Choisir entre une cravate et le nœud de papillon était à mes yeux pareil que décider s'il vaut mieux subir la peste ou le cholera. Je possédais un magnifique costume composé d'un pantalon (très serré) noir, d'une chemise blanche, et bien-sûr de l'incontournable veste aux ourlets retroussés. J'y avais ajouté ma touche : un veston sans manche qui se glissait sur la chemise. Car je trouvais ça cool, et car je n'avais que trop peu eu l'occasion de le mettre. Un costume qui se portait tout aussi bien à un mariage mondain qu'à un bal finalement (qui pour Saint Seiros est un évènement au moins tout aussi important) ou bien même à un enterrement mais Monica était le genre de fille increvable à mon plus grand regret. Je ressemblais moins à un pingouin qu'à James Bond, mais j'avais quand même la classe. Autant vous dire aussi que ce n'était pas l'appareil le plus agréable à porter quand on se déplaçait en bécane.

J'arrivai devant chez Edelgard à l'heure convenue. Cinq minutes en avance pour être plus précise, car côtoyer les bourges m'avait appris que chez eux le quart d'heure de politesse n'existait pas. Il fallait être à l'heure. Je me souviens avec une précision déconcertante de ce qu'il se passa ensuite et je ne suis pas prête d'oublier ce que mes yeux virent, ni l'écrasante pression dans ma poitrine. J'ai côtoyé de très belles femmes durant ma jeunesse (mon adolescence), mais dans sa longue robe rouge aux finitions blanches Edelgard était bien la plus incroyable d'entre toutes. Même Dimitri dans un costume semblable au mien (bleu marine pour sa part) faisait pâle figure et dénotait de ce gracieux paysage. Un avion de chasse qu'aucune jalousie n'aurait pu toucher et encore moins abattre. Quelle chance avais-je.

—Tu es magnifique, El.

—Tu n'es pas mal non plus.

Un sourire fugitif dessina une marque à la commissure de ses lèvres.

—Merci, ajouta-t-elle ensuite avec une sorte de timidité que je ne lui connaissais pas encore.

Trop habituée à ce que je la traitre d'être superficiel, prétentieux et hautain, sans doute. Un petit jeu mêlé à une complicité développée à force de séances de révisions et de coups sur la tête.

—Cela ne te dérange pas de laisser ta moto ici ? Je doute fortement que ma robe soit adaptée pour ce genre d'escapade.

Elle l'était pour une escapade d'un tout autre genre que j'avais déjà en tête cependant, mais que voulez-vous, je n'avais jamais pu lutter contre les pulsions naturelles de mon corps. Et puis, je n'allais pas refuser ce genre d'expérience qui ne se représenterait peut-être plus jamais : monter dans une limousine (Monsieur Blaiddyd ne faisait pas les choses à moitié lorsqu'il s'agissait de respecter les traditions). Un chauffeur me priva du luxe d'ouvrir la portière à ma cavalière si j'y avais seulement pensé, et Dimitri m'invita à monter comme tout gentleman le ferait (le pauvre garçon avait presque disparut du tableau jusqu'ici). Le moteur démarra dans un silence surprenant vu la taille du véhicule et mes fesses embrassèrent les sièges en cuir à peine furent-elles en place.

—Nous devons faire un arrêt avant de prendre la direction du lycée.

J'hochai simplement la tête avant d'aviser Dimitri qui m'observait comme on observerait un hamster qui fait des tours de roues : avec autant d'attention que de temps à tuer quand on est coincé dans quatre mètres carrés pour de très longues minutes sans rien avoir à dire.

—Est-ce que nous passons prendre ta cavalière ? Ou bien… Ton… Cavalier ?

—Non.

Il avait finalement une langue.

—J'ai décidé d'aller seul à ce bal.

Et de la personnalité. Mes yeux le scrutèrent avec attention.

—Ai-je dit quelque chose d'étrange ?

—Non, je pensais juste que…

La catastrophe sociale. Et l'envie d'étrangler Dorothea par la même occasion.

—Rien, oublie ça.

Mais le garçon ne me lâchait pas du regard. Et un regard bleu comme le sien ne se lâchait pas non plus si facilement. Mon nœud de papillon était soudain trop serré.

—Tu vas trouver ça ridicule, mais en fait Dorothea m'a expliqué qu'arriver seul au bal était un peu…

—Nous sommes au vingt-et-unième siècle, Byleth, répondit la blanche alors que la voiture ralentissait déjà. Tu ne sors jamais de chez toi ?

Je pris une note intérieure : celle de me venger un jour pour la pression que la chanteuse m'avait collé à la croupe. Celle d'être clémente aussi car cette expérience en valait vraiment la peine après mûre réflexion et l'embarras mis de côté. L'opportunité se présenta très vite !

—Bonsoir !

J'ignore ce qui me traversa la tête en premier : comment une robe pouvait prendre autant de place et rentrer sans la faire passer par le coffre, ou bien depuis quand Dorothea savait qu'elle ferait le trajet avec nous. Seule, évidemment. Ingrid était déjà sur place avec son groupe, ce qui lui offrait une merveilleuse excuse quant à sa venue les bras vides la concernant, et Dorothea ne souhaitait y aller avec personne d'autre (mieux vaut être seul que mal accompagné). Je dis seule, mais elle ne l'était pas, puisqu'à peine les volants et tissus de robe rose qui n'en finissait pas engouffrés dans le petit espace, un sourire très familier fit son apparition. Je vous arrête tout de suite : il ne s'agissait pas de Monica (ni de Lorenz) et la limousine n'allait pas se changer en sordide scène de crime.

—Yo ! J'espère que je ne dérange pas !

—Bien-sûr que non, déclara Edelgard. Entre.

Vous êtes vous déjà questionné sur la nature de la relation qu'entretenaient les délégués des trois promotions ? Moi oui, à de multiples reprises. Concernant Claude et Dimitri, je crois que je n'ai pas besoin de vous faire un dessin. Et pour Edelgard : c'était une fille très bien élevée.

—Je suis désolée, Edie, mais il a pris ce regard de chien battu et je n'ai pas pu dire non.

—Et manquer une occasion de me rendre au bal en si charmante compagnie ?

Je me décalai un peu sur le côté (la robe de la chanteuse poussait à la promiscuité) et me retrouvai prise en étau entre la portière et la brune. Claude s'était assis à côté de Dimitri, comme s'il n'y avait entre eux que les conseils de classe.

—Je croyais que tu n'y allais pas accompagné, fis-je à l'attention du blond.

—Je n'y vais pas accompagné.

—On y va seuls.

—Célibataires.

—N'est-ce pas ?

Cet échange entre les garçons ne surprit et ne choqua personne. Parce que toute l'assemblée ici présente avait finit par être mise au courant. Moi la dernière. J'imagine qu'il est difficile pour une sœur de rester dans l'ignorance des fréquentations de son frère finalement. Au moins autant qu'il est impossible pour Dorothea de ne pas savoir ce qu'il se racontait et passait entre les murs de Saint Seiros.

—Tu es très élégant, Claude, complimenta la blanche.

Il portait un costume sombre et une veste dorée. Il était assez beau, même un borgne souffrant de myopie aurait pu en attester.

—C'est le bal de l'hiver ! Et vous êtes tous incroyablement beaux dans vos trousseaux mes amis !

Il sourit un moment, du moins n'avait jamais cessé de le faire.

—Même toi ! reprit-il accompagnant ses paroles d'un clin d'œil à l'attention d'une Dorothea à l'expression ridée désormais.

—Où se trouve l'ouverture des fenêtres ? Ha ! C'est là ! Tu veux bien ouvrir Byleth ? Afin que j'expulse ce parasite de l'habitacle !

—Tu devrais éviter de bouger afin de ne pas froisser ta robe ma chère !

—Sale ruminant !

—Volatile sournois !

—Arrêtez tous les deux ou bien c'est moi qui me jette par la fenêtre ! m'écriai-je fatiguée avant même d'arriver.

—Bien. Je peux faire un effort puisque c'est demandé si gentiment.

Puis Claude tapota sur les pans de sa veste avant de sortir une fiole dont la couleur me rappelait la concoction qu'il m'avait faite avaler une semaine auparavant. Deux autres étaient planqués sous sa veste.

—Mes amis, cette soirée sera mémorable !

Et elle le fut.