J'ignorais si j'avais passé la pire ou bien la meilleure nuit de ma vie mais je peux vous assurer que rien ne sera jamais pire que de passer des heures entières la tête au dessus des cabinets à vomir après une nuit trop arrosée (surtout quand on mélange beaucoup d'alcool) et de se réveiller le lendemain matin avec la même haleine que celle d'une bouche d'égout qui déborde. Pour ne rien vous cacher, j'ai presque eu honte de ce rêve que j'avais fait non pas une fois, mais bien deux, pendant le week-end. Vous allez me dire qu'on ne contrôle pas nos rêves et c'est exact, mais qui ne s'est jamais sentie coupable par exemple de tromper son mec ou sa nana dans son sommeil ? Pour ma part, la seule personne que j'avais trompé ce week-end là, c'était moi-même, ainsi que toutes mes certitudes. Je n'ai jamais ressentie de frustration particulière durant mon adolescence car j'étais loin d'attendre qu'une âme charitable se dévoue pour me rendre service (ou bien inversement). Je savais parfaitement m'occuper de moi seule lorsque cela était nécessaire, mais, ce lundi matin en prenant la route pour me rendre au lycée, même le vent qui fouettait mon visage (j'avais laissé la visière relevée) n'était pas suffisant pour me refroidir la tête et surtout les idées. Ca n'allait pas durer heureusement, pour les mauvaises raisons malheureusement.

J'arrivai au lycée un peu en avance, disons plus que d'habitude. Assez en avance pour fumer ce qu'il restait de mon paquet de clope c'est-à-dire une moitié mais j'eu l'idée raisonnable de n'en fumer qu'une seule avant d'entrer dans le bâtiment principal pour me rendre aux casiers. Je remplis le mien de tout le bordel que la moto imposait de porter avant de rejoindre le petit groupe de trois personnes un peu plus loin qui s'était formé dans le couloir avant de penser que finalement, le paquet de clope aurait dû y passer.

—Qu'est-ce qu'il se passe ? fis-je en saluant le petit monde d'un signe de la main.

—Ha, Byleth ! Tu tombes bien !

Comme toujours avec Dorothea pensai-je, la chanteuse avait l'air remontée pour une raison que j'ignorais encore mais qui n'allait sans doute pas tarder à être plus claire. Ca ne lui ressemblait pas d'être dans cet état (même avec Claude elle n'avait pas autant de répulsion) mais j'avais déjà une bonne piste : la nenette aux cheveux rouges qui souriait comme un axolotl sous ecstasy dans son bocal.

—Je disais à ces dames que la chorale organisait une répétition à portes ouvertes mercredi prochain. Tu y seras, toi, au moins, n'est-ce pas ?

—C'est à quelle heure ?

—Quinze-heure trente. Je peux compter sur toi ? Edie n'est pas disponible et il serait honteux qu'aucun de mes amis ne puisse venir admirer ma prestation !

—Je suis désolée Dorothea, j'ai promis à Monica de lui donner un coup de main avec son projet pour Monsieur Rangeld.

—Je viens d'arriver alors j'ai beaucoup à rattraper, expliqua la sus-nommée.

—Chérie tu as juste besoin de griffonner deux trais aux crayons et ajouter un peu de couleurs sur une feuille de papier, articula la chanteuse comme si elle s'adressait à une abrutie.

—On parle de quoi, au juste ?

—Du devoir que monsieur Rangeld nous a donné la semaine dernière, m'expliqua la blanche comme si c'était une évidence.

—Parce qu'il a donné un devoir ?

—Pas en cours, en option, précisa Monica.

Je n'étais pas tout à fait certaine de suivre. Edelgard m'avait expliqué que son amie hésitait à prendre Arts Appliqués, pas qu'elle s'était déjà décidée. Et mademoiselle-trop-collante-à-mon-goût semblait ravie de m'annoncer la nouvelle. Ils étaient soudainement loin, les rêves où je déshabillais Edelgard pour ne lui laisser que sa chemise ouverte lors d'une séance de révision qui n'avait jamais eu lieu.

—J'espère que ça ne te dérange pas ! prit-elle la peine d'ajouter à mon égard.

—Pourquoi le fait qu'une fille obsédée par ma petite-amie passe son temps collée à ma petite-amie me dérangerait ?

—Byleth ! Qu'est-ce qui te prends ?!

« Le manque de sommeil » aurais-je dû répondre, mais mentir était un très vilain défaut.

—Tu me poses vraiment la question Edelgard ?

Le regard qu'elle me jetait n'avait rien de fictif tout comme l'envie d'encastrer Monica dans un casier avant d'en verrouiller la porte jusqu'à ce que la femme d'entretient ne finisse par lui ouvrir tard dans la soirée ou bien aux premiers rayons du jour dans le meilleur des cas (je plaignais ses horaires). J'imaginai déjà les plaintes et les petits coups métalliques qui retentiraient pendant des heures entières en vain sans que ça ne me calme pour autant.

—Byleth, on reparlera de ça plus tard. Les cours vont bientôt commencer.

—Ouais, c'est ça, lâchai-je nonchalamment avant de partir en direction de la salle de classe. Tu viens, Dorothea ? fis-je ensuite en ignorant totalement les deux autres.

La chanteuse ne se fit pas prier pour me rejoindre aussitôt. Aucune félicitation ne sortit de sa bouche toutefois : ça ne faisait pas partie de l'opération anti-serpent. Le temps qu'Edelgard digère (et que Monica s'exulte) nous en profitâmes pour échanger quelques mots.

—Putain, non mais t'y crois ?

—Je t'avais prévenue.

—Cette fille est un suppo de l'enfer ou quoi ? Elle est pas censée être au courant qu'Edelgard est déjà prise ? Ou c'est le genre de meuf à ne pas se soucier de ce genre de détails ?

—La seule chose dont se soucie Monica est sa relation avec Edie.

—Tu crois qu'elle fait exprès ?

J'eus droit à ce regard qu'elle réservait à Claude et qui disait « mais t'es débile ou quoi ? » et quand on parlait du loup on en voyait déjà la queue.

—Mesdames !

L'homme attendait adossé contre le mur à côté de la porte de la classe de littérature. Ma contrariété était plus que palpable et je le foudroyai sur place lorsque son index indiqua l'intérieur de sa veste comme s'il se trimballait toujours avec ses petits cachets roses (et ses potions d'amour). En l'occurrence, c'était plus d'un bon laxatif (avec effet long et immédiat) dont j'avais besoin car je l'aurais glissé sans gêne dans un café que j'aurais offert à Monica en guise de mea-culpa. Celle-ci arrivait d'ailleurs, je l'entendais déjà glousser derrière, et pendant un moment, j'hésitai à sécher tous les cours de la matinée pour m'enfermer dans la réserve afin de terminer ce qu'il restait de mon paquet de clopes. Dorothea et Claude n'eurent pas besoin de paroles de ma part et la chanteuse m'attrapa par le bras pour me tirer à l'intérieur. Je pris place à mon bureau et le garçon s'installa devant moi. Il me proposa un cachet d'aspirine (qui n'avait rien de semblable à un cachet d'aspirine) que je refusai encore avant de poser ma joue sur le revers de ma main et de tenter de m'évader par la fenêtre. Essar entra quelques minutes après et commença son blabla sempiternel sur chaque auteur qui avait écrit un bouquin qu'il fallait étudier (Marivaux en l'occurrence) et lorsque j'entendis le mot « théâtre » renonçai à écouter un traitre mot qui sortirait encore de sa bouche durant ces deux longues heures. Je détestais le théâtre (que je trouvais super chiant) et je n'avais pas envie de fournir le moindre effort.

Edelgard : Retrouve-moi dans la réserve pendant la pause de midi.

Le sms était arrivé au moment où Essar s'était retourné pour écrire au tableau (un tableau noir, avec une grosse craie du moyen-âge) le nom de la pièce de théâtre : Les fausses confidences. J'eus envie de mourir de rires.