Vous savez ce qu'il se passa ensuite ? A défaut de gros câlins, Dorothea et moi fument convoquées dans le bureau de Manuela. Mais vous vous y attendiez, non ? Moi oui, j'étais certaine que ça arriverait. L'habitude, sûrement. J'avais une carte d'abonnement après tout.

Cette fois il y avait donc deux chaises occupées dans (et devant) le petit bureau aux multiples fonctions et Manuela ne savait ni où regarder ni où donner de la tête devant le visage très souriant de Dorothea et le mien, plus impassible (presque crédule). Il y avait de nouvelles plantes et plus aucune trace des anciennes. Un roulement auquel je m'étais habituée, c'était devenu une sorte de petit rituel ici. Je ne ressentais plus aucun stress (si j'en avais déjà ressenti) à me tenir devant ses arguments.

—Bien. C'est quoi, l'excuse, cette fois ?

Bien-sûr, je m'attendais aussi à ce qu'elle pose se genre de question, et je me demandais quel genre d'argument tarabiscoté j'allais pouvoir fournir. Heureusement, j'avais la conviction ferme que nous étions ses deux élèves préférés.

—Je me suis faite jetée, lâchai-je comme une machine dont les soupapes s'ouvraient. Mon cœur a mal. Et j'ai voulu frapper Monica mais Dorothea est intervenue afin de m'en empêcher, alors on est seulement rentrée chez moi pour éponger ma peine. Et manger des gâteaux.

C'était mieux que d'avouer qu'on avait fumé jusqu'à avoir la gorge sèche. Une franchise si rafraichissante que Madame Casagranda en resta muette un moment. Une expression accidentée dont je me souviens encore aujourd'hui. C'était fort drôle à voir.

—Je vais seulement indiquer que vous étiez malades.

—Toutes les deux ? l'interrogeai-je.

—Oh, par les temps qui courent une épidémie est si vite arrivée ! C'était donc uniquement de la prévention !

Dorothea et moi avons échangé un regard curieux et tout aussi surprit, et Manuela nous gratifia d'un clin d'œil. Un mauvais professeur mais une très bonne personne.

—Vous pouvez y aller.

—Et… C'est tout ?

—C'est tout.

—Euh, d'accord. Bonne journée, alors, madame Cassagranda.

—A vous aussi !

Jamais un rendez-vous avec elle n'avait été si simple et tout aussi expéditif. Mais je n'allais pas m'en plaindre. La chanteuse et moi avons pouffé de rire en sortant. Quant à ce qu'il s'était passé la veille, il n'y avait aucun malaise. Nous étions deux adultes, et nous n'avions rien fait de mal. C'était facile avec elle. Et, j'étais heureuse de retrouver mon amie.

—Et si on se dépêchait d'aller en cours ? suggéra la brune le souffle court tant on s'était fendu la poire en deux.

—Ouais, je suis pas certaine qu'elle laisserait couler une deuxième fois. Enfin, moi, ce serait plus la quatrième, ou la cinquième ? je comptais sur mes doigts. Boarf, peu importe, allons-y !

La convocation avait empiété sur la fin de la pause déjeuner et tous les élèves se rendaient tels des robots vers leurs salles de cours attitrées. Alors on en fit autant, un peu guillerettes. Beaucoup guillerettes, une sensation très agréable, une légèreté fabuleuse depuis les récents évènements. Je ne m'étais guère sentie si « bien » (pour ne pas dire moins mal) depuis un bon moment. On était un peu comme dans une bulle qui n'appartenait qu'à nous. Une bulle que rien ni personne ne pouvait atteindre ou faire éclater comme éclaterait une bulle de savon dans un « flop » après s'être envolée. Pas même Edelgard que l'on croisa dans le couloir sans que cela ne nous détourne de notre conversation. Je ne l'avais même pas vu regarder derrière elle (vers notre direction) après notre passage, c'est Dorothea qui me l'apprit plus tard. Vous savez, les amitiés sont aussi compliquées que l'amour, et même quand personne ne souhaite prendre parti, ce n'est pas toujours si facile. Edelgard et Dorothea ne passaient plus beaucoup de temps ensemble depuis que je m'étais faite larguée.

Je pensais que la journée se terminerait sans trop de péripéties. C'était une bonne journée après tout ! Pas si mal, disons plutôt. Je m'apprêtais à enfiler mon casque lorsque j'aperçus mon ex petite amie sur le parking mais j'avais décidé de ne pas réagir (même si c'était douloureux dans ma poitrine : ca ne faisait que deux semaines). Elle ne m'observait pas seulement, elle approchait. Je n'avais pas particulièrement envie de lui adresser la parole, la voir tous les jours était assez pénible, mais je n'avais pas non plus la volonté ni la force de l'envoyer sur les roses.

—Byleth ? Tu as un instant ?

—J'ai cinq minutes.

Pas plus. C'était tout ce dont j'étais capable avant de savoir que je m'écroulerai juste après. Malgré les rires que j'avais pu échanger avec mon amie aujourd'hui, la réalité était toujours aussi dure.

—Tu t'es réconciliée avec Dorothea, cela me rassure.

Pourquoi se souciait-elle de ce genre de détails, soudain ?

—Ouais. Difficile de rester fâchée contre Dorothea. Cette fille est livrée avec de la super-glue.

La blanche esquissa un sourire. Et si elle ne l'avait pas fait ça n'aurait rien changé pour moi. Je n'oubliais pas ses douloureuses et cruelles paroles. Mais je gardais la tête haute. Le plus haut possible.

—Dorothea a tenté de me dissuader, et elle m'a conseillée de tout te dire dés le début.

C'était donc pour ça qu'elle souhaitait me parler. Pour défendre son amie. J'accueillais ses paroles, pas pour Edelgard, mais pour mon amitié avec la chanteuse. Ca ferait peut-être descendre un peu la pilule.

—Attends, l'arrêtai-je prise d'un soudain besoin d'être honnête contrairement à la décision qu'elle-même avait prise. Y'a un truc que je dois te dire.

Je cherchais mes mots car vous savez ce que j'allais avouer et même si nous avions rompus, c'était assez délicat. Je me foutais un peu des conséquences me concernant, mais je ne voulais pas que cela entache son amitié avec Dorothea.

—Avec Dorothea, on s'est embrassée.

Un éclair parcourut le visage d'Edelgard fugitivement pour l'illuminer avant de l'obscurcir mais son expression était déjà éteinte même avant ça, lorsqu'elle me croisait ci et là.

—Avant de te faire des idées, il ne s'est rien passé. On avait toutes les deux fumé, alors on peut pas dire que nos cerveaux tournaient correctement. Une petite incartade, en gros.

J'étais certaine qu'Edelgard s'était figée. Que pouvait-elle dire, de toute façon ? Nous n'étions plus ensemble, mais je lui devais la vérité. J'aurais pu tenter de la rendre jalouse mais l'idée n'a même pas effleuré mon esprit : je faisais des progrès.

—Je vois.

Elle se contenta de ces deux mots avant que le silence ne s'empare de ses lèvres.

—Tu as quelque chose d'autre à me dire ?

Je l'avais coupé, après tout.

—Edelgard ?

La part fragile apparaissait peu à peu. Peut-être avais-je encore un petit peu d'importance après tout, ou peut-être pas. Je ne savais plus très bien sur quel pied danser avec elle.

—Tu as toujours été si désintéressée…

Je reposai mon casque sur la scelle de ma bécane et levai un sourcil. Je pense qu'une part de moi espérait que la berline aux vitres teintées soit ralentie par la neige. J'en suis certaine pour vous dire toute la vérité.

—Tu n'avais pas grand-chose à gagner dans cette histoire, et malgré ça, tu as accepté. Tu aurais pu demander à n'importe qui de t'aider pour tes cours, alors que moi, je ne pouvais choisir que toi.

—El… Dis-moi ce qu'il y a. Qu'on en finisse.

Ses lèvres tremblotaient. Le froid sans doute, on était au cœur de l'hiver et le paysage l'illustrait parfaitement. Les routes étaient toutes blanches et de la vapeur se formait dés qu'elle ouvrait la bouche.

—Je suis désolée, Byleth. Je n'ai jamais voulu te faire de mal.

J'étais estomaquée. Sidérée. Non. Choquée est le mot qui me vient.

—Je veux bien faire l'effort de te croire.

J'avais envie de le faire, d'essayer au moins.

—Je pensais surtout à toute cette mise en scène, sans imaginer que je finirais par m'attacher à toi de la sorte.

—El… tentai-je d'articuler. T'es pas obligée d'appliquer un pansement sur mon cœur. Je suis une grande fille, ça va. Je m'en remettrais.

Je doute de si mes paroles ont atteint ou non ses oreilles ce jour-là. Mais je le pensais vraiment, et j'imaginais qu'elle disait tout ça uniquement pour me réconforter, quelque chose comme ça, avant de me proposer qu'on devienne amies elle et moi. Après tout, nous avions passé pas mal de temps ensemble, des liens se créés et de toutes sortes. Mais être amie avec elle ? Non. Jamais. Je l'aimais trop pour ça.

—J'ai regretté, elle continua sans pour autant me regarder.

Pire encore, elle détournait volontairement son regard du mien sans quoi peut-être aurait-elle été tout bonnement incapable de m'avouer tout cela.

—Très vite. Et j'ai voulu tout arrêter à de nombreuses reprises, mais la machine était déjà lancée. C'était trop tard.

Mon cœur battait un peu plus fort au fur et à mesure que ses lèvres s'ouvraient. C'était presque un calvaire de le sentir battre comme ça : à grands coup lent rythmé par ses paroles éparses.

—Au fond, j'aimais ces quelques moments passés avec toi, mais je savais aussi qu'un jour il n'y en aurait plus aucun. C'était peut-être égoïste de ma part, c'est même certain, mais je ne pensais pas que tu finirais par développer des sentiments pour moi, et encore moins que tu en serais blessée. Pas plus que…

Pas plus qu'elle ne pensait que ce qui ne devait être qu'un arrangement au départ se changerait en quelque chose de beaucoup plus profond et sincère.

—Si c'était à refaire…

—Je le referais, la coupai-je.

Et son regard trouva par miracle le chemin de mes yeux, malgré la peine qu'il y déchargea immédiatement.

—Juste pour pouvoir apprendre à te connaitre une fois encore. Même si c'est douloureux. Même si je t'en veux. Regretter ne sert pas à grand-chose, je ne referais pas le passé et tu ne possèdes pas non plus la faculté de le faire. Et même si c'était possible… Je crois que je ne changerais rien. Il faut juste oublier, et passer à autre chose. Comme tout le monde le fait à peu près tous les jours. Personne n'est jamais mort d'un gros chagrin d'amour.

Et la douleur a seulement l'importance qu'on veut bien lui donner.

—Merci, El.

—De quoi ?

—D'avoir été honnête.

—Je ne pense pas que l'on puisse affirmer cela. J'aurais préféré l'être depuis le tout début.

—Je peux te poser une question ?

—J'imagine que je te dois la réponse.

J'avais envie de la prendre dans mes bras. Une furieuse et douloureuse envie. Le genre d'envie à laquelle on ne peut pas céder et qui nous écrase le cœur comme ses réponses m'écrasaient. Comme elles allaient continuer de le faire.

—A quel moment t'en es-tu rendu compte ?

—De tes sentiments pour moi ?

—Non, répondis-je avec beaucoup plus d'assurance. Des tiens.

Une expression très éprouvante pour seulement être supportée prit place sur ses traits fins. J'avais compris, car j'étais loin d'être bête et il fallait être idiot pour ne pas avoir compris à ce stade. Cela aurait du me faire plaisir, mais ça m'aurait aussi fait espérer. Et, vous dire que je n'espérais pas serait un gros mensonge hélas.

—J'ai commencé à me poser des questions lorsque tu as affirmé que ta réaction envers Monica n'était due qu'à notre accord. J'ai éprouvé une sorte de déception.

—C'était un gros mensonge. Mais j'essayais de me convaincre aussi, alors, c'était peut-être juste un petit mensonge finalement.

J'étais redescendue d'un cran (de plusieurs) depuis qu'elle m'avait appris être fiancée à je ne savais quel type (car il s'agissait forcément d'un type) à cause de la volonté de Papa Hresvelg. Je réalisai que rien de tout ça n'aurait pu être évité puisque je nourrissais déjà de forts sentiments pour elle à ce moment là. Au mieux, ça aurait juste été moins douloureux peut-être, mais pénible quand même.

—Tu as ébranlé toutes mes convictions. Mais apprendre que c'était réciproque m'a fait entrevoir une sorte de possibilité illusoire. Quelque chose d'impossible. Cela faisait trop mal.

C'était la première fois qu'elle admettait ressentir de la peine, des mots qui me firent l'effet d'une balle et qui au lieu de m'apaiser, me donnèrent envie de me replier en deux juste là, de me rouler en boule sur le sol enneigé du parking. Car elle souffrait, elle aussi. Le doute n'était définitivement plus permis. La souffrance d'autrui n'apaise jamais celle des autres. Alors, autant tout arrêter, non ? Elle ne m'avait rien dit afin de m'éviter d'espérer vainement. Edelgard estimait certainement qu'il valait mieux souffrir un bon coup maintenant, comme un pansement qu'on arrache, que de dépérir peu à peu en sachant que chaque seconde passée ensemble serait cruellement comptée.

—Quel gâchis, admis-je. Mais c'est comme ça.

A ce moment là, la seule chose que je continuais d'espérer était qu'un jour, elle puisse enfin être capable de faire ses propres choix. Qu'il s'agisse d'amour ou bien de tout autre chose, car sa vie n'appartenaient qu'à elle seule. En continuant d'emprunter cette voix elle ne faisait pas seulement du mal aux autres, mais surtout à elle-même. Et ça, c'était vraiment le plus triste.