Il pleuvait des cordes le jour où tout a dérapé. Vous vous dites certainement que les choses avaient déjà dérapé avant ça. Avant la pluie. Disons seulement qu'elles prirent une toute nouvelle tournure. Une tournure à laquelle je ne m'étais pas attendue.

—Tu crois qu'il faudrait quelle quantité de ciment pour recouvrir un corps ?

Plus que la petite quantité d'argile qui émettait des bruits pas très glamour lorsque je la manipulais. J'aurais peut-être pu former un truc ressemblant de près ou bien de loin à un pavé. Lancé avec force (comme au lancé de poids de Charon) j'étais certaine de pouvoir en tirer quelque chose (une blessure à la tête par exemple causée par une maladresse soudaine).

—Beaucoup trop. Mais tu pourrais parler à Edie plutôt que de réfléchir à comment te débarrasser de ton ennemie jurée.

—Mon ennemie jurée ? Je n'irais pas jusque là. Si c'était mon ennemie, je l'éliminerai, la découperai en morceau, puis je la donnerai à manger à des porcs.

—Tu regardes beaucoup trop la télévision.

—C'était un épisode de Bones super intéressant !

Vous ne vous êtes jamais dit que dans la vraie vie, les méthodes de certains assassins fonctionneraient vraiment ? Moi, je fais ce constat chaque fois qu'un épisode inédit sort à la télé. C'est parfois très impressionnant, ça me laisse même admirative !

—Je pense qu'elle n'est pas à l'aise avec cette situation.

—Qu'est-ce que ça peut me faire qu'elle soit à l'aise ou non avec la situation ? C'est pas vraiment comme si je l'avais cherché.

—Je sais. Mais elle m'a montré le dernier message que tu lui as envoyé, et, même moi, je trouve que tu y as été un peu fort.

« T'es de quel côté ? » avais-je envie de répondre, mais c'était très égoïste. Dorothea était mon amie, mais c'était également l'amie d'Edelgard et ça, je ne devais pas le perdre de vue. Même quand j'étais énervée, même quand j'avais envie d'envoyer chier la terre entière. Et puis, la chanteuse avait raison. J'y avais été un peu fort. Je mentirais en prétextant ne pas avoir regretté par la suite (mais j'avais trop de fierté pour m'excuser).

—Elle t'a tout raconté ?

—Eh bien, à peu près.

Pourquoi ? Pourquoi Edelgard se confirait à sa plus proche amie ? Comme si finalement, ça avait quand même de l'importance. Je me sentais un peu stupide (pas plus stupide que l'aurait été Monica avec un gros pansement autour du crâne). Je suis une personne impulsive, vous l'avez certainement compris désormais, mais ça ne justifiait pas tout.

—Si ça comptait vraiment pour elle, elle serait déjà venue me le dire en face.

—Elle n'a pas essayé ?

—Pas assez. Quand ça compte vraiment, on s'impose.

—Ecoute, Byleth. Je sais bien que tu es plus ou moins une sorte d'handicapée des sentiments, mais ce n'est pas si facile que ça pour Edie de s'exprimer. C'est quelqu'un qui parle rarement de ce qu'elle ressent. Elle n'est pas réservée, disons plutôt que c'est à cause de sa position.

Je ne pris même pas la peine de relevé le terme qu'elle avait employé pour me décrire (car elle avait raison, Dorothea avait toujours raison).

—Parce qu'elle est populaire ?

—Non, ça n'a rien à voir.

—Riche alors ?

J'eus droit au regard qui disait « mais t'es débile ou quoi ? » qui, maintenant, n'avait plus de secret pour moi. Pendant une seconde je ressentis ce que Claude devait lui aussi ressentir. Mais Claude s'en amusait, lui. Moi, si je m'étais écoutée, j'aurais fait du boudin pendant deux jours. Je restais une adolescente comme les autres, avec ses défauts mais aussi ses défauts.

—Tu es le parfait exemple de comment les gens la voient. Alors qu'il s'agit plutôt de la manière dont elle-même se perçoit. Tu comprends ?

—Absolument pas.

—Par tous les Saints, Byleth. Va lui parler !

Les paroles de Dorothea résonnèrent dans ma tête et me firent réfléchir pendant les longues heures durant lesquelles je martyrisai ce pauvre morceau d'argile. Sans parler de celles de littérature portant sur la pièce de théâtre intitulée « Les fausse confidences ». Pour vous faire un résumer plutôt simple et rapide, c'est l'histoire d'un type amoureux d'une femme trop bien pour lui et qui décide de mettre en place toute un stratagème pour la conquérir. A quelques détails près, je suis certaine que ça vous évoque quelque chose. En toute franchise je n'ai pas lu le bouquin en entier (ce qui fit dégringoler ma moyenne la semaine d'après) mais c'était déjà assez pénible d'entendre parler d'histoire d'amour et de mises en scène pour en plus supporter de faire le lien avec ma propre vie (ou celle de mon amie). Si Edelgard, et je dis bien si, souhaitait vraiment que je sois sa petite-amie, même pour de faux, elle devait m'accorder le respect que cela impliquait.

J'ai beaucoup réfléchi ce jour-là. Parce que je n'étais pas butée comme beaucoup le pensait, comme moi-même le pensais. J'ai beaucoup réfléchi, car Dorothea m'avait également demandé ce que je souhaitais vraiment. Le problème, c'est que je n'étais pas certaine de vraiment le savoir. Tout le monde croyait qu'Edelgard et moi allions rompre au lycée, certains étaient convaincus que c'était déjà le cas puisqu'on ne pouvait pas dire qu'elle et moi avions eu beaucoup d'interactions ces derniers jours. Je ne me sentais pas coupable dans cette histoire et je refusais donc d'aller m'excuser. J'avais été un peu brute, d'accord, mais n'importe quelle personne dotée d'un minimum d'amour propre aurait réagie de la sorte (dans une vraie relation).

Dorotha déjeuna avec Edelgard ce midi-là, elle m'avait prévenue le matin-même. Seulement avec Edelgard, et pas avec tout le petit groupe habituel composé des quelques lions et de l'autre putain des enfers. Moi j'avais préféré allé rejoindre Claude dans notre petit salon de la cage d'escalier du troisième étage de l'aile ouest. Une cliente quittait les lieux lorsque je suis arrivée, je ne fis pas attention à elle, je me souviens seulement qu'elle portait les mêmes fringues que Claude, qu'elle était dans nos cours en communs, et qu'elle avait des valises sous les yeux dans lesquelles j'aurais pu entasser assez de vêtements pour partir toute une semaine en vacances ou bien cacher un corps.

—Ah ! Byleth ! Tu tombes bien.

Je m'installai sur le coussin qui avait avec le temps commencé à prendre la forme de mes fesses et tirai la dernière clope de mon paquet que j'écrasai ensuite entre mes doigts. J'avais mal géré la situation et j'allais être en rade pour le reste de la journée. J'espérais donc que l'après-midi ne soit pas trop pénible à supporter et notai dans un mémo imaginaire de passer au bureau de tabac avant de rentrer chez moi après les cours.

—C'est la meilleure du marché en ce moment, fit le garçon en tirant de sa poche une petite enveloppe blanche bien fournie et déformée par son contenu. C'est du costaud, alors vas-y en douceur.

—T'inquiètes, je fumais déjà quand tu te demandais encore quand est-ce que t'aurais ton premier poils au menton.

—Je ne vais pas tenir compte de cette remarque sur ma pilosité parce que je t'aime bien.

—Je te dois combien ?

—Rien, comme c'est la première fois : c'est cadeau. Mais de toi à moi, si tu veux envoyer ton cerveau sur une île déserte, j'ai bien mieux que ça.

—Ca ira, fis-je en prenant l'enveloppe et en la glissant dans mon sac. Je te remercie, Claude.

Il me sourit, mais son expression ainsi que son regard émeraude me fixant longuement trahissaient l'inquiétude qu'il ressentait pour moi. J'avais pris l'habitude de fumer un peu d'herbe lorsque j'avais seize ans, mais j'avais laissé tomber l'année dernière. Rien de dangereux, en petite quantité, et seulement lorsque j'étais chez moi. J'avais juste besoin de m'échapper un peu, et de me détendre aussi. De ne penser à rien pendant quelques heures avant de plonger dans un profond dodo.

—Je file, on se voit plus tard !

—Fait quand même attention, Byleth.

—Ouais, je gère.

Je dois bien vous avouer que j'avais hâte de rentrer chez moi et de passer au bureau de tabac acheter une cartouche ainsi que le matériel nécessaire à rouler. De fait, les deux heures de mathématiques me parurent interminables, mais après une attente pénible, la sonnerie retentit, et je ne perdis pas une seule minute pour me tirer de là afin d'aller jusqu'à mon casier chercher le reste de mes affaires.

Je pensais qu'un week-end au calme me permettrait de réfléchir à ma situation, à savoir si oui ou non j'allais continué sur ma lancée à faire la gueule et à ignorer Edelgard, ou bien si j'allais oui ou non accepter de lui parler (si bien-sûr elle était encore ouverte à la conversation). Pour être franche, j'étais déjà presque certaine que j'allais finir par lui envoyer un message, ou carrément l'appeler (car c'était plus pratique mais je n'aimais pas restée pendue au téléphone) lorsque je m'apprêtai à sortir du hall du bâtiment principal pour me diriger vers le parking. Sans trop savoir ce que j'allais lui dire. Mais je me retournai soudainement en entendant mon nom. C'est toujours lorsque l'on pense à quelqu'un que cette personne à tendance à apparaitre devant nos yeux, et la blanche se tenait là, dans le hall, parmi les autres élèves particulièrement nombreux et pressés de rentrer chez-eux, eux aussi. Devant Monica qui les avait rejoints. Elle me fixa quelques secondes avant de s'approcher. Avant que je ne disparaisse comme je l'avais fait trois jours auparavant. Ce n'était pas vraiment le bon moment, songeai-je un instant, car j'étais habitée d'encore plus de doutes maintenant que Dorothea avait imprimé ses paroles qui tournaient en boucles dans un cerveau trop fatigué. Je repensai à mon paquet de clope vide que j'avais jeté dans une poubelle un peu plus tôt, j'aurais vraiment dû anticiper.

—Qu'est-ce que tu veux ?

Elle fit un pas de plus et combla la distance entre nous pour ne laisser que quelques centimètres. A cet instant, je me fis la remarque que cette gamine était vraiment têtue, mais un sentiment aussi pénible qu'agréable m'accompagnait. Je n'aurais su dire exactement pourquoi. Mais toute l'école nous observait de la même façon qu'elle, m'observait. Eux, avec curiosité. Elle, avec insistance et détermination. A quoi ? Vous allez le savoir.

—Joue le jeu.

Je n'eus ni le temps de me demander « quel jeu ? » ni de l'interroger car ses mains attrapèrent le col de ma chemise et ses lèvres s'écrasèrent sur les miennes. A cet instant, je ne compris absolument rien de ce qu'il se passait ou de ce que murmuraient les autres élèves assistant à la scène en retrait. Mon cœur tapait si fort qu'il menaçait d'exploser et une brûlure couru sur l'ensemble de ma peau jusqu'à remonter sur mes joues. Et de la même manière qu'elles avaient certainement viré au rouge, celles d'Edelgard avaient perdu leur blancheur habituelle. Je ne savais plus où me mettre et je ne nourrissais aucun doute quant au fait qu'elle aussi était embarrassée. Je ne la connaissais pas tant que ça, mais je pouvais affirmer que ce genre d'attitude ne lui ressemblait pas. C'était une fille qui faisait beaucoup trop attention aux apparences pour se donner ainsi en spectacle. Et pour cette raison, je savais que ce geste avait dû lui couter.

—Pourquoi tu as fait ça ? eu-je du mal à formuler entourée de la foultitude de regards.

—Tu ne me laissais guère le choix, répondit-elle avant d'approcher son souffle chaud de mon oreille brûlante. De cette manière tu cesseras peut-être de croire que je ne fais que me défiler et surtout de remettre en doute mes valeurs.

J'aurais dû être soulagée. Mais je ressentais tout sauf du soulagement voyez-vous et je pense qu'il est inutile de perdre mon temps à expliquer pourquoi. J'étais pressée de rentrer chez moi et de m'en rouler une afin d'échapper à tout ça. Echapper à toutes ces émotions qui se bousculaient dans ma tête. Faire taire cette part de moi-même qui avait envie d'hurler, et surtout faire disparaitre le sourire que je réfrénais sur mes lèvres. M'enfuir aurait été inutile, la rejeter encore plus. Ce baiser sur la place publique me priva de forces et de mes convictions. Mes certitudes s'écrasèrent au sol comme si ma tête était tombée devant la guillotine.