La voiture nous libéra mes camarades et moi devant le portail du lycée ou plusieurs groupes d'énergumènes déjà présents nous observaient en long en large et en travers. Notre arrivée ne passa pas inaperçue. Je ne peux pas m'attribuer ce « mérite » : il était dû à la présence des trois élèves les plus populaires de Saint Seiros. Une fois de plus, je ne me sentis guère à ma place, moi, qui ne cochais aucune case. Toutefois, puisque cette soirée était importante pour eux, elle le devint pour moi.

—Saint Seiros ne fait pas les choses à moitié, me plaignis-je déjà en passant les portes du gymnase.

Celui-ci avait changé et ne ressemblait en rien aux murs entre lesquels Catherine et Shamir nous rendaient la vie impossible sous prétexte qu'il fallait apprendre à se dépasser. Des nuages blancs avaient été accrochés un peu partout pour rappeler la saison et la neige, des lumières bleus et douces galvanisaient sol et murs. Tout le matériel sportif avait été mis sous scellé pour libérer au maximum l'espace. Une scène avait été construite, entourée de caissons reliés les uns aux autres sous la supervision d'Edelgard un peu plus tôt et de quelques élèves. Au dessus, une large banderole sur laquelle était imprimé le thème de la soirée. L'on trouvait au fond sous la surveillance du professeur Cichol le buffet sur lequel étaient disposés mets et boissons colorés (ainsi que nos fameuses pommes duchesses cuites par plus expérimentés que quelques élèves même si de vous à moi, faire frire quelque patates ne demandait pas trop de compétences intellectuelles). Claude n'aurait que peu de marge de manœuvre pour y verser ses fioles pensais-je immédiatement. De l'autre côté du gymnase, entre quelques colonnes de ballons bleus et blancs (comme il y en avait un peu partout) : quelques tables et chaises pour permettre aux danseurs de se reposer. Et pour rendre hébété quiconque ne sachant où poser les yeux : d'immenses sculpture de glace qui demain ne seraient plus.

—C'est la première fois que tu te rends à un bal ? demanda ma cavalière devant cet étonnement.

—J'ai l'air de quelqu'un qui arbore son plus beau costume pour aller danser tous les vendredi soirs ?

Une réponse un peu sèche, je vous l'accorde, provoquée par ma surprise globale et le sentiment de n'être qu'une pourvue parmi la haute.

—Je pense que dans mon ancienne école, ils se seraient contentés de plus de… simplicité, ajoutai-je alors.

Mais mon ancienne école n'avait rien de chic ou de sophistiqué comme l'était Saint Seiros. C'était juste une école. Une école où les élèves se regardaient de travers pour bien d'autres raisons que le portefeuille de papa ou maman.

—Essaie de te souvenir que tu n'es pas la seule à subir les affres de la précarité ! me lança une Dorothea excitée d'être là.

Cela se voyait à sa façon de passer d'une jambe à l'autre et à son sourire qui fendait son visage en deux.

—Je vais tâcher d'essayer. Ainsi que de nous trouver un verre, fis-je en demandant la permission tacite d'abandonner ma cavalière un moment.

—Je t'accompagne ! s'écria Claude manifestement décidé à rendre cette soirée plus gaie.

Nous nous glissâmes entre des élèves qui s'agglutinaient déjà au centre de l'espace malgré la musique pour le moment plutôt calme (ca commence toujours ainsi avant de finir par envoyer des décibels dans tous les sens). Cichol nous attendait de pieds fermes comme s'il avait lu dans les pensées de Claude avant que le garçon ne s'approche. Aucun professeur avec un minimum de bon sens ne serait dupe : il y avait toujours un ou plusieurs élèves qui tentaient d'empoisonner le punch.

—J'ai besoin d'une diversion, murmura le cerf à mon oreille avant de se diriger vers la bouffe pour réduire l'espace entre lui et le grand récipient.

—Hé ! Attends !

Mais il était déjà trop tard et Seteth m'examinait comme il examinait ses devoirs : avec suspicion lorsque c'était les miens.

—Professeur Cichol, le saluai-je. Vous vous amusez bien ?

—Le corps enseignant n'est pas là pour s'amuser mais pour s'assurer que le bal se déroule sans aucun incident.

—Oui, bien-sûr. C'est évident.

L'homme au costume bleu nuit et parfaitement coiffé (la barbe bien taillée aussi) surveillait la salle entière d'un œil froid et sévère, prêt à sanctionner quiconque perturberait ce bal. Et par quiconque, cela englobait surtout les personnes comme moi, et non comme Claude. Il fit donc l'erreur (très grossière et agaçante) de m'accorder plus d'attention qu'il n'aurait du plutôt que d'observer ce qu'il se passait dans son dos (sur le côté plus exactement). Connaissant mon ami, il n'aurait besoin que d'une minute, à peine. Mais qu'est-ce qu'une minute est longue lorsqu'on improvise !

—Vous savez, c'est la première fois que je me rends à un bal.

—C'est une tradition à Saint Seiros.

Je m'attendais à ce qu'il s'arrête là pour continuer son étroite surveillance qui ne laissait rien passer (sauf Claude qui venait de verser sa seconde fiole sourire aux lèvres). Mais son visage se dérida soudain voyant qu'il captait mon attention. Un miracle puisque je rêvassais en cours.

—Le bal de l'hiver fait référence au bal de la Lune des Etoiles. Il était célébré tous les hivers il y a plusieurs siècles de cela.

—Saint Seiros existe depuis si longtemps ?

Comme quoi, quand je disais qu'Essar enseignait déjà à la préhistoire, je n'avais qu'à moitié tort.

—Bien-sûr. Saint Seiros est la plus ancienne académie du pays. C'était auparavant un monastère appelé Garreg-Mach. En des temps très anciens, on y apprenait l'art et la manière de régner. L'on y formait de très grands dirigeants.

Là, il m'avait perdu, mais les cours d'histoires n'étaient pas vraiment ma tasse de thé alors rien de surprenant à cela.

—Pourquoi ne pas avoir conservé ce nom, alors ? Le bal de la Lune des Etoiles. Je trouve cela plus original, plus authentique, que le bal de l'hiver.

—Eh bien, pour une fois, je suis d'accord avec vous, Eisner.

Je crû rêver car ses lèvres pincées décrivirent un sourire. Les prémices d'un sourire, en tout cas.

—Certains élèves se sont mis d'accord pour dire que ce n'était pas assez moderne. L'académie s'est donc adaptée. Nous prenons en compte les considérations et l'avis de nos élèves. Le bal de la Lune des Etoiles célébrait la fin d'un cycle, et le début d'un autre. C'était l'occasion pour l'ensemble des étudiants et professeurs de se retrouver afin de faire de cette Lune la plus somptueuse de toutes.

—Vous en parlez comme si vous y étiez, Professeur.

—J'aurais aimé voir cela, mais au risque de vous décevoir, je ne suis pas si âgé.

—Byleth ! entendis-je. Tiens, voilà ton verre ! J'en ai pris un deuxième pour ta cavalière aussi !

Claude arriva. Claude le fabuleux. Claude le victorieux. Un véritable conquérant et un très fin stratège si l'on avait été à cette époque à la fois mystique et curieuse dont me parlais Seteth.

—Vous devriez aller vous amuser. Vous n'en aurez guère le temps après ce soir avec les examens qui se dérouleront à la rentrée.

J'étais surprise. Choquée. Derrière les traits figés du bonhomme se trouvait peut-être un véritable être vivant. Avec un cœur, des sentiments. De la chaire, et du sang ! De quoi me faire changer d'avis sur cette école si cela avait été seulement possible.

—Il y a de l'alcool dans son verre ? demandai-je à l'attention du jeune homme une fois le champ de surveillance de Cichol franchi.

—Bien-sûr qu'il y en a ! Tu n'as pas envie de voir se soulever sa robe ?

—Pas en pareilles circonstances.

—Mais tu ne dirais pas non !

Pas plus qu'il dirait non devant le service trois pièces de Dimitri s'il l'exposait devant lui mais pour ma part je ne prenais pas mes désirs pour la réalité. Celle-ci était tout autre. Moins excitante, plus agaçante. Dans la foultitude de petits bourges et quelques boursiers (il faut bien parler des boursiers : ils existent) j'avais perdu de vue nos camarades qui s'étaient certainement éparpillés. Je dû donc me jeter à corps perdu, armée d'un verre dans chaque main, dans cette masse gesticulante afin d'espérer retrouver Edelgard avant que quelqu'un d'autre ne la trouve avant moi. Je n'étais pas une idiote : qu'elle vienne accompagnée n'empêcherait pas certaines personnes de l'inviter à danser. En quelques minutes (plutôt quelques secondes) même Claude avait été avalé par le raz-de-marée humain.

C'était une invasion. Garreg-Mach était attaqué de tous côtés. La piste de danse s'était changé en un vaste champ de bataille duquel je n'étais pas sûre de pouvoir ressortir vivante ainsi qu'avec mes deux verres pleins. Je crus bon d'avaler une gorgée du mien pour ne pas perdre une seule goutte (cette excuse est ridicule je l'admets). Une grosse gorgée fruitée qui ne tarda pas à éveiller mes papilles pour aller incendier mon cerveau. J'avais très peu mangé aujourd'hui, dégoutée par les nombreuses heures passée à éplucher des patates, alors l'alcool, même en petite quantité, eut rapidement cet effet incroyable : décupler un agacement déjà palpable. J'esquivai le postérieur de quelques intrus dans ma sphère privée (et manquait de me rétamer au passage) et pensai au fait que finalement le lieu du bal n'était pas si incohérent. Shamir et Catherine pourraient se targuer de nous voir faire du sport. Après un moment (pénible vous vous en doutez) je réussi à m'extraire de ce rassemblement.

—Byleth ! Ma chère enfant !

Devinez sur qui je suis tombée, ce soir-là.

—Tante Rhea ? m'étonnai-je avant de baisser d'un demi ton.

Les murs ont des oreilles vous savez, même si avec la musique il aurait été difficile de capter une bribe de notre conversation.

—J'ignorais que tu serais là !

Au final, c'était plutôt logique. Je la voyais comme ma tante, mais c'était surtout la directrice. Elle portait une robe plus que somptueuse, blanche avec des dorures, ainsi qu'une cape de velours bleue sur laquelle cascadaient ses longs cheveux de Jade. Elle aurait pu se marier dans pareil appareil, mais j'ignorais tout de la vie amoureuse de ma tante. De quoi attirer l'attention de toutes et tous ce soir là : une raison de ne pas m'attarder.

—Je suis heureuse de te voir ici. Je ne pensais pas que tu viendrais, ce genre d'évènement ne te ressemble pas.

—C'est une très longue histoire, mais je te la raconterai plus tard si tu veux bien, je cherche…

—Edelgard ?

J'hochai la tête. Aux yeux de Rhea j'étais la petite amie de la blanche. Je me demande cependant aujourd'hui si elle y croyait vraiment. Une femme aussi intelligente ne se faisait pas si facilement avoir (pas comme les élèves ou Manuela). Mais, je ne lui ai jamais tout raconté, et encore moins expliqué. Ce que je vous raconte, à vous seulement, est resté très longtemps privé. Voyez ça comme un privilège, ou quelque chose comme ça.

—Je crois que je l'ai aperçue il y a quelques minutes.

Ce qui, dans pareille situation, représentait toute une éternité.

—Elle discutait avec le jeune Aegir.

—Ferdinand ?

Ma question était conne (comme beaucoup jusqu'ici) puisqu'il n'y avait qu'un seul Aegir qui étudiait dans ce bahut.

—Je file, j'ai une cavalière à trouver ! A plus tard, madame la directrice !

Je lui avais quand même souris.