J'attends chaque année Noël avec beaucoup d'impatience. Les décorations chaleureuses et aussi lumineuses. L'odeur des confiseries, du pain d'épice, et du bois qui crépite dans la cheminée (lorsqu'on en possède une ce qui n'était pas mon cas). Celle du sapin qui clignote, décoré pour certains en balançant au hasard boules et guirlandes. Cette année là, cependant, je pensais qu'il serait vraiment à chier. L'année finirait de la même manière qu'elle avait démarrée : mal.
Mon père ne serait pas là, alors à quoi bon m'acharner ? J'avais cependant acheté un petit sapin que je m'étais appliquée à décoré de rouge et blanc. J'avais disposé quelques cadeaux que je m'étais faite à moi-même incertaine qu'il y en aurait d'autres ici ou là. Mon appartement avait plus de joie de vivre que je n'avais été capable d'en éprouver au cours des derniers jours mais que voulez-vous : si je n'avais pas fait cet effort ma tante m'aurait forcée à réveillonner chez elle et c'était encore pire que de ne pas réveillonner du tout. Je n'étais pas d'humeur à faire la fête mais malheureusement cette dernière en avait décidée autrement : elle serait là ce soir. Vous vous imaginez bien qu'elle ne m'aurait jamais laissée seule devant ma télévision avec un bol de céréales pour cette formidable occasion qu'était le réveillon. J'avais préparé quelques biscuits. Pas en forme de rennes mais de lapins puisque je m'étais acheté des moules rappelez-vous. Avec une et parfois deux oreilles cassées certains ne ressemblaient pas à grand-chose. A l'image de la pâtissière en devenir que j'étais. Pour le feu de cheminée j'avais improvisé un fond visuel et sonore proposé par une plateforme de streaming, projeté à la télé.
Lorsqu'on frappa à la porte, j'ouvris avec autant d'élégance que Rudolphe dans mon pull de Noël. Rhea quant à elle était somptueuse – elle l'était toujours – dans sa robe blanche. J'imaginai une seconde la quantité de poudre blanchissante à chaque lessive qu'elle devait faire. Elle n'aurait jamais porté un pull hideux, elle. Oh non jamais !
—J'espère ne pas être arrivée trop tôt.
—C'est pas comme si tu risquais de déranger qui que ce soit de toute façon, maugréai-je t'un ton las.
—Je suis certaine que ton père regrette de ne pas être là.
—Tu ne vas quand même pas prendre sa défense ? Il n'avait qu'à prendre ses dispositions, Noël c'est pas tous les jours de l'année !
Vous l'aurez devinez mais j'étais plutôt amère. Une réaction somme toute injuste puisque ce n'était pas vraiment de sa faute si son vol avait été annulé. C'était à cause des intempéries. J'espérais quand même qu'il puisse embarquer dans un autre dés que possible et le connaissant, il devait camper à l'aéroport depuis des heures et y passerait le réveillon ainsi que le jour de l'an s'il le fallait. C'était le genre d'individu capable de se glisser dans la soute à bagage.
—Il fait de son mieux pour que tu puisses vivre convenablement, puisqu'il a refusé mon aide.
Le dragon montrait son vrai visage. Ca m'étonnait moi aussi. Elle changea toutefois rapidement de sujet.
—Le Père Noël t'as pris un petit quelque chose, regarde !
Le petit paquet de forme rectangulaire décoré de sucre d'orges masqua une grande partie de son sourire quand elle me le montra fièrement. J'avais parfois l'impression qu'elle était convaincue que j'avais encore douze ans mais je n'allais pas refuser un cadeau. Il devait couter cher : elle avait les moyens.
—Tu n'étais pas obligée, tante Rhea.
Vraiment pas obligée, me répétais-je.
—C'est un jeux-vidéo ?
Ca en avait la forme.
—Je ne vais pas gâcher la surprise !
—Je suis sûre que c'est ça !
Bon, d'accord, je vous accorde que je ressemblais à une enfant de douze ans lorsque je recevais un cadeau. Un cadeau qui n'avait pas du tout la forme d'une tapette à mouches ou d'une louche à beignets.
—J'espère que tu ne l'avais pas, il y en avait beaucoup dans l'immense bâtisse.
Comprenez le centre commercial qui avait ouvert quelques mois auparavant seulement. Véritable caverne d'Ali Baba et pompe à fric par la même occasion. Ce genre d'endroit me changeait en pigeon bizet.
—Ca parle des aventures d'un certain Pegi Eigtheen.
J'eus envie de me tordre de rire mais je respectais trop Rhea pour le faire. C'était une femme intelligente, brillante, mais concernant les jeux-vidéos : elle n'y connaissait rien. Véritable néophyte en somme. Je m'apprêtais à enfourner un énième biscuit dans ma bouche (j'en avais fait beaucoup histoire de ne pas crever de faim les jours à venir) mais quelques coups retentirent à la porte. Rhea leva un sourcil aussi perplexe que curieux.
—J'ose espérer que tu n'as pas commandé des pizzas pour le réveillon.
Et sévère aussi. Lorsqu'il s'agissait de nourriture, elle était encore plus intransigeante qu'avec les résultats scolaire (j'avais fait mes courses à Picard de fait pour être certaine de m'attribuer un A pour le repas).
—Non. Peut-être que le voisin a encore égaré son hamster ?
Devinez qui j'avais retrouvé dans mon tiroir de boxer. Un hurlement strident qui avait réveillé tout l'immeuble ce jour-là échappé allègrement de ma bouche. Je n'avais pas peur des petits rongeurs de ce genre mais celui-ci avait fait un nid dans ma commode. Une anecdote que je prendrais plaisir à raconter si ça n'avait pas été avec mes sous-vêtements les plus couteux. J'allai ouvrir en espérant que ce soit tout sauf ça.
—Bonsoir !
Ce n'était pas le voisin hélas, le hamster sûrement toujours à effectuer des tours dans sa roue telle une centrifugeuse.
J'écarquillai les yeux et restai très pensive devant la paire d'yeux malachites. Mon regard détailla lentement Dorothea avant d'en faire autant sur sa camarade : une expression hagarde fendait presque mon visage en deux.
—Est-ce que tu nous invites à entrer ou bien tu comptes faire le pied de grue quelques minutes encore ?
—Ha. Désolée. Vous pouvez entrer.
Les renvoyer chez elles avec les vingt-centimètres de neige dans les rues n'aurait pas été correct même si, de vous à moi, j'imaginais mal que le chauffeur d'Edelgard les ait laissées marcher en bottine dans l'épaisse couche de neige pour venir jusqu'ici. Mais j'imaginais encore moins qu'elles soient vraiment venues puisque je ne me souvenais pas avoir envoyé une quelconque invitation. Je les fis entrer avant de risquer l'apoplexie.
—C'est tout à fait charmant ici ! Comme ça sent bon !
C'était la première fois que Dorothea – contrairement à son amie – découvrait mon appartement. Il n'était pas très grand, elle prit donc instinctivement le chemin de la cuisine pour aller – j'imagine – déposer ce que contenait le sac qu'elle portait et qui semblait contenir quelques boissons (et une boite de chocolat je devinais par la forme).
—Ho. Madame la Directrice ? Bonsoir !
J'avais oublié la présence de ma tante qui mettait quelques feuilletés au four pendant que j'accueillais mes invités.
—Dorothea et Edelgard ? Quelle chaleureuse surprise !
Si on oubliait le froid glacial installé entre Edelgard et moi depuis plusieurs jours.
—Je craignais que Byleth ne reste seule pour le réveillon, mais elle est en fait en excellente compagnie !
Et Dorothea était étrangement plus qu'à l'aise. Elle n'avait aucun mal à faire la conversation à ma tante, peut-être espérait-elle gratter quelques points sur ses notes ? Une peine perdue, si vous connaissiez Rhea comme moi je la connais.
—Madame la Directrice, la salua la plus petite d'entre nous. Je vous remercie de nous accueillir ce soir.
—Puisque c'est une occasion particulière, je vous permets de m'appeler Rhea.
Chose que je n'imaginais pas du tout, et si Dorothea se le permis à plus d'une reprise ensuite, ce ne fut pas le cas d'Edelgard qui cessa tout simplement de la nommer.
—Ces biscuits sont si mignons !
—N'est-ce pas ? souriait ma tante.
—Edie ! Regarde !
—Très mignon. En effet.
—Si j'avais sus que vous veniez, j'aurais pris plus de choses à manger.
—Pas d'inquiétude ! Nous ne sommes pas venues les mains vides. Nous avons du chocolat, des petits toasts tout préparés, ainsi que deux bouteilles de…
Je me raclai la gorge bruyamment.
—De jus de raisin fermenté ! N'est-ce pas merveilleux ?!
Je pris mon visage à deux mains. Je devais me retenir de la tuer.
—Oh vous n'avez aucune inquiétude à avoir, Rhea ! Un chauffeur passe nous prendre tous les trois un peu plus tard ! Voyez comme nous sommes de jeunes élèves responsables !
« N'est-ce pas merveilleux ? » entendis-je dans ma tête.
—Comment ça, vous trois ?
Mais personne n'eut le temps de répondre puisqu'on frappait – encore – à la porte.
—Faites que ce soit le hamster, je vous en supplie…
—J'ignorais qu'un hamster était capable de ce genre de prouesse ! Comme ces petits mammifères sont étonnants !
Pas autant qu'elle hélas. Si une telle chose était possible, ils feraient tous des petits tours de roues en rythme sur Carols of the Bells. J'allai quand même ouvrir : je n'avais guère le choix. A reculons toutefois.
—Bien le bonsoir chers camarades ! Regardez ce que le Père Noël apporte cette année !
Inutile de préciser qui avait frappé à la porte : c'est lui que j'avais envie de frapper. Il secoua un sac rempli de bières avec autant de satisfaction que j'étais consternée.
—Directrice ?
—Du jus d'orge et de houblon ! s'écria une Dorothea très en forme ce soir.
Pas de panique, me fis-je. Nous allions tous nous asseoir et discuter de manière pacifique. Tout irait bien, personne ne perdrait la vie ce soir. Enfin, peut-être qu'il y aurait quelques survivants osais-je espérer.
—Tu peux m'expliquer c'est quoi cette horreur ?
—Comment peux-tu qualifier ainsi mon beau visage, Byleth ? Tu me fends le cœur !
Je parlais de son pull avant tout, tout en me demandant comment Claude avait-il eu la désastreuse idée d'en imprimer un à l'effigie de Cichol portant un bonnet de Noël sur la tête. Désastreuse mais pourtant de génie si Rhea n'avait pas été présente ce soir-là.
