Comme n'importe quel individu doué d'un minimum de bon sens s'en serait douté (ne parlons point de capacités intellectuelles cela réduirait la liste de manière drastique) je n'arrivais toujours pas à dormir à minuit passé. Les coupables ? Mes habitudes, les fêtes (où l'on se couche généralement tard) et le café de surcroit. Le stress jouait certainement son rôle aussi : j'avais un examen de littérature à neuf heures pétantes dés le lendemain. Je roulais dans mon canapé fort confortable pourtant (et encore plus une fois déplié) une fois à droite, une fois à gauche, et je dressai mentalement la liste de toutes les positions qui se succédaient l'une après l'autre pour tenter d'apercevoir le sommeil, en vain. J'aurais pu tenter de dormir dans la chambre de mon père mais la décoration y était plutôt austère et le matelas plus dur qu'une épaisse couche de briques.
Il devait être un peu moins d'une heure du matin (six heures de dodo restantes) lorsque je sentis la volonté de mes paupières d'enfin demeurer closes mais un cri aigu transperça mes tympans et je me levai aussitôt pour approcher de la fenêtre. Ca ne venait pas de dehors : la rue était déserte, mais de ma chambre. J'allai frapper à la porte et me permis d'ouvrir sans attendre de réponse. L'inquiétude, sans doute. La pièce baignait dans la lumière tamisée de la lampe de chevet que j'allumais pour lire le soir. Edelgard s'était redressée dans mon lit, le souffle court.
—El ? Est-ce que tout va bien ?
Elle haletait même, alors j'approchai lentement d'elle avant de m'asseoir sur le rebord du lit.
—Excuse-moi de t'avoir réveillée…
—Est-ce que tu as fait un cauchemar ?
Son silence, éloquent, prit la parole et répondit à sa place.
—Est-ce que tu veux en parler ?
Toujours pas de réponse. Elle serrait fermement la couverture et j'aperçus pour la première fois ses mains complètement dénudées (elle portait toujours des gants à cette époque, fins, mais systématiquement). De nombreuses cicatrices étaient gravées sur sa peau claire. Edelgard remarqua l'attention que je portais à ses mains et tira un peu plus la couverture mais c'était inutile puisque même ses épaules (le t-shirt était grand et découvrait l'une d'elle jusqu'à la clavicule) se souvenaient d'un terrible moment. J'avais une hypothèse, mais je ne voulais pas la brusquer.
—El. Il n'y a rien que tu ne puisses me dire.
« Je suis là pour toi » me retins d'ajouter.
—Excuse-moi, répéta-t-elle seulement une seconde fois.
—Tu n'as aucune raison de t'excuser, essayai-je de la rassurer. Mais je m'inquiète pour toi. Tu veux bien me dire ce que tu as dans la tête ?
— L'accident, répondit-elle en détournant les yeux. Quand je suis sujette au stress, comme pour ces examens, entre autres… Je fais encore plus de cauchemars.
—Et ça t'arrives souvent ?
—Plusieurs fois par semaine, plusieurs fois par nuit, parfois.
—Je ne pensais pas que tu étais le genre de personne à stresser pour les cours.
—C'est inconscient.
—Est-ce que tu veux que je te prépare une tisane ? J'ai de la camomille, ça te ferait du bien peut-être.
—Je te remercie, mais ça va aller. Il faut seulement que je me rendorme.
—Est-ce que…
Je me grattais nerveusement le crâne, ré majeur cette fois.
—Tu veux que je reste avec toi ? Jusqu'à ce que tu y parviennes, au moins.
Le silence demeura dans la chambre, mais elle finit par faire un léger mouvement de la tête et me fit de la place pour que je m'allonge à côté.
—Tu veux bien laisser allumer ? Jusqu'à ce que j'y parvienne…
—Bien-sûr.
Je découvris une part de fragilité chez Edelgard qui me déroutait. Parce qu'en dehors de ces airs de prétentieuse qu'elle arborait souvent, elle était comme du verre. Et lorsque du verre subit une importante pression : il se brise.
Vous vous imaginez donc bien que malgré une situation propice au rapprochement, je me suis contentée de rester glissée contre son dos. Même si mes doigts couraient sur son bras et parfois sur ses côtes, c'était seulement pour la rassurer et lui permettre de se détendre. Chose impossible pour moi parce que mon cœur battait beaucoup trop fort. Le sien aussi d'ailleurs. Et impossible de le mettre en pause (ce qui m'aurait bien arrangé) : l'odeur de ses cheveux était imprimée dans mon lit. Elle ne cessait de s'agiter, et après quelques minutes seulement, elle se redressa de nouveau alors j'en fis autant.
—Désolée, je suis un peu nerveuse…
—Je peux retourner dans le salon si tu souhaites être seule.
—Non.
—Je peux attendre sur le fauteuil, alors.
Celui dans lequel je m'installais pour jouer à la console.
—Byleth…
—Oui ?
—Embrasse-moi.
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et cogna si fort qu'il menaça de briser mes dernières volonté. Car même si la situation n'était pas propice au moindre rapprochement, j'en mourrais tout de même d'envie. Être aussi proche d'une personne est aussi agréable qu'un supplice quand vous nourrissez de si forts sentiments à son égard. Après une seconde d'hésitation (une demi-douzaine serait plus juste) devant un regard brûlant, j'approchai lentement de son visage que je pris dans une main, puis déposai délicatement mes lèvres sur les siennes.
Ce n'était qu'un baiser, qu'y avait-il de mal à répondre à sa demande ? Mais je me sentais mal, une sensation qui s'estompa toutefois rapidement lorsque la blanche glissa sa langue dans ma bouche et agrippa ses doigts derrière ma nuque. Son corps bascula très rapidement – trop rapidement – sur le mien lorsqu'elle m'embrassa plus fougueusement. Une guerre insupportable entre ma culpabilité et mes désirs commença alors. J'aimerais pouvoir vous dire que j'étais en mesure de l'arrêter mais je me souviens avec beaucoup de précision que la tâche s'avéra être dure. Les mains de ma partenaire s'aventuraient par delà les barrières de tissu du t-shirt que je portais et faisaient courir des étincelles le long de ma colonne vertébrale.
—Attends… murmurai-je entre deux baisers. Edelgard… Je ne peux pas faire ça.
Et par faire « ça » vous savez très bien à quoi je faisais référence – elle le savait aussi.
—Tu sais, la première fois… C'est important.
Elle me regardait avec peine et curiosité, encore deux émotions ambivalentes mais qui pourtant se réunissaient et s'alliaient parfaitement pour marquer son visage.
—Tu devrais le faire avec une personne que tu aimes.
Ce n'était pas une façon de la piéger, ou une vaine tentative de lui faire avouer si, par chance, mes sentiments étaient ou non réciproques. Je le pensais sérieusement.
—Ca a été le cas, pour toi ?
Une question innocente, posée avec tant de douceur.
—J'avais seize ans, et c'était aussi pathétique que c'était décevant, avouai-je avec franchise. Une femme plus âgée, je ne te dirais pas son âge car cela risquerait de te choquer.
—Combien ?
—Vingt-quatre.
Elle m'observa avec attention, mais se passa d'un quelconque commentaire. J'avais la majorité sexuelle et il ne s'agissait pas d'un détournement de mineur. Une relation consentie.
—Et puis, je m'en voudrais. Tu es tellement petite dans ce t-shirt trop large.
—Hé ! s'écria la jeune fille aux joues rouges en barrant sa poitrine d'un bras. Elle n'est pas aussi développée que mon intelligence mais on ne peut pas tout avoir non plus.
—C'est bien la première fois qu'on me la sort, celle-là. Je parlais de ta taille, pas de tes seins.
Du peu que j'avais pu entrapercevoir ils étaient très bien comme ils étaient. Mais la boutade amena une touche de légèreté au sérieux de la situation. Elle était vraiment adorable dans cet appareil, loin de son uniforme sans un pli. Vous savez, déshabiller une femme c'est un peu comme déballer un cadeau, mais là l'emballage aurait été un maigre si vous voulez mon avis.
—Enfin, tout ça pour dire que tu devrais vraiment faire ça avec la bonne personne.
Et je ne me qualifiais pas ainsi hélas.
—Tu as raison.
Vous pourriez être fier de moi, et pendant une minute, je le fus moi-même.
—Mais si j'ai envie de le faire avec toi ?
Si vous aviez vu la façon dont elle me regardait. Avec désir, avec envie. La culpabilité s'empara de moi car j'étais convaincue que toute jeune fille de dix-sept ans s'imaginait sûrement faire sa première fois avec l'amour de sa vie. Mais Edelgard n'était pas comme toutes ces filles : elle avait les pieds sur terre, et elle n'était pas assez naïve pour croire vraiment à ça. Peut-être qu'elle prenait seulement ce qu'elle avait à prendre ignorant si elle en aurait encore l'occasion le lendemain. Il n'y eut qu'une seule chose que je pus lui glisser avant d'embrasser aussi tendrement que furieusement ses lèvres.
—Arrête-moi si quelque chose te déplait.
Et la seule chose que je peux vous dire, c'est que c'est arrivé.
