La semaine avait laissée des marques dans le paysage, sur Saint Seiros, sur la ville toute entière. Il ne s'était pas à un seul moment arrêté de neiger, un peu parfois et à d'autres moments beaucoup plus à la manière qu'avaient mes larmes de s'écouler sans prévenir mais d'alléger mon cœur aussi. Les deux dernières journées de cours avaient été annulées car il était presque impossible pour les voitures de circuler, alors les bus scolaires n'en parlons même pas. Seuls quelques taxis téméraires tentaient de rouler là dehors. Les affres de l'hiver. Ca m'allait, car je ne croisais personne à juste rester chez moi et j'avais assez de nourriture pour tenir un siège (j'épongeais mes larmes dans la bouffe et je pense même avoir pris un ou deux kilos cette année-là). Je m'interromps dans mes souvenirs pour vous préciser quelque chose. Quelque chose d'important. Ceci est mon dernier chapitre. Mais ce n'était cependant que le début d'une toute nouvelle aventure.

J'avais ralentis sur la drogue, et ça faisait même plusieurs jours que je n'avais pas fumé. Car fumer c'était aussi risquer de faire une connerie. Je ne parle pas d'idées noires ou de tentatives désespérées d'estomper la douleur. Je voulais avoir les idées claires, je voulais rester moi-même et accueillir le futur. Arrêter de vouloir à tout prix échapper à tout ça. Je ne pouvais pas. J'aimerais pouvoir vous dire que je n'ai plus touché à la boite sous mon lit (mais une fois de temps en temps n'a jamais fait de mal à personne). Si l'on pouvait en dire autant de tout. Je sais que vous vous attendiez à une fin heureuse mais ça n'arrive pas toujours hélas. Je ne regrettais pas pour autant (mais c'est arrivé quelques fois dans des moments de solitude) car chaque expérience fait grandir parait-il. Celle-ci m'avait appris tant de choses : sur moi-même mais pas seulement.

Mes pensées étaient plongées dans un bon livre comme cela arrivait très souvent depuis quelques jours, quand j'entendis quelques coups à la porte. Je posai le bouquin en prenant soin de glisser le marque-page au bon endroit afin de ne pas passer trois siècles entiers à retrouver le dernier paragraphe, pour aller rapidement ouvrir. Je me demandai si c'était le livreur de pizzas et si les pizzas seraient encore chaudes avant de me rappeler qu'eux non plus ne travaillaient pas avec l'excès de neige. J'avais la main sur la poignée mais mon corps eut du mal à ouvrir. Peut-être était-ce l'instinct, peut-être était-ce de l'agacement d'être dérangée pendant ma lecture. Peut-être étaient-ce les deux. Mais j'ouvris cette porte, et il neigea jusque dans le hall de l'immeuble je crois. Mes lèvres s'ouvrirent puis se refermèrent : elles tremblotaient. Comme mes muscles, comme mon cœur. Comme chaque fibre de mon être.

—E- Edelgard ?

Et elle, grelotait. Elle n'avait qu'une veste (un peu légère) par-dessus ses vêtements, et une écharpe nouée autour du cou. Pas de quoi protéger du froid environnant : ses joues étaient toutes rouges. Je sentais l'air se glisser jusqu'ici pour s'arrêter sur le pas de ma porte.

—Comment t'es entrée ? demandai-je une fois capable de formuler des pensées cohérentes.

—J'ai attendu que quelqu'un ouvre la porte pour sortir.

—Dans ce froid glacial ?

Elle éternua mais ne répondit rien. Elle paraissait perdue, et en même temps semblait se trouver là où elle devait être.

—Pendant combien de temps ?

—Je ne sais pas trop. Trente minutes, peut-être. C'est aussi le temps que j'ai passé avant d'oser frapper.

—T'es complètement folle ! Avec ce temps, c'est la mort assurée !

La voir dans cet état : frigorifiée, m'empêcha de penser au reste. A ce qu'il s'était passé jusqu'ici et surtout à ce qu'il ne se passerait pas. Je m'inquiétais seulement pour sa santé.

—T'es venue comment ? C'est impossible de circuler là dehors.

—A pieds.

—De chez toi ? Mais il y a au moins une heure et demie de marche !

Elle n'avait pas vraiment fait ça ? Pour quelle raison ? Je ne voyais aucune paire de ski qui aurait pu faciliter son itinéraire. Cette fille était dingue. Vraiment dingue ! Je ne suis même pas sûre que j'aurais pu le faire moi-même.

—Entre. Dépêche-toi.

Je la vis hésiter et comprenais encore moins la raison de sa visite mais elle entra. Elle resta dans le couloir cependant, et ne retira ni sa veste ni ses chaussures.

—Je vais te faire une tasse de thé. Ou de café ?

—Je te remercie, mais je n'en ai que pour quelques minutes.

J'étais paumée. Edelgard ramena devant elle une sacoche qu'elle portait en bandoulière comme certains facteurs lorsqu'ils distribuent le courrier (chose qu'ils ne faisaient plus eux non plus à cause des intempéries). Elle sortit de cette sacoche un calepin. Et de ce calepin un dessin. Mon dessin.

—Tu as laissé ça, chez moi.

—Ha. Oui. Mais si c'était pour me dire ça, tu aurais pu me le dire en cours, ou m'envoyer un message.

—Je ne pouvais pas. C'était encore trop…

Douloureux ? Mon cœur frappait à grands coups lents avant de décélérer pour accélérer de nouveau ensuite. Mon rythme cardiaque ressemblait au sac-à-main d'une femme : sans dessus-dessous.

—Je dois t'avouer avoir mis un peu temps avant de comprendre ce que c'est.

—C'est un oiseau crinière.

Elle me regarda avec deux yeux surpris. Que pouvais-je y faire si je dessinais mal ?

—Oublie.

—Tu sais, fit-elle après avoir remplie ses poumons, j'ai passé beaucoup de temps sur ce toit. Je m'y suis rendue chaque fois que je le pouvais. Chaque fois que je pensais à toi. Une maigre compensation par rapport à ce qui nous toisait, toi et moi. Après, aussi. Mais c'est un cadeau que je ne voulais pas oublier.

—J'ai seulement déverrouillé une porte, Edelgard. Tu n'avais pas besoin de venir jusqu'ici pour seulement me remercier.

—Non, je ne suis pas là pour te remercier. Je suis là pour te demander quelque chose.

Et ce cœur, qui battait fort. Si fort. Tellement fort. J'ignore comment j'ai fait pour qu'il reste à sa place dans ma poitrine trop étroite.

—Que dirais-tu de sortir avec moi ?

—Hein ? lâchai-je comme on ferait tomber une grosse pile de vaisselle.

—Je m'attendais à un oui, ou à un non, en fait.

—Je ne suis pas certaine de te suivre…

Et mon cerveau encore moins. Je ne voulais pas.

—Sortir avec toi ? balbutiai-je tout de même en me grattant nerveusement la crinière.

—Oui. Quand deux personnes se fréquentent.

—Je sais ce que ça signifie. Je ne suis pas une idiote.

—Si je te prenais pour une idiote, je ne te poserais pas une telle question.

Ses joues devinrent encore plus rouges qu'elles ne l'étaient déjà à cause du froid. Son regard se déroba et se perdit quelque part dans les méandres de mon appartement. Après quelques secondes de crédulité de ma part, elle tenta tout de même de me regarder dans les yeux. La première tentative fut un échec puisqu'elle admira la porte de mon appartement. Mais la seconde une réussite. Moi, je n'avais même pas osé fermer mes paupières.

—Pour de vrai.

J'étais choquée. Non, je me sentais comme si un camion-bennes venait de me percuter de plein fouet. Je pris le temps de mesurer sa demande (une dizaine de secondes – le temps maximum de réflexion dont mon cerveau était capable). Les premiers mots qui se formèrent dans ma tête s'échouèrent ridiculement avant de franchir la barrière de mes lèvres.

—Je vais y réfléchir.

Parce que je n'étais pas totalement stupide et parce que j'essayais de me préserver.

—Okay, ajoutai-je juste après.

Parce que seule une personne stupide aurait raté sa chance. Vous savez, à trop réfléchir parfois on passe à côté de beaucoup. Elle valait tous les risques du monde, croyez-moi. Si vous l'aviez rencontré, vous aussi, vous seriez épris d'Edelgard.

—El… Tu es vraiment sérieuse, cette fois ?

—Oui.

—Tu es sûre ?

—Oui.

—C'est pas une mauvaise blague ? Parce que si c'était le cas…

—Byleth…

Cette fois, c'est un regard droit dans les yeux qu'elle me gratifia avant une bonne inspiration alors que moi je restais en apnée. A deux doigts de tomber en pamoison si vous voyez ce que je veux dire.

—Je t'aime.

La pamoison. Je vous invite à chercher la définition de ce mot car je suis vraiment passée à côté ce jour-là. Ces mots eurent le même effet qu'une balle perforant mon crâne et ma poitrine en même temps. Je me souviens me les être répétés un millier de fois au moins avant d'ouvrir la bouche (à peu près) car j'avais besoin de les imprimer et d'être certaine d'en comprendre le sens.

—Tu es sûre que tu ne peux pas rester ? Même cinq minutes ?

Je suis sûre que personne n'a jamais répondu ça à l'une de vos déclarations. Ou que vous-même n'avez jamais répondu ça.

—Je ne peux pas. Je suis partie de chez moi en laissant mes parents dans une panique générale, et je ne suis pas certaine que Dimitri parvienne à éteindre seul l'incendie que j'ai provoqué.

—D'accord, répondis-je simplement.

Je pense que j'avais aussi besoin de digérer l'information car il ne restait pas grand-chose de mes capacités intellectuelles, là. Vous ne vous rendez pas compte du choc sous lequel j'étais encore. Celui qui justifiait mon attitude un peu… Enfin, vous voyez.

—Mon père a appelé ma mère. Je lui ai dit que j'arrêtais tout, l'entreprise familiale, entre autres choses.

—Entre autre choses ?

—Mes fiançailles.

Je crû mourir. Car même si Edelgard m'avait enfin dit qu'elle m'aimait (avouez que c'était plutôt inespéré) ce petit détails trottait tout de même dans ce qu'il restait d'une caboche à la fois vide et remplie. Saturées d'autant d'informations que d'émotions.

—Attends. Ca signifie que… Que tu es libre ?

—En effet, c'est ce que cela signifie, Byleth.

—Aucune chance que tu ne changes d'avis ?

—Aucune.

—Mais, tu es sûre ?

—Tu m'as déjà posée la question.

—Ha. Ouais, mais c'est juste que…

Je me souviens de la sensation froide des gants en cuir d'Edelgard sur mes joues, mais aussi de la chaleur de ses lèvres. Je m'en souviens comme si c'était hier.

—Tu veux… Tu veux que je te ramène ? murmurai-je. Enfin, que je te raccompagne… Il y a trop de neige pour prendre la moto.

—J'ai commandé un taxi avant de frapper à la porte. Mais je t'appelle. C'est promis.

Vous l'attendiez, votre fin heureuse. Quand à moi, je dois vous avouer une chose : je suis soulagée d'être arrivée jusqu'ici ! Car Edelgard est bien rentrée chez elle. Et elle m'a bien appelé : elle n'avait pas changé d'avis et ça n'arriva pas.

Cette année-là, j'ai rencontré la version la plus brisée de moi-même. Mais aussi la plus forte.

Fin.