Vous savez ce qu'il y a de génial avec le vingt-et-unième siècle ? Internet. Et vous savez ce qu'il y a de génial avec Internet ? C'est qu'on peut y trouver ce que l'on veut, quand on le veut ou, ou presque (il y a bien-sûr le dark-web pour pallier ce presque mais je n'avais pas l'intention de commanditer un assassinat ou de me faire livrer un M16 par la poste). Ce qui est fantastique c'est qu'avec Amazon on peut se faire livrer dans les vingt-quatre heures suivant la commande (lorsque les livreurs n'ont pas la flemme de passer et inventent un motif bidon pour reporter la livraison). Ce qui est moins génial, c'est la fâcheuse tendance qu'ont certaines personnes à acheter tout et n'importe quoi sur un simple coup de tête (vous vous rappelez le moment où j'ai parlé du Kalimba ? Il prend la poussière dans un de mes placards). C'est pour cette raison que je me suis retrouvée du jour au lendemain avec un trou dans mes économies et un violon dont je ne savais même pas me servir (mais il y avait quinze pourcents de réduction alors je n'avais pas pu m'en empêcher). L'avantage avec Internet, c'est qu'on pouvait aussi pallier ça. Je n'avais pas décidé d'apprendre le mandarin, et j'avais déjà un bon feeling avec la musique alors, disons seulement que cet achat pouvait ou non être un formidable placement. Ça ne dépendait que de moi.

J'avais aussi commandé un moule en silicone pour faire des petits gâteaux en forme de lapin, et je dois reconnaitre que Claude avait raison. Son herbe, c'était certainement la meilleure du marché (on ne trouvait pas ça sur Amazon hélas) et je reste persuadée que sans cela, jamais je ne me serais prise pour une pâtissière en devenir m'imaginant tenir une petite boutique de biscuits fantaisistes.

Edelgard : Nous n'avons pas vraiment pu en discuter hier, mais peut-être qu'il serait bien que l'on maintienne nos séances de révisions hebdomadaires ?

C'était déjà trop tard pour les confidences de Marivaux, qu'elles soient fausses ou avérées, mais ce n'était pas trop tard pour mes autres matières. En plus j'avais un trou d'une semaine entière dans le programme que je n'avais pour le moment pas encore essayé de rattraper (vous avez déjà essayé de courir après une poule ? c'était à peu près le sentiment que j'avais).

Byleth : Tu veux qu'on se voie demain ?

Edelgard : Je suis déjà en bas.

Mon téléphone tomba sur le sol de ma chambre et je me précipitai vers la fenêtre qui donnait sur la rue pour apercevoir la Berline garée en bas. « Merde » fut le premier mot auquel je pensai et qui s'échappa de ma bouche. Ma seconde réaction fut d'ouvrir en grand la fenêtre même s'il ne faisait pas chaud afin d'évacuer l'odeur d'herbe qui remplissait la pièce. Dire que le timing était loin de m'arranger était un euphémisme.

Byleth : J'arrive, attends, j'enfile un truc.

Je préférais qu'Edelgard pense que je me baladais nue chez moi plutôt qu'elle se persuade que j'étais une droguée, mais à bien y réfléchir avec le recul, j'aurais pu trouver mieux. Si j'avais essayé de réaliser ces petits gâteaux en forme de lapin j'aurais pu lui faire croire que je devais les sortir du four, en plus j'aurais eu quelque chose à lui proposer à manger.

—Est-ce que tu veux boire quelque chose, un café ?

J'avais aussi rangé le bazar dans le salon (le matériel à rouler n'avait pas quitté la table basse depuis la veille) avant d'aller lui ouvrir et de la faire entrer. Putain, elle me prenait vraiment de cours celle-là.

—Volontiers.

Au moins, j'étais certaine qu'elle ne redirait rien à la qualité du café (rappelez-vous : à corps ronds et aux arômes généreux) puisque c'était un des plus cher de la supérette du quartier. C'est ma tante qui avait acheté ça lorsque j'avais encore besoin que quelqu'un s'assure que j'étais capable de me débrouiller seule et que mon père était absent, et j'avais continué de prendre le même après cela. Jamais je n'avais trouvé si compliqué d'utiliser un tamper et je dus même mettre un coup d'éponge sur le plan de travail car j'en avais mis à côté. Le silence qui s'installa ensuite tandis que le café coulait dans les deux tasses était gênant, mais l'herbe aidait pas mal à réduire la tension demeurant encore entre elle et moi et plaçait de la distance entre mon cerveau et mes émotions.

—Est-ce que tu veux qu'on en parle ? demanda soudain la blanche en me voyant restée en retrait.

Mes doigts ébouriffèrent ma crinière. Dans cet état, ce n'était pas parler que j'appréhendais un peu, mais ce que je pouvais dire. Que pouvais-je bien lui dire en fait ? Heureusement, les machines à café d'aujourd'hui étaient vraiment pratiques et je pus compter sur ma bonne vieille copine !

—Ha ! C'est prêt.

Je tendis sa tasse à ma camarade et lui proposai du sucre (la quantité qu'elle mit me fit halluciner) et je me brûlai presque les lèvres en approchant la mienne de ma bouche. Mais tant qu'elle était occupée, elle ne risquait pas de débiter des âneries. Quoique…

—Je… Je suis…

—Têtue ?

—Non.

—Caractérielle ?

—T'es au courant que tout ça peut s'appliquer à toi aussi au moins ?

—Bien-sûr. Je suis aussi une fille obstinée mais ça, tu l'as déjà compris n'est-ce pas ?

—Sans déconner.

Je bu une gorgée du liquide chaud qui me fit un bien fou (et me donna presque l'impression d'avoir les pieds sur terre) et pris une légère inspiration (qui contenait du courage). Edelgard semblait… Différente ? Non, peut-être que ce n'était pas le mot, mais en tout cas elle faisait un effort. Un effort que moi-même avais refusé de faire jusqu'ici.

—Désolée. Je suis désolée.

—Désolée ? De quoi ? De m'avoir ignorée pendant des jours ou bien de m'avoir poliment envoyée paitre ?

—Non, je ne suis pas désolée pour ça. Tu l'avais cherché.

La blanche fronça les sourcils et une marque se dessina au-dessus de l'arrête de son nez. Edelgard n'était pas différente, elle restait Edelgard.

—Pour le dernier message, précisai-je alors. Je suis désolée d'avoir été un peu…

—Brutale ?

—Maladroite, plutôt ?

—Brutale, répéta la jeune fille.

—Okay, brutale. C'est vrai. J'étais un peu énervée. Je le suis encore ! Ne va pas croire que ce baiser que tu m'as offert en public suffira pour que je prenne désormais Monica dans mes bras tous les matins en arrivant au lycée. Ca ne risque d'ailleurs pas d'arriver.

« Autant me crever les deux yeux avec un crayon à papier » pensai-je avant de réaliser que je tomberais surement dans les pommes après un œil seulement. Quitte à devenir borgne, autant voler un navire pour aller écumer les océans que de me rendre en cours tous les matins et de vomir la vision de Monica de mon seul œil valide.

—Je ne t'en demande pas tant.

—Ne vas pas t'imaginer que je suis jalouse, ou quelque chose comme ça. J'ai juste de l'amour propre.

—Que je ne dois pas piétiner avec mes bottines, c'est ça ?

Là aussi, j'y étais allé fort. Mais je ne lui cédai aucune excuse pour cela. Un baiser, ça n'arrangeait pas tout.

—Mes affaires sont dans ma chambre, je vais les chercher. Tu veux qu'on travaille quoi ?

—C'est toi qui vois. Je t'ai déjà dit que j'excellais dans toutes les matières.

—On t'a déjà dit que t'étais pas mal prétentieuse dans ton genre ?

—Souvent, oui. Mais c'est un fait. La prétention c'est seulement un mot inventé par les incapables pour définir ceux qui ne se donnent les moyens de réussir.

Mes yeux roulèrent dans mes orbites sur une franchise aussi rafraichissante qu'hallucinante et je terminai ma tasse en quelques gorgées avant de me diriger vers ma chambre. Hors de question d'étudier à l'intérieur car lorsque j'entrai, ça sentait encore l'herbe et même un abruti fini aurait pu le comprendre (à défaut de le voir sur ma tronche). Seulement, Edelgard me suivit.

—Eh bien, murmura-t-elle derrière mon dos, il fait assez frais ici.

—Ça aide à mieux dormir la nuit.

—C'est pour ça que tu te balades chez toi en tenue légère ?

—Qui te dit que je portais quelque chose lorsque tu es arrivée ?

—Je ne relèverai pas.

Et elle, ne releva pas l'odeur. Mais Edelgard n'était pas une abrutie finie. Alors, peut-être me laissa-t-elle le bénéfice du doute, simplement. Elle jeta un œil autour d'elle comme si elle entrait pour la toute première fois mais rien n'avait changé à défaut de l'odeur bucolique pour le dire ainsi et du violon dans son coffret posé sur mon bureau.

—Ta guitare est d'accord avec le fait que tu la trompes de la sorte ?

Elle approcha et ses doigts glissèrent sur l'étui.

—Je peux ?

J'hochai seulement la tête puis elle ouvrit.

—Je viens tout juste de le recevoir, je n'ai même pas eu le temps de le déballer et encore moins de l'essayer.

J'étais encore plus maladroite dans mes gestes lorsque je me fumais un joint (et un désastre ambulant lorsque j'en fumais deux) alors je n'avais pas voulu tenter l'expérience d'accorder les cordes afin d'éviter de toutes les casser comme c'était arrivé avec ma guitare la première fois. De fait, l'instrument produisit un son plutôt horrible quand Edelgard s'en saisit et frotta la mèche, comme si un chaton prématuré pleurait à l'intérieur de la caisse pour réclamer son lait.

—Je ne savais pas que tu jouais du violon.

—Parce que je n'en joue pas, mais je sais pas, j'avais envie d'essayer. Je me suis dit qu'avec internet, peut-être que…

J'écarquillai les yeux et un souffle s'échappa d'entre mes lèvres lorsque les doigts de la blanche se posèrent sur les chevilles d'accord près de la volute qu'elle accorda une à une à l'oreille seulement. Ce simple geste me laissa bouche bée et surtout me cloua le bec tant je restai impressionnée. Je me demandai ce qui était le plus agaçant dans tout ça : qu'elle excelle vraiment dans tous les domaines ou bien qu'elle en ait pleinement conscience ? Cette fille était prétentieuse (avec ma propre définition de la prétention) et avait raison de l'être. C'était juste un constat.

—Ya un truc que tu sais pas faire ou bien ?

—Ma mère m'en jouait lorsque j'étais petite, mais mes compétences s'arrêtent toutefois ici. J'aimais être sur ses genoux et la regarder faire. Puis je l'écoutais jouer pendant des heures qui me semblaient hors du temps jusqu'à m'endormir.

—Je ne te pensais pas si… Sensible.

—Je ne le suis pas.

—Mes fesses, ouais. A qui tu veux faire croire ça ?

—Ce n'est rien de plus que de la nostalgie.

—Si tu le dis. On s'y met ?

J'attrapai mon sac de cours encore rempli et mon bouquin de mathématiques au cas où j'aurais à faire semblant d'avoir besoin de son aide et la traînait avec moi jusqu'au salon avant de tout bazarder sur la table basse. Mon téléphone était resté posé sur le plan de travail à côté de ma tasse et j'écarquillai les yeux en déverrouillant l'écran.

—Putain de merde ! m'exclamai-je.

—Merci pour ce charmant vocabulaire.

—C'est ma tante, j'ai raté son message.

—Quelque chose de grave est arrivé ? s'inquiéta la blanche en approchant derrière moi tandis que je m'agitais dans tous les sens.

—Ouais ! Elle dit qu'elle va passer !

Ce qui m'inquiétait considérablement n'était pas de devoir expliquer à Edelgard comment Rhea pouvait à la fois être ma tante et la directrice de Saint Seiros (une école contre laquelle je pestais) mais ça allait nécessiter des explications et beaucoup d'incompréhension c'était certain. Elle risquait aussi de penser que Rhea m'avait fait une fleur ce qui n'était pas très éloigné de la vérité en un sens mais je n'avais pas envie de me faire traiter de privilégiée et encore moins de me considérer ainsi.

—Est-ce grave ? Si tu as quelque chose à faire tu as certainement encore le temps pour.

—Quand ma tante dit qu'elle va passer, c'est qu'elle est généralement déjà en route ! En plus, le message est arrivé il y a une dizaine de minutes !

—Si tu t'inquiètes à propos de la présentation de ton appartement, tu peux te détendre…

—Tu comprends pas ! la coupai-je subitement et un peu brutalement aussi. C'est pas d'avoir oublié une chaussette en dehors de la corbeille à linge ou une assiette dans l'évier qui m'inquiète ! T'as pas sentie l'odeur ?!

Je préférai encore recevoir un jugement d'Edelgard que de ma tante, et sa venue m'avait plongé dans un état de panique générale (certainement accentué par le joint bien chargé que j'avais fumé une heure avant ça). Je faisais les cent pas entre la cuisine et le salon séparés par un bar américain devant la blanche qui essayait de suivre mes mouvements.

—Oh la mouise. Si ma tante le découvre, elle va le dire à mon père. Et si mon père le découvre, je suis carrément foutue ! Tu peux être certaine que si elle lui dit, il sera là dès demain !

C'était vraiment un timing de merde, je vous assure. Entre Rhea et Edelgard, ça ne pouvait pas tomber plus mal. Je fis un tour de l'appartement supplémentaire en agitant mes bras et en ébouriffant mes cheveux qui ne devaient plus ressembler à grand-chose (encore moins que d'habitude disons) lorsqu'Edelgard m'attrapa par le poignet avant de bloquer mon visage entre ses mains. Son regard me fit rater un battement.

—Elle n'en saura rien.

Edelgard n'était pas une abrutie finie. Mes yeux bifurquèrent vers ses lèvres pendant moins d'une seconde, et trois coups retentirent à la porte.