Lorsque l'on est en couple, beaucoup de défauts se révèlent. Bien-sûr, l'on se découvre aussi beaucoup de qualités. Mais dans mon cas, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus flagrant. Certaines dansaient comme dansaient les élèves sur la piste ce soir-là. Une valse somme toute dangereuse.
Trouver Edelgard n'aurait pas dû être si compliqué, mais vous vous souvenez du thème de la soirée ? Ses cheveux auraient pu se mêler avec n'importe quel élément du décor, alors, quitte à chercher j'optai pour une stratégie plus réfléchie. J'étais certaine que la chevelure de Ferdinand serait plus aisée à repérer puisque lui se fondait plutôt dans le thème d'Halloween que celui de l'hiver. Il était roux (et possédait une âme). Le plan porta ses fruits (et moi mes verres) puisque le garçon n'était finalement pas très loin en compagnie de ma petite-amie, un sourire charmeur sur les lèvres. Une sensation (peu inédite) pris place en moi, que je nommerai « Jalousie ». Et Jalousie n'était vraiment pas contente croyez-moi. Elle alla très rapidement chercher sa plus fidèle amie : Possessivité, aussi rapidement que moi me dirigeai vers le duo. La pensée qui se dérobait quelques secondes plus tôt était là : de loin, ils auraient pu former un couple. Un vrai couple. Pas une mascarade élaborée par une jeune femme qui avait assez de soucis à gérer dans sa vie. Je me fis donc violence afin de rester calme en approchant sûrement.
—El ! Je t'ai cherché partout !
Je lui tendis son verre en prenant soin d'assassiner le jeune homme d'un regard particulièrement froid. N'importe qui aurait compris qu'il voulait dire « dégage » mais Ferdinand était aussi naïf que son père était partiellement chauve (et gras : pas partiellement). Il ne bougea point, dans son élégant costume apprêté d'un petit mouchoir blanc plié convenablement dans sa poche.
—Ai-je interrompu quelque chose ?
Sa présence me toisait.
—Je te prie de m'excuser. Nous reprendrons cette conversation plus tard si tu veux bien.
—Bien-sûr. Je te souhaite une agréable soirée, Edelgard.
Tellement pédant, pour ne rien arranger. J'attendis sagement qu'il s'éloigne, un autre effort de ma part.
—De quoi vous parliez ?
—Rien d'intéressant. Des affaires de mon père ainsi que du sien.
Pourquoi était-elle soudain sérieuse, alors ? Plus que d'habitude je veux dire. Sa posture était moins détendue qu'à notre arrivée au bal.
—Est-ce que tout va bien ? m'enquis-je alors. Ah, Claude a mis de l'alcool dans ton verre, au fait. Tu devrais boire lentement.
Alcool ou non, les bourgeois vidaient toujours lentement leurs verres. Le mien était déjà quasiment vide. Un contraste flagrant entre nos deux éducations.
—Je pense qu'un verre ne me fera aucun mal, et j'apprécie ta sollicitude. Tu n'as pas à t'inquiéter.
« Je maitrise la situation » dégageait-elle.
—D'accord.
Si j'avais eu ma guitare… J'aurais joué un accord.
—Est-ce que tu veux danser ?
Ma question sembla la laisser sur le cul. Pour le dire de manière plus raffinée : ma demande éveilla en elle une curiosité qui éclaircit son regard.
—Quoi ? J'ai quelque chose sur le visage ?
—Non, ton visage est parfait.
Je levai sur elle un sourcil interrogateur, et la laissai boire quelques gorgées avant de saisir son verre que je posai sur une table (qu'elle ne termina jamais). J'ignore si je l'ai fait pour elle, ou bien pour moi. Ou bien pour seulement éviter que d'autres le fassent. Je pense que c'est un tout. Mais, nous étions à un bal, qu'y avait-il de mal à danser ?
—Viens.
Je l'entraînai au cœur du ras de marée humain et posai une main sur sa hanche (après une seconde d'hésitation quand même). La musique était encore lente et douce (loin de l'ambiance que The Holy Rock of Faerghus allait mettre peu de temps après pour déchainer la foule) et propice au rapprochement.
—J'ignorai que tu savais danser. Non, en fait je suis consternée !
—Même les rustres savent danser. Tu ne sors jamais de chez toi ?
—Tu cherches à rééquilibrer les scores ?
—Possible.
—Comment as-tu réussi à me cacher cela ?
—Tu voulais que je te fasse un saut de chat entre deux confidences de Marivaux peut-être ?
—Parce que tu sais faire ça ?
—Absolument pas, cependant…
Je pris ses doigts, et passait sa main au dessus de sa tête pour la faire pivoter. J'avais encore un peu mal au poignet mais ce n'était qu'un petit détail vu la satisfaction que cela m'apporta. Son dos n'eut d'autre choix que de se plaquer contre moi et mon bras glissa autour de sa taille, et ma bouche tout près de son oreille.
—Je sais faire ça, chuchotai-je chaudement. Je me débrouille pas trop mal, non ?
Elle répondit par un murmure d'assentiment. Cette promiscuité me rendait presque entièrement aveugle. Mon champ de vision se résumait à elle.
—Byleth. La directrice nous observe.
—Ignore-la.
Je fis de nouveau pivoter Edelgard et ses cheveux se soulevèrent pour en effet laisser apparaitre entre quelques mèches immaculées le regard de Jade de ma tante.
—Elle souhaite seulement me protéger.
Le corps d'Edelgard se raidit une seconde contre le mien. Peut-être que la seule évocation de ma tante lui rappelait ce qui était arrivé dans ma cuisine. A ce moment là, c'était mon seul raisonnement possible. J'avais tort, vous comprendrez plus tard pourquoi.
—A-t-elle des raisons de le faire ?
—J'aimerais te répondre que non, mais je ne souhaite pas te mentir.
Pas alors que son regard me caressait presque avec douceur. Pas alors qu'elle n'avait d'yeux que pour moi. Pas à ce moment là.
—Tu sais, mon expulsion. Je ne t'ai jamais vraiment expliqué pourquoi j'avais fait ça.
—Et tu n'es pas obligée de te sentir obligée de le faire.
—Non, et c'est pour ça que j'y tiens.
Je pris une grande inspiration, fis pivoter une nouvelle fois ma cavalière pour m'approcher au plus près de son oreille, là où mes murmures ne pouvaient atteindre qu'elle. Je respirais au plus près de sa peau : elle sentait tellement bon, et avait pour l'occasion ajouté une touche de parfum. Vous savez, l'odeur d'une femme suffit parfois à tomber sous son charme.
—Je suis une personne impulsive, je ne t'apprends rien. En fait, c'est même plutôt un euphémisme. Mais je ne m'énerve jamais sans raison.
—C'est ce que disent toutes les personnes qui s'énervent tu sais.
—Tu ne m'aides pas.
—Excuse-moi. Continue je t'en prie.
Ce qui aurait dû être une discussion sérieuse (et privée) prit une légèreté plus agréable.
—Rhea a peur que je cède de nouveau à la colère. Si une telle chose arrivait même elle ne pourrait rien faire pour moi.
Edelgard pivota une dernière fois et je la serrai contre moi pour enfouir mon visage dans ses longueurs de neige. Elles étaient attachées par un unique ruban mauve qui les retenait en arrière.
—Mais je pense que cette conversation devrait avoir lieu dans un endroit plus intime. Loin du regard de ma tante qui ne s'attendait pas à me voir ici ce soir.
—Eh bien, pour être honnête, c'était aussi mon cas.
—Et risquer qu'autre que moi te propose de danser ?
—Dit celle qui n'a même pas osé m'inviter ?
—Je veux bien t'accorder un point pour mon manque de courage.
Même si son invitation à elle était plus ou moins semblable à un ordre.
—Je n'aime pas te voir proche d'autres personnes…
Cette pensée m'avait échappée. Pensée qui ressemblait moins à une pensée qu'à des aveux de ma part.
—Byleth…
Les éclairages se mirent à palpiter dans tous les sens et la musique se chargea d'une tension spectaculaire qui attira mon attention, ainsi que celle d'Edelgard. Le point, cette fois, allait pour Ingrid et son groupe et j'espérais qu'ils mettent assez le feu sur scène pour estomper mes dernières paroles.
—Est-ce que vous êtes tous prêt, Saint Seiros ?! hurla Sylvain et sa crinière de flamme. Parce que nous, oui !
Son bras balaya l'air et les caissons sonores firent vibrer le sol sous nos pieds. Dorothea était devant la scène : admirative.
—J'aimerais fumer une cigarette. Tu m'accompagnes ?
—Tu as fait l'effort de venir. Je peux faire celui-ci.
J'avais une idée très précise d'où je souhaitais l'emmener. Pas vous ?
