Vous vous souvenez de ce moment durant lequel Edelgard m'a dit qu'elle dégagerait du temps pour s'assurer que je ne délaisse pas trop mes révisions ? C'était il y a un chapitre seulement. En tout cas, ce n'était pas comme si mes fiches de cours (celles qui étaient lisibles) risquaient de s'ennuyer sans moi. Ou comme si moi risquais d'oublier qu'il y avait d'importants examens à la rentrée du second semestre (et une grosse mise à jour dans mon jeu). J'en rêvais déjà la nuit (et la journée lorsque je me laissais aller à la sieste) alors je n'avais pas besoin d'une pression supplémentaire. Certes, Edelgard était une jeune femme qui se sentait concernée (trop si vous voulez mon avis mais tant que je parle d'elle cela vous importe certainement peu) mais c'était aussi un véritable bourreau du travail. Une leçon mal apprise et vous aviez la tête sur le billot. Pas une seule journée ne se passait sans que je ne reçoive au moins un message de sa part pour faire le point sur mon avancée. Vous vous demandez certainement pourquoi je me plains – recevoir un message de son crush devrait toujours faire plaisir – sauf que répondre « J'ai atteint les quatre-vingt pourcents d'exploration dans les Monts Dosdragons et j'ai ouverts plus de quatre-cent coffre ! » n'était pas le genre de réponse que je pouvais lui donner. J'aimais toutefois le risque (n'oubliez pas que j'étais tombée amoureuse d'elle), et plus pour m'amuser que pour la provoquer (mais pour la titiller quand même), c'est ce que j'avais finis par faire.
—Byleth, est-ce que tu m'écoutes au moins ?!
Et elle, avait finit par débarquer.
—J'espérais que tu te lasses.
Et les révisions ressemblaient plus à de vaines négociations par temps de guerre qu'à de simples postulats mathématiques et littéraires. Une ambiance loin, très loin, de celle du bal. S'il neigeait ce soir là, il pleuvait maintenant des grêlons de la taille de balles de tennis. C'est une façon de parler bien-sûr. Je ne peux pas vous dire qu'elle me cassait seulement les couilles. Et encore moins lui dire à elle : je n'étais pas suicidaire.
—Tu pourrais au moins faire un effort !
—Ca fait au moins dix fois que tu me répètes ça ! Puisque je te dis que je suis fatiguée !
—Tu serais moins fatiguée si tu passais plus de temps sur tes cours et moins sur tes jeux-vidéos.
Les jeux-vidéos n'avaient rien à voir là-dedans. Ils n'étaient pas les seuls coupables du moins. Pour tout vous dire, entre le moment où Edelgard avait décidé de venir, et le moment où elle était arrivée, j'avais reçu un appel de mon père. Son vol avait été annulé. Mais ça, madame Jesaistout l'ignorait et je n'avais aucunement l'intention de lui dire. J'étais tendue de fait. Tendue et contrariée. Et son insistance changeait mes pensées en braises.
—Par tous les Saints, pourquoi suis-je venue ?
—C'est à moi de te poser la question. Je t'avais dit que ce n'était pas nécessaire. Je ne suis pas une enfant.
—Non, même un enfant ferait plus d'efforts que toi s'il en comprenait les enjeux.
—Tu n'as jamais dû croiser beaucoup d'enfants pour dire ça.
—J'en ai une devant les yeux au moment même où je parle pourtant !
Et ce que j'ignorais moi mais que je sus bien plus tard seulement, était qu'elle-même avait passé une très mauvaise matinée en compagnie d'un père bien trop autoritaire (la pomme ne tombe jamais très loin de l'arbre). De fait, la patience n'était plus ce qui la caractérisait de prime abord.
—Les vacances viennent à peine de commencer, pourquoi tu ne me lâches pas la grappe juste deux secondes ?
—Parce que c'est moi qui devra faire en sorte que tout ce retard accumulé ne joue pas sur tes notes.
Et car elle n'aurait pas le temps de le faire, surtout.
—Je ne t'ai rien demandé, à ce que je sache.
Edelgard était sur la défensive. Je m'attendais à ce qu'elle me lâche quelque chose sur le marché qu'elle et moi avions passé. Sinon, pour quelle autre raison serait-elle venue jusqu'ici ? Pas pour s'en prendre à moi : ça n'amusait personne.
—Par moment, je me demande si tu t'inquiètes vraiment pour moi, ou bien seulement pour l'apparence que tu donnes en sortant avec une abrutie finie qui n'obtient pas un A dans toutes les matières.
Le dernier baiser qu'elle et moi avions partagé me semblait tellement loin, ce n'était plus qu'un linceul de poussière dans l'immensité de mes souvenirs. Même Essar semblait plus frais, c'est dire. C'était à se demander si ce moment avait réellement existé car la jeune femme qui se trouvait devant moi n'avait plus rien de celle qui s'était fait du souci de la même manière que je n'avais plus rien de la veuve éplorée malmenée par les battements de son cœur (pour vous exagérer la chose). La clef du bonheur avait été égarée entre quelque part et ailleurs de la même façon qu'on égare systématiquement une chaussette de chaque paire ou un doudou dans son lit. La serrure était rouillée, au moins autant qu'Edelgard était entêtée et butée.
—Je pense que ton problèmes, ton vrai problème, c'est que tu n'y mets pas du tient.
Avais-je jusqu'ici mentionné que j'avais un quelconque problème ? J'en avais, mais pas celui-là.
—Tu te complais à fournir le minimum syndical en espérant t'en sortir à chaque fois. Cela marchait peut-être jusqu'ici, mais à Saint Seiros, c'est différent.
Oui, tout était différent à Saint Seiros, même une abrutie finie comme moi – ce qu'elle semblait penser – pouvait l'affirmer. Mais ses mots étaient aussi durs qu'il était difficile pour moi de seulement lire le contenu de cette myriade de feuilles étalées devant moi. Des fiches de révisions et cours auxquels je ne pipais plus rien : dés que je lisais une phrase la précédente s'effaçait aussitôt.
—Pourquoi ne dis-tu rien ?
Le silence : la base de la survie.
—C'est vrai. Ca l'était. Au début.
—Et maintenant ?
La base de la survie, particulièrement avec elle.
—Réponds-moi.
Mais les bases suffisaient-elles ?
—Maintenant, j'apprécie seulement passer du temps avec toi.
Une étincelle d'intérêt s'alluma dans son regard. De son air contrarié il ne restait qu'une vague expression d'agacement qui rendait mes pensées plus opaques.
—On sort ensemble, c'est donc normal que je te consacre du temps.
—C'est bien le problème. Moi, je ne me force pas.
Je pris un air contrit. De sa bouche s'évapora un murmure froissé.
—Je t'avais proposé de t'aider avant tout ça. Ca ne me gêne pas de te rendre service.
L'éventail de non-dits menait toujours à ce genre de conversation barbante au possible. Je secouai la tête avec lassitude avant de me lever de ma chaise.
—Laisse tomber. Ca n'a aucune importance.
—Où est-ce que tu comptes aller comme ça ?!
—N'importe où du moment que c'est loin de tout ça.
Tout ça, ce n'était pas seulement les révisions. C'était aussi loin d'elle. Elle me retint par le bras, une chaleur fugace qui me poussait encore plus à appliquer ce conseil que je m'étais donnée. Elle était bien décidée à forer un trou dans mon crâne. Si j'avais su à quel point c'était compliqué de vivre dans l'orbite de quelqu'un, je me serais bien passée de lui répondre « oui ».
—Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
—Quoi ? Pas d'attachement, tu te souviens ?
Mes lèvres s'agitaient de tressaillements nerveux. Réfléchir était comme respirer l'oxygène près d'une flamme.
—J'en ai marre de réviser. Je m'en vais.
J'attrapai mes clefs dans le même geste mécanique et quotidien que je répétais tous les jours après m'être préparée le matin.
—Fort bien, vas-y !
Puis me dirigeai vers la porte avant de réaliser que j'étais chez moi et stupide par la même occasion. Je n'osais même pas me retourner pour en admirer la véracité. Vous savez quel était le véritable problème ? Avec elle, dés que je faisais un pas en avant il était suivi de deux pas en arrière. Quand je ne trébuchais pas dés que je faisais un mouvement puisqu'avec elle c'était comme marcher en permanence sur des œufs (et les écraser à coup sûr pour en faire une omelette avec bien trop de coquilles pour la qualifier de mangeable). Je ne saurais même plus vous dire combien de temps j'ai préféré faire face à cette porte close plutôt que risquer dire quelque chose que j'aurais pu regretter. Longtemps, c'est sûr.
