—Byleth, pourrais-tu m'indiquer où tu ranges le café ?

Le café aux aromes généreux, souvenez-vous. Je ne comptais même plus combien de litres on en avait descendus en quelques heures seulement. Je n'étais pas certaine de pouvoir fermer les yeux ce soir (ce qui la veille d'un examen n'était pas rassurant) mais voila, je n'avais pas le choix si je voulais rester éveillée malgré la multitude de fiches de révisions qu'Edelgard avait préparées juste pour moi et que je devais apprendre par cœur.

—Dans le placard, en haut à gauche.

L'attention était là, et vu la précision et le soin apportés aux petites (et nombreuses, trop) fiches, elle avait du passer beaucoup de temps dessus. Je me devais donc d'au moins toutes les lire, et de retenir l'essentiel. Il y avait même des schémas et c'était bien plus parlant.

—Tu t'en sors ?

Je me permis une œillade vers la cuisine, puis soupirai avant de sourire (pour ne pas me moquer). Je me levai et retrouvai une Edelgard perchée sur la pointe de ses petits pieds. J'attrapai donc le café à sa place.

—Tu devrais ranger ça dans un endroit facile d'accès.

—C'est un endroit facile d'accès.

Son regard tira une balle qui se logea entre mes deux yeux. « PAF » aurais-je presque pu entendre.

—J'ai rien dit.

Je mis le café à couler et retournai m'installer dans le canapé du salon. Il me restait tant à apprendre. J'en avais fini avec les mathématiques, ce que j'appréhendais le plus était l'analyse littéraire : une belle branlette verbale mais tout aussi intellectuelle, trouvais-je. Grace aux jeux vidéos, et à quelques lectures sur le net, je me débrouillais assez en anglais pour rafler au moins un honorable B, et pour l'histoire et la géographie il s'agissait seulement de par-cœur (c'était bien là toute la nature du problème car mon cerveau était déjà saturé d'informations en tout genre). Bref, à ce rythme c'est la nuit blanche qui m'attendait (et avec le café il y avait de quoi le penser sérieusement). La nuit tombait déjà.

—Tu devrais rentrer chez toi, El. Il est déjà tard.

—Pas avant qu'on ne termine. Je t'ai dit que je t'aiderais et je tiens toujours mes engagements.

—Tu m'as déjà beaucoup aidé.

Je pris une petite fiche que j'agitais devant ses yeux.

—Pose-moi ça et relis plutôt celle-là.

—J'en ai marre de l'histoire !

—Alors… Celle-ci ?

—Je n'en peux plus de la géographie !

—Il y a quelque chose que ton cerveau est encore capable d'imprimer ?

—Eh…

Je ressemblais à une ado décérébrée (sans la bave qui s'écoule de la bouche) mais croyez-moi, je n'en pouvais vraiment plus. Vous avez déjà passé huit heures à réviser ? Si oui, vous devez savoir dans quel état se trouvaient ma matière grise et mes quelques neurones encore disposés à plus ou moins fonctionner.

—Fais un dernier effort, il ne reste plus grand-chose.

Mais réfléchir c'était comme tenter d'apercevoir l'horizon dans un paysage recouvert d'une épaisse purée de pois. Plus aucun rayon de soleil ne galvanisait l'intérieur de mon crâne.

—Plus grand-chose ? Tu déconnes ! Il y a encore… une… deux… trois… sept…

Huit, neuf, dix, onze… Vous savez comptez donc je m'arrête ici.

—Putain, beaucoup trop encore !

Le dossier du canapé avala mon dos et les coussins mes fesses. Une piètre tentative afin de disparaitre. Et vaine aussi.

—Celles-ci, tu les as déjà lues. Tu pourras jeter un coup d'œil avant les examens, ça devrait te revenir en mémoire. Concentre toi là où tu as quelques difficultés, afin d'avoir la moyenne, et sur ce que tu connais déjà pour palier à ces difficultés.

—Ca a l'air si facile pour toi. Dit-moi quel est ton secret. Je ne suis pas plus bête qu'une autre alors pourquoi c'est aussi dur ?

—La régularité ? suggéra-t-elle. Et puis, je ne somnole pas en cours.

—Je somnole seulement à ceux de Cichol.

Edelgard me dévisagea une seconde.

—Et à ceux d'Essar.

—Dis-moi plutôt dans lesquels tu n'es pas tentée de dormir ? La liste sera moins longue à faire.

—Eh bien…

—Je vois bien que tu fais de ton mieux, Byleth. Et je suis convaincue que tout ça va payer, tu ne crois pas ?

—Je ne sais plus vraiment. Mais je sais que si je m'endors à l'examen, je suis cuite.

—Tu penses que c'est facile pour moi, mais j'ai toujours eu une éducation très stricte. Ma scolarité est étudiée, décortiquée même. Être studieuse, c'est un peu comme une seconde nature.

—Une seconde nature ?

—Oui ? Tu ne vois pas ce que je veux dire ?

—Si. Mais je me demande quelle est ta première nature alors.

—Je ne pense pas que nous arriverons à avancer si tu essaies de me vexer.

Je levai les mains en signe d'excuses.

—Je ne voulais rien insinuer. C'est seulement que tu es toujours si sérieuse. Comme si ta vie se résumait à l'être.

—C'est un peu réducteur comme façon de voir les choses. Mais…

Je l'entendis soupirer lassement. Comme si l'oxygène sortait du plus profond d'elle-même. D'un endroit mis sous clef avant même qu'elle ne naisse.

—J'imagine qu'il y a une part de vrai.

—Est-ce que ça t'arrives de faire quelque chose que tu aimes ? Sans penser à tes notes, ou à ce que ton père attend de toi. Quelque chose que tu fais uniquement pour toi.

—Le dessin. La musique aussi, avant.

—Pourquoi avoir arrêté alors ?

—Par manque de temps. Entre les cours et les affaires familiales dans lesquelles mon père m'implique un peu plus chaque année, j'ai juste finis par arrêter.

—Comme c'est triste, soufflai-je sans réaliser que ça l'était vraiment pour elle.

—En effet.

Un excès de franchise (comme il y en avait peu) qui me fit de la peine. Oh oui, beaucoup de peine. De quoi me faire oublier tous mes soucis (des sentiments non partagés, pour ceux qui ne suivent pas).

—El. Je voulais m'excuser pour la dernière fois. Je ne voulais pas m'emporter contre toi.

—Je sais. Dorothea m'a expliqué.

J'avais expliqué à Dorothea. Pour mon père, Noël, enfin, vous voyez.

—J'avais aussi mes propres problèmes à gérer et j'ai manqué de patience. C'est oublié.

—Ouais, Dorothea m'a expliqué également.

—Ah oui ? Que t'a-t-elle raconté, au juste ?

—Oh, rien d'indiscret, seulement que tu étais tendue. Parce que ton père t'en demandait beaucoup. Ne lui en veux pas, Dorothea s'inquiète seulement pour toi. Et… hésitai-je. Moi aussi.

J'eus droit à un sourire, ce qui était agréable, puis à une expression résignée, ce qui l'était beaucoup moins. Vous savez ce que j'ai ressentis si vous aussi avez déjà au moins une fois rencontré une personne dont la vie ne fait que graviter autour de celle d'un autre. Autour de quelque chose de plus grand. La sienne vie était faite de nombreuses sujétions.

—Vous n'avez aucune raison de le faire. Je vais très bien.

—Si tu le dis.

—Mais… Merci de vous soucier de moi.

Mes joues prirent une teinte plus rose que celle habituelle. Il n'y avait rien d'incroyable dans ce que je venais d'entendre, c'était sa façon de le dire.

—Bon, je pense que cette fois tu devrais vraiment appeler ton chauffeur.

Je m'étais levée pour approcher d'une des fenêtres du salon.

—La neige commence à recouvrir toutes les routes, et la déneigeuse ne passera que tôt demain matin.

Edelgard prit le chemin sur lequel je l'avais précédé et me rejoignit pour tirer un peu plus le rideau. Elle colla presque son petit nez contre le carreau et de la buée se forma. Le froid régnait dehors. On pouvait presque le ressentir en se tenant juste là malgré le double vitrage qu'on avait fait poser.

—Mais, si tu veux, enfin je ne te force pas, c'est juste une proposition…

Je me grattai le crâne de longues secondes en mi mineur.

—Tu peux rester dormir ici.

Ses grands yeux parme s'illuminèrent de surprise. Encore une fois ne vous faites pas d'idées : il ne se passerait rien qu'il ne s'était déjà passé et certainement moins encore.

—Je peux te prêter un t-shirt. Et je prendrai le canapé.

—Je ne vais tout de même pas t'expulser de ton propre lit.

—Il est très confortable, j'ai des draps propres si tu doutes de mon hygiène.

Les rues allaient demeurer blanches jusqu'au petit matin, ma proposition n'était pas déconnante.

—Ca ira, je te remercie.

—Je te laisse appeler ton chauffeur, dans ce cas.

—Je parlais des draps, Byleth. Ainsi que du t-shirt, si ça ne te dérange pas.

Sa réponse me désarçonna. « Ci-git la volonté de Byleth » aurait pu précéder mon épitaphe si je décédais dans la nuit de savoir Edelgard dormir à côté.

—Ca ne me dérange pas.

Mais je devais me faire violence et ne pas hurler comme l'aurait fait une poissonnière. Ou comme Dorothea. Ou bien danser le jerk. La nature humaine est une plaie. Les sentiments aussi.