Vous savez ce qu'on dit : ne donnez pas de la confiture à des cochons. En d'autres termes, ne laissez pas la fille la plus populaire du lycée sortir avec la délinquante de service et ça, Monica l'avait parfaitement intégré. Puisque notre relation avec Edelgard était fictive (mais ça, je ne savais pas si elle était au courant) j'étais certainement bien incapable d'apprécier la présence d'une fille aussi extraordinaire et même si cela n'avait pas été de la pure comédie : on ne mélangeait pas les serviettes et les torchons. D'après moi, Monica n'avait rien de sincère non plus et sa façon de se comporter était loin d'être saine. Son obsession pour Edelgard faisait de moi sa rivale numéro une (qu'elle semblait décidée à évincer après juste une semaine) et j'étais pour le moment loin de gagner des points dans ce concours grotesque pour s'attirer ses faveurs (je rappelle que j'étais déjà censée les avoir). Edelgard n'était pas un trophée qu'on pouvait se targuer d'avoir remporté mais mon égo attaqué directement par cette garce me changeait en débile profonde incapable de prendre quoique ce soit d'autre en considération. Les gens sont bêtes lorsqu'ils se sentent agressés, encore plus lorsqu'ils se sentent en menacés.
J'avais décidé de sécher le second cours de la matinée finalement pour aller m'enfermer dans la réserve avec mes écouteurs vissés dans les oreilles volume à fond pour écouter de nouvelles play-list d'orchestres symphoniques que j'avais trouvé pendant le week-end (mon ami Youtube avait beaucoup de ressources et j'avais même pris un abonnement premium pour m'éviter les demi-douzaines de pub à chaque lecture). J'observais les élèves de première année sur le terrain de sport et je ne pus m'empêcher de penser à Monica lorsqu'un type baraqué plaqua au sol un petit gringalet. Je n'avais pas la même carrure mais j'étais certaine de pouvoir reproduire la scène et changer l'autre pot-de-colle en confiture de coing au détour d'un couloir. Je ne savais pas pourquoi elle m'échauffait autant, plus que Dorothea même, et je n'avais surtout aucun droit de l'être si l'on relisait les petits caractères en bas du contrat imaginaire qu'Edelgard et moi avions signés. J'étais d'ailleurs tellement absorbée par les décibels qui violaient mes tympans que je ne l'entendis ni entrer ni me rejoindre et je sursautai presque en sentant une pression appliquée sur mon bras sur les coups de midi.
—Putain, j'ai failli faire une crise cardiaque ! T'es dingue !
Edelgard était loin d'afficher la même expression amusée que lorsqu'elle m'avait surprise dans la salle où sont entreposés les instruments de musique et si vous aviez vu son regard : ça ne sentait pas bon (et je ne parlais pas des relents de tabac puisque j'avais aérer la réserve).
—Byleth.
—Non, je sais ce que tu vas me dire. Tu es là pour me reprocher de m'être mal comportée avec ton amie et franchement je n'ai pas l'énergie pour t'écouter me faire tout un procès !
Mais j'avais celle nécessaire pour faire une scène et mes émotions parlaient sans que mon cerveau ne commande les mots qui rugissaient de ma bouche chaque fois un peu plus forts. J'étais certaine de pouvoir l'écraser et j'aurais mentis en prétendant qu'une part de moi n'en ressentait pas l'envie mais surtout le besoin. Quand on est énervée, on a tendance à s'en prendre à n'importe qui. Mais ce n'était pas seulement ma faute. Edelgard n'était toutefois pas le genre de fille à se laisser démonter et certainement pas à laisser quelqu'un lui parler de la sorte mais elle eu la politesse de me laisser poursuivre. Pour un coup donné, je risquai de m'en prendre deux en retour. Mais honnêtement, je n'en avais rien à foutre à ce stade
—Je suis censé rester là et ne rien dire alors que cette fille te coure ouvertement après ? Tu crois qu'une personne réagirait comment s'il voyait quelqu'un courir après sa meuf ? Qu'elle resterait là bras branlant à manger du popcorn et à se féliciter d'y être indifférent ? Tu devrais être contente que je fasse autant d'efforts pour une fausse relation alors qu'à la base je n'ai absolument rien à faire de ce genre de chose.
—Ne dis pas ça comme si tu me rendais uniquement service ! Je te rappelle que toi aussi tu y trouves ton compte !
—Pour le moment je n'y ai pas trouvé grand-chose encore, à part un peu plus de jugements et de mépris à mon égard !
Et tout un tas d'émotions négatives telles que la colère, la jalousie, et cette putain de sensation de ne plus savoir où j'avais mis les pieds ni ce que j'étais censé foutre désormais avec une fille qui courait après ma petite-amie et une petite-amie que ça ne semblait pas déranger.
—Sans même parler de toi et moi, tu as conscience qu'elle me provoque directement et publiquement au moins ou bien tu es tellement contente qu'elle soit de retour que tu es carrément passé à côté ?!
—Tu exagères la situation, Byleth. De la même manière qu'il n'y a rien de vrai entre nous, il n'y a rien non plus entre Monica et moi.
J'ignorai si les paroles qui venaient de sortir de la bouche de cette gosse prétentieuse devaient me vexer ou bien me faire plaisir mais la réponse à une question que je ne m'étais même pas posée me parut plus qu'évidente et j'imagine qu'à vous aussi.
—Je pense d'ailleurs que nous devrions dire la vérité à Monica.
—Pardon ?
—C'est une amie très proche.
« Tu m'étonnes qu'elle est proche ! » pestai-je en silence. Je ne comprenais pas pourquoi lui dire était si important.
—Pourquoi ? Ca changerait quoi ?
—C'est un mensonge.
—Et alors ? Ca ne te dérange pas de mentir à tous les autres pourtant !
Je n'arrivais plus à parler calmement. Je me sentais incomprise. Incomprise et vraiment seule face à une situation que je trouvais plus qu'aberrante. Okay, Monica était son amie, mais j'étais quoi, moi ? Un pion ? Seulement un pion ? Je n'avais pas besoin de prendre conscience que je m'étais attachée à Edelgard car je me sentais déjà assez conne d'éprouver ce genre d'émotion. Conne et en colère.
—C'est toi qui m'assure gérer les petits imprévus et autres dérapages depuis le début. J'ai l'impression de devoir faire ton taff !
—Je maitrise parfaitement la situation Byleth. Pourquoi cela te dérange tant que je dise ou non à Monica que toi et moi ne sommes pas réellement ensemble ?
—Peut-être parce qu'elle fera tout pour te mettre le grappin dessus et que je passerai juste pour une veuve éplorée aux yeux de tous nos camarades ?
—Je croyais que tu te fichais éperdument de ce que les autres pouvaient penser ?
—J'ai encore une fierté, aux dernières nouvelles. Et ce serait sympa d'arrêter de la piétiner avec tes bottines ! Ou bien ça t'es égal que tout le monde pense que d'ici deux semaines grand maximum tu me jetteras pour elle.
—Ta réaction est disproportionnée Byleth. Nous sommes peut-être dans une fausse relation mais j'ai des valeurs et des principes.
—Je me demande ce qu'ils valent.
C'était la phrase de trop, je le savais quand je l'ai prononcé. Je le savais même avant. Mais quand la colère l'emporte sur la raison, il est très difficile de rester cohérent voyez-vous.
—Tu n'as qu'à sortir avec elle en fait. Quitte à être dans une fausse relation, qu'est-ce que ça change pour toi ? Ou dans une vraie, tiens, si c'est ce qui te chante.
Elle n'avait qu'à faire ce qu'elle voulait, sortir avec qui elle voulait, embrasser qui elle voulait. Coucher avec l'entièreté du bahut même. Ca changeait quoi puisqu'à ses yeux j'étais seulement une sorte de partenaire commercial ou qu'en savais-je en fait. Une couverture, une excuse bidon pour avoir la paix puisque mademoiselle était tant populaire que c'en était fatiguant. Franchement, vous y croyez à ça ? En fait je me démenais pour protéger une relation qui n'existait même pas et qu'elle seule voulait à l'origine, pour seulement me faire toiser comme elle le faisait à l'instant. Je devais être pitoyable, et la pitié, je ne supportais pas ça.
—Tu sais quoi, j'en ai assez. Je me casse.
Je m'étais assez donné en spectacle et Edelgard n'en valait pas la peine. Notre relation encore moins. Puisque mes sentiments n'avaient aucune importance à ses yeux, pourquoi les siens en auraient-ils aux miens ? C'était une perte d'énergie mais aussi de temps inutile. Réviser mes cours, je pouvais le faire seule. Alors, autant l'être vraiment.
La porte de la réserve claqua quand je la quittai sans rien dire de plus (il n'y avait rien à ajouter) et j'étais assez grande pour ne pas avoir à recevoir des leçons de morale de la part d'une fillette trop couvée. Pour-sûr qu'elle, ne se serait jamais retrouvée la tête au dessus de la cuvette des chiottes de son dernier plan cul. Si jamais elle avait besoin d'une couverture pour repousser une prétendante trop insistante, elle n'aurait qu'à faire appel à Monica, ou mieux : à ses valeurs morales ainsi qu'à ses principes !
Vous : On peut se voir ?
Claude : Bien-sûr. Même endroit que d'habitude ?
Vous : J'arrive. J'ai besoin de décompresser.
Vous vous dites certainement que cette « dispute » pour le dire ainsi aurait pu être évitée si j'avais simplement expliqué à Edelgard ce que je ressentais plutôt que de m'en prendre à elle. Et vous avez raison. J'aurais pu l'éviter, mais le voulais-je vraiment ? Je savais très bien qu'au fond, nous aurions pu trouver une solution. Mais, poussée à bout, j'aurais également pu finir par lui dire quelque chose que moi-même refusais de m'avouer et qui aurait inévitablement mené à la même conclusion. Je n'ai jamais été très à l'aise dans la gestion des émotions et je m'emporte facilement, mais ce jour là, j'ai simplement eu peur. Trop peur, peut-être. Peur de réaliser que la première qui avait violé ce contrat établi, ce foutu contrat qu'elle m'avait proposé, c'était moi. Uniquement moi. J'ai été lâche, je le sais. Mais comment aurais-je pu faire autrement si je n'étais pas déjà capable d'accepter que tout ce que je pensais immuable jusque là ne l'était plus désormais ? Dans la vie, il y a des risques que l'on est ou pas prêt à prendre. Je ne l'étais pas. Et je n'ai rien regretté par la suite.
