La littérature était pliée, tout comme l'anglais et les trois quarts des matières d'ailleurs. Je sortais de l'examen de mathématiques, c'était la pause déjeuné, et je m'étais rendue dans la réserve afin de relire quelques fiches d'histoire et de géographie (en avalant un gros sandwich). Cichol était un professeur aussi sévère qu'intransigeant, du genre à retirer un point pour chaque faute d'orthographe (de grammaire et de conjugaison aussi). Je suis sûre que vous avez déjà eu un jour ou l'autre affaire avec un prof pareil. Une fois l'interrogation terminée ce serait toutefois le week-end, et la fin d'une semaine beaucoup trop stressante et chargée. J'étais en manque de sommeil, entre les révisions et les non-dits laissés en suspens entre Dorothea et moi qui trottaient dans mon crâne. Je restai étonnée lorsque j'entendis quelqu'un frapper à la porte comme si la réserve était devenue mon petit bureau personnel.
—Entrez ? tentai-je alors, un morceau de pain dans la bouche.
Qui descendit difficilement quand la porte s'ouvrit avant de se refermer.
—C'est donc ici que tu te caches aujourd'hui ?
—Je ne me cache pas, je révise.
—Oui, je vois ça.
J'étais assise en tailleur directement par terre, avec mes nombreuses fiches qu'Edelgard avait préparées pour moi étalées devant des yeux beaucoup trop fatigués. Je me relevai toutefois tandis qu'elle approchait. Je n'avais pas eu l'occasion de la croiser beaucoup, en dehors des examens où je ne faisais qu'apercevoir son dos, voire ne rien apercevoir du tout lorsqu'elle se trouvait derrière moi. De fait, j'eus un petit emballement dans la poitrine.
—Comment ça c'est passé ce matin ? s'enquit-elle.
—Bien. J'ai répondu à toutes les questions et je n'ai pas relevé de difficultés particulières. Et toi ?
—Bien également.
—Tant mieux.
Vous avez déjà eu l'impression de ne plus savoir comment discuter avec quelqu'un que vous fréquentez tous les jours ? Moi oui. A l'instant. Généralement, Edelgard me posait la question par message. Et j'en avais au moins un tous les jours.
—Comment t'as su que j'étais là ?
—Ca n'a pas été bien compliqué.
—Dorothea ?
—Exact.
Sacrée Dorothea, pensais-je presque à voix haute. Peut-être l'ai-je même vraiment fait. Je ne me souviens plus très bien, mais de ce qu'il se passa ensuite avec une précision déchirante.
—Est-ce que tu veux que je te fasse réviser ?
—Tu as le temps ?
—Je peux le prendre.
J'aurais dû dire non, mais vous savez que j'ai répondu oui. Vous l'auriez fait à ma place. Tout le monde l'aurait fait. Car ces minutes étaient précieuses. Si précieuses. Mais ça je l'ignorais. Enfin, j'aurais aimé pouvoir le croire.
—Je pense avoir retenu pas mal de choses, fis-je en ramassant mes fiches avant de m'adosser contre quelques cartons (les déco d'halloween, celles de Noël avaient été réquisitionnées). Mais celles-ci sont vraiment chiantes à relire.
La blanche s'approcha au plus près de moi pour regarder de quoi il s'agissait mais de vous à moi mon attention fut soudain reportée sur autre chose que les quelques pavés imbuvables d'une écriture soignée. Elle sentait tellement bon malgré les relents de tabac.
—Ca ne va pas ? Tu es toute rouge.
Si elle s'était regardée dans un miroir, elle aurait remarquée que ses joues l'étaient aussi. Il y avait un peu de fatigue, certes, mais ce n'était pas la seule raison. Ses yeux jetaient des œillades à mes lèvres. Inconsciemment ou non.
—Tu me rends nerveuse.
Hé oui, chacun son tour. Je n'avais jamais eu si peu confiance en moi avec une femme.
—Ce… Ce n'était pas mon intention.
Elle tenta un pas en arrière mais mes doigts capturèrent ses poignets. Les feuilles de révision s'échouèrent au sol tout comme mon regard s'échoua dans ses prunelles parme. Des souvenirs ressuscités par la promiscuité du lieu. Je me demandais ce qu'elle ressentait à mon égard, et j'aurais pu bâtir un gratte-ciel de suppositions sur des brindilles d'informations : des fondations branlantes en somme, alors j'ai seulement fait une suggestion en approchant mes lèvres et en mêlant nos souffles. Une suggestion agréablement accueillie puisqu'elle fit le premier pas afin de les sceller. Avant que ça ne dérape, bien-sûr.
Très rapidement, mes mains longèrent ses côtes et suivirent la courbure de son corps pour descendre sur ses fesses. La langue de ma petite-amie s'engouffra dans ma bouche en réponse à mon corps chaud contre le sien. Il était fait de braises. Je soulevai le poids plume pour l'installer sur un carton et longeai sa mâchoire de manière plus qu'avide. Un contact qui réveillait des souvenirs croyez-moi. Et des souvenirs qui alimentaient un désir qui n'avait vraiment pas besoin d'être alimenté, croyez-moi aussi. Mais j'avais tellement envie d'elle. La jupe qu'elle portait m'offrit autant de liberté que le short que je lui avais prêté lorsqu'elle avait passé la nuit chez moi. Mes mains prirent inévitablement la direction de ses cuisses, et mes canines se refermèrent sur l'une de ses épaules puisque sa chemise entrouverte glissait sur sa peau.
—Byleth… murmura-t-elle. Qu'est-on en est train de faire…
—L'amour, El. Ca s'appelle faire l'amour.
Imaginez son embarras. Et nous avons fait ce que nous devions faire. Ce que nous voulions faire, que dis-je.
/
Les cours allaient bientôt reprendre. Finalement, je n'ai pas révisé beaucoup ce midi-là.
—C'est la dernière fois que l'on fait ça ici. Quelqu'un aurait pu nous surprendre.
Elle avait dit « ici » et pas « jamais » ou quelque chose comme ça ce qui pendant une minute, nourrit en moi un espoir particulièrement utopique. Rien n'aurait pu m'arracher à la joie que je ressentais alors, sauf peut-être ma part de lucidité. Et mes sentiments qui frappaient. Ah, ça, ils frappaient. Tellement fort qu'ils finirent par sortir. Comme une bombe exploserait. Car elle a explosé. Les endorphines, peut-être… Elles donnent des ailes qui brûlent parfois aussitôt.
—El…
Edelgard ne me répondit pas. Je pense, pour être honnête, qu'elle se doutait depuis longtemps. Le regard que je portais sur elle était si éloquent. Révélateur. Il suffisait de me voir pour comprendre. Je pense aussi qu'elle avait déjà compris. Je me permets de m'interrompre mais je me dois de vous préciser qu'après un orgasme, le corps se relâche mais le cerveau aussi. Tous les filtres disparaissent.
—Non. Ne dis rien, je t'en prie.
Avant, moi aussi je trouvais cucul de se dire « je t'aime » juste après une partie de jambes en l'air. Peut-être que c'est uniquement parce que jusqu'ici, je n'avais vraiment aimé. J'avais toutefois encore un peu de dignité, alors ce ne sont pas ces mots qui sortirent de ma bouche. Mais peu importait la façon dont je pouvais m'y prendre : les conséquences auraient été les mêmes.
—Pourquoi serait-ce si terrible ?!
—Parce que nous avons un accord ! me rappela-t-elle avec véhémence.
—Qui s'en soucie encore ?
—Moi ! Byleth ! Moi, je m'en soucis.
—Tu ne sais même pas ce que j'aimerais te dire.
—Tu n'as pas besoin de mots pour ça, je… Je ne suis pas idiote.
—Alors ça changerait quoi que je le dise ?
—Tout ! Enfin, Byleth !
Ses doigts pincèrent l'arrête de son nez, bien plus longtemps que d'habitude, avant de lisser ses sourcils. Une expression plus dure que celles auxquelles j'étais habituée, plus dure que celles dont elle m'avait gratifiée quelques minutes auparavant seulement. Quand j'y repense, cette pause déjeuner fut une grosse catastrophe, du genre à rester dans les annales ou à demander des dommages à je ne savais quelle assurance. Voila ce qui arrivait quand les désirs du corps n'étaient pas éloignés des désirs du cœur. Si j'avais su que coucher avec elle me mènerait là… J'aurais rapidement enfilée un slip de chasteté croyez-moi.
—C'est bien pour éviter cela que je t'ai choisie toi…
—Tu t'es trompée sur la marchandise.
J'avais lâché ça avec tant de délicatesse, je n'arrangeais pas mon cas.
—Tu ne te rends pas compte de tout ce que ça implique ! Tu es vraiment très loin de t'imaginer les conséquences de…
—De quoi ? Mes sentiments pour toi ?
—Byleth !
—Désolée, Edelgard, mais tu ne peux pas décider à ma place de ce que je peux dire ou non. Et si c'est compliqué, tu n'as qu'à m'expliquer pourquoi ! J'estime avoir le droit de savoir pourquoi tu me rejettes soudain.
—On était d'accord, pas d'attachement.
—Comme si j'avais décidé d'en avoir. Tu n'as qu'à simplement me dire que ce n'est pas réciproque. Et ça s'arrêtera là.
Je pourrais vous dire que j'étais sûre de moi, mais je ne suis pas certaine que c'était vraiment le cas.
—Fais en sorte de ne plus en avoir.
—C'est la meilleure ! Celle là non plus, on ne me l'avait jamais faite !
J'étais vexée. Blessée, mais vexée ! Vous n'imaginez pas à quel point. Et vous n'imaginez pas combien la chute fut douloureuse une fois l'agacement passé.
—Byleth… Ecoute-moi attentivement. Si tu n'es pas capable de faire fi de ce que tu ressens pour moi, alors…
Je la voyais hésiter. Elle non plus n'était pas très sûre d'elle. Elle n'était pas indifférente à la situation malgré la cruauté dont elle était capable. Car nous sommes bien d'accord qu'elle était très cruelle. Injuste aussi. D'autres facettes de sa personne qui se dévoilaient aujourd'hui. J'ai toujours su qu'une part d'elle était dure, mais ce jour-là… Je suis tombée de quinze étages pour m'écraser au sol comme une merde. Comme on s'écraserait sur un trottoir maculé de fientes.
—Notre accord ne tiendra plus.
—Alors on peut dire qu'il est déjà caduc.
—Bien, se contenta-t-elle. Puisqu'il n'y a aucune autre solution.
La cartographie des possibilités n'en offrait que très peu, en effet. Pourtant il y en avait. J'espérais qu'il y en ait. Mais en fait, il n'y en avait aucune autre.
—N'oublies pas de te concentrer sur tes cours.
Ce furent ses derniers mots. Des mots froids, dénués de toute empathie ou sensibilité. Je les ai reçus comme on recevrait un couteau dans la poitrine : planté profondément. Faire l'amour et se faire larguer juste après laisse vraiment un sentiment amer. Inutile de vous dire que je me suis ratée pour mon dernier exam'.
