Vous savez ce que l'on dit des mauvaises habitudes ? Qu'elles ont la vie dure. Bien-sûr, je ne parle pas de quelque chose d'aussi simple que sauter un repas (quoiqu'il existe des recherches démontrant les bénéfices apportés par le fait de laisser son appareil digestif au repos quelques heures) ou même du fait de dépenser un mois de salaire entier en cafés et sandwich (les faire soi-même est bien plus économique) mais plutôt de celles que j'avais prises dès la semaine suivante à Saint Seiros. Il est très important de ne pas s'abandonner à la paresse lorsqu'il s'agit d'apprendre de nouvelles choses et j'étais plutôt bonne élève. Je m'étais engagée, après tout, à fournir des efforts. Je sélectionnais seulement les domaines ou cela me semblait nécessaire.

—Byleth…

La réserve n'était pour une fois pas remplie d'une désagréable odeur de tabac (j'avais quand même fumé) mais des plaintes et gémissements qui s'échappaient de la bouche de ma camarade chaque fois que je laissais respirer ses lèvres pour les capturer plus fougueusement ensuite. Le parfum de ses cheveux était imprimé sur ma peau et la chaleur de la sienne m'enveloppait tel un manteau d'hiver. J'avais appris où faire darder ma langue lorsqu'elle s'agrippait plus à moi et au contraire quand l'en priver pour la contraindre à me réclamer davantage.

—Byleth, entendis-je de nouveau.

—C'est la dernière fois, El.

—Tu as déjà dit ça la dernière fois. Et la fois d'avant, et celle d'avant encore…

Mais ses mots ne passaient pas la barrière de mes oreilles. J'étais trop concentrée sur les tâches qu'incombait mon rôle de petite-amie (comme apprécier son cou de près) et je les prenais surtout très à cœur. Celui-ci tapait dans ma poitrine trop étroite mais le plus pénible était cette sensation diffuse dans mon bas ventre dont je n'arrivais à me défaire et qui prenait un peu plus de place après chaque baiser. Et je ne pouvais pas prétendre détester ça.

—On va être en retard…

—Qui se soucie d'arriver en retard en dessin ?

—Moi, je m'en soucis. Tu avais dit pas plus de cinq minutes.

—Ca en fait seulement six ou sept.

—Plutôt le double.

Ma langue s'engouffra dans la bouche d'Edelgard pour la faire taire, son corps se colla tout entier au mien et l'une de mes jambes s'aventura entre les siennes. Je me sentais toute puissante et ce sentiment était plus jouissif encore que lorsque j'avais fini par dropper une panoplie dans mon jeu avec un taux d'apparition proche du zéro intersidéral (comptez plusieurs dizaines d'heures d'acharnement au moins).

—Byleth… souffla difficilement la blanche. Tu vas… Tu vas trop loin…

Je pris la distance nécessaire afin d'interroger ses yeux si envoutants qui désignaient ma main. Mes doigts s'étaient glissés sous le col de sa chemise à peine ouverte pour se perdre le long de sa clavicule.

—Je t'effleure à peine.

Puis ils accusèrent mon autre main qui elle, était passée sous les pans de tissu blanc afin de se loger sur ses côtes et d'y remonter très lentement (je pouvais les compter une à une).

—Bon, okay. Je plaide coupable.

Je levai les mains devant elle en signe de réédition complète bien obligée d'avouer qu'elle avait (un peu) raison. Mais, que voulez-vous, je restais une femme avec ses forces mais aussi ses faiblesses et si l'on pouvait dissocier les désirs du cœur des désirs du corps (ce qui m'arrangeait bien) l'on ne pouvait toutefois en contrôler aucun.

—Est-ce si désagréable ? souris-je près de sa bouche. Tu n'en donnes pas l'impression.

—Par tous les Saints, Byleth… Qu'est-ce qu'on est en train de faire…

—On s'embrasse.

—Ce n'était pas une question, idiote.

La blanche me repoussa quand je fis une énième tentative et une marque se dessina entre ses deux sourcils. A qui voulait-elle faire croire qu'elle était contrariée ? Jusqu'ici, mes baisers n'avaient pas l'air de la déranger, pas plus que mes mains qu'elle avait laissé courir sur sa peau (et pas seulement par-dessus ses vêtements).

—C'était la dernière fois.

—Oui, bien-sûr.

—Je suis sérieuse !

J'hochai la tête de haut en bas (avec une crédibilité ridicule) tandis qu'elle rattachait les quelques boutons de son chemisier et lissait sa veste. Je la laissai aussi nouer correctement sa cravate que j'avais seulement envie d'ôter pour embrasser son cou mais ce n'était pas raisonnable. Une part de moi aurait bien-sûr pu continuer pendant des heures mais notre proximité devenait dangereuse, une autre en avait parfaitement conscience. Il n'y avait aucune chance que je tombe amoureuse d'elle mais ce n'était pas une raison suffisante pour prendre un tel risque et pousser ainsi le vice.

—Les autres vont finir par nous surprendre, s'inquiétait Edelgard en entrebâillant la porte pour jeter un œil au couloir.

C'était la pause déjeuner, alors il n'y avait personne. Je n'étais pas non plus stupide au point de la mettre dans une position désavantageuse (comme dans ma cuisine le week-end passé par exemple). Enfin, pour elle seulement. Moi je n'avais que faire d'être surprise pendue à ses lèvres, cela m'aurait seulement amusée. Sa réaction embarrassée encore plus.

—Ils savent déjà qu'on sort ensemble, de quoi tu t'inquiètes ?

—Sortir ensemble est une chose, et s'afficher de la sorte en est une autre.

—Ha, ouais. Comme quand tu m'as embrassé devant toute l'école la semaine dernière, tu veux dire ?

—C'était une situation exceptionnelle.

—Un cas d'extrême urgence, en effet, ris-je avec légèreté.

Edelgard se retourna et son regard nous condamna ma bêtise et moi. Je faisais seulement un constat, et cette gamine s'affichait uniquement lorsque cela l'arrangeait. Ma foi, personne n'était parfait, et ses manières (à l'opposée de ce que ses yeux me révélaient quelques minutes auparavant) faisaient partie intégrante de son charme. Tout comme la marque qui avait tendance à se creuser de plus en plus souvent au-dessus de l'arrête de son nez. Particulièrement lorsque je me trouvais avec elle.

—Tu veux bien cesser de te moquer de moi ?

—Demandé si gentiment.

—Je dois y aller, l'on m'attend.

—Par on, tu veux dire Monica ?

Ma question tira les traits du visage de la blanche. C'était encore un sujet sensible même si je faisais tout mon possible pour prendre les choses mieux désormais (mieux était toutefois relatif). Parce qu'elle m'avait fait comprendre que je n'avais pas à m'en faire, d'une part, mais également pour mon propre bien. Laisser la jalousie m'emporter aurait pu réduire le fossé séparant le jeu de la réalité, le vrai du faux, en somme.

—C'est bon, t'inquiète, j'ai rangé les griffes pour l'instant. Au fait, tu devrais remonter un peu le col de ta chemise.

Les doigts d'Edelgard se posèrent mécaniquement sur son cou et la malice fendant mes lèvres en deux déstructura une expression se voulant calme. Vous auriez-dû voir le moment où ses pensées ont pris la direction des miennes.

—Tu te fiches de moi ?!

Je me retournai et pris la direction de la salle de musique en agitant vaguement la main pour ne pas m'éterniser davantage.

—Je marque seulement mon territoire. A plus !

J'entendis mon nom traverser le couloir comme une balle de fusils l'aurait fait. J'avais rangé les griffes, jamais je n'avais évoqué mes lèvres ou bien ma langue que j'avais laissé trainer délibérément quelques secondes de trop. Prendre les choses mieux (ou tâcher de le faire) ne signifiait pas rester les bras branlants. Edelgard était ma zone de guerre radioactive personnelle sur laquelle que je n'aurais pas hésité à poser quelques mines. J'imaginais déjà la réaction de Monica en découvrant la petite marque made by Byleth (j'espérais qu'elle la voit – et elle la vit) et cette pensée me fit largement sourire. J'aurais aimé être une petite souris pour assister à l'explosion (avec une bière et des pop-corn pour parfaire le tout).

J'étais convaincue que rien ne pourrait venir gâcher cette journée, pas même les difficultés que je rencontrai en m'exerçant sur le violon du lycée que j'avais réussi à accorder après quelques minutes et une application gratos. J'essayais de pratiquer régulièrement comme me l'avait conseillé Ingrid avec les barrés (que je travaillais aussi), une heure lorsque j'étais motivée, un peu moins lorsque j'avais la flemme et préférais jouer à la console. Quand un nouveau truc me bottait, je m'acharnais généralement dessus jusqu'à finir par me lasser, et Youtube était d'une grande aide. Lorsque je ne m'entrainais pas (ou que j'avais mal aux doigts) je me passais des vidéos en boucle. Ce qu'il y avait de pratique avec le violon (et de plus simple qu'un paquet de partitions) c'étaient les tablatures, comme avec la guitare. De fait, je n'étais pas trop dépaysée. Malgré tout, apprendre à jouer d'un nouvel instrument, rapidement et sur un coup de tête, restait assez complexe. Après quelques jours seulement, le résultat commençait à me plaire (et après une semaine entière il serait très satisfaisant).

Vous : On rentre ensemble ?

Edelgard : Après ce que tu as fait ?

Vous : C'est une toute petite marque.

Edelgard : Je ne sais pas si tu le mérites.

Vous : Oh, aller. Je viens de terminer ma toute première chanson au violon, tu ne vas quand même pas gâcher ma bonne humeur ?

J'avais l'air bête, ce qui ne me ressemblait pas. Mais je m'en fichais royalement. Vous ne vous rendez-pas compte de la satisfaction qu'apporte le fait de réussir quelque chose de difficile de prime abord. Je parle du violon, bien-sûr. Je ne sais pas si vous vous rappelez, mais maitriser la bête m'avait paru impossible la première fois que j'en avais pris un dans les mains.

Vous : Ce n'est pas comme si je te laissais le choix de toute manière.

J'étais déjà devant la porte grande ouverte de la salle d'Arts Appliqués en envoyant mon message. Edelgard n'allait pas tarder, elle finissait généralement autour de quinze heures, et je n'étais pas à quelques minutes près. Faire comprendre à Monica que je n'allais pas disparaitre du jour au lendemain (comme elle l'aurait souhaité j'en étais convaincue) n'avait bien-sûr rien à avoir avec les raisons de ma présence ou de celles de ma proposition, qu'allez-vous imaginer. J'étais seulement une petite-amie impliquée. La voir tirer une tête de dix pieds de long ne serait qu'une compensation pour l'attente. J'espérais seulement que celle-ci ne soit pas trop longue, je n'avais pas envie de rater Edelgard parce que j'étais allé pisser. Cette dernière finit par apparaitre après cinq minutes seulement accompagnée d'une gueuse que j'avais franchement déjà envie de frapper (ce qui fit disparaitre mon envie pressante).

—Tu as fini, El ?

Je n'accordai même pas un regard à Monica. Parce que je n'avais pas que ça à faire. Parce que mes rétines étaient précieuses. Et surtout parce que je ne lui accordais aucune considération.

—Oui.

—Tant mieux.

J'attrapai l'oiseau (le blanc) par le bras et la traînai avec moi au travers du couloir (comme on trainerait un boulet accroché à la cheville car mine de rien elle devait faire une cinquantaine de petits kilos mais elle avait des jambes alors c'était moins difficile). Le temps que Monica comprenne ce qui venait de se passer nous étions déjà loin.

—Byleth ! Attends ! Tu comptes me traîner jusqu'en bas et me glisser dans ton top case aussi dans la foulée ?!

—Tu surestimes ta souplesse je pense. Sans vouloir te vexer.

Je m'arrêtai en m'assurant qu'il n'y ait pas un quelconque chewing-gum collé sous mes basques (ou une tâche de sauce sur mes fringues si vous voulez) et j'eus la joie de constater que non. Pas de Monica à la ronde.

—Vas-y.

—Pardon ?

—Le procès, la remarque, la réflexion. Je suis prête. Tu n'as rien à redire quant à mon attitude ?

La blanche pris une inspiration et je n'eus droit qu'à un soupire de désespoir. Je l'imaginais aisément penser que quelques minutes ne seraient pas suffisantes pour lister tout ce qu'il y avait à redire sur ma façon d'agir et de me comporter. Même une journée, pour ne pas dire une vie entière.

—Rien ? Donc on peut y aller.

—La présence de Monica te dérange-t-elle à ce point ? Je pense qu'elle a compris tu sais.

—Tu ne lui as rien dit ?

—Non.

—Pourquoi ?

—Parce que j'ai décidé que tu avais ton mot à dire. C'est ce que tu voulais, non ?

—Oui. Mais de toi à moi, je ne sais pas si cela suffira. Peut-être que je devrais lui faire un dessin. Tu devrais plutôt le faire en fait, je dessine tellement mal qu'elle pourrait mal interpréter la chose.

Comme une déclaration de guerre ce qui, le cas échéant, n'aurait pas été plus mal. Et je l'aurais atomisée. Je pensais vraiment pouvoir faire fit de Monica, mais plus je passais de temps avec Edelgard moins j'appréciais sa vue.

—A propos du dessin, d'ailleurs, tu n'es pas lasse de toujours être dans cette pièce ?

—Je t'ai déjà dit que j'aimais me trouver là.

—Pourquoi ? C'est juste une pièce.

—A tes yeux. Aux miens, c'est le premier endroit dans lequel je me suis sentie libre de faire ce que je désirais.

« Libre » ont répété mes pensées. Et car pour moi les mots sont importants, je me suis demandé si celui-ci avait pour elle un sens caché. Aujourd'hui je suis en mesure de comprendre mais à l'époque c'était encore compliqué. C'est pour cette raison que je la dévisageais. Jusqu'à avoir une idée. Je l'attrapai à nouveau mais cette fois-ci par la main. Et ce fut la première fois que je liai ainsi mes doigts aux siens.

—Où est-ce que tu m'emmènes ?

—Tu verras.

Nous arrivâmes là où j'avais passé la majorité de mes pauses déjeuner et Edelgard découvrit le petit salon que Dorothea avait aménagé (il y avait un coussin rose en plus et une plante sur un rebord de mur où une petite ouverture fenêtrée laissait filtrer la lumière). La jeune fille semblait surprise.

—Tu n'es jamais venue ici ? demandai-je devant son expression déconfite.

—Non, et je n'imaginais pas cet endroit ainsi.

Je me passai de lui expliquer que sa meilleure amie avait prit à cœur de refaire toute la décoration (pour Noël Dorothea allait même ajouter deux trois guirlandes et un petit sapin) afin de laisser planer le mythe et grimpai les dernières marches jusqu'au demi-pallier. C'était un cul de sac car la porte était toujours fermée.

—J'ai toujours voulu faire ça, souris-je en sortant de mon sac un petit couteau suisse.

—Rassurant.

—On est jamais trop prudent.

—Tu aurais pu me prévenir avant d'accepter de sortir avec moi.

Je ne relevai pas et approchai la lame de la serrure. C'était un vieux machin dont l'extérieur commençait à rouiller (je l'entendis au son du métal à l'intérieur) mais le couteau bloquait.

—Tu n'aurais pas une épingle à cheveux, ou quelque chose de fin mais de solide ?

—Tu t'imagines que je me promène avec tout un nécessaire à coiffer ?

—Eh bien…

Edelgard pinça l'arrête de son nez mais fouilla dans le sac suspendu à son épaule pendant quelques secondes avant d'en sortir (devinez quoi) une épingle à cheveux que je fixai quelques secondes avant d'observer de nouveau son visage. Elle avait pris son air faussement contrarié.

—Quelle mauvaise foi.

Je pris l'objet et l'insérait dans la serrure avant d'entendre un premier clic. C'était fermé à double tour.

—Où as-tu appris à faire ça ?

—Ca fait partie du packaging.

Celui de la délinquance.

—Rappelle-moi de faire poser un double verrou sur la porte de ma chambre. Juste au cas où.

J'avais envie de lui répondre que cela serait inutile (j'aurais pu le crocheter également) et que c'est elle qui finirait par me supplier d'y entrer mais c'était encore un peu tôt pour cela. Je gardai donc ma mauvaise blague pour moi et la rangeai pour plus tard (juste au cas où la situation arriverait pour de vrai mais de vous à moi les statistiques étaient faibles).

—Depuis le temps que je voulais ouvrir cette porte, pensai-je à haute voix.

Et elle s'ouvrit. La porte. Et l'expression d'Edelgard avec elle quand les rayons du soleil galvanisèrent plus franchement toute la cage d'escalier. Nous étions en automne, et il pleuvait un peu dehors. Mais le soleil brillait.

—Tu pourrais te faire renvoyer pour ça, tu le sais ?

—Certainement. Mais ça en vaut la peine, non ?

J'étais sûre de mon coup sans même savoir ce que j'allais trouver derrière cette porte. Mais comme je m'en étais plus d'une fois doutée, il n'y avait absolument rien. Rien, à part le calme, le ciel, et une vue panoramique sur le campus de Saint Seiros et une partie de la ville. La pluie n'était qu'un détail mais surtout un bonus car de multiples couleurs se reflétaient dans l'horizon.

—Alors ? Pas mal, non ?

Vous vous souvenez de son aigle ? Moi oui. Il avait les ailes déployées et pendant un instant j'aimai les imaginer dans le dos d'Edelgard. La liberté se trouvait seulement là où l'on se donnait la peine de chercher. Pour moi, c'était dans les jeux vidéo, dans la musique, et parfois même dans les moments que l'on passait ensemble. Pour elle, c'était bien plus complexe.

—La liberté, c'est seulement un concept inventé par ceux qui préfèrent se plier aux règles conventionnelles de la société.

—Je…

—T'inquiète. Ca fait partie du packaging ça aussi. Et j'en prends toute la responsabilité.

Car je me sentais libre. Plus libre qu'elle. Plus libre que n'importe qui. Libre de faire ce que je voulais. Et ce que je voulais, eh bien…

—Cette vue mériterait une récompense amplement.

Des mots qui me firent réfléchir.

—Mais plus de baisers.

—Alors, joue avec moi.

La liberté, c'était un luxe auquel je n'avais jamais voulu renoncer. Et pendant un instant, je me suis demandée si pour être avec elle, il y aurait un prix à payer.