ses passagers et aidait Madame Vayton à descendre de la voiture. Elle ouvrit la porte au premier coup de heurtoir.
Deux iris d'un bleu plus intense que ce ciel de juillet occultèrent sa vision périphérique. Ils irradiaient d'une telle intensité qu'elle sentit la chaleur la transpercer.
Dans un éclair de lucidité, elle s'avoua que ce n'était pas cet homme follement séduisant qui avait pris possession de ses nuits agitées. Non ! Même avec sa volonté implacable d'obturer la moindre évocation de celui qui l'avait honteusement trahie, c'est ce dernier qui hantait ses fantasmes nocturnes en rejouant leurs ébats érotiques, et la faisait se réveiller en sueur, avec une saveur aigre sur les lèvres.
Heureusement, se rassura-t-elle, le fait qu'il se tienne maintenant, bien présent à quelques centimètres d'elle, tout en muscles et en blondeur, à dévorer des yeux chaque partie de son anatomie, lui fit l'effet revigorant d'une émulsion d'eau fraîche énergisant chaque pore de sa peau.
Ce trouble délicieux ne dura que l'espace d'un battement de cils, et les nouvelles arrivantes n'y virent que du feu. Duncan dût se contenter d'un baisemain appuyé, mais elle perçut un léger tremblement qu'il n'avait pas pu réprimer.
Ces vacances s'annoncent être délicieusement troublantes… conclut silencieusement la coquette Georgienne.
Les trois femmes exprimèrent la joie de se revoir en s'embrassant sur la joue.
«Scarlett ! Votre demeure est… incroyablement originale ! » conclut la maîtresse de Magnolias' Mansion. « Cela ne m'étonne guère car votre brillante personnalité est unique – comme l'a si justement remarqué mon fils en vous instituant Muse de La Mode Duncan ! »
Scarlett les invita à s'installer dans le boudoir en signalant au passage à Dilcey d'effectuer le service, et à Pork de charger les valises dans la deuxième voiture louée à cet effet, pour embarquer employés et valises.
Wade et Ella firent leur apparition au grand plaisir des Charlestoniens. La « Princesse d'Atlanta » fut chaudement acclamée par son couturier, ce qui enflamma les joues de la petite fille.
Le gâteau aux amandes pilées et aux poires de Dilcey fut tellement apprécié qu'Eleonor supplia Scarlett de lui communiquer les secrets de fabrication de sa cuisinière.
« Duncan, croyez-vous que nous ayons le temps de passer devant la Boutique Robillard ? Je serais honorée que votre mère et votre sœur découvre le magasin où j'ai le plaisir d'exposer les robes de Vayton Ready-to-Wear. »
Ces dernières approuvèrent bruyamment.
« C'est une excellente idée, Scarlett. Nous pourrons nous attarder quelques minutes. »
Ce fut alors un branle-bas de combat. En quelques minutes, la joyeuse équipe prit possession des deux véhicules et se présenta devant la façade du magasin.
Le manutentionnaire de la Boutique Robillard était en train de charger cinq colis volumineux dans la charrette de livraison. Dès qu'il croisa sa patronne, Peter Calvet souleva poliment sa casquette : « Bonne journée, Madame O'Hara. Je m'en vais déposer la commande de Madame Jackson. Il faudra que j'y retourne demain car Mandy doit finir une retouche. Enfin, c'est ce qu'elle m'a dit.»
Après avoir marqué son assentiment à son employé, Scarlett expliqua à ses hôtes : «Madame Jackson est une cliente fidèle – qui a un cercle de connaissances élargie, ce qui n'est pas pour me déplaire, car elle est mon meilleur agent promotionnel. Elle adore… » - Scarlett leva les ciels avec ravissement – «à peu près tout ce que nous exposons en boutique ! Si j'ajoute qu'elle a de nombreux enfants et qu'elle est généreuse avec son entourage, vous comprendrez pourquoi nous la soignons particulièrement ! »
«Scarlett, avec votre don de persuasion, vous seriez capable de faire acheter un trousseau complet de jeune mariée au célibataire le plus endurci ! »
Scarlett s'amusa de sa remarque qui n'était pas loin de la réalité.
Eleonor ne fit pas de commentaire mais les malles soigneusement empilées étaient une preuve que les affaires étaient florissantes pour Madame O'Hara.
Elle en eut la confirmation quand Duncan poussa la porte.
Les Charlestoniens eurent l'impression de pénétrer dans une ruche. Une vendeuse étalait avec délicatesse deux jupes en taffetas devant une mère et sa fille qui ne résistèrent pas à l'envie de caresser le tissu soyeux. La deuxième vendeuse avait les mains encombrées par deux boîtes à chapeau. Elle présenta le premier à une cliente qui avait pris ses aises, confortablement installée dans un fauteuil.
Les femmes Vayton, habituées à évoluer dans un encadrement raffiné, félicitèrent sincèrement la propriétaire de la Boutique Robillard : « Quel talent de décoratrice, Scarlett ! Cet agencement de magasin combinant le classicisme de l'acajou noble avec la lustrerie de cristal et de bronze est un hymne au bon goût ! Il faudrait que nombre de magasins prestigieux de la Ninth Street de New York s'en inspirent ! »
Ce compliment alla droit au cœur de celle dont l'ancien mari se répandait en flèches cruelles pour se moquer de son mauvais goût.
Avec entrain, elle devança leur curiosité en faisant glisser les tiroirs des comptoirs d'où émergeaient, sur l'or du placage en loupe d'orme, dans l'un des passementeries de dentelles, dans l'autre des boutons de nacre iridescents, ou dans le troisième des peignes à cheveux en argent et des épingles à chapeaux en corail. Parmi les frivolités importées de Paris, les éventails de soie peinte telles des miniatures du XVIIIe siècle ravirent les Charlestoniennes.
Par un discret raclement de gorge, Duncan signala qu'il serait plus raisonnable d'accélérer leur exploration. Les robes provenant de Johnson Ready-to-Wear soigneusement alignées sur des portants furent délaissées avec regret.
Les deux femmes s'arrêtèrent, bouche-bée, devant trois robes paradant, tels des parures impériales, sur leurs mannequins en bois et carton bouilli. Scarlett réalisa avec surprise qu'Eleonor et Melina n'avaient jamais vu les modèles de la ligne de prêt à porter créé par le grand couturier.
Alors que mère et sœur étaient ébahies par ces parures, reprochant presque à Duncan d'avoir décidé de mettre un terme à sa collection, Scarlett en profita pour renouveler ses dernières recommandations à Emma Whising qui les avaient déjà enregistrées en détail la veille.
Un dernier passage rapide devant les rouleaux de tissus provenant de la filature de Vayton & Harvey Wooden Mills pour pénétrer dans l'atelier, où la couturière et la retoucheuse levèrent à peine la tête pour les saluer tant elles étaient absorbées par leur tâche, et ce fut l'heure de partir.
Wade et Ella poussèrent un soupir de soulagement. Ils avaient fait preuve d'effacement, comme leur mère l'aurait exigé, assis sagement sur leurs sièges, mais ils bouillaient d'impatience.
Le regret de quitter la Boutique Robillard fut remplacé par la joie de commencer leur expédition vers Philadelphie. Tout le monde partit en direction de la gare d'Atlanta.
Scarlett savoura le fait d'avoir pu faire la démonstration, devant les femmes Vayton, de sa réussite de femme d'affaires d'Atlanta.
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19 juillet 1876, fin de soirée, sur la Piedmont Air Line, de la Richmond and Danville Railroad
Grâce à la célérité du Porter de la Pullman's Palace Car Company, aidé des trois membres du personnel des Vayton et O'Hara, l'installation dans le varnish privé fut rapide et chaque passager prit ses marques.
Voyageant sur la même compagnie, et dans un varnish de luxe, Scarlett s'attendait à trouver la même configuration de l'espace que celle du wagon privé loué par Rhett. Mais, en homme d'affaire pragmatique, l'héritier de l'Empire Vayton l'avait transformé de manière à utiliser à bon escient la moindre surface. Ainsi le pont d'observation, dédié à la contemplation panoramique du paysage par ses baies vitrées en arc de cercle, faisait office de salon et de coin salle à manger et, en cas de voyages d'affaires, de salle de réunion. Les deux salles libérées avaient été remplacées par l'ajout d'une deuxième salle de bains et de deux chambres.
Cette disposition était parfaite en l'occurrence puisqu'elle permet à chacun des passagers de profiter d'une grande chambre, à l'exception de Wade et Ella qui occupaient des lits jumeaux. La chambre de Scarlett était accolée à celle de ses enfants. Celle du maître des lieux était à l'opposé, à l'endroit où de grands panneaux en acajou compartimentaient l'espace par une porte préservant leur intimité.
Car derrière la cloison, la cuisine d'origine avait été réduite à la portion congrue, n'étant utilisée, en réalité, que pour préparer le thé ou le café.
Scarlett approuva cette décision – comme tous les autres choix de décoration intérieure de Duncan : Pourquoi en effet se priver des services du Grand Restaurant le Delmonico et de ses quatre-vingt plats cuisinés par deux Grands Chefs ?
Grâce à la place gagnée, deux chambres modestes avaient été installées en même temps qu'un petit cabinet de toilette, le tout destiné au Personnel accompagnant les Vayton. Prissy allait partager la chambrette de Susan. Quant à Barnabee, il bénéficiait d'un plus petit espace mais avec un lit couchette confortable.
Servis en premier, les deux enfants de Scarlett furent vite couchés, car la journée de demain allait être fatigante.
Après un repas raffiné, les trois membres de la famille Vayton et Scarlett se relaxèrent dans le salon.
« Nous arriverons à Philadelphie à 14h20. Le temps de poser nos bagages au Continental Hotel, nous irons directement à Fairmount Park. Nous avions la possibilité de débarquer directement au Dépôt de la gare à l'intérieur du parc d'exposition. (*3) Mais vous méritez le meilleur confort et l'attention du Personnel de l'hôtel le plus renommé de Philadelphie. Attendez-vous à être surprises par le gigantisme des infrastructures construites pour l'exposition : plus de deux-cents bâtiments ont été érigés. Rassurez-vous. Nous limiterons notre visite à quatre des cinq immenses halls d'exposition. Ce qui impliquera quelques kilomètres à parcourir… Je vous conseille, Mesdames, de porter vos chaussures de marche les plus confortables. Mais il est hors de question que notre expédition vous fatigue. Je désire avant tout que cette visite soit un plaisir des yeux. C'est pourquoi j'ai réservé des chambres dans un des hôtels provisoires bâtis dans le parc à la seule fin de de vous y rendre à votre convenance dans la journée. Ainsi, vous pourrez à loisir vous y rafraîchir et faire une sieste réparatrice. »
« Je te reconnais bien là, mon fils. Tu es tellement attentionné ! »
« Seulement avec les personnes que j'aime le plus au monde, Mère ! » Discrètement, il dirigea son regard vers Scarlett. Celle-ci battit des cils.
Malheureusement pour Duncan, leur connivence se limita à cet échange discret. Il fallait que les règles de décence soient formellement respectées.
Plus tard, Scarlett… Plus tard… Son sang bouillit à la perspective qu'il saurait trouver l'occasion de la serrer contre lui. La clandestinité de leurs fiançailles ajoutait du piment au feu que la jeune femme insufflait dans sa vie.
Secondée par Prissy, Scarlett profita de la salle de bain en marbre contigüe à sa chambre puis elle alla se coucher, sans que Duncan ait pu apercevoir le moindre volant affriolant de sa chemise de nuit.
Malgré le confort de son grand lit douillet, la jeune femme eut du mal à trouver le sommeil. A peine dix jours auparavant, elle était dans ce même train, et l'homme qu'elle avait décidé de chasser de sa vie était allongé près d'elle – Contre elle – Sur elle…
Après le petit déjeuner, Duncan offrit à chacun un petit livret à la couverture rouge, intitulé Guide du Visiteur de l'Exposition du Centenaire de Philadelphie, 10 mai au 10 novembre 1876, le seul guide vendu sur la foire. (*4)
« Il y en a une exemplaire pour toi aussi Ella. Tu pourras noter et dessiner tout ce qui t'a intéressée sur les douze pages vierges. »
Ella fut ravie d'être considérée comme l'égale des adultes et de son frère, surtout par celui qui l'avait consacrée Princesse d'Atlanta.
Elle le fut d'autant plus lorsqu'il déposa sur la table deux boites.
« J'ai amené de quoi vous distraire à l'hôtel. »
La jeune enfant et l'adolescent applaudirent à la vue du jeu de société le plus populaire intitulé « The Game of Life ».
Pendant que les trois femmes s'étaient plongées dans la lecture du guide, les trois joueurs s'amusèrent à parcourir les étapes de la vie, de la petite enfance, à l'âge adulte. Ella exulta lorsqu'elle tira la carte lui faisant gagner le plus de points, celle de la vieillesse heureuse.
Sa mère lui demanda d'être plus discrète. En fait, elle était touchée de l'harmonie joyeuse qui s'était instaurée entre ses enfants et Duncan. Il s'amuse aussi sincèrement qu'un adolescent ! Nul doute qu'il ferait un beau-père idéal. Qu'il fera, corrigea-t-elle.
Lorsque la partie fut terminée, Duncan fit glisser le couvercle d'une petite boite en bois des plus communes.
« Des dominos ! » s'exclama Ella.
« J'avais acheté cette boite en France à mon arrivée pour l'offrir à ma petite sœur. Mais le temps a passé. Savez-vous d'où vient le nom de ces jetons blancs et noirs ? Il fait référence à une ancienne congrégation religieuse française, les Dominicains qui portaient une aube blanche recouverte d'un manteau noir. »
Wade se dit qu'il pourrait poser comme devinette cette anecdote insolite à ses amis. Décidément, l'ami de sa mère s'intéressait à tout, même aux jeux d'enfants.
«Scarlett et Melina, voulez-vous vous joindre à nous ? »
Sa sœur fit semblant d'avoir été offusquée : « Puisque tu estimes, Grand Frère, que « le temps a passé » et que ce n'est plus une activité de mon âge, laisse-moi, si tu le permets, lire les détails de l'exposition où nous allons nous fatiguer les pieds. »
Frère et sœur rirent, observée par l'air maternel de Cathleen.
«Vous, Scarlett, s'il vous plait ! Faites-nous plaisir ! Et peut-être nous laisserons-vous gagner ? »
Wade et Ella se mêlèrent aux supplications. Vaincue, Scarlett s'assit à son tour autour de la table. « Soit ! Mais ne vous faites pas d'illusion. Je n'aurai pas besoin de votre commisération pour remporter la partie ! »
Et elle commença à manipuler les jetons faits d'os et de nacre.
Le rire de Duncan rebondit contre les parois vitrées du salon. Le timbre de sa voix se fit plus rauque et plus basse pour ne pas être entendu par les femmes Vayton : «Oh ! Je n'en doute pas ! Je connais votre pouvoir à renverser tous les obstacles qui se mettent devant vous. Même en ce qui concerne des plaques en bois innocentes. Je n'ai aucune chance face à vous. Le pauvre homme que je suis se retrouve inexorablement pieds et poings liés devant vous. »
Si les propos étaient suffisamment anodins pour ne pas alerter ses enfants, Scarlett savoura le compliment. Cela ne faisait aucun doute : le beau, riche et puissant Duncan était à ses pieds….
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Notes sur le chapitre 56 :
(*1) La French Line, itinéraire Le Havre-New York, affrétée par la Compagnie Générale Transatlantique. La vitesse de croisière s'était grandement améliorée. En 1876, les passagers traversaient l'Atlantique en huit jours. Par contre, je n'ai pas trouvé de renseignements sur les lignes partant de Charleston à destination de la France. Pour ne pas compliquer l'histoire et obliger Rhett Butler à prendre le train pour aller à New York, j'ai imaginé qu'un bateau partait directement du port de Caroline du Sud pour la France.
(*2) Train direct d'Atlanta à Philadelphie : Southern Mail N°50 de la Piedmont Air Line Route de la Richmond and Danville Railroad : .
Train équipés de wagons de luxe Pullman Sleeping Cars – Trajet indiqué sur l'affiche datant de 1882 indiquant les villes traversées, d'Atlanta à Philadelphie : Atlanta, Ga - Lula, Georgie – Toccoa, Georgie– Seneca, Caroline du Nord – Charlotte, Caroline du Nord – Salisbury, Maryland – Greensboro, Caroline du Nord – Danville, Virginie – Lynchburg, Virginie - Alexandria, Virginie– Washington DC - .
luna/servlet/detail/RUMSEY~8~1~24491~900025:The-Piedmont-Air-Line-&-connections
(*3) A un moment du voyage, certains wagons, dont celui de Duncan Vayton, vont être raccrochés au train direct du Centenaire de la Wilmington & Baltimore Railroad, par lequel les visiteurs venant du Sud peuvent sortir directement au Dépôt de la Pennsylvania Railroad Company situé en plein terrain de la Foire d'Exposition. /Museum/Centennial_Exhibition_ Le wagon privé de Duncan restera luis dans une voie de stockage de la gare de Philadelphie.
(*4) Guide à destination des visiteurs de l'exposition du Centenaire : Visitors' Guide to the Centennial Exhibition and Philadelphia - Illustrate and Prepared, BY J. S. INGRAM. PUBLISHED BY Hubbard Bros., Philadelphia, Pa, 1876
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