Les résultats des examens ont été affichés le lundi matin suivant, alors c'était une véritable cohue générale dans le hall du lycée. Pour ma part, je n'étais pas pressée. Même si je m'étais foirée au dernier examen, la moyenne de toutes mes notes dépasserait celle exigée et être en bas ou en haut du classement m'importait peu tant que j'obtenais mon diplôme. Quelques points supplémentaires n'auraient pas été de refus toutefois puisqu'il restait les examens de fin d'année, ceux qui comptaient pour plus de la moitié de la note finale mais j'avais encore le temps. Là, j'avais bien trop de choses en tête pour me réjouir ou bien pleurer. J'avais tenté de réviser, vaine tentative puisque ma tête n'imprimait vraiment plus rien.
J'avais quand même envie de savoir si j'avais du souci ou non à me faire et quelle dose de travail je devrais fournir pour le second semestre (jamais trop ici) alors je me rendis devant le bureau d'orientation où se trouvait également un panneau d'affichage. Les autres élèves n'avaient pas eu la patience de monter quelques marches alors j'avais la paix : il n'y avait que quelques pequenauds qui se dispersèrent une fois la liste zyeutée. Certaines personnes prenaient vraiment ça au sérieux car quelques expressions affichaient une joie complète, d'autres étaient à deux doigts de se briser et je crû même voir perler des larmes aux coins de certaines paupières alourdies par la mauvaise nouvelle. Pour ma part, j'étais plus sèche qu'un chemin de campagne qui n'avait pas vu la pluie depuis plusieurs saisons.
Vous tous, qui avez certainement déjà passé un examen au cours de votre vie, devez connaitre cette forme d'appréhension. La sensation de sentir son cœur battre dans la poitrine, ralentir ou bien accélérer selon les cas. Je n'y échappais point car j'étais comme tout le monde après tout, avec l'envie d'arracher le pansement.
—Pas si mal, soufflai-je à haute voix.
J'avais eux d'excellents résultats en anglais et en mathématiques comme je me doutais déjà. Plus que la moyenne en littérature ce qui compensait l'horrible note en histoire et géographie. Et la moyenne pour le reste. J'avais également une carte à jouer avec l'option musique si j'arrivais à tenir de nouveau ma guitare dans les mains d'ici là. Il y avait mieux, il y avait pire. C'était correct. Suffisant pour mon père, ainsi que ma promesse. Suffisant aussi pour un certain accord caduc.
J'eus la curiosité de regarder le reste du classement, Dorothea se trouvait dans le palmarès des dix meilleurs élèves de Saint Seiros. Vous êtes surpris ? Moi pas. Cette fille était très intelligente derrière sa façon de ne rien prendre au sérieux mais si elle avait décroché une bourse c'est qu'il y avait des raisons. Mes yeux balayèrent les résultats de bas en haut mais je levai un sourcil sur ceux détaillant les matières puisque mon regard s'arrêta avant d'être arrivé au sommet. Le nom d'Edelgard, précédant celui de Claude, dénotait étrangement.
—Deuxième ?
Encore une fois, mes pensées m'échappèrent. Mais le plus troublant n'était pas sa position en littérature, mais celle au même examen durant lequel je m'étais fort vautrée. Trois autres le précédaient cette fois. Ce que je peux vous dire, c'est que notre rupture ne m'avait pas seulement impactée, et je ressentis un poids énorme s'abattre sur mes épaules. J'eus l'amer sentiment que c'était de ma faute. Malgré ça, je me fis violence pour rester attentive en cours le reste de la semaine : je ne devais ni me laisser abattre ni relâcher mes efforts. Quand on tombe, c'est difficile de se relever alors je tentais de me raccrocher à quelques branches. Puis le week-end arriva après une longue semaine, aussi pénible que la précédente, aussi pénible que serait la suivante.
Je me sentais comme une épave à l'abandon et j'éprouvais un sentiment de délabrement comme ces baraques sur les routes isolées agonisant sous les chuchotements d'un vent frais. J'avais esquivé Edelgard comme j'avais pu : ne pas lui parler était finalement mieux que de garder un douloureux contact avec elle. Je pense qu'elle comprenait. Je pense aussi qu'il en était de même pour elle. Mais je ne cessais de me demander combien de temps il faudrait pour oublier : pour aller mieux. Juste un peu, au moins. Mais le temps n'arrangeait pour le moment pas grand-chose et ne réparait aucune blessure fraichement ouverte.
Ma réserve d'herbe avait été ravitaillée (mon dealeur était formidable et très généreux), mais si j'avais su qu'avaler les petits bonbons de Claude me ferait oublier les dernières heures de la journée, je me serais abstenue d'en prendre (car j'avais dépensé beaucoup d'écus sans me rappeler comment). Je n'aurais certainement pas commandé deux dizaines de cookies à la boulangerie la plus chère du quartier, livrée à domicile sans que je ne me souvienne avoir ouverts la porte à un quelconque livreur. Ces bonbons donnaient l'impression d'être riche. Mais l'impression seulement.
J'ai également eu l'occasion de terminer mon livre. Une soit disant fin heureuse mais loin de correspondre à l'idée que j'aurais pu m'en faire puisque le héros : un adolescent de dix-sept ans, ne terminait pas avec sa bien aimée. La raison ? C'était seulement un gueux (comprenez un garçon ordinaire qui avait lui aussi fait pas mal de conneries à une époque de sa vie) et elle : une reine. Un maudit rappel à l'ordre. Je dois aussi vous préciser qu'il m'arrivait de m'endormir en enfouissant mon visage dans le t-shirt qu'avait porté Edelgard lorsque ma peine était trop lourde à porter : une belle connerie, oui, mais une connerie dont j'arrivais de moins en moins à me passer. L'absence d'Edelgard était cruelle, il n'y avait pas d'autre mot et aucun ne me vient à l'esprit pour qualifier ce que je ressentais.
Il était plus de minuit lorsqu'une idée que je regrettai amèrement ensuite me donna envie d'accorder mon violon. Je ne connaissais qu'une seule mélodie après tout. Si j'avais pu le renvoyer par la poste : je l'aurais fait, mais peut-être aurais-je pu trouver un acheteur sur un site d'occasion, car j'étais certaine de ne plus jamais vouloir en jouer. Trop de souvenirs. Des souvenirs qui m'achevèrent. Et il était plus d'une heure lorsque j'eus une seconde idée : catastrophique cette fois. Je n'aurais jamais du fumer plus que de raison ce soir-là.
J'étais roulée en boule sous ma couette, le t-shirt trop large entre mon nez et ma poitrine.
[Vous] : Tu me manques.
Je me souviens avoir détaillé l'écran de mon téléphone pendant de longues minutes, en espérant ou en désespérant, je ne suis pas sûre. Jusqu'à ce que la mention « lu » apparaisse. J'ai scruté mon écran sombre pendant un bon moment. Cinq minutes, dix, puis vingt. Rien ne vint le rallumer, pas même un mail ou une alerte info ou météo. Je finis juste par le poser sur ma table de chevet.
—Mais tu t'attendais à quoi.
J'avais pris l'étrange habitude de me parler à moi-même, de courtes conversations. De pitoyables monologues. La seule chose que je pouvais faire était tenter de m'endormir, mais le téléphone finit par vibrer sur le bois et mon cœur fit un bond dans ma poitrine avant de décrocher.
—Tu ne devrais plus m'envoyer de message, entendis-je d'une petite voix.
—Pourquoi tu m'appelles, alors ?
Le haut parleur grésillait face au silence.
—J'avais besoin d'entendre ta voix.
Ca faisait mal. Un sentiment horrible. D'autant plus qu'il était partagé.
—Hypocrite… soufflai-je un peu trop tendrement. Mais je te pardonne car j'ai commencé.
Et parce que malgré la sensation de douleur et l'oppression écrasante : ça me faisait du bien.
—J'ai terminé mon livre.
—Alors ?
—La meilleure lecture de ma vie.
Je ne lui précisai pas que c'était aussi la plus terrible. Peut-être que si je l'avais lu avant de la rencontrer, ou dans quelques années qui sait, j'aurais mieux apprécié la fin.
—Tant mieux.
Sa voix suintait de la même tristesse qui m'envahissait depuis des jours, non, des semaines.
—Je peux prendre ma bécane et être là dans vingt-minutes. Quinze puisqu'il n'y a pas de circulation.
—Ne fais surtout pas ça.
—Pourquoi pas ?
—Tu risquerais de me faire changer d'avis.
Je n'eus guère besoin de plus pour encore une fois, faire face à sa fragilité.
—D'accord.
Et parce que ce n'était pas à moi d'imposer mon choix, mais bien à Edelgard de prendre une décision. Je ne voulais pas être celle qui impose à sa place comme le faisait son père.
—Bonne nuit, Edelgard.
Et puis, j'ai raccroché. Avant de m'endormir, noyant mon oreiller de larmes. Des larmes dont elle ne devait avoir cure. Le chagrin : c'est épuisant.
