J'ai tout de même pu avoir une enveloppe garnie. Gratuite qui plus est. Pour se faire pardonner. Pour ne pas que je me formalise. Je ne me suis pas formalisée, j'étais juste… Surprise. En bonus, une petite boite de bonbons bucoliques que j'avais refusée dans un premier temps mais que Claude avait glissée dans la poche de ma veste à la pause déjeuné avec un clin d'œil dessiné au marqueur sur le couvercle. Je l'ai rangée dans un tiroir en rentrant chez-moi le soir même et elle y resta pendant un long moment d'ailleurs. Je crois qu'il en reste quelques uns mais j'ignore s'ils sont encore consommables aujourd'hui. Claude dirait que oui. Quant à moi, je pense que le pire que je risque est de n'avoir aucun effet. Vous partagez certains détails de ma vie et quelques souvenirs me donne par moments envie de l'ouvrir, juste pour me rappeler à quelle point j'ai pu être naïve parfois. Mais vous savez, je n'étais qu'une adolescente, et au fond, on le restera tous toujours un peu.

J'avais un quotidien assez tranquille quand j'y repense, loin des problématiques imposées par la vie des adultes. Je regrette parfois cette période où les feuilles d'impositions n'existaient pas plus que les rendez-vous Pôle Emploi ou leurs foutus formations pour seulement apprendre à rédiger CV et lettres de motivations. Gratter une page pour toucher un salaire misérable et faire croire qu'on nourrit une réelle motivation pour la mise en rayon est l'apanage de l'hypocrisie des employeurs.

—Tu comptes lâcher ton téléphone et travailler sérieusement ou bien tu penses que tes cours vont rentrer dans ta tête par l'opération miraculeuse des Quatre Saints ?

—Si une telle chose était possible, Dorothea, je serais la première à te demander de frapper assez fort sur mon crâne pour que tout rentre d'un coup sec.

—Qu'est-ce que c'est ? demanda la chanteuse en se penchant sur l'écran de mon téléphone pour y jeter un œil (les deux) curieux.

—Le boulot. Mon ancien patron me demande si je suis disponible pour les vacances d'hiver.

—Tu as besoin d'argent ?

—Qui n'en a pas besoin ?

Je jetai un œil à la ronde. Pas les élèves de Saint Seiros, de toute évidence. Pas la majorité. L'idée de passer mes soirées à livrer des pizzas dans un froid glacial ne m'enchantait guère mais un peu de pognon ne se refusait pas. Je devais réfléchir (mais déclinai finalement la proposition quelques jours après).

—Je verrai ça plus tard, j'ai un peu de temps avant de donner ma réponse. Bon, on en était où ?

—L'Ere Showa. Tu marmonnais quelques choses sur le fait que le Japon s'était alliés aux plus gros fascistes de l'histoire.

—Ah ouais, ça me dit vaguement un truc.

—C'était il y a quelques minutes, Byleth. Mais si ça t'ennuie on peut parler de ta relation avec Edie ?

—La Seconde Guerre Mondiale, c'est intéressant d'un point de vue historique.

Plus intéressant que ma relation avec Edelgard ou tout autre problème de cœur.

—Aller, pour une fois que Monsieur Essar est absent, on pourrait se raconter des potins !

—Tu crois que ce vieux dinosaure est malade et sur le point de décéder ?

—Ne rêve pas trop, Essar enseignait déjà à la préhistoire.

J'attendais les vacances avec beaucoup d'impatience, car me rouler dans mon lit aurait été plus agréable que de bosser à la bibliothèque du lycée et d'assister aux vas-et-viens des élèves trop sérieux.

—Au fait, comment comptes-tu t'y prendre pour inviter Edie au bal ?

—Le bal ?

—Oui, le bal de Noël !

—Le bal de Noël ?

—Tu sais, quand des personnes dansent et s'amusent sur un fond de musique généralement !

—Je sais ce qu'est un bal, Dorothea, je ne suis pas une attardée profonde au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.

—Eh bien, par moment…

Mon regard la foudroya sur place.

—Oublie ça !

—C'est pas comme si je comptais m'y rendre, de toute manière. Ce genre de truc, c'est le summum de la chiantitude.

—Par tous les Saints ! Le bal n'est pas un droit mais un devoir ! Edie sera tellement déçue si tu ne l'y emmènes pas !

—Parce qu'elle aime vraiment ces trucs là ?

—Une vache aime-t-elle qu'on la conduise pâturer dans son près ?

—Tu viens vraiment de comparer Edelgard à un bovin ?

Je me levai de ma chaise, j'avais besoin de me dégourdir les jambes. Evidemment, la chanteuse m'imita. Elle ne lâcherait pas l'affaire si facilement et encore moins entre les étagères de livres où personne ne pourrait nous entendre.

—Tu vas la laisser y aller seule ?

— Que veux-tu que ça me fasse ?

—Edelgard est une élève populaire. Si tu ne l'invites pas, quelqu'un le fera à ta place.

Je réitérai ma question. Ce n'en était pas vraiment une, mais ça, vous l'avez déjà certainement compris.

—Et par quelqu'un, cela englobe aussi Monica.

Ne soyez pas dupes. Monica avait peut-être compris qu'Edelgard était ma chasse gardée (en apparences), si elle voyait une opportunité elle s'y glisserait sans aucune hésitation aussi étroite soit-elle (l'opportunité).

—C'est quand, ton bal ?

Ma question était stupide. Le bal de Noël, même un attardé profond finalement savait quand cet évènement avait lieu. Et cette année, c'était la veille des vacances d'hiver. L'idée de traîner mon cul jusque là m'horrifiait, mais imaginer Monica danser collé-serré avec Edelgard l'était encore plus.

—Pourquoi je devrais l'inviter ? C'est ma petite-amie.

—C'est un rituel sacré. Petite-amie ou pas.

—Tu vas inviter Ingrid ?

—Regarde ce livre ! Comme la couverture est sublime !

Il s'agissait d'un bouquin sur la mécanique des fluides et la couverture représentait des formes impossibles à identifier. Un peu comme mes émotions, en gros.

—Tu préfères attendre que quelqu'un d'autre le fasse ?

—Et toi, tu préfère attendre que cette idiote vole ton rôle ?

Je suivis le regard de la brune derrière l'épaisseur de livres comme un agent secret flanqué dans sa caisse un sandwich çà la main. La seule chose de secrète ici c'était bien le sens de la couverture du livre sur lequel Dorothea avait pendant un moment reporté son attention. Je pestai silencieusement (mais mon visages était ridé par la contrariété) en apercevant la tâche de sauce tomate dénoter près de la chevelure de neige. Nos camarades aussi avaient eu l'ingénieuse idée de venir réviser ici pendant l'absence d'Essar. Pour sûr que Monica profitait de la moindre faille pour coller à la croupe d'Edelgard. Comme une mouche sur le cul d'une vache.

—Tu crois vraiment qu'elle oserait ?

« Bien-sûr que cette putain oserait » entendis-je résonner dans mon crâne.

—A ta place, je ne prendrais pas ce risque.

—Tu as bien conscience que tout ça n'est qu'une grosse mascarade ?

—Bien-sûr que oui !

C'était aussi certain que l'existence de pièces de cinq dollars.

—Je vais y réfléchir, finis-je par conclure après avoir imaginé une fois ou deux (ou une dizaine) Monica et Edelgard danser comme le feraient les couples à cette soirée d'hiver où il fallait porter des fringues trop chers pour moi.

—Mon oiseau prend son envol, je suis si fière de toi !

—Calme-toi. C'est seulement un bal.

Ce n'était pas seulement un bal. Pas à Saint Seiros. Pas dans l'esprit de Dorothea qui nourrissait autant d'espoirs à l'époque que j'avais d'attirance pour un gâteau au chocolat tout juste sorti du four.

—Prête pour l'opération Vache à Lait ?

—Pardon ?

—C'est toi qui viens de m'inspirer l'idée ! Je la trouve brillante !

Et moi stupide. Comme tous ses noms de plans. Et tous ses plans eux-mêmes. J'avais cinq semaines officiellement pour réfléchir. Beaucoup moins finalement en repensant à la popularité de ma petite-amie.